Introduction
Afin de lutter contre le dérèglement climatique, de nombreux pays se sont engagés en avril 2016, à travers l’accord de Paris (COP 21), à réduire de manière conséquente leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), à l’origine du réchauffement climatique. En 2016, 70 % des émissions de GES provenaient de la consommation d’énergie d’origine fossile, et 61 % de la chaleur produite était également d’origine fossile (Ministère de la transition écologique et solidaire, 2019). Pour répondre à cet objectif, l’Etat Français s’est doté de différents outils législatifs dont la loi relative à la Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV) du 17 août 2015, modifiée le 24 mai 2019, ainsi que d’une Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) qui décrit la feuille de route de la France pour réduire les émissions de GES à l’horizon 2050. Afin d’atteindre les objectifs fixés par la LTECV et suivre la feuille de route décrite par la SNBC, la France a mis en œuvre une Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE), à travers le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020, qui fixe les priorités d’actions des pouvoirs publics dans le domaine de l’énergie. Les objectifs de cette programmation sont : la maîtrise de la demande en énergie, la maîtrise des coûts des énergies, la promotion des énergies renouvelables, la garantie de la sécurité d’approvisionnement et l’indépendance énergétique. La PPE décrit les mesures à prendre, pour qu’en France l’énergie soit décarbonée et ainsi atteindre la neutralité carbone en 2050. La PPE fixe ainsi les premiers objectifs chiffrés à atteindre en 2028 pour arriver à la neutralité carbone en 2050. Parmi ces objectifs, nous pouvons nommer :
- La diminution de 35 % de la consommation primaire des énergies fossiles d’ici 2028 par rapport à 2012 ;
- La diminution de 30 % des émissions de GES issues de la combustion d’énergie par rapport à 2016 (et 40 % par rapport à 1990) ;
- L’augmentation de 40 à 60 % de consommation de chaleur renouvelable par rapport aux chiffres de 2017.
Dans ce contexte de transition énergétique et afin d’atteindre les objectifs de la COP21, le mixte énergétique semble être la meilleure, si ce n’est l’unique, solution. En effet, il apparaît comme fantaisiste de penser qu’une unique source d’énergie pourrait répondre à l’ensemble des besoins de la France. Parmi ces énergies, nous pouvons notamment citer le solaire thermique et photovoltaïque, l’éolien, la biomasse et la géothermie. Cette dernière, bien que trop peu répandue, à un rôle majeur à jouer dans la transition énergétique.
La géothermie, du grec géo signifiant la Terre, et thermos signifiant la chaleur, est une technologie qui vise à exploiter la ressource énergétique du sous-sol. Il existe plusieurs types de géothermie : la géothermie profonde et celle dite de surface. La géothermie profonde exploite des réservoirs géothermiques compris en moyenne entre 1 000 et 3 000 mètres de profondeur. Elle permet d’exploiter des réseaux de chaleur, avec une ressource présentant une température comprise entre 30 et 80 °C. De nombreuses installations fonctionnent d’ailleurs sur ce principe en Région Parisienne et dans le Bassin Aquitain. Dans le Nord et le Pas-de-Calais cette ressource géothermale profonde n’est actuellement pas exploitée, car les connaissances géologiques sont insuffisantes. Il semblerait cependant qu’un potentiel puisse exister dans le Hainaut, par analogie avec ce qui est développé de l’autre côté de la frontière en Belgique dans la région de Mons notamment. Dans certains contextes géologiques singuliers, la géothermie profonde permet également la production d’électricité lorsque la température est suffisamment élevée (elle doit être supérieure à 100 °C). Les deux installations françaises de ce type sont 1) la centrale de Bouillante en Guadeloupe, située dans une zone volcanique active et qui présente une température supérieure à 300 °C, et 2) la centrale géothermique de Soultz-sous-Forêts. Située dans le fossé rhénan, cette installation présente une température de la ressource de l’ordre de 165 °C captée à travers trois forages de 5 000 mètres de profondeur. De l’eau est injectée dans la roche et de la vapeur d’eau est récupérée afin de produire de l’électricité. Le second type de géothermie est celle dite de surface, ou géothermie dite de très basse température en raison d’une température généralement inférieure à 20 °C qui nécessite l’usage d’une Pompe à Chaleur (PAC) pour valoriser cette ‘chaleur’ naturellement disponible. Elle est exploitée à de faibles profondeurs (inférieures à 200 mètres) et est exploitable sur 90 % du territoire des Hauts-de-France. Toutefois, celle-ci reste très largement sous-exploitée.
