La Société Géologique du Nord il y a 50 ans. Tome XCIV (94) des Annales (1974)

DOI : 10.54563/asgn.2407

p. 9-12

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Il y a 50 ans, le 24 novembre 1974, une équipe de scientifiques, constituée de Donald Johanson, Maurice Taïeb et Yves Coppens, découvre Lucy, un fossile d’hominidé (Australopithecus afarensis) presque complet qui transformera notre perception des origines humaines. Il y a 50 ans, le 27 décembre 1974, la région des Hauts-de-France connaît un drame, le plus mortel accident minier après la catastrophe de Courrières : un coup de grisou dans la fosse n° 3-3bis (ou fosse Saint-Amé) localisée sur le territoire de Liévin cause la mort de 42 mineurs. Il y a 50 ans, le Centre National de La Recherche Scientifique (CNRS) subventionne pour la dernière fois les Annales de la Société géologique du Nord à hauteur de 10 000 nouveaux francs. Ivan Godfriaux, président de la SGN nouvellement élu, belge, précise dans son discours d’ouverture : « C’est cette année également qu’il faut nous battre, pour justifier la place de la Société Géologique du Nord » (Godfriaux, 1974). Donc en terme familier, en 1974, ça passe ou ça casse pour la SGN ! De toute évidence, 50 ans après, l’histoire a donné raison à Ivan Godfriaux : la SGN a toujours une position internationale, de par ses adhérents répartis dans plusieurs pays et de ses échanges des Annales en format papier avec de nombreuses institutions et universités principalement européennes.

Ivan Godfriaux est professeur à la Faculté Polytechnique de Mons. Les liens forts entre le Département Géologie de la Faculté Polytechnique de Mons et celui des Sciences de la Terre à l’Université de Lille résultent d’une longue tradition. L’origine tient peut-être à la façon dont les exploitants de mines de charbon du Borinage ont contribué à prolonger cette exploitation vers l’ouest, au travers de ce qui allait devenir la frontière franco-belge, par le Traité d’Utrecht (Meilliez, 2017). Ce qui s’est traduit, entre autres, par le recrutement de plusieurs Français comme enseignants-chercheurs à Mons (F. Robaszynski, C. Dupuis, M. Mercier, …), tandis que la présidence de la SGN fut confiée à plusieurs collègues belges, ayant quasi tous enseigné dans cette école sauf Maurice Leriche (Fig. 1). Entre autres, il y a 50 ans, c’est Ivan Godfriaux qui assura cette tâche. On peut même prétendre que si, à l’époque où les commissions de recrutement étaient moins présentes qu’aujourd’hui, l’enseignement de la minéralogie-cristallographie de Lille aurait pu bénéficier d’un apport de qualité digne de ce que la géologie belge a su forger en formant ses minéralogistes sur les gisements métallifères du Congo.

Figure 1

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Liste des présidents belges de la Société Géologique du Nord, élaborée à partir de Blieck et al., 2014.
List of Belgian presidents of the Geological Society of the North, drawn up from Blieck et al., 2014.

I. Des activités à la SGN mais lesquelles ?

L’animation d’une association consiste tout d’abord à programmer l’assemblée générale et des réunions régulières. Ainsi, en 1974, l’assemblée est organisée le 10 janvier et sept séances ordinaires, respectivement le 7 février, le 7 mars, le 11 avril, le 2 mai, le 6 juin, le 7 novembre et le 5 décembre. De plus, les conférences publiques, mises en place l’année précédente par Jean Dercourt, continuent : « L’exoscopie des quartz : technique d’étude pour la détermination de l’histoire géologique des sédiments détritiques » par Loïc Le Ribault le 7 mars et « Principes de nomenclature et de classification stratigraphique : préoccupations purement formelles ou concepts fondamentaux dans toute recherche de géologie sédimentaire » par G. Buisson. Loïc Le Ribault (1947-2007) a été un des premiers géologues à utiliser la microscopie électronique à balayage en France. Il a ensuite proposé son expertise à la police scientifique dans les années 1980, puis il a été condamné pour exercice illégal de la médecine et tromperie en 2004 en raison de la vente d’une molécule prétendument miracle (Webographie Notice biographique : Loïc Le Ribault). Cependant, en 1974, il était reconnu pour sa méthode de détermination de la provenance des grains de sable. Yvan Godfriaux (1974) évoque aussi, dans son discours d’ouverture, d’autres conférences à venir sur le tunnel sous la Manche [avant le projet Eurotunnel de 1985-1994, un projet a débuté par des travaux en 1973, puis abandonné en 1975], l’hydrogéologie régionale et les recherches pétrolières en Mer du Nord. Cependant, ces conférences ne sont pas consignées dans les Annales. Donc, ont-elles eu lieu ?

