Introduction
Les ophiolites (dites parfois roches vertes) ont toujours attiré l’attention des géologues, mais ce n’est qu’au début des années 1970 avec la révolution de la tectonique des plaques que le processus d’obduction, c’est-à-dire le charriage de lithosphère océanique sur un élément continental a été défini (Coleman, 1971) et que le processus tectonique a été envisagé (Dewey & Bird, 1971). Alors que certains auteurs avaient précédemment établi un parallèle entre les ophiolites et les fonds océaniques (Brunn, 1959), il a fallu attendre 1972 pour qu’un consensus sur la définition de ces ophiolites et leur origine en tant que lithosphère océanique soit largement adopté (Anonymous, 1972). Si les ophiolites sont assez abondantes dans les chaînes de montagnes, elles sont souvent reprises dans des collisions ultérieures entre blocs continentaux et plus ou moins affectées par le métamorphisme associé à l’orogénèse. De ce fait, les processus liés à ce phénomène d’obduction sont souvent difficiles à analyser, c’est le cas notamment dans les Alpes. Des secteurs privilégiés tels que le Vourinos en Grèce (par ex. Moores, 1969), le Troodos à Chypre (par ex. Miyashiro, 1973) et le Semail en Oman (par ex. Glennie et al., 1973), où les ophiolites sont peu reprises dans les tectoniques ultérieures, ont permis d’avancer dans ce domaine (pour plus de détails, voir l’évolution des concepts in Dilek & Newcomb, 2003). Une équivalence entre ophiolites et lithosphère née au niveau d’une dorsale médio-océanique a d’abord été largement admise. Par la suite, des origines impliquant des subductions ont été envisagées, en relation : i) avec des particularités géochimiques des roches ophiolitiques (par ex. Miyashiro, 1973 pour le Troodos). Ces ophiolites typiques des zones de subduction ont alors été définies comme ophiolites de « Supra-Subduction Zone » (SSZ) ; ii) avec le problème de la mise en place tectonique des nappes ophiolitiques. Des subductions océan/océan ont notamment été proposées pour expliquer le passage de la lithosphère océanique sur la lithosphère continentale entrainée secondairement dans la subduction (par ex. Lippard et al., 1986 pour l’Oman). Le charriage sur le domaine continental des nappes issues de la plaque supérieure au niveau de la zone de subduction, autrement dit, l’obduction, est la conséquence logique de ce dispositif.
La chaîne des Hellénides comporte l’un des dispositifs ophiolitiques les mieux préservés au monde. Ces ophiolites affleurent dans de bonnes conditions dans un grand nombre de massifs de Grèce continentale (Vourinos, Pinde du Nord, Othrys, etc.) où elles sont souvent préservées du métamorphisme et où les structures liées à l’obduction (d’âge jurassique supérieur) sont clairement scellées par la couverture crétacée. Leur nature pétrographique et géochimique est ainsi bien préservée ainsi que leurs structures tectoniques associées à l’obduction. Il reste cependant d’importants débats, notamment sur la position paléogéographique de l’océan à l’origine des principales nappes ophiolitiques par rapport au bloc continental (Dercourt, 1970, 1972 ; Bernoulli & Laubscher, 1972, et de nombreux autres auteurs par la suite ; cf. discussion in Ferrière et al., 2012 et infra § II). Pour notre part, nous nous sommes surtout intéressés au dispositif ophiolitique présent au sein du massif de l’Othrys en Grèce continentale (Fig. 1 et 2). Ce massif présente en effet plusieurs avantages :
- le dispositif structural syn-obduction comprend de nombreuses nappes (8 nappes majeures) dont des nappes ophiolitiques, mais aussi, ce qui est beaucoup plus rare en Grèce, des nappes issues de la marge de l’océan, notamment de la marge distale. La relation entre les failles initiales issues du rifting triasique et les contacts de nappes mises en place pendant l’obduction jurassique a pu de ce fait être envisagée ;
- l’analyse des mélanges à blocs remaniant certaines de ces nappes permet de reconstituer l’évolution de leur déplacement ;
- des structures liées à des mouvements verticaux accompagnent l’obduction (par ex. bassin d’avant-chaine et fenêtres tectoniques au sein de l’empilement des nappes).
Dans un premier temps, les études faites en Othrys ont permis de mettre en évidence les principales nappes syn-obduction, de déterminer la stratigraphie de leurs séries et la nature pétrographique des ophiolites ou des laves issues du rifting initial (Ferrière, 1972, 1974, 1982,1985 ; Hynes et al., 1972 ; Hynes, 1974 ; Smith et al., 1975). Par la suite, des travaux partiels ont apporté quelques précisions sur l’âge de certaines laves (Bortolotti et al., 2008), ou celui de mélanges à blocs (Photiades et al., 2003) ainsi que sur la géochimie de roches mafiques d’Othrys (Barth & Gluhak, 2009). Récemment, des datations et des analyses de terrain, surtout en Othrys occidentale, nous ont permis de préciser certains points fondamentaux concernant les ophiolites d’Othrys et l’océan correspondant : i) l’âge de deux des unités ophiolitiques a été précisé (Ferrière et al., 2015) ; ii) la position de l’océan Maliaque a été discutée en détail. Une origine à l’est du Pélagonien a été retenue (Ferrière et al., 2012) ; iii) la totalité de l’océan Maliaque, avec ses deux marges, a été décrit (Ferrière et al., 2016). A partir des résultats précédents et de données nouvelles acquises principalement en Othrys occidentale, nous nous proposons ici de décrire de façon générale un processus d’obduction mais aussi de préciser certaines modalités de ces processus d’obduction en nous fondant sur des éléments originaux présents dans le secteur concerné.