Dans l’objectif de partager quelques éléments d’expériences, cet article présente dans un premier temps la géothermie très basse énergie, les gammes de puissances concernées ainsi que les domaines d’applications. Les deux principaux procédés géothermiques sur axes verticaux, à savoir le procédé sur nappe et celui sur sondes, sont ensuite détaillés. Enfin, deux projets géothermiques régionaux, différant tant par leur envergure que par leur technicité seront exposés afin d’illustrer le fait que cette énergie renouvelable est en capacité de répondre aux besoins de chauffage et de rafraîchissement-climatisation des bâtiments neufs ou existants et de taille variable. Ces exemples sont situés à Lille (le bâtiment BIOTOPE, nouveau siège de la Métropole Européenne de Lille) et à Cuincy (Médiathèque Municipale) dans des contextes géologiques sensiblement différents.
Présentation de la géothermie très basse énergie
Généralités
Même s’il nécessite des investissements plus importants que pour les traditionnelles utilisations d’énergies fossiles, le recours à la géothermie est un mode de fonctionnement économiquement très intéressant et indépendant des conditions climatiques. En effet, il est reconnu qu’à partir de 10 mètres de profondeur la température du sous-sol reste stable toute l’année. Selon le procédé mis en œuvre, l’économie d’exploitation en chauffage peut atteindre 60 % du coût de l’énergie primaire de référence qu’est le gaz. Dans ce cadre, faire appel au potentiel géothermique revêt un intérêt primordial, non seulement en termes économiques, mais aussi dans le respect des politiques de protection de l’environnement engagées tant au niveau de l’Etat qu’à celui des collectivités territoriales : diminution des consommations d’énergies primaires fossiles et diminution de l’émission des gaz à effet de serre.
Dans la région des Hauts-de-France, la température du sous-sol de la surface jusqu’à 200 mètres de profondeur est comprise entre 10 et 14 °C en moyenne (Picot & Pira, 2011). A ce niveau de température, l’usage d’une pompe à chaleur (PAC) est nécessaire pour valoriser cette chaleur pour la restituer aux bâtiments. Si la faible température de cette ressource énergétique peut apparaître pénalisante à première vue, elle est en fait un atout pour les usages de rafraîchissement et de climatisation des bâtiments. La PAC constitue un organe central du système géothermique car elle va assurer le transfert d’énergie entre le sous-sol et les bâtiments. Son principe de fonctionnement repose essentiellement sur l’exploitation des propriétés thermodynamiques des fluides frigorigènes/caloporteurs soumis à des opérations de compressions et de détente successives (cycles thermodynamiques). Elle prélève de l’énergie dans un environnement à faible température (le sol ou la nappe) et la restitue dans un autre (les émetteurs du bâtiments) à une température plus forte. Pour satisfaire les besoins en rafraîchissement, les échanges peuvent se faire soit en direct, il est question alors de "Géocooling" (la PAC ne fonctionne pas), soit par l’intermédiaire d’une PAC dite réversible.
Gamme de puissance et domaines d’application
La filière de la géothermie très basse énergie offre des gammes de puissance et des domaines d’application très larges que ce soit en matière de chauffage, de rafraîchissement, de climatisation et de production d’eau chaude sanitaire. Ces nombreuses applications sont dues aux nombreux procédés existants : sondes géothermiques verticales, champs de sondes géothermiques verticales, doublet (ou multiplet) de forages sur nappe, capteurs horizontaux, capteurs compacts, fondations thermoactives et puits canadiens (Tab. 1).
Le choix du procédé va généralement être orienté par les besoins à satisfaire. Ainsi, les capteurs horizontaux et compacts, mais aussi les sondes géothermiques individuelles seront plutôt adaptés aux installations de faible puissance (habitation individuelle notamment, Tab. 2).
