L'année 1970 est celle du Centenaire de la Société Géologique du Nord (SGN). De ce fait, le tome XC des Annales, fort de 506 pages, comporte les actes du colloque du Centenaire qui s'est tenu les 27 et 28 novembre à la Cité Scientifique à Villeneuve d'Ascq (fascicule 4 du tome XC). Le Conseil d'administration chargé de son organisation et de la publication des actes était le suivant :
Président d'honneur M. G. Waterlot
Président M. M. Gantois
Premier Vice-Président Melle D. Brice
Vice-Présidents MM. A. Beugnies et G. Souliez
Secrétaire M. J. Paquet
Secrétaire-Adjoint M. J.-P. Laveine
Trésorier M. l'Abbé G. Tieghem
Déléguée aux publications Mme Paule Corsin
Archiviste-Bibliothécaire M. S. Loboziak
Conseillers M. A. Bonte, Mme S. Defretin, MM. A. Dalinval, Ch. Delattre, J. Prouvost et J. Dercourt
La Société s'est réunie en Assemblée générale le 14 janvier, au cours de laquelle elle a élu le Conseil d'administration de l'année. Elle a tenu cinq « séances ordinaires » mensuelles (11 février, 4 mars, 15 avril, 13 mai, 28 octobre et 16 décembre) et une réunion extraordinaire sur le terrain le 14 juin au cours de laquelle G. Waterlot a conduit la SGN dans la région lilloise pour étudier la « Géologie du Mélantois-Pévèle ». La séance de novembre était remplacée par le colloque du Centenaire qui a réuni 115 participants les 27 et 28 novembre (liste pages 497-499 du tome). Cet événement fut l'occasion d'inciter les étudiants de 2e et 3e cycles de l'université qui ne l'étaient pas encore à devenir membres de la Société ; les candidats furent élus au cours des séances ordinaires de l'année ; ceux qui auraient dû l'être à la séance de novembre l'ont été soit à la séance de décembre, soit à celle de janvier 1971 (cf. le tome XCI des Annales). On retrouve ainsi comme nouveaux membres Jacky Mania, Bernard Odent, Francis Meilliez, Danielle Decrouez, Monique Mercier, Bruno Mistiaen, Noël Beun, Jean-Marie Flament, Patrick De Wever, Alain Blieck, Jean-Pierre Colbeaux, Jean-Marie Dégardin et Yvonne Battiau-Queney. Ils ont participé au colloque du Centenaire qui fut pour la plupart d'entre eux, sinon tous, leur premier congrès de géologie. On retrouve également parmi ces « nouveaux membres du Centenaire » de jeunes enseignants-chercheurs (qu'on n'appelait pas encore comme ça, la plupart étant « assistants ») Jean-Jacques Verriez, Jean Didon, Jacky Ferrière [en dehors de celles et ceux qui étaient déjà membres]. Dans son discours d'investiture lors de la séance du 11 février, le nouveau président, Joseph Gantois, rappelant que « la Société Géologique du Nord est la plus ancienne Société géologique française après celle de Paris », souhaite que « à la sortie d'une époque troublée qui a ébranlé la Faculté » [J. Gantois fait référence aux événements de 1968], « le centenaire de notre Société marque le renouveau de la saine et franche amitié qui, comme le disait l'un de [ses] prédécesseurs, faisait de la Société Géologique du Nord "la première" en France par la chaude amitié qui y règne » (p. 6 du tome XC). L'arrivée d'une cohorte de jeunes membres, étudiants et assistants, à l'occasion du Centenaire y a certainement contribué…
Les articles publiés dans les fascicules 1 à 3 du tome XC recouvrent des champs variés des sciences géologiques, avec une prédominance de la géologie houillère et de la paléontologie du Paléozoïque, marques de fabrique de la SGN :
- tectonique et tectono-stratigraphie : La faille de Vireux à l'est de la Meuse, par A. Beugnies et al. ; La notion d'olistostrome et d'olistolite - Historique et étude critique, par P. Broquet ;
- géologie et stratigraphie houillères : Confirmation de l'âge Westphalien du houiller [sic] de Le Plessis (Manche)… par R. Coquel et al. ; Mise au point à propos de la note « Corrélation entre les Tonstein Romance et Prudence par F. Legrand », par A. Bouroz ; Etude pétrographique préliminaire des houilles du bassin du Moatize (Tete, Mozambique), par M.J. Lemos de Sousa & E. Mériaux ; Sédimentation rythmée dans les charbons du bassin du Nord - Pas-de-Calais, par P. Dollé ;
- géologie de terrain : Nouvelles observations géologiques sur les terrains paléozoïques, crétacé et tertiaire [sic] des environs de Bavai, par B. Waterlot ; Données nouvelles sur le Carbonifère des environs de Pont-sur-Sambre, par B. Waterlot ; La structure annulaire granitique de Suf-Kajiran (Afghanistan central), par A.F. de Lapparent & J. Blaise ;