Contexte géologique
Le phénomène d’obduction (Coleman, 1971) correspondant au charriage de lithosphère océanique sur un élément de croûte continentale, à l’origine des ophiolites, est maintenant assez bien décrit d’un point de vue général. Si plusieurs secteurs de référence ont fait l’objet d’analyses détaillées (par ex. Chypre, Oman), des exemples intéressants existent également en Grèce. Le plus connu est celui du Vourinos, déjà étudié par Brunn (1956) puis Moores (1969) et Rassios et al. (1994) notamment. Le contexte d’obduction est plus ou moins le même en Albanie et en Grèce. Dans ces deux secteurs existent de puissantes nappes d’ophiolites dont celle de la Mirdita en Albanie et celles du Vourinos-Pinde du nord, d’Othrys et d’Eubée (Evia) en Grèce (Fig. 1). Ces différents ensembles ophiolitiques résultent d’un même processus d’obduction d’âge jurassique moyen-supérieur.
Malgré cela, les reconstitutions paléogéographiques diffèrent s’agissant de la localisation de l’océan à l’origine des ophiolites par rapport à l’autochtone relatif représenté en Grèce par le bloc pélagonien à croûte continentale épaisse. Cet océan serait situé soit : i) à l’ouest du Pélagonien, au niveau de la zone du Pinde (Dercourt, 1970 ; Smith et al., 1975 ; Jones & Robertson, 1991 ; Saccani et al., 2004 ; Saccani & Photiades, 2004) ; ii) à l’est du Pélagonien au niveau de la cicatrice du Vardar (Bernoulli & Laubscher, 1972 ; Dercourt, 1972 ; Ferrière, 1982, 1985 ; Ferrière & Stais, 1995 ; Ferrière et al., 2012 ; Bortolotti et al., 2013) ; iii) ou enfin, des deux côtés du Pélagonien, en admettant l’existence de deux aires océaniques indépendantes (Vergely, 1984 ; Robertson, 2012 ; Rassios et al., 2019). S’agissant plus particulièrement de la Grèce, les ophiolites du Vourinos-Pinde du Nord ont fait l’objet de nombreuses études. Celles-ci portent principalement sur la pétrographie des ophiolites (Brunn, 1956 ; Moores, 1969 ; Beccaluva et al., 1984 ; Saccani et al., 2004), sur les déformations au sein des ophiolites (Rassios et al., 1994 ; Rassios & Smith, 2000 ; Rassios & Moores, 2006 ; Rassios & Dilek, 2009 ; Smith & Rassios, 2003) ou sur le contexte volcanique et sédimentaire (Jones & Robertson, 1991 ; Ghikas et al., 2010). Les affinités géochimiques de ces ophiolites, notamment des laves, ont conduit les auteurs à proposer l’existence de subductions. Cela les a conduits à détailler le dispositif en proposant des contextes de type arrière-arc ou d’avant-arc (par ex. Beccaluva et al., 2005 ; Saccani et al., 2004, 2011).
Si de nombreuses nappes ophiolitiques existent dans la chaîne des Hellénides, en revanche les secteurs présentant un nombre important de nappes syn-obduction, dont des nappes issues de la marge, sont rares. En Grèce, deux régions présentent de tels dispositifs, l’Argolide (Vrielynck, 1982 ; Baumgartner, 1985) et surtout le massif de l’Othrys. En ce qui concerne les ophiolites d’Othrys, les premiers résultats ont concerné :
- la mise en évidence des nappes syn-obduction et la description de leur empilement (Ferrière, 1972, 1974 ; Hynes et al., 1972 ; Smith et al., 1975 ; Celet et al., 1980) ;
- la pétrographie et la géochimie des ophiolites, notamment celles des laves (Hynes, 1974 ; Ferrière, 1982), avec la mise en évidence du caractère MORB des laves de l’une des unités (nappe de Fourka) ;
- la stratigraphie des séries présentes au niveau des nappes sédimentaires (Ferrière, 1972, 1974, 1982 ; Smith et al., 1975) et par suite l’océan à l’origine des nappes syn-obduction, défini sous le nom d’Océan Maliaque (Ferrière, 1974, 1976) ;
- les grands traits de l’obduction (Smith et al., 1975 ; Celet et al., 1980 ; Ferrière, 1982, 1985).
Ces résultats ont alors permis de distinguer deux périodes principales d’évolution de l’Océan Maliaque :
- tout d’abord une période d’accrétion océanique en contexte de divergence avec les différents stades d’évolution des océans à savoir les stades anté-rift, syn-rift (Trias moyen p.p.) et post-rift (Trias moyen p.p.-Jurassique moyen p.p.) des océans ;
- et ensuite, la période de convergence marquée par les processus de subduction et d’obduction dès le Jurassique moyen p.p.
Plus récemment, des auteurs ont effectué des analyses pétrographiques et géochimiques plus précises sur les laves syn-rift (Trias moyen) et sur les pillow-lavas de la nappe ophiolitique de Fourka, la plus basse du dispositif (Bortolotti et al., 2008 ; Monjoie et al., 2008 ; Barth & Gluhak, 2009), confirmant le caractère MORB de ces derniers. Parmi les résultats les plus récents acquis en Othrys, figurent aussi des datations paléontologiques. Celles-ci ont permis d’attribuer un âge triasique à ces mêmes pillow-lavas de Fourka (Bortolotti et al., 2008) et plus précisément Anisien supérieur pour les plus anciennes ainsi qu’un âge jurassique moyen à l’unité ophiolitique principale (Mega-Isoma) (Ferrière et al., 2015).