Performance
Le Coefficient de Performance (COP) et le coefficient d’efficacité frigorifique (EER) représentent la performance d’une installation, respectivement en mode chauffage et en mode rafraîchissement - climatisation. Ce sont des rapports entre l’énergie utile (c’est-à-dire l’énergie fournie par la PAC aux émetteurs du bâtiment) et l’énergie consommée par la PAC lors de son fonctionnement. Aujourd’hui, les machines atteignent des performances comprises entre 4 et 5 en moyenne. Autrement dit, 1 kW (kilowatt) d’énergie électrique utilisé pour faire fonctionner la PAC peut fournir 5 kW de chaleur. La différence de 4 kW correspond à l’énergie renouvelable prélevée au sous-sol. Pour ce qui est de l’EER, ce coefficient peut atteindre la valeur de 6 lorsque la pompe à chaleur est en fonctionnement (mode actif). En mode "géocooling" (dit mode passif, la PAC ne fonctionne pas), l’EER peut atteindre des valeurs dépassant 20.
La réglementation en vigueur
Du point de vue réglementaire, la géothermie relève du Code Minier. D’après l’article L112-2 de ce Code, les gîtes géothermiques sont classés soit en haute soit en basse température. Cette classification se base sur la température du fluide caloporteur mesurée au forage de prélèvement : supérieure ou inférieure à 150 °C (Fig. 1). Par ailleurs, la géothermie basse température renferme un sous-ensemble appelé « géothermie de minime importance ». Le décret n° 2015-15 du 8 janvier 2015 définit les conditions générales d’application de ce sous-ensemble ; il s’accompagne de quatre arrêtés datés du 25 juin 2015 :
- Arrêté relatif aux prescriptions générales applicables aux activités géothermiques de minime importance : il s’agit des conditions relatives à l’implantation d’une installation, des mesures à mettre en œuvre lors de la réalisation des forages, des conditions d’exploitation et de cession d’exploitation, et des modalités de surveillance et d’entretien de l’installation.
- Arrêté relatif à la cartographie des zones réglementaires. Au niveau national, il s’agit d’une carte concernant les échangeurs géothermiques fermés (comme les sondes géothermiques ou les fondations thermoactives) et d’une carte concernant les échangeurs géothermiques ouverts (comme les doublets de forages sur nappe). Ces cartes définissent 3 zones réglementaires distinctes (zones vertes, oranges et rouges) et conditionnent le régime déclaratif.
- Arrêté relatif à la qualification des entreprises de forage intervenant en matière de géothermie de minime importance : il définit les qualifications que doivent nécessairement avoir les entreprises de forage pour effectuer les travaux. Ces qualifications sont attribuées distinctement pour les échangeurs géothermiques ouverts (forages d’eau) et les échangeurs géothermiques fermés (sondes).
- Arrêté relatif à l’agrément d’expert en matière de géothermie de minime importance : il fixe les modalités d’agrément des experts et les compétences requises. La liste des experts agréés est publiée par Arrêté interministériel.
Il existe différents régimes administratifs qui s’appliquent en fonction du type de géothermie et des critères de seuil (profondeur, puissance extraite au sous-sol, réinjection, zone réglementaire…) (Tab. 3). Toute installation de géothermie basse température ne répondant pas aux critères de la géothermie de minime importance doit faire l’objet d’une demande d’autorisation de travaux et d’exploitation qui sera instruite par les services de l’État (DREAL) au titre du Code Minier.
Le potentiel géothermique régional sur nappe
Le potentiel géothermique régional sur nappe est relativement important. La carte régionale, consultable sur le site Internet www.geothermies.fr, est divisée selon les quatre principaux potentiels suivants :
- Potentiel fort : il représente les 2/3 du territoire. Ce fort potentiel est dû à la présence de l’aquifère de la craie du Séno-Turonien. Cette ressource d’importance régionale peut présenter, par endroit, des débits d’exploitation très supérieurs à 100 m3/h par ouvrage ;
- Potentiel moyen : il s’agit de secteur où la(les) nappe(s) présente(nt) une productivité moindre. C’est notamment le cas de la plaine de la Flandre avec la nappe des sables landéniens ;
- Potentiel faible : il s’agit de secteurs où la(les) nappe(s) présente(nt) une productivité très faible. C’est par exemple le cas des secteurs où l’aquifère de la craie est peu épais ;
- Potentiel inconnu : il s’agit de secteurs où les données scientifiques sont incomplètes pour estimer un potentiel régional et des secteurs où les caractéristiques hydrogéologiques sont très hétérogènes localement. C’est le cas des régions de l’Avesnois et du Boulonnais.
