Remerciements : Monsieur Francis Robaszynski (Saintes) a accepté de relire ce manuscrit en y apportant de nombreuses remarques constructives. Il nous a également proposé une nouvelle interprétation de la coupe de Sainghin-en-Mélantois dont il avait fait un levé lithologique détaillé en 1971. Le professeur Andy Gale (University of Porsmouth, U.K.) nous a accompagné sur le terrain en nous faisant bénéficier de sa connaissance des craies du sud-est de l’Angleterre et en déterminant également plusieurs fossiles observés en place. Le Docteur Irek Walaszczyk (Université de Varsovie, Pologne) a déterminé plusieurs inocérames et en particulier le V. koeneni collecté à Emmerin à 19,90 m. Le professeur Jean-François Deconinck (Université de Bourgogne – Franche-Comté à Dijon) a analysé les minéraux argileux d’un prélèvement réalisé au sein de l’East Cliff Marl 2. Monsieur Jean-Marie Boussin, du Service des Carrières Souterraines de la Ville de Lille, nous a accompagné dans la carrière de Ronchin. Monsieur Aymeric Rogé, étudiant en géologie à l’Université de Lille, a dégagé de sa gangue le V. koeneni collecté à Emmerin. Messieurs Jean Dziudzia (Calais) et Bertrand Matrion (Troyes) nous ont aidé pour la réalisation technique de deux figures. Monsieur Franck Juckel, responsable d’exploitation, nous a donné la possibilité de circuler librement dans la carrière à ciel ouvert d’Haubourdin, exploitée par la Société NORMAT. Que tous soient chaleureusement remerciés.
Avant-propos
Jésahel Benoist nous a quittés brutalement le 6 septembre 2024 alors que nous finalisions cet article après la trêve estivale (Fig. 1). Il était âgé de 49 ans. Pour nous tous, il était à la fois un collègue et un ami. Pour ses collègues de travail au Service Commun des Carrières Souterraines de la Ville de Lille, Jésahel était quelqu’un de chaleureux et sensible, particulièrement brillant dans différents domaines (géomatique, micro-gravimétrie, inspection des carrières…) et très investi dans son travail. Pour ses collègues universitaires, nous avions découvert une personne très cultivée, curieuse et infiniment serviable, d’une grande humanité, que nous avions appris à apprécier suite à nos échanges et sorties communes en carrières, puis aux repas conviviaux qui s’ensuivaient. Cette note ne serait sans doute pas si riche en données nouvelles sans les informations communiquées par Jésahel.
Toutes nos pensées vont à sa compagne, son fils, et à sa famille. Bon voyage Jésahel. Nous ne t’oublierons pas.
Figure 1
Jésahel Benoist (1975-2024) - Inspecteur et expert géomaticien au sein du Service Commun des Carrières Souterraines de la Ville de Lille.
Jésahel Benoist (1975-2024) - Inspector and geomatics expert within the Underground Quarries Department of the City of Lille.
Introduction
L’apparition du genre d’inocérame Volviceramus [mollusque bivalve], représenté par l’espèce Volviceramus koeneni (Müller, 1888), est le critère retenu par la Commission Stratigraphique Internationale pour définir la base du Coniacien moyen (Kauffman coord. et al., 1996 ; Walaszczyk & Cobban, 2006 ; Walaszczyk & Wood, 2018). Dans toutes les coupes connues en Europe et en Amérique du Nord, l’apparition de Volviceramus koeneni est concomitante de celle d’une autre espèce d’inocérame : Platyceramus mantelli (de Mercey, 1872). Ce double événement est rapidement suivi de l’apparition d’une troisième espèce : Volviceramus involutus (J. de C. Sowerby, 1829).
Les affleurements naturels où la limite Coniacien inférieur-Coniacien moyen est visible sont peu nombreux au sein du Bassin anglo-parisien. Il s’agit essentiellement des falaises crayeuses du Kent et du Sussex au Sud-Est de l’Angleterre (Mortimore, 1983, 1986 ; Robinson, 1986 ; Jenkyns et al., 1994 ; Mortimore et al., 2001). En France, il n’existe pas de coupes pérennes de ces niveaux en dehors des falaises du Pays de Caux. Malheureusement, de nombreux slumps affectent l’enregistrement sédimentaire en Haute Normandie. De plus, les couches concernées sont perchées au sommet des falaises et quasi inaccessibles, ce qui rend complexe leur étude détaillée (Mortimore & Pomerol, 1987 ; Hoyez, 2008 ; Mortimore, 2011, Gale, 2024). Dans ce contexte, l’observation de plusieurs lits riches en Volviceramus et Platyceramus et l’appréciation du niveau d’apparition de ces inocérames dans plusieurs carrières de craies coniaciennes de la région lilloise, dans le Nord de la France, méritent d’être signalées.