Les faits : les nappes syn-obduction en Othrys
Dispositif d’ensemble
Le massif de l’Othrys est constitué d’une couverture sédimentaire d’âge crétacé-éocène discordante sur les différentes nappes qui, de ce fait, sont avec certitude des nappes liées à l’obduction des ophiolites au Jurassique moyen-supérieur. Ce dispositif tectonique syn-obduction est assez régulier : les nappes ophiolitiques correspondant à la lithosphère océanique reposent sur des nappes issues de la marge de l’océan concerné (Océan Maliaque) qui recouvrent elles-mêmes l’autochtone relatif pélagonien (Fig. 2 et 3).
Les unités ophiolitiques provenant de la la lithosphère océanique Maliaque
L’ensemble des ophiolites d’Othrys comprend trois unités majeures (Celet et al., 1980 ; Ferrière, 1982, 1985 ; Ferrière et al., 2015) : deux unités possèdent des péridotites à leur base (Mega Isoma et Metalleion) tandis que la troisième est uniquement constituée de pillow-lavas (Fourka) (Fig. 2-4). D’Ouest en Est, il est possible de rencontrer sur le terrain :
L’unité ophiolitique supérieure (Mega Isoma)
Cette épaisse nappe (environ 500 m), est surtout constituée de péridotites. Il s’agit d’une unité mixte faite de lherzolites et de harzburgites fréquemment recouverte de gabbros ainsi que de rares dolérites et laves très altérées. Une couverture sédimentaire faite de radiolarites passant à des mélanges à blocs repose localement sur ces laves (secteur d’Agoriani-Ekara, Fig. 4). Les radiolarites ont donné un âge jurassique moyen, plus précisément bajocien-bathonien (Ferrière et al., 2015).
L’unité ophiolitique intermédiaire (Metalleion)
Il s’agit en fait d’une unité tectonique composite dans laquelle nous avons réuni deux sous-unités : i) une unité supérieure faite de laves et surtout de dolérites ; ii) une unité inférieure faite de péridotites de type harzburgites. Des chromites ont été localement exploitées dans ces péridotites. Nous n’avons observé aucune couverture sédimentaire en place sur cette unité.
L’unité ophiolitique inférieure (Fourka)
Cette unité est surtout constituée de pillow-lavas verdâtres passant au brun lorsqu’ils sont altérés (Fig. 5). Elle est largement représentée en Othrys avec une extension latérale d’environ 20 km d’ouest en est, et une épaisseur estimée entre 200 et 300 m. Elle présente en plusieurs endroits une couverture sédimentaire essentiellement faite de radiolarites, de pélites siliceuses et de mélanges (Bortolotti et al., 2008 ; Ferrière et al., 2015). Nous considérons qu’il s’agit là d’une unité ophiolitique témoin de la lithosphère océanique maliaque initiale. En effet, ces laves relativement anciennes (triasiques et non jurassiques) sont de type MORB (Hynes, 1974 ; Ferrière, 1982 ; Bortolotti et al., 2008 ; Barth & Gluhak, 2009) et recouvertes de séries uniquement siliceuses révélatrices d’un environnement profond. Les âges les plus anciens obtenus pour ces laves de Fourka (Anisien supérieur, Ferrière et al., 2015) proches de celui du rifting initial, conduisent à placer cette unité ophiolitique de Fourka au niveau de la lithosphère océanique à proximité de la marge distale. Ce résultat est en accord avec la position structurale de l’unité localisée entre les nappes ophiolitiques à péridotites au-dessus et les unités sédimentaires issues de la marge distale en-dessous.
Les séries des nappes provenant de la marge Maliaque
Les unités issues de la marge distale
On considère que les nappes de Loggitsion proviennent de la marge Maliaque distale en raison de la nature de leur série sédimentaire, essentiellement siliceuse, et de leur position structurale sous les nappes ophiolitiques, notamment sous l’unité des pillow-lavas de Fourka (Fig. 2, 3 et 6A). Il s’agit de deux nappes principales présentes sur l’ensemble de l’Othrys soit sur 40 km d’ouest en est. Les unités de Loggitsion sont constituées de formations volcaniques recouvertes de séries sédimentaires totalement pélagiques et peu diversifiées (Fig. 5). Dans le cas général, on observe de bas en haut (Ferrière, 1982 ; Ferrière et al., 2016) :
- une formation épaisse (une centaine de mètres en moyenne) de pillow-lavas violacés à amygdales de calcite. De rares corps de trachytes s’y intercalent. Les affinités géochimiques de ces laves sont hétérogènes allant de tholéïtes de type MORB à des tholéïtes d’arc, des basaltes arrière-arc ou encore des laves calco-alcalines (Hynes, 1974 ; Ferrière, 1982 ; Lefèvre et al., 1993 ; Bortolotti et al., 2008 ; Monjoie et al., 2008). Ces laves ont été datées localement du Trias moyen (Celet et al., 1980 ; Ferrière 1982 ; Ferrière et al., 2016) ;
- des radiolarites roses à rouges du Ladinien supérieur-Carnien (10 à 20 m) ;
- des calcaires fins à silex riches en conodontes du Norien (10 à 30 m) ;
- des pélites siliceuses de couleur lie-de-vin d’épaisseur pluri-décamétrique, mal datées. Des radiolarites présentes à leur base ont donné un âge norien terminal-rhétien. Ces niveaux sont donc très probablement du Lias.
En Othrys-Ouest, une unité (Tourla-Trilofon) qui repose sur les unités de Loggitsion typiques (et donc en position initiale très proche de la croûte océanique) présente certaines particularités (Fig. 6A) : i) une très forte épaisseur de laves triasiques (plus de 200 m) ; ii) la présence locale de blocs de calcaires benthiques témoins de hauts-fonds au Trias moyen (monts sous-marins volcaniques et/ou éléments isolés à croûte continentale) ; ii) l’existence de mélanges à blocs reposant sur des radiolarites du Jurassique moyen.