De même, qu’en est-il des excursions, activités spécifiques aux associations géologiques ? Aucune mention n’est faite d’une séance extraordinaire sur le terrain, pourtant Ivan Godfriaux évoque une invitation qu’il a faite à la Société Géologique de France (SGF) pour une excursion de 8 jours en septembre dans les Ardennes franco-belges. Apparemment, cela ne s’est pas déroulé comme il l’avait prévu puisque le Bulletin de la Société Géologique de France mentionne que leur réunion extraordinaire s’est déroulée du 24 septembre au 5 octobre 1974 dans les Carpathes Roumaines (Bouillin et Caron, 1975). Force est de constater que les activités de notre société n’ont pas été très nombreuses il y a 50 ans !

II. Les Annales de la SGN, pas à la convenance du CNRS

Comme évoqué ci-dessus, le CNRS menace, pour plusieurs raisons, de supprimer la subvention qu’il alloue à la SGN pour la publication de sa revue. La principale est qu’il y a trop de revues en France de géologie au sens large et qu’il faut réduire ce nombre pour ne pas fractionner l’argent du CNRS attribué à cette mission et par conséquent augmenter la visibilité internationale des revues financées. Mais comment choisir les revues à privilégier ? La méthode de validation des articles, l’ampleur territoriale de l’institution éditrice de la revue, la thématique des sujets traités dans celle-ci…

Ivan Godfriaux (1974) réfute, au nom de la SGN, chacun de ces arguments dans son discours. En effet, le tome 94 des Annales est formé de 12 articles, un peu moins que l’année précédente (19), et 7 de ceux-ci sont présentés lors d’une des séances ordinaires organisées dans l’année, donc soumis à ses pairs. De plus, les ASGN ont toujours été internationales en raison de la proximité avec la Belgique et d’une région géologique qui ne s’arrête pas aux frontières nationales. Et, 5 articles du tome de l’année 1974 concernent des pays lointains : 2 sur la Grèce, 2 sur l’Afghanistan et 1 sur la Yougoslavie. Des reproches sont émis aussi à propos des thématiques qui sont pourtant très disparates dans la revue. Certes, 7 communications concernent la paléontologie. Mais la stratigraphie, l’hydrogéologie, les données de sondage, l’étude de faciès et la pétrographie houillère sont aussi abordées dans ce volume.

D’habitude, cette rubrique « La Société Géologique du Nord il y a 50 ans », est l’occasion d’évaluer la pertinence des découvertes publiées précédemment en regard des données actuelles. Seulement les résultats parus dans le tome 94 n’ont pas suscité d’inspirations aux auteurs…

III. Daniel Vachard : un adhérent à l’image de la SGN ?

Il y a 50 ans, Daniel Vachard (Fig. 2) adhérait à la SGN. Il était parmi les 15 nouveaux membres. Malheureusement, après une brillante carrière internationale de paléontologue, il nous a quitté le 23 juin 2024.