Cependant, il est important de préciser que cette carte ne présente que le potentiel sur nappe. Dans les zones où ce potentiel sur nappe est peu favorable ou inconnu, le procédé sur sondes peut tout à fait répondre à certains besoins. Le potentiel de ce procédé est relativement important puisque applicable sur 90 % du territoire. En effet, seules les zones où se trouvent un périmètre de protection d’un captage d’eau potable, les zones présentant des cavités souterraines ou les secteurs très faillés ou fracturés peuvent empêcher la mise en œuvre d’un tel procédé.
Un projet réussi en quatre étapes
Pour mener à bien un projet géothermique, quatre étapes successives apparaissent comme indispensables (Fig. 2). Ces quatre étapes peuvent être résumées ainsi :
- 1re étape : Etude de pertinence
Cette première étape se déroule sans travaux, sur la base d’une première approche des besoins thermiques du bâtiment, et d’un examen documentaire du contexte géologique, hydrogéologique, environnemental et réglementaire. En conclusion de cette première étape est réalisée une première approche technico-économique afin de valider la pertinence de mise en œuvre d’un procédé sur nappe ou sur sondes verticales.
- 2e étape : Etude de faisabilité
Si la première étape s’avère concluante, la poursuite d’un projet consiste en la mise en œuvre d'une étude de faisabilité géothermique en créant un forage d’essai captant un aquifère ou en créant une sonde verticale test. Les forages d’essai permettront de réaliser un certain nombre d’essais in-situ qui seront détaillés dans les exemples présentés ci-après. L’interprétation de ces essais et la définition précise des besoins thermiques du bâtiment permettront notamment de dimensionner les forages d’exploitations. Pour le procédé sur nappe, il s’agira de définir le débit d’exploitation du doublet ou multiplet de forages ainsi que l’écartement entre les ouvrages. Pour le procédé sur sondes verticales, l’objectif sera de déterminer le nombre, la profondeur et la géométrie du champ de sondes.
- 3e étape : Déploiement du projet
La 3e étape du projet consiste à créer les échangeurs géothermiques supplémentaires (forage(s) sur nappe ou sondes verticales), à raccorder ces échangeurs au local technique accueillant la PAC et ces équipements.
- 4e étape : Suivi de l’installation
Cette dernière étape n’est pas la moins importante. Si la géothermie nécessite des investissements plus importants que pour une installation plus ‘standard’ utilisant une énergie fossile, elle trouve tout son bénéfice dans son exploitation et sa maintenance. En effet, pour ce qui est des ouvrages souterrains, s’ils sont réalisés dans les règles de l’art, leur durée de vie peut être considérée comme illimitée pour le procédé sur sondes verticales, et supérieur à 40 ans pour le procédé sur nappe. En ce qui concerne la durée de vie d’une pompe à chaleur, des exemples montrent certaines installations en fonctionnement depuis plus de 25 ans. Par ailleurs, en termes de coût d’exploitation, même si l’énergie électrique reste plus chère que l’énergie fossile, les performances des PAC permettent de diminuer très sensiblement le coût d’exploitation (par 3 au minimum).
Les deux principaux procédés géothermiques sur axes verticaux
Le procédé sur nappe
Le procédé sur nappe est composé d’un doublet, ou multiplet, de forages permettant le pompage et la réinjection de l’eau en profondeur. La réglementation impose que cela soit dans la même nappe (Fig. 3). Le transfert d’énergie se fait alors entre la nappe et l’installation (avec ou sans PAC) via un échangeur géothermique. La faisabilité d’un tel procédé dépendra notamment de la disponibilité et de la pérennité de la ressource en eau souterraine, de l’influence effective ou potentielle de pompages existant à proximité, de la direction générale d’écoulement de la nappe, de la compatibilité de la qualité de l’eau avec les équipements de surface et de la possibilité de réinjection. Par ailleurs, le dimensionnement du doublet ou du multiplet de forages dépendra, en plus des caractéristiques hydrodynamiques de l’aquifère exploité, des besoins thermiques du bâtiment (puissance, débit d’exploitation…) et des usages (chauffage, rafraîchissement par géocooling et /ou climatisation).