- pétrographie-minéralogie : Le photomètre de microthermoluminescence, son intérêt dans les applications de la TL à la géologie, par J.-M. Charlet ; Rôle de l'altération météorique et des mouvements de l'eau dans l'évolution du minerai manganésifère de Moanda (près Franceville, Gabon), par M. Bouma ;
- paléontologie du Paléozoïque : Découverte d'un Euryptéridé (Erieopterus brewsteri H. WOODWARD) dans I'arkose d'Haybes, à Fépin (Gédinnien inférieur de l'Ardenne), par J. Paquet & G. Waterlot [ce matériel est repris dans le catalogue des collections lilloises d'Euryptérides, par Blieck et al., 2013] ; Le genre Spyridiophora (Brachiopodes Productoïdes) dans le Permien asiatique, par H. & G. Termier ; Sur une dalle à empreintes de pas lacertoïdes du houiller du bassin du Nord - Pas-de-Calais, par P. Dollé et al. [ces traces fossiles, attribuées à un « amphibien » Prolacertipes pruvosti et figurées par Dollé et al. (leurs figures 1 et 2), seraient les seules preuves de l'existence de Tétrapodes dans le Houiller du Nord - Pas-de-Calais ; malheureusement, la dalle qui les porte a été emmenée par P. Dollé dans ses collections personnelles, et les efforts déployés par le Musée d'histoire naturelle de Lille pour la voir intégrée aux collections publiques n'ont pas abouti (T. Malvesy et T. Oudoire, comm. pers., mai 2020 ; le catalogue des collections ne mentionne donc pas cette dalle : Blieck et al., 1999)] ; Quelques Ostracodes frasniens du Bas-Boulonnais (France), par F. Lethiers ; Ammonoïdes de I'Artinskien (= Zygarien) dans la montagne de Bamyan (Afghanistan), par H. & G. Termier ; Les Prebelemnitida : un nouvel ordre de Céphalopodes, par H. & G. Termier ; Ostracodes du Dévonien supérieur de I'Avesnois (France) - Limite Frasnien moyen - Frasnien supérieur, par F. Lethiers ; Révision des Conchostracés westphaliens du bassin houiller du Nord - Pas-de-Calais, par S. Defretin-Lefranc [ce matériel a été revu dans les catalogues de Hennion et al., 2015 et Cuvelier et al., 2015].
Le colloque du Centenaire s'est déroulé dans les locaux de la Cité scientifique à Villeneuve d'Ascq, sur le campus de l'Université des sciences et techniques de Lille (comme elle s'appelait à l'époque ; elle a changé de nom plusieurs fois jusqu'à redevenir une composante de l'Université de Lille depuis 2012). Son organisation avait été confiée à une commission, coordonnée par Jacques Paquet et Jean-Pierre Laveine (J. Gantois, tome XC, p. 495). Dans son discours d'ouverture du colloque, le Doyen Defretin rappelle brièvement l'histoire de la SGN, évoque les grands noms de la géologie lilloise et signale que la SGN, partie en 1870 avec 11 membres fondateurs, « compte près de 400 membres actuellement » (en fait 343 en 1971, l'un des trois effectifs les plus élevés dans toute l'histoire de la SGN : Blieck et al., 2014, tableau 5). Il évoque son rayonnement national et international, perceptible, selon lui, à la présence de nombreuses personnes morales, membres de la SGN (8 bibliothèques, 5 chambres de commerce, 12 écoles, instituts et laboratoires, 15 entreprises industrielles, 51 géologues étrangers dont 33 belges) et à la diffusion de ses publications, Annales et Mémoires. « Les échanges [de ces publications] qu'elle poursuit avec le Monde entier, lui ont permis de constituer une bibliothèque qui, après celle de la Société Géologique de France, est la plus importante de France. » (Defretin, tome XC, p. 168). Le Doyen Defretin insiste aussi sur les collections de stratigraphie, paléontologie et minéralogie qui ont servi de matériau de base des publications et qui sont majoritairement rassemblées au Musée Gosselet (aujourd'hui intégré au Musée d'histoire naturelle de Lille - voir l'historique de Oudoire et al., 2014). Il rappelle la collaboration longue et fructueuse entre la SGN et « les responsables du Bassin Houiller », conduisant à affirmer que « toute l'histoire du Bassin Houiller du Nord et du Pas-de-Calais se trouve consignée dans [les] Annales. » (tome XC, p. 169 - voir l'historique de la bibliothèque recherche des sciences de la Terre par Locatelli, 2014). Enfin, évoquant le futur de la Société, il appelle de ses vœux une collaboration plus soutenue entre les différentes branches des sciences de la Terre (géologie « sensu stricto », géotechnique, paléontologie, minéralogie, géophysique, géochimie…) pour conforter les avancées récentes en tectonique globale issues de l'exploration des océans (ibid., p. 170 ; rappelons qu'en 1970 la tectonique des plaques ne date que de quelques années).
