Une B.D., hé oui, une bande dessinée scientifique, et qui décoiffe. On ne vous demande pas d’être d’accord avec tout ce qu’elle présente, mais disons simplement que si tout citoyen l’avait lue au moins une fois, les discussions de fond sur les crises (énergie, climat, logement, transports, alimentation, …) seraient peut-être moins futiles qu’elles ne le sont trop souvent.
Jean-Marc Jancovici est ingénieur (polytechnicien) – philosophe – communicant (https://jancovici.com) ; mettez ces qualificatifs dans l’ordre qui vous arrange. Christophe Blain est un dessinateur talentueux, auteur de plusieurs bandes dessinées. Ces deux quinquagénaires se sont fendus d’un ouvrage très construit, dans lequel le second interview le premier. Le style est celui de la caricature. Agaçant sur certains points en fonction de notre sensibilité et notre disponibilité d’esprit au moment de la lecture, ce choix s’avère fertile dès lors qu’on met en balance la quantité et la diversité des idées illustrées avec le nombre de pages arides sur lesquelles il aurait fallu rester concentré si le texte n’avait pas été soutenu par ces illustrations. La durée de la lecture (au moins la première) est sans aucun doute nettement plus courte que la durée de la conception. Au moins, j’aurais appris ce qu’est, et à quoi sert le striatum !
À lire, à relire, et à méditer !
Après un prologue qui permet aux acteurs de se présenter d’une façon qui donne le ton de l’ouvrage, on entre de suite au cœur du sujet : Nous avons construit un monde qui tend à rassembler les Terriens au même endroit. C’est un système qui réclame des flux toujours plus titanesques pour exister. Le système s’enraye si un de ces flux ne peut plus circuler normalement. […Notamment] un flux dont tout dépend [est celui de] l’énergie. Et dès lors, l’être humain, imprégné d’énergie, devient Iron Man ! Cette idée géniale est déclinée dans tous les sens, tant constructifs que destructifs, et surtout démonstratifs. Et toutes les formes d’énergie sont « passées à la moulinette », si vous m’autorisez ce terme… caricatural.
À titre d’exemple, la loi de conservation de l’énergie, centrale, est illustrée pour bien faire comprendre qu’il s’agit d’un tout, multiforme, que l’espèce humaine tente d’apprivoiser au gré de ses impulsions. Le striatum, aurait dit Knock ! Chaque forme d’énergie est mise en perspective historique et statistique. Et franchement, la caricature montre tout son intérêt pourvu qu’on la considère comme telle. Au moins, l’idée est passée. Certes, aucun des auteurs n’est un naturaliste, et ça se sent. Le lecteur mis en appétit qui souhaite une approche plus scientifique, peut toujours le faire ensuite, avec des ouvrages appropriés. La vision d’ensemble reste précieuse.
Puis quelques pages bienvenues sont là pour examiner les avantages, dérives et inconvénients d’une utilisation de l’énergie qui, au-delà de la satisfaction du besoin nécessaire, commence à fournir du superflu, voire de l’inutile. Sans insister, c’est l’occasion de s’interroger sur les perspectives d’avenir. Et chacune des sources d’énergie est passée en revue, soupesée, analysée, avec ses bons et ses mauvais côtés. Toujours dans le même style. Évidemment, là, chacun des lecteurs va réagir selon son expérience et sa culture. Certes Jancovici ne cache pas sa conviction pro-nucléaire. La seule page que je ne peux pas « avaler » est la page 141 : la façon de présenter les effets de la catastrophe de Tchernobyl n’est que la version officielle française, proche du discours soviétique de l’époque. S’il était allé visiter les services pédiatriques des hôpitaux de Kiev et Minsk, ou battre la campagne de la région de Moghilev (Belarus), il n’aurait pas pu soutenir un tel discours. Pour moi, cette page entache l’ouvrage mais ne doit pas le condamner. C’est un ouvrage qui doit faire réfléchir et, justement, se rendre compte à quel point il est facile de « buter sur une marche ». L’humilité reste certainement la qualité essentielle du scientifique.
Et les dernières pages nous révèlent enfin les mystères du striatum. Un nouveau personnage est introduit : Sébastien Bohler, docteur en biologie moléculaire, polytechnicien (bien sûr) et essayiste. Ce spécialiste des neurosciences évoque comment et pourquoi notre comportement peut être à la fois enthousiasmant par sa créativité, et inquiétant jusqu’à être suicidaire. Les deux conclusions à retenir sont ainsi : il n’est de meilleure source d’énergie que celle que l’on ne consomme pas (ou que l’on recycle) ; il n’y a pas de fatalité dès lors que la raison nous permet de toujours et partout soupeser nos décisions, et en assumer les conséquences.
À lire, à relire, et à méditer !