Les unités issues de la marge proximale
De par la nature de leurs séries et leur position structurale sous les unités issues de la marge distale (Fig. 2 et 3), ces unités structurales sont attribuées à la marge Maliaque proximale (la moins profonde et la plus proche de la plate-forme pélagonienne). Trois nappes principales, transportées tectoniquement au dessus de l’autochtone relatif pélagonien, peuvent être distinguées.
- L’unité supérieure (Garmeni Rachi, Fig. 5) : elle est située immédiatement sous celles de Loggitsion. On y observe une série diversifiée avec de bas en haut (Ferrière, 1982 ; Ferrière et al., 2016) :
- des grès et calcaires à fusulines du Permien ;
- une formation de calcaires massifs à algues et à foraminifères benthiques d’âge triasique inférieur-anisien ;
- une formation volcano-sédimentaire syn-rift d’épaisseur faible. Elle comporte des pillow-lavas et des dolérites associés à des niveaux sédimentaires variés : quelques calcaires brèchiques et radiolarites, des grès jaunâtres et des pélites noires ;
- des radiolarites rouges (10 m environ) d’âge carnien ;
- des calcarénites et des calcaires siliceux fins d’épaisseur hectométrique (jusque 400 m). Ils sont datés du Norien à leur base (par conodontes) et du Jurassique moyen dans leur moitié supérieure (foraminifères dont Protopeneroplis striata Weynschenk, en abondance) ;
- des radiolarites lie-de-vin du Jurassique moyen (Bajocien supérieur et Bathonien) ;
- des mélanges à blocs provenant des unités ophiolitiques et des unités de la marge distale. Ils ne sont pas présents sur l’ensemble de l’unité.
- Les unités inférieures (Pirgaki et Chatala, Fig. 2 et 3) : les séries de ces unités présentent des variations importantes par rapport à celle de Garmeni Rachi. L’unité de Pirgaki est la plus complète. Sa série se distingue de celle de Garmeni Rachi par une plus grande richesse en niveaux calcaires (plate-forme anisienne plus épaisse, calcaires siliceux à conodontes au Carnien) et des mélanges à blocs du Jurassique moyen également très épais. L’unité de Chatala est incomplète (Fig. 5).
Les séries de l’autochtone relatif : la plate-forme pélagonienne
Deux unités pélagoniennes syn-obduction affleurent en Othrys centrale (l’unité supérieure du Messovouni-Xerovouni et l’ensemble inférieur ou autochtone relatif Pélagonien) alors qu’une seule unité majeure constitue l’essentiel de l’Othrys orientale (Fig. 2 et 3). Les niveaux les plus anciens sont des niveaux d’arkoses, de conglomérats siliceux et de calcaires à fusulines du Permien. En Othrys orientale ces niveaux reposent sur un soubassement plus métamorphique daté à 307-310 Ma (Ferrière, 1982). Au Trias-Jurassique, les séries sont constituées pour l’essentiel de calcaires massifs blancs à fossiles benthiques typiques d’une plate-forme peu profonde : algues Dasycladacées, gros lamellibranches de type Mégalodon et Lithiotis, foraminifères benthiques nombreux. Ces calcaires sont d’âge Trias inférieur à Dogger-Malm inférieur. Le sommet de la série passe à des radiolarites puis à des mélanges à blocs déposés à l’avant des nappes lors de l’obduction. Les radiolarites déposées sur les calcaires de plate-forme sont datées à l’ouest de l’Othrys centrale où elles sont d’âge jurassique moyen (Bajocien-Bathonien). Cependant, localement, les calcaires infra-radiolaritiques pourraient monter dans la base du Malm (présence de Conicospirillina basiliensis Mohler et Cladocoropsis mirabilis Felix ; Ferrière, 1982).
Les modalités du processus d'obduction : interprétation et discussion
Comme cela a été dit précédemment, notre étude dans le secteur de l’Othrys nous permet d’apporter des précisions sur certaines modalités du processus d’obduction (Fig. 6 A-G).
Les premiers signes de convergence après l’expansion de l’océan Maliaque
Naissance d’une subduction : un mécanisme conduisant à l’obduction
Le problème principal concernant la mise en place d’ophiolites est évidemment lié à la forte densité de la lithosphère océanique qui doit être transportée sur une lithosphère continentale moins dense. La solution le plus souvent envisagée pour entraîner du matériel « léger » sous du matériel « dense » (et/ou réciproquement du matériel dense sur du plus léger) est celle d’une subduction intra-océanique conduisant progressivement l’élément continental (ici le Pélagonien) sous la lithosphère océanique de la plaque supérieure. Dans le domaine de l’Océan Maliaque, il existe des témoins d’une telle subduction précédant l’obduction. Ces témoins de subduction se rencontrent notamment dans le massif ophiolitique du Vourinos (Fig. 1) où l’on observe des laves d’âge jurassique moyen (Chiari et al., 2003) à affinités géochimiques de type supra-subduction montrant des anomalies en titane, tantale, niobium notamment (Beccaluva et al., 2005). Outre des basaltes de type MORB, les laves de la nappe ophiolitique du Pinde du Nord comportent également des tholéites d’arc ainsi que des boninites (Saccani et al., 2004, 2011). Il n’existe pas d’arc volcanique clairement identifié, associé à ces ophiolites du Vourinos-Pinde du Nord ou à ceux de l’Othrys. Il est même possible que l’obduction ait eu lieu avant le développement d’un tel arc volcanique. Un arc volcanique calco-alcalin (Paikon) et un bassin arrière-arc (Guevgueli) d’âge jurassique existent à l’est des Hellénides (Fig. 1) (Mercier et al., 1975 ; Ferrière & Stais, 1995 ; Saccani et al., 2008). Cependant, leur âge précis au sein du Jurassique moyen-supérieur doit être affiné par rapport au processus d’obduction observé en Othrys ou dans le Vourinos (pour les âges du Paikon, voir Ferrière et al., 2001, 2016 ; pour ceux des ophiolites de Guevgueli voir Danelian et al., 1996 et Kukoc et al., 2015). En bref, la présence, dès le Jurassique moyen, d’une subduction à plongement vers l’est, au sein de l’océan Maliaque, est le processus de premier ordre que nous retenons pour expliquer la mise en place des nappes de lithosphère océanique à péridotites (Mega Isoma et Metalleion) sur la croûte continentale pélagonienne (Fig. 6B).