Le procédé sur sondes verticales
Le champ de sondes géothermiques (Fig. 4) est composé d’un ensemble de forages de petits diamètres dans lesquels est insérée une sonde verticale composée de tubes de polyéthylène haute densité (PEHD) dans lesquels circule un fluide caloporteur (eau glycolée) qui permet de transférer l’énergie du sous-sol via un échangeur. Ces sondes sont scellées au terrain naturel par un ciment aux propriétés thermiques adaptées. Le nombre de sondes verticales à créer est proportionnel à la puissance de la PAC. La faisabilité de ce procédé dépend de moins de paramètres que celui sur nappe. En effet, seule la nature des terrains traversés peut présenter des difficultés à la mise en œuvre de ce procédé et notamment la présence de cavités souterraines ou de fractures importantes.
Quand la géothermie s'invite au siège de la Métropole Européenne de Lille
Le projet
A l’origine le bâtiment dénommé ‘Biotope’ devait accueillir le siège de l’Agence Européenne du Médicament. En effet, dans le cadre du 'Brexit' un certain nombre d’institutions européennes basées au Royaume-Uni doivent trouver de nouveaux lieux afin de les accueillir. Dans ce contexte, la ville de Lille a candidaté pour accueillir cette instance européenne. Si sa candidature n’a pas été retenue, la Métropole Européenne de Lille (MEL) y a vu une opportunité pour déménager son siège au sein de ce bâtiment respectant toutes les nouvelles normes environnementales. Le ‘Biotope’ peut être présenté avec les quelques chiffres suivants :
- 29 300 m² de surfaces utiles,
- 5 labellisations environnementales, dont le label E+C- pour la performance énergétique du bâtiment et sa faible empreinte carbone,
- 75 arbres et arbustes plantés en toiture,
- 19 mois de travaux.
L’étude de pertinence
Dans un premier temps, une étude de pertinence a été mise en œuvre. Cette étude s’est limitée au procédé sur nappe au regard de l’importance du projet et de la disponibilité foncière. Cette première étape a démontré l’absence de contraintes majeures d’un point de vue environnemental et réglementaire. Elle a également permis d’identifier deux aquifères exploitables de façon pérenne au droit du projet :
- La craie du Séno-Turonien supérieur exploitable, d’après cette première étape, à un débit compris entre 30 m3/h et 80 m3/h. Cependant, en période d’étiage sévère, cette productivité pourrait être inférieure ;
- Le Calcaire carbonifère exploitable à un débit au moins égal à 90 m3/h. Toutefois, la productivité de cet aquifère dépendant essentiellement de sa perméabilité liée au développement de fractures ou fissures, elle peut être très variable d’un forage à l’autre.
Au regard de l’étude de pertinence, l’objectif recherché par le constructeur et ses partenaires, a été de mettre en œuvre une installation géothermique restant sous le seuil d’autorisation administrative, sous peine d’entrainer des délais d’instruction incompatibles avec ceux de la construction (c’est-à-dire un débit d’exploitation maximal de 80 m3/h). Sachant qu’aucun des deux aquifères identifiés ne pouvait garantir un tel débit, et que la disponibilité foncière ne permettait pas un écartement important entre les forages d’exploitation, il a donc été décidé de mettre en œuvre une étude de faisabilité en créant deux forages d’essai, transformables en forages d’exploitation, pour chacun des aquifères identifiés.
L’étude de faisabilité
La seconde étape du projet a consisté à réaliser deux forages d’essais, transformables en forages de réinjection, dont voici les principaux résultats.
Forage Fr1cr (Fig. 5)
Le forage d’essai captant la nappe de la craie, désigné Fr1cr et situé en aval hydraulique par rapport au sens d’écoulement de la nappe de la craie, a été créé en octobre 2017. D’une profondeur de 24,5 mètres, il capte l’aquifère libre de la craie sous 5 mètres de couverture limoneuse, et sur 18 mètres d’épaisseur. L’ouvrage a été développé par acidification. Il s’agit d’une procédure communément réalisée dans le cadre de la création de forage d’eau potable. L’objectif est « d’ouvrir » les fissures afin de permettre à une quantité plus importante d’eau de circuler dans l’ouvrage et ainsi augmenter la productivité de ce dernier. Le micromoulinet de forage réalisé sur cet ouvrage a démontré que l’épaisseur réellement efficace de l’aquifère est de 5,3 mètres.