C'est évidemment le fascicule 4 du tome XC des Annales, dévolu aux actes du Centenaire, qui est le plus épais, avec 36 articles, dont plusieurs de synthèse, regroupés comme suit :
- Géologie du bassin de Mons et du Hainaut, un siècle d'histoire, par R. Marlière ;
- Les loess et la stratigraphie du Pléistocène récent dans le Nord de la France et en Belgique, par R. Paepe & J. Sommé ;
- Pétrologie des charbons, par B. Alpern et al. (deux articles) ;
- Un siècle et demi de Paléobotanique dans le Nord de la France, par P. & P. Corsin ;
- Le cycle hercynien dans les Pyrénées, par R. Clin et al. (trois articles) ;
- Contribution à la géologie des Hellénides : le Gavrovo, le Pinde et la zone ophiolitique subpélagonienne, par J. Aubouin et al. (cinq articles) ;
- Tectonique de la Méditerranée centrale, par A. Caire ;
- Données nouvelles sur la géologie des Cordillères bétiques, par J. Bourgois et al. (huit articles) ;
- Glissements de terrains, par A. Bonte et al. (six articles) ;
- Contribution des sciences de la Terre aux études sur l' « environnement », par J. Ricour ;
- Hydrogéologie dans la région du Nord, par G. Souliez et al. (cinq articles) ;
- Les Productoïdes du Djoulfien (Permien supérieur) dans la Téthys orientale : essai sur l'agonie d'un phylum, par H. & G. Termier ;
- Typologie géochimique des calcaires, application à l'étude de l'origine des calcaires métamorphiques dans les massifs hercyniens français, par P. Debrabant.
Par la prédominance des articles sur les chaînes alpines (Hellénides, Méditerranée centrale, Cordillères bétiques), ces travaux du Centenaire s'inscrivent dans la « période dinaro-hellénique » de la SGN (sensu Charvet, 2014). D’ailleurs, Michel Durand-Delga a été accueilli comme nouveau membre SGN à l’occasion de ce Centenaire. Paul Celet, d’origine universitaire lilloise, et Jean Dercourt, d’origine universitaire parisienne, avaient initié un groupe de recherches sur les Hellénides, sous l’égide de Jean Aubouin. François Thiébault et Jacques Charvet les ont rejoints. Jacques Paquet, de son côté, venait de terminer sa thèse dans les Cordillères bétiques au sud de l’Espagne sous la direction de Michel Durand-Delga, tandis que Jean Didon, recruté comme enseignant à l’EUDIL (Ecole Universitaire d'Ingénieurs de Lille qui a ouvert ses portes à la rentrée 1969), venait d’achever la sienne sur l’arc de Gibraltar. Gérard Duée et Paul Broquet quant à eux, étaient membres de l’équipe d’André Caire, professeur à Paris qui travaillait en Algérie et en Tunisie et avait implanté une équipe en Sicile, établissant un lien entre Maghreb et Italie. Ainsi, le département des sciences de la Terre de l'université de Lille groupait-il plusieurs géologues travaillant tout autour de la Méditerranée. La géologie méditerranéenne a connu en France un essor cohérent grâce à un réseau très actif de chercheurs dont le nœud majeur était à Paris ; ces chercheurs étaient tous héritiers de Louis Glangeaud, Paul Fallot et Jean-Henri Brunn. Deux autres nœuds se développaient en même temps à Lille et à Montpellier (autour de Maurice Mattauer).
Dans son discours de clôture du colloque, J. Gantois parle de « nouvelle vague » (peut-être en allusion à la nouvelle vague du cinéma des années 1950-60) et souhaite que ces géologues lillois (en collaboration avec leurs collègues de l'Université de Mons en Belgique - cf. le discours du Doyen Defretin) reprennent le « flambeau pour un nouveau siècle », et, si possible, en ne négligeant « pas trop la géologie régionale » (tome XC, p. 496). Ce que la SGN ignore à ce moment-là, c'est qu'elle vit son « âge d'or » si l'on en juge par le nombre d'articles publiés dans ses Annales (Blieck et al., 2014, fig. 9) et le nombre de ses membres (ibid., fig. 10). Le déclin s'amorcera dans la deuxième moitié des années 1970 dans un contexte national et international où les critères d'évaluation de la recherche et des chercheurs en géologie évolueront au détriment des sociétés savantes régionales et de leurs revues périodiques. Mais ceci est une autre histoire…
Remerciements. — Nos remerciements vont à Jessie Cuvelier (UMR 8198 du CNRS - Université de Lille) pour les références sur les collections de « Conchostracés » ; ainsi qu'à Thierry Malvesy (Muséum d'Histoire Naturelle de Neuchâtel, Suisse) et Thierry Oudoire (Musée d'Histoire Naturelle de Lille) à propos de la dalle de pas fossiles de Tétrapodes du Houiller du Bassin du Nord - Pas-de-Calais.