La subsidence syn-convergence de la marge et de la plate-forme pélagonienne
Avant le dépôt des mélanges à blocs et olistolites lié à l’érosion des nappes sus-jacentes, les séries de la marge (surtout la marge proximale) et la plate-forme calcaire pélagonienne, sont caractérisées par des dépôts profonds de radiolarites avec parfois quelques fines calci-turbidites. Cette transition vers des dépôts profonds exprime une subsidence généralisée de la bordure occidentale, à croûte continentale, de l’Océan Maliaque. L’âge jurassique moyen de ces radiolarites, semblable à celui des laves SSZ du Vourinos (cf. supra), indique qu’il s’agit d’un événement lié au développement de la convergence (subduction-obduction). La mise sous contrainte lors du passage à la convergence et le poids des nappes appuyant progressivement sur la bordure de la plaque inférieure sont très probablement les causes de cette subsidence.
Sens de mise en place des nappes syn-obduction
Bien que de nombreuses nappes issues de la lithosphère océanique ou de la marge de l’océan Maliaque existent en Grèce, notamment en Othrys, le sens de mise en place de ces nappes est encore l’objet d’hypothèses contradictoires. Ce débat a commencé très tôt en Grèce, dès l’assimilation des ophiolites à la lithosphère océanique et la mise en évidence du processus d’obduction par Coleman (1971) et Dewey & Bird (1971). Une analyse des différents arguments utilisés a été récemment proposée (Ferrière et al., 2012). Les publications récentes montrent cependant que le problème est toujours d’actualité (Saccani et al., 2011 ; Ferrière et al., 2012 ; Robertson, 2012 ; Bortolotti et al., 2013 ; Rassios et al., 2019). En ce qui nous concerne, nous considérons que l’océan Maliaque, à l’origine des nappes ophiolitiques helléniques, était situé à l’est du domaine Pélagonien, en raison notamment de structures tectoniques pluri-hectométriques à vergence SW au sein des nappes mais absentes de la couverture crétacée discordante (cf. discussion in Ferrière et al., 2012, 2016). C’est le cas par exemple de grands plis-failles (trois principaux) présents dans les niveaux triasico-jurassiques des nappes issues de la marge proximale. Des structures tectoniques majeures existent également dans l’ensemble pélagonien pourtant constitué de séries calcaires épaisses à bancs massifs, notamment en Othrys centrale. Il s’agit de plis couchés pluri-hectométriques clairement syn-obduction mais le sens de déversement de ces structures uniquement visibles en falaise n’a pu être déterminé précisément.
Modalités de mise en place des nappes issues de la lithosphère océanique
Les nappes principales à péridotites d’Othrys
L’évolution de la subduction intra-océanique conduit normalement au charriage de la lithosphère océanique de l’unité supérieure (unité SSZ = Supra-Subduction Zone) sur l’ensemble plongeant dans la subduction. Des écailles d’amphibolites présentes à la base des nappes à péridotites ont été datées du Jurassique moyen (Spray et al., 1984). Elles correspondent aux premiers stades d’évolution de l’obduction à savoir le démarrage des nappes de lithosphère océanique SSZ au sein de l’océan. Notre interprétation de la mise en place des nappes majeures à péridotites d’Othrys est la suivante (Fig. 6) :
- La nappe supérieure (Mega Isoma) : Les laves de cette unité ophiolitique principale sont datées du Jurassique moyen (Ferrière et al., 2015). Il s’agit donc de laves synchrones de la subduction mais leur altération n’a pas permis de préciser leur géochimie. Par comparaison avec l’unité d’Aspropotamos située plus au nord au sein des ophiolites du Pinde du Nord, qui montre une position structurale comparable, des péridotites de même nature et des laves de même âge (Jurassique moyen), on peut admettre que l’unité de Mega Isoma occupait elle aussi une position d’avant-arc (Fig. 6 A-B) selon l’interprétation de Saccani et al. (2004, 2011), pour les ophiolites du Pinde du Nord.
- La nappe ophiolitique intermédiaire (Metalleion) : cette unité composite est constituée d’une unité de dolérites chevauchant sur une unité essentiellement harzburgitique. Là encore, notamment de par sa nature pétrographique, elle peut être comparée à une unité du Pinde du Nord à savoir l’unité du Vourinos-Dramala, typiquement de type SSZ (Beccaluva et al., 2005). Cependant, alors qu’en Othrys la nappe de Metalleion est située sous celle de Mega Isoma, l’unité harzburgitique de Dramala repose sur celle d'Aspropotamos équivalent probable de Mega Isoma. Des rétro-chevauchements, dont certains, à vergence vers le SE, sont bien exprimés en Othrys-Ouest, permettent d’expliquer cette particularité du dispositif structural d’Othrys (Fig. 6 D-E). Les mélanges à blocs présents sur les laves de l’unité de Mega Isoma pourraient avoir été alimentés par celle de Metalleion, au début du processus d’obduction (Fig. 6D).