Un pompage d’essai par paliers de débit croissant a permis de définir :
- L’équation caractéristique de l’ouvrage : s = 1.10-3Q + 4,7.10-3 Q2
Où, s signifie le rabattement, c’est-à-dire la différence entre le niveau d’eau au repos et le niveau d’eau en pompage, et Q le débit. Cette équation démontre que l’ouvrage est de bonne qualité avec des pertes de charges linéaires et quadratiques cohérentes avec l’équipement de l’ouvrage et le contexte hydrogéologique local.
- Le débit critique de l’ouvrage : Qcr= 25 m3/h
- Le débit Q exploitable en période d’étiage = 15 m3/h.
Ce débit est déterminé sur la base de l’équation caractéristique de l’ouvrage, du résultat du micromoulinet de forage et de l’estimation du niveau de très basses eaux en période d’étiage. Un pompage d’essai de 72 heures au débit constant de 23 m3/h a permis de déterminer les caractéristiques hydrodynamiques de l’aquifère crayeux. Ce test s’est déroulé du 30 octobre au 2 novembre 2017. L’interprétation de ce test a fait ressortir une valeur de transmissivité de l’ordre de 9.10-3 m²/s, valeur conforme au contexte hydrogéologique local. Lors de ce même test la température de la nappe a été mesurée à 12,3 °C, ce qui est dans la moyenne régionale. Un test de réinjection a également montré une capacité d’absorption de l’ouvrage supérieure à 30 m3/h. Enfin, une analyse d’eau physico-chimique au forage Fr1cr a également mis en évidence l’absence de contre-indication à l’exploitation énergétique de cet aquifère.
Forage Fr2cc (Fig. 6)
Le forage d’essai désigné Fr2cc, a été créé en octobre 2017. D’une profondeur de 180 mètres, ce forage capte l’aquifère du Calcaire carbonifère sur une épaisseur de 117,5 mètres. Avec un niveau d’eau statique mesuré à -20,3 m/sol le 13 novembre 2017, et un toit de l’aquifère situé à 62 mètres de profondeur, cet aquifère est donc captif avec plus de 40 mètres de charge. L’ouvrage a été développé par 5 tonnes d’acides non prévue à l’origine. En effet, l’interprétation d’un premier pompage d’essai par paliers de débit avait mis en évidence un débit critique de l’ordre de 45 m3/h (Fig. 7). Celui-ci étant très en dessous de celui attendu (90 m3/h), il a donc été décidé de mettre en œuvre une acidification de l’ouvrage. Cette acidification a permis d’augmenter de façon significative la qualité de l’ouvrage sur les différents points suivants :
- Nouvelle équation caractéristique du forage : s = 1,9.10-1Q + 6,57.10-3 Q². Les pertes de charges quadratiques sont divisées quasiment par 3 ;
- Augmentation du débit critique de l’ouvrage pour atteindre quasiment 60 m3/h ;
- Une réduction du rabattement au débit d’exploitation de 14 mètres.
Par ailleurs, un pompage d’essai de 72 heures au débit constant de 42 m3/h a permis de définir la valeur de la transmissivité de l’aquifère capté. Celle-ci s’élève à TCalc Carbonifère= 7,4.10-4 m²/s et apparaît tout à fait cohérente avec les valeurs rencontrées pour cet aquifère dans des contextes similaires. Au cours de cet essai la température de la nappe a été mesurée à 13,7 °C. Cette ressource étant plus profonde que celle de la craie, cela explique la température légèrement plus élevée au sein du Calcaire carbonifère.
Un micromoulinet de forage a également permis d’identifier les horizons productifs de l’aquifère du Calcaire carbonifère (Fig. 8). Si pour l’aquifère crayeux les niveaux productifs se trouvent essentiellement dans les premiers mètres (sauf sur certains secteurs du bassin minier où l’on retrouve des niveaux productifs à quelques mètres du mur de l’horizon crayeux), nous trouvons ici des niveaux productifs jusqu’à 157 mètres de profondeur, soit quasiment 100 mètres sous le toit de l’aquifère. Ainsi l’épaisseur réellement productive de cet aquifère s’élève à 40,5 mètres. Une diagraphie caméra réalisée sur toute la hauteur du forage met particulièrement bien en évidence que l’horizon du Calcaire carbonifère n’est aquifère que s’il est fissuré (Fig. 9). Tout comme pour le forage à la craie, une analyse d’eau a été réalisée au forage Fr2cc et aucune contre-indication à son exploitation à des fins géothermiques n’a été mise en évidence.