Figure 2

Figure 2

Daniel Vachard et Léa Devaere sur la colline Cerro de la Proveedora (zone autour de la ville de Caborca, État du Sonora, Mexique) (photographie prise le 15/02/2011 par Sébastien Clausen).
Daniel Vachard and Léa Devaere on the Cerro de la Proveedora hill (area around the town of Caborca, State of Sonora, Mexico) (photograph taken on 02/15/2011 by Sébastien Clausen).

Daniel Vachard (1947-2024) a travaillé pendant 51 ans sur les foraminifères, algues et pseudo-algues, essentiellement du Dévonien au Trias. Son parcours professionnel, ainsi que sa contribution aux sciences de la Terre, sont rappelés et analysés par Krainer & Lucas (2024) et Auguste (ce volume). Le recensement de ses travaux scientifiques effectué par Jessie Cuvelier sera disponible plus tard.

Les chiffres qui en résultent attestent de sa renommée mondiale. Daniel Vachard a publié au moins 605 articles, résumés de congrès et chapitres d’ouvrages entre 1969 et 2024, soit en moyenne 11 travaux par an ; 457 articles dans 139 revues différentes, aussi bien internationales (Nature, Palaeogeography Palaeoclimatology Palaeoecology, Geological Journal…), que nationales (Turkish Journal of Earth Sciences, Bulletin de la Société Géologique de France…), régionales (Revista Biología Tropical de Costa Rica, Géologie méditerranéenne, Revista mexicana de biodiversidad, New Mexico Museum of Natural History and Science Bulletin…) ou thématiques (Journal of Paleontology, Permophiles, Palaeontographica Abteilung B, Bulletin des Centres de Recherches Exploration-Production Elf Aquitaine…). Il a publié essentiellement dans Geobios (42), aux Comptes Rendus de l’Académie des Sciences de Paris (33), aux Annales de la Société Géologique du Nord (23), dans la Revue de Micropaléontologie (21), et dans la Revue de Paléobiologie (19). Parmi ces notes, il est premier auteur de 167 d’entre eux. Ses travaux concernent au moins 44 pays différents (Fig. 3) ; il a participé à la détermination taxonomique de plus de 15 000 spécimens figurés. Ses collections déposées à l’Université de Lille, actuellement en cours d’inventaire, comprennent, à ce jour, plus de 7 300 lames minces.

Figure 3

Figure 3

Cartes du monde et de l’Europe présentant les pays et zones géographiques en France étudiés par Daniel Vachard dans ses publications scientifiques. Les chiffres indiquent le nombre de publications par pays ou par zone géographique française.
Maps of the world and Europe showing the countries and geographical areas in France studied by Daniel Vachard in his scientific publications. The circles indicate the number of publications by country or by French geographical area.

Au-delà de ces nombres, ses multiples collaborations prouvent que son expertise était estimée mais surtout, l'homme était accueillant et disponible pour tous les projets scientifiques qu’on pouvait lui proposer. Bien qu'il soit connu pour quelques accès de colère, et étant intimidant au premier abord pour une étudiante de licence (M.A.), il avait toujours le cœur sur la main. Nous (J.C. et M.A.) l'avons connu après son accident vasculaire cérébral qui, en dépit de séquelle physique, n’a pas altéré ses capacités de scientifique : son savoir encyclopédique impressionnait tous ceux qui l’approchaient. Daniel Vachard parlait couramment l’anglais, l’espagnol, l’allemand et le russe, et comprenait le turc, le portugais et l’italien. Même si ses collections et ses archives semblaient désorganisées, il avait la faculté de retrouver un spécimen observé sur une lame mince des années auparavant.

Daniel Vachard a participé à la vie de la SGN, en tant qu’auteur mais aussi en tant que secrétaire de 1990 à 1993, puis est devenu conseiller au conseil d’administration dans les années qui suivent. Il a pris part, en mai 1991, à la création de la nouvelle maquette des Annales de la Société Géologique du Nord, renommée 2e série avec une nouvelle numérotation pour l’occasion.

Souhaitons que notre association continue d’attirer des adhérents, qui soient des auteurs aussi prolifiques et passeurs de savoirs que Daniel Vachard l’a été, et surtout ambassadeurs pour la SGN.