Mise en place de la nappe des pillow-lavas de Fourka
La nappe des pillow-lavas de Fourka est un élément majeur essentiellement connu en Othrys. Cette nappe est située entre les nappes ophiolitiques à péridotites et les unités issues de la marge distale (Fig. 2 et 6). La nature tholéitique de type MORB de ces pillows, et leur genèse sur une période assez longue (au minimum de l’Anisien supérieur au Norien compris) conduisent à considérer cette unité comme un élément de la croûte océanique et non pas comme un corps magmatique particulier de type SDR propre aux marges passives volcaniques (Geoffroy, 2005). Leur âge ancien (dès l’Anisien supérieur) proche de l’âge du rifting initial oblige à admettre qu’il s’agit d’un secteur océanique très proche de la marge distale. De ce fait, la mise en place de l’unité de Fourka sur le bloc continental adjacent ne peut pas être liée, comme pour les autres unités ophiolitiques, à une position structurale privilégiée dans le cadre de la subduction jurassique puisque cette unité de Fourka appartient à la plaque inférieure en subduction. On peut alors envisager le développement à la limite entre les deux croûtes océanique et continentale, au début de la convergence, de structures particulières, tel un bombement anticlinal à proximité de la zone de subduction selon un modèle connu dans le Pacifique SW (Dubois et al., 1988). Ce bombement évoluerait ensuite en chevauchement à partir de failles inverses (Fig. 6C). Le développement de ces structures précoces (bombement) serait en outre favorisé par la rencontre avec la croûte continentale plus légère offrant, même amincie, une certaine résistance au raccourcissement. L’importante subsidence observée au niveau de la marge avant l’arrivée des nappes a pu ensuite faciliter le passage de la croûte océanique de Fourka sur cette marge (Fig. 6 A-C). Ces difficultés particulières s’agissant du passage de cette nappe de Fourka sur la marge adjacente sont sûrement une des causes majeures de l’absence de péridotites à la base de cette unité.
Modalités de mise en place des nappes issues de la marge
Le processus d’ensemble est assez simple : les nappes de lithosphère océanique emmènent avec elles les différentes parties de la marge continentale qui correspond à la marge occidentale de l’océan Maliaque. Plusieurs observations faites en Othrys apportent des précisions sur ce processus de mise en place des nappes issues de la marge.
L’empilement des nappes : une inversion tectonique positive
Les différentes nappes issues de la marge (5 nappes majeures) sont empilées dans un ordre précis avec les nappes possédant les séries déposées sur les parties profondes de la marge (marge distale) reposant sur les unités moins profondes de la marge proximale. Les séries des différentes nappes sont assez homogènes et relativement différentes entre elles (Fig. 5). L’absence de nappes possédant des séries intermédiaires entre les principales unités plaide en faveur d’un passage brutal entre ces différentes nappes et notamment entre les parties distale et proximale de la marge avant l’obduction. Ces observations conduisent à penser que les contacts tectoniques limitant les différentes nappes issues de la marge se sont développés aux dépens d’anciens contacts tectoniques majeurs. Ces accidents seraient les importantes failles normales listriques qui séparaient les différents ensembles de la marge dès le rifting triasique à l’origine de l’Océan Maliaque (Fig. 6 A-F). Le nombre de nappes issues de la marge (5 nappes majeures) et donc le nombre supposé de failles normales syn-rift importantes à l’origine de ces contacts de nappes, est compatible avec cette hypothèse. La régularité de l’empilement des nappes est également un argument en faveur de cette hypothèse. Les failles syn-rift étant généralement inclinées vers l’océan, cette géométrie a pu faciliter la transformation de ces failles normales en contacts chevauchants.
L’unité de Fourka et celles provenant de la marge distale (Loggitsion et Tourla-Trilofon) représentent une Transition Océan-Continent (TOC) affleurant dans de très bonnes conditions, ce qui est plutôt rare. S’agissant du processus d’obduction, la nature contrastée de cette TOC en fait évidemment une zone de faiblesse. Cependant il est à remarquer qu’en dehors de l’unité mineure de Tourla-Trilofon les différents ensembles de la TOC constituent des unités relativement bien conservées lors de l’obduction.
Les mélanges à blocs : des formations syn-obduction témoins de l’avancée des nappes
Lors de l’avancée des nappes, des formations sédimentaires chaotiques à blocs et olistolites ophiolitiques et sédimentaires, se déposent en milieu marin à l’avant des nappes en mouvement (Fig. 6 E-F). Ces mélanges sédimentaires représentent les derniers dépôts sur les différentes séries avant l’arrivée des nappes. En Othrys, ces mélanges sont épais sur certaines unités ophiolitiques (par ex. Mega Isoma, près d’Ekara, Fig. 2 et 4) et sur les unités de la marge proximale ; en revanche, ils sont pratiquement absents des unités de la marge distale. Cette particularité semble indiquer que la majeure partie des unités de la marge distale, peu épaisses, à croûte amincie, ont été très rapidement recouvertes tectoniquement par les unités supérieures, avant que des mélanges significatifs ne puissent s’y développer. Inversement, la forte épaisseur de mélanges sur les séries de la marge proximale (Fig. 6E) peut être mise en relation avec l’épaisseur importante de la croûte de cet élément qui entraîne une difficulté au niveau du sous-charriage et donc une augmentation de l’accumulation des produits d’érosion. Cette forte accumulation serait due, d’une part, à la surélévation des nappes supérieures soumises à l’érosion (ophiolites et unités de la marge distale) et d’autre part, à la durée plus longue de la période de dépôt des mélanges du fait de la faible vitesse du sous-charriage. De façon surprenante, les mélanges déposés au sommet des séries pélagoniennes sont riches en éléments provenant des nappes ophiolitiques et de la marge distale mais aucun élément typique de la marge proximale n’y a été reconnu. Après un ralentissement dans l’avancée des nappes supérieures au moment du sous-charriage des séries à croûte épaisse de la marge proximale (Fig. 6E), ces nappes supérieures ont semble-t-il repris leur mouvement et atteint la zone pélagonienne en dépassant les unités de la marge proximale. Par la suite, ces dernières, entraînées à la base des nappes supérieures, ont alors recouvert tectoniquement les séries pélagoniennes sans pouvoir fournir de matériel aux mélanges pélagoniens (Fig. 6 F-G).