Conclusions
La création des forages d’essais Fr1cr et Fr2c, et une série de simulations de fonctionnement des doublets de forages, ont permis de valider la faisabilité du projet géothermique de chauffage et de rafraîchissement du bâtiment Biotope avec un débit d’exploitation cumulé de 80 m3/h. L’aquifère crayeux sera exploité au débit de 25 m3/h, et celui du Calcaire carbonifère au débit de 55 m3/h. Avec cette configuration, la géothermie pourra couvrir jusqu’à 70 % des besoins en chauffage qui représente une puissance de 1,5 MW.
Cuincy choisit la géothermie pour le chauffage et le rafraîchissement de sa médiathèque
Le projet
Dans le cadre de la construction de sa médiathèque, la collectivité de Cuincy a voulu étudier la faisabilité de mise en œuvre d’un procédé géothermique pour répondre aux besoins de chauffage et de rafraîchissement du nouvel établissement. La nouvelle construction sera une extension des bâtiments et des anciens communs du château de Cuincy qui abritent le Centre Culturel et de Loisirs Louis Aragon. Le projet de la commune peut être résumé de la manière suivante : surface : 840 m² ; puissance chaud de la PAC : 80 kW ; puissance froid de la PAC : 45 kW ; taux de couverture de chauffage : 100 % de la médiathèque. Il est à noter que la géothermie ne pouvait répondre à l’ensemble des besoins des bâtiments existants en raison des régimes de températures trop élevés de leurs émetteurs, moins bien adaptés à la géothermie très basse température. En effet, plus l’écart de température entre la source froide, c’est à dire le sous-sol, et celle de l’eau circulant dans les émetteurs, les radiateurs par exemple, est faible plus l’installation géothermique sera performante. Ainsi, il est préférable, lorsqu’un procédé géothermique est mis en œuvre, que les régimes de température des émetteurs soient compris entre 35 et 45 °C. Sur le projet de Cuincy, les régimes de températures des émetteurs présents dans les bâtiments existants sont supérieurs à 60 °C.
L’étude de pertinence
La première étape de la mission a donc consisté à la mise en œuvre d’une étude de pertinence technico-économique du projet géothermique, avec notamment une étude comparative entre le procédé sur nappe et celui sur sondes verticales. Cette étude a mis en évidence la présence d’un unique aquifère exploitable au droit du projet, à savoir la nappe de la craie du Sénonien-Turonien supérieur. Celle-ci présente un débit supérieur à 100 m3/h par ouvrage, très largement au-dessus des besoins du projet. Toutefois, sa qualité physico-chimique ne semblait pas satisfaisante, notamment en raison de la présence de fer dans plusieurs ouvrages exploitant cette même ressource à proximité du projet. De plus, la présence des anciennes fondations du château de Cuincy auraient contraint l’implantation d’un doublet de forages dans l’emprise du projet. Pour terminer, l’étude technico-économique comparative du procédé sur nappe et de celui sur sondes verticales a démontré la pertinence de ce dernier avec un impact financier moins important pour le maître d’ouvrage.
L’étude de faisabilité
Au regard de l’étude de pertinence, la maîtrise d’ouvrage a donc choisi de retenir le procédé sur sondes verticales afin de couvrir une partie des besoins de chauffage et de rafraîchissement de la nouvelle médiathèque. Afin de valider définitivement le projet géothermique, il a donc été mis en œuvre une étude de faisabilité géothermique sur sondes verticales.
Création de la sonde test (Fig. 10)
En mars 2019, une sonde verticale test de 190 mètres de profondeur a été créée. Cette dernière a confirmé la coupe géologique prévisionnelle à savoir une craie affleurante et d’une puissance de 90 mètres, attribuée à l’horizon du Sénonien-Turonien supérieur, puis une marne grise jusqu’à 190 mètres de profondeur, attribuée à l’horizon des dièves du Turonien moyen-inférieur.