Remerciements : Les auteurs souhaitent remercier Léa Devaere d’avoir transmis une photographie de Daniel Vachard lors d’une excursion géologique au Mexique.

Bibliography

Auguste P. (2024). In memoriam : Daniel Vachard (1947-2024). Annales de la Société Géologique du Nord, 31 (2e série) : 7.

Blieck A., avec la collaboration de Brice D., Charvet J., Cuvelier J., De Baere J.-P., Dhainaut A., Matrion A., Meilliez F., Mistiaen B., Oudoire T., Ricour J., Sommé J. & Trentesaux A. (2014). La Société géologique du Nord et les sciences de la Terre dans le Nord-Pas-de-Calais : science, industrie et société. In : Blieck A. & De Baere J.-P. (dir.), La Société géologique du Nord et l’histoire des sciences de la Terre dans le nord de la France. Mémoires de la Société géologique du Nord, 17 : 3-40.

Bouillin J.-P. & Caron J.-M. (1975). Réunion extraordinaire de la Société Géologique de France. Les Carpathes Roumaines. Bulletin de la Société Géologique de France, 17 (7e série) (3) : 267-298.

Godfriaux I. (1974). Discours présidentiel. Annales de la Société Géologique du Nord, 94 : 7-8.

Krainer K. & Lucas S.G. (2024). Daniel Vachard (1947-2024) : In memoriam. Permophiles, 77 : 47-48.

Meilliez F. (2017). – Héritages de l’exploitation industrielle et scientifique du gisement houiller du Nord et du Pas-de-Calais (Carbonifère supérieur), une longue histoire (XVIIe – XXIVe siècles). Annales de la Société Géologique du Nord, 24 (2e série) : 17-31.

Webographie

Notice biographique : Loïc Le Ribault : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lo%C3%AFc_Le_Ribault [consulté le 27/10/2024]

Illustrations

  • Figure 1

    Figure 1

    Liste des présidents belges de la Société Géologique du Nord, élaborée à partir de Blieck et al., 2014.
    List of Belgian presidents of the Geological Society of the North, drawn up from Blieck et al., 2014.

  • Figure 2

    Figure 2

    Daniel Vachard et Léa Devaere sur la colline Cerro de la Proveedora (zone autour de la ville de Caborca, État du Sonora, Mexique) (photographie prise le 15/02/2011 par Sébastien Clausen).
    Daniel Vachard and Léa Devaere on the Cerro de la Proveedora hill (area around the town of Caborca, State of Sonora, Mexico) (photograph taken on 02/15/2011 by Sébastien Clausen).

  • Figure 3

    Figure 3

    Cartes du monde et de l’Europe présentant les pays et zones géographiques en France étudiés par Daniel Vachard dans ses publications scientifiques. Les chiffres indiquent le nombre de publications par pays ou par zone géographique française.
    Maps of the world and Europe showing the countries and geographical areas in France studied by Daniel Vachard in his scientific publications. The circles indicate the number of publications by country or by French geographical area.

References

Bibliographical reference

Jessie Cuvelier, Marie Antoine-Hennion and Francis Meilliez, « La Société Géologique du Nord il y a 50 ans. Tome XCIV (94) des Annales (1974) », Annales de la Société Géologique du Nord, 31 | -1, 9-12.

Electronic reference

Jessie Cuvelier, Marie Antoine-Hennion and Francis Meilliez, « La Société Géologique du Nord il y a 50 ans. Tome XCIV (94) des Annales (1974) », Annales de la Société Géologique du Nord [Online], 31 | 2024, Online since 02 décembre 2024, connection on 06 décembre 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/annales-sgn/2407

Authors

Jessie Cuvelier

CNRS

Université de Lille

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Marie Antoine-Hennion

Université de Lille

Francis Meilliez

Université de Lille

UMR 8187 LOG/CNRS/ULCO

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