Les stades tardi-obduction
Le sillon béotien : un bassin d’avant-chaîne
Entre les domaines ayant subi l’obduction au Jurassique (zones internes helléniques) et les zones externes uniquement tectonisées au Tertiaire (Fig. 1) existe un domaine caractérisé par le développement d’un flysch riche en éléments ophiolitiques dès le Tithonien : le « sillon Béotien » (Celet et al., 1976) (Fig. 6G). L’existence de ce bassin particulier de type « bassin d’avant-chaîne » à l’ouest des zones à ophiolites, est aussi un argument en faveur d’une origine orientale des ophiolites.
Surrection locale de l’autochtone relatif pélagonien
La reconstitution des structures avant la transgression crétacée en Othrys, révèle l’existence d’une surrection de l’autochtone relatif Pélagonien à l’est de l’empilement principal des nappes syn-obduction (Fig. 6G). Par comparaison avec d’autres secteurs soumis à des obductions, tels que l’Oman où s’observe de telles structures (fenêtres de Akhdar et Saih Hatat) deux possibilités sont envisageables : i) un rééquilibrage isostatique en fin du processus d’obduction en relation avec la localisation des surcharges occasionnées par la mise en place des nappes et les caractéristiques thermiques syn-obduction, selon l’un des modèles envisagés en Oman (Lippard et al., 1986) ; ii) une rampe tectonique à pendage vers l’est développée dans l’autochtone pélagonien. Le raccourcissement sur cette rampe entraînerait une remontée de l’unité située au-dessus de la rampe, là aussi selon un modèle déjà proposé pour l’Oman (Bernoulli & Weissert, 1987 ; Michard et al., 1989).
Conclusions
Dans les Hellénides, le massif de l’Othrys offre des conditions particulièrement propices à l’analyse des modalités d’une obduction de par la présence de nombreuses nappes syn-obduction issues de l’océan Maliaque, qu’il s’agisse de la lithosphère océanique (ophiolites) ou de la marge de cet océan transportée sur le bloc continental pélagonien. De plus, cet empilement de nappes est relativement régulier, avec les nappes issues des secteurs distaux profonds (du côté de l'océan Maliaque) sur les unités provenant de secteurs plus proximaux (du côté de la plate-forme pélagonienne à croûte continentale). Si l’obduction d’âge jurassique moyen-supérieur, développée dans l’ensemble des Dinarides-Hellénides notamment en Grèce et en Albanie, est connue dans ses grandes lignes, nos travaux antérieurs et de nouvelles données, notamment en Othrys occidentale (par ex. datations de diverses unités), nous permettent de préciser certaines modalités de ce processus d’obduction.
La subsidence d’ensemble du bloc continental dès le début de la convergence
Les âges Jurassique moyen des radiolarites des différentes unités de la marge Maliaque et de la plate-forme carbonatée Pélagonienne indiquent une subsidence majeure de ce domaine à croûte continentale lors de la mise sous contrainte en convergence et donc dès le début des processus de subduction-obduction (Fig. 6 B-C). Cette subsidence généralisée va faciliter l’avancée des nappes ophiolitiques, notamment celle de l’unité des pillow-lavas de Fourka.
Les nappes ophiolitiques supérieures : des unités supra-subduction au Jurassique moyen
L’Unité ophiolitique de Mega Isoma, d’âge jurassique moyen (Ferrière et al., 2015), est contemporaine du processus de subduction attesté dès le Jurassique moyen plus au nord (laves de type SSZ du Vourinos-Pinde du Nord). Sa position sommitale dans le dispositif de nappes syn-obduction conduit à considérer que cet ensemble était localisé dans la plaque supérieure au niveau de la subduction intra-océanique. Par analogie avec la nappe du Pinde du Nord (Saccani et al., 2004), un contexte d’avant-arc est envisageable pour l’origine de cette unité de Mega Isoma. De même, l’unité ophiolitique de Metalleion est comparable à celle du Vourinos-Dramala située plus au nord. Nous montrons cependant qu’un rétro-charriage a dû affecter le dispositif inital acquis lors de la mise en place des nappes de Mega Isoma et Metalleion (Fig. 6 D-F).
Un mécanisme de mise en place particulier : la nappe ophiolitique de Fourka issue de la plaque océanique infra-subduction
La présence de cette unité de Fourka, essentiellement développée en Othrys, permet d’affiner le processus d’obduction. L’âge le plus ancien observé dans cette unité des pillow-lavas de Fourka (Anisien supérieur) et leur géochimie de type MORB, conduisent à placer cet ensemble initial en domaine océanique et plus précisément en bordure de la marge continentale. Ce matériel océanique s’est donc initialement formé dès le Trias à partir d’une dorsale océanique indépendamment de la subduction intra-océanique du Jurassique moyen. Il s’agit donc d’une nappe issue de la plaque infra-subduction au Jurassique moyen. Le mécanisme de mise en place de cette nappe de Fourka est donc différent du mécanisme plus classique évoqué précédemment pour les nappes issues de la plaque supra-subduction. La position de la nappe de Fourka, reposant directement sur les séries de la marge distale, conduit à envisager une mise en place à l’avant des nappes ophiolitiques principales (Fig. 6C). Le mécanisme envisagé est le développement à la limite entre les croûtes océanique et continentale (TOC : Transition Océan-Continent) d’un bombement anticlinal à proximité de la zone de subduction, évoluant par la suite en chevauchement lors de la l’avancée des nappes ophiolitiques majeures (Fig. 6C). Cette particularité et le passage de la nappe de Fourka sur la croûte continentale adjacente, même amincie, sont des éléments qui permettent d’expliquer la perte de la partie inférieure de la lithosphère océanique au niveau de cette unité.