Mise en œuvre d’un TRT
A la suite de la création de la sonde test, il a été mis en œuvre un Test de Réponse Thermique (TRT) afin de définir les caractéristiques thermiques du sous-sol. Le principe consiste à appliquer au sol un ‘stress’ thermique via la sonde test. Le sol en contact avec la sonde se réchauffe et le fluide présent dans la sonde se refroidit. L’objet du test est de mesurer l’intensité du réchauffement qui est variable selon la conductivité thermique moyenne du sous-sol. Sur Cuincy, le TRT qui s’est déroulé du 1er au 5 avril 2019, a permis de définir :
- La température moyenne du sous-sol : 12,17 °C ; cette température est dans la moyenne de celles rencontrées dans la région dans des contextes similaires ;
- La capacité thermique volumique du sol : 2,20 MJ /m3K ; cette valeur correspond à celle qui est rencontrée habituellement ;
- La conductivité thermique du sol : 4,51 W/mK ; cette conductivité est relativement élevée et s’explique par la présence d’une quantité relativement importante d’eau dans l’horizon crayeux. Cette eau favorise effectivement une conductivité thermique élevée du sol.
Réalisation de la géomodélisation
Pour définir la composition du champ de sondes verticales, doit être réalisée une simulation de fonctionnement appelée ’géomodélisation’. Celle-ci se base sur les résultats du TRT (Tab. 4) mais aussi sur les besoins en chauffage (Fig. 11) et en rafraîchissement (Fig. 12) définis par le bureau d’études thermique.
La géomodélisation va permettre de définir de manière optimale le nombre de sondes verticales nécessaires pour répondre aux besoins du bâtiment. Le modèle calcule ainsi l’évolution de la température du fluide en entrée et en sortie du champ de sondes, et cela durant 25 ans. Ainsi, sur la Figure 13 ci-après on peut s’apercevoir que le dimensionnement choisi (8 sondes de 190 mètres de profondeur) atteint ses températures d’équilibres après 20 ans d’exploitation avec une température maximale de l’ordre de 16 °C et une température minimale de l’ordre de 0,8 °C.
Conclusion
Le projet géothermique de la commune de Cuincy a pu aboutir à la suite de la réalisation de l’étude de faisabilité. Le champ de sondes verticales a été créé et la médiathèque est en fonctionnement depuis maintenant plusieurs mois.
Conclusions
A travers cette publication nous avons voulu montrer à quel point l’usage de la géothermie pouvait se démocratiser sur l’ensemble du territoire des Hauts-de-France et à travers des projets de différentes envergures. Les exemples choisis (Métropole Européenne de Lille et Bassin Minier) proviennent de territoires géologiques différents et mettent en œuvre des procédés géothermiques différents. Ces deux exemples démontrent que la géothermie très basse énergie présente de multiples atouts, à savoir :
- Elle est disponible sur une grande partie du territoire ;
- Elle est régulière car indépendante des conditions climatiques ;
- Elle est locale. Le prélèvement (chauffage) et la réinjection (rafraîchissement - climatisation) de l’énergie s’effectuent au droit même ou à proximité immédiate du projet ;
- Elle présente une large gamme de procédé et de puissance permettant de répondre au moins à une partie des besoins de chauffage et de rafraîchissement de la plupart des projets de bâtiments neufs ou en rénovation ;
- Elle est discrète. Une fois les travaux de forages réalisés ils deviennent invisibles. Le local technique accueillant la PAC se résume à une chaufferie classique et aucun stockage de matière première n’est nécessaire ;
- Elle est respectueuse de l’environnement avec un faible impact sur les émissions de GES par rapport aux autres énergies conventionnelles.
Pour l’ensemble de ces raisons, la géothermie se place comme l’une des principales énergies renouvelables pouvant contribuer aux objectifs fixés par la loi de Transition Energétique. Malgré ces nombreux atouts, cette énergie reste trop peu développée et nécessite d’être promue auprès des collectivité et des entreprises du secteur privé.
Remerciements. — Je tiens tout d’abord à remercier la Société Géologique du Nord pour m’avoir mis à disposition un temps de parole afin d’exposer et mettre en lumière les grands principes de fonctionnement de la géothermie sur le territoire des Hauts-de-France et ainsi lui donner une exposition importante. Merci également à l’ensemble des relecteurs qui m’ont permis de rendre cet article, je l’espère, compréhensible pour le plus grand nombre. Enfin, un grand merci à mes collègues pour leur aide dans cet exercice, au combien difficile, de présentation de cette technologie qui représente une des solutions à la transition énergétique et à la décarbonation totale voulue pour 2050.