Les nappes issues de la marge Maliaque : un processus irrégulier d’inversion tectonique
La présence de nombreuses nappes syn-obduction issues de la marge Maliaque permet de préciser les modalités d’évolution de ce domaine au cours de l’obduction.
Développement des contacts tectoniques à la base des nappes issues de la marge
Le nombre de nappes issues de la marge et les importantes différences de faciès entre les séries de nappes contigües (absence de nappes à séries intermédiaires) nous ont conduits à admettre que la majeure partie des contacts de base de ces nappes s’est développée aux dépens de failles listriques nées lors du rifting au Trias moyen puis inversées en régime compressif durant le Jurassique moyen. Il s’agit là d’un processus d’inversion tectonique positive.
L’emplacement des nappes : des avancées irrégulières
L’absence de mélanges sur les nappes issues de la marge distale montre que la majeure partie de celles-ci ont été sous-charriées très rapidement sous l’unité ophiolitique de Fourka, en raison de leur croûte continentale peu épaisse et de leur forte profondeur accentuée par la subsidence dès le Jurassique moyen. Inversement, l’épaisseur importante de la croûte continentale de la marge proximale engendre des difficultés au niveau du sous-charriage de cet élément. La conséquence de ces difficultés est une forte épaisseur de mélanges sur les séries de cette partie proximale de la marge dues à une forte érosion liée à la surrection des nappes et à une longue durée de sédimentation en raison d’une faible vitesse de recouvrement des séries chevauchées (Fig. 6D-E). Il en est de même sur la plate-forme pélagonienne où des mélanges épais se déposent, en raison de la très forte épaisseur de la croûte continentale de ce domaine. L’analyse des blocs indique que les nappes issues de la marge proximale n’ont pas fourni d’éléments à ces mélanges et qu’elles ont donc été probablement entraînées sur le domaine Pélagonien alors qu’elles étaient déjà sous les nappes supérieures et non pas à l’avant de celles-ci (Fig. 6F).
Les stades tardifs de l’obduction
Parmi les conséquences de l’obduction, avant la transgression du Crétacé, on peut citer (Fig. 6G) :
- la surrection, à l’est de l’empilement principal des nappes syn-obduction, de l’autochtone relatif pélagonien. Les causes envisageables, non incompatibles, sont un réajustement isostatique et/ou les effets d’une rampe présente dans cet autochtone ;
- le développement d’un bassin d’avant-chaîne à l’ouest du domaine des nappes syn-obduction : le sillon béotien. Ce bassin sédimentaire riche en matériel détritique d’origine ophiolitique, s’avère être oblique sur les zones isopiques anté-obduction mais il se situe toujours en bordure des nappes ophiolitiques. Ce bassin qui naît en relation avec la présence de nappes importantes évoque un bassin flexural d’avant-chaîne. C’est là encore un argument en faveur d’une origine orientale des ophiolites.
Un ou plusieurs modèle(s) d’obduction
Grâce aux caractéristiques favorables du secteur étudié (Othrys) de nombreuses précisions ont été obtenues sur le processus d’obduction depuis les premiers indices de convergence au Jurassique moyen (par ex. subsidence d’ensemble) jusqu’aux conséquences finales de l’obduction (bassin avant-chaîne, rééquilibrage isostatique) en passant par l’essentiel du processus actif, la mise en place des différentes nappes obduites. Ces précisions concernent un modèle souvent proposé de façon globale pour des exemples d’obduction avec une subduction initiale intra-lithosphère océanique et l’obduction d’importantes nappes appartenant à la plaque supra-subduction. C’est notamment le cas pour les ophiolites des Dinarides s.l. (Vourinos-Pinde du nord en Grèce, Mirdita en Albanie, Zlatibor en ex-Yougoslavie) ou encore les ophiolites du Troodos à Chypre et du Semail en Oman. Cependant les ophiolites n’apparaissent pas toujours sous la forme d’importantes nappes avec des flèches d’échelle hectokilométrique. Ainsi en Nouvelle-Zélande, les « Dun Mountain Ophiolites » mises en place au Permien affleurent selon un linéament de plus de 1 000 km de long sur quelques km (de 5 à 10 km) de large. Divers modèles ont été proposés pour ces ophiolites : un modèle classique d’ophiolites d’avant-arc (Robertson et al., 2019) mais aussi des modèles faisant intervenir des subductions multiples (Coombs et al., 1976) ou des dispositifs de type arrière-arc comparables par exemple au domaine actuel des Tonga-Kermadec (Ferrière, 1987).
Remerciements. — Les auteurs adressent leurs remerciements sincères au comité éditorial (Didier Torz et Alain Blieck) ainsi qu’aux relecteurs (Olivier Averbuch et Fabien Graveleau) pour leur patience, leur efficacité et leurs corrections avisées. Nous tenons à remercier également les organismes et les personnes qui ont permis de réaliser nos travaux au laboratoire et sur le terrain : le Laboratoire d’Océanologie et de Géosciences (LOG, UMR 8187) et le CNRS-INSU au plan financier, avec la mise en œuvre fiable et efficace de Monique Gentric, ainsi que Marion Delattre, Cindy Maliverney, Philippe Recourt et Sandra Ventalon pour les travaux de laboratoire et les autres urgences techniques. Remerciements sincères à toutes et à tous.