Les craies présentes dans le sous-sol de la métropole de Lille sont les niveaux crétacés les plus récents préservés de l’érosion au sein de l’aire concernée. Gosselet (1870, 1905), Barrois (1878), Cayeux (1889) et Waterlot (1969) les rapportent au Sénonien, une attribution également reprise dans la notice de la carte géologique à 1/50 000 de Lille-Halluin par Sangnier (1967) qui distingue au point de vue stratigraphique :
- « au sommet, une craie blanche, avec ou sans silex, contenant de nombreux débris de coquilles d’inocérames ;
- à la base, une craie grise ayant fait l’objet d’exploitation comme pierre de taille en carrières souterraines ».
L’emploi du terme Sénonien est aujourd’hui inapproprié. Le colloque sur le Crétacé supérieur tenu à Dijon en 1959 (Dalbiez rapporteur, 1960) a en effet recommandé d’abandonner l’usage de cet étage au profit de la succession des étages Coniacien, Santonien, Campanien et Maastrichtien qui correspondent au même intervalle de temps dans la charte stratigraphique internationale (Sornay, 1957). Dans l’échelle des temps géologiques actuelle, les craies constituant le sous-sol de la métropole de Lille appartiennent à l’étage Coniacien (89,8 à 86,3 millions d’années).
Les craies de la métropole de Lille sont accessibles à l’affleurement et en carrières souterraines à la faveur de la structure anticlinale du Mélantois ou « Dôme du Mélantois » (Gosselet, 1905). Cette structure s'est formée principalement au Tertiaire (Lutétien-Bartonien – 37-47 Ma) du fait d’un contre-coup septentrional de l’orogenèse pyrénéenne (Minguely, 2007). Cet événement a entrainé l’érosion quasi complète des couches du Paléogène présentes au toit de la craie ; ces dernières étant en revanche préservées dans le bassin des Flandres au nord et le bassin d’Orchies au sud du Mélantois. Dans ces deux bassins, la craie est atteinte à des profondeurs d’environ 100-150 m et 55-60 m, respectivement (Minguely, 2007 ; Picot, 2010 ; Bessière et al., 2015). Un faible soulèvement tectonique du Mélantois est suggéré dès le Turonien supérieur (donc synchrone du dépôt de la craie) en raison de l’observation de niveaux stratigraphiques particulièrement condensés (Dezwarte et al., 1965 ; Fenet, 1965) ou la comparaison des cartes d'iso-épaisseur des formations du Turonien moyen-inférieur d'une part et du Turonien supérieur-Sénonien d'autre part (Caulier, 1974 ; Minguely, 2007).
La plupart des carrières de la métropole lilloise sont souterraines et localisées au sud. Elles forment un arc de cercle allant de Loos au sud-ouest de Lille, à Villeneuve-d'Ascq au sud-est, en passant par Emmerin, Wattignies, Seclin, Templemars, Faches-Thumesnil, Vendeville, Ronchin et Lesquin (Fig. 2). Leur suivi est assuré par le Service Commun des Carrières Souterraines de la Ville de Lille qui agit en inspectant, inventoriant et classant tous les éléments témoignant de l’instabilité des carrières. Les missions de ce service sont d’assurer la gestion et la prévention du risque de mouvement de terrain généré par ces anciennes exploitations souterraines. Deux carrières à ciel ouvert exploitées dans le passé étaient quant à elles situées à l’ouest de la métropole. Il s’agissait des carrières de l’ancienne cimenterie d’Haubourdin, implantées en réalité aux confins des communes de Loos, Haubourdin et Emmerin (carrière de Loos-Haubourdin et carrière de Loos-Emmerin). Aujourd’hui, seule la seconde est encore exploitée par l’entreprise NORMAT à Emmerin.
Figure 2
Localisation géographique du secteur étudié dans l’agglomération lilloise et des zones concernées par un Plan d'Exposition aux Risques (PER) Mouvements de Terrain (présence de cavités souterraines).
Geographical location of the studied sector in the Lille conurbation and the areas concerned by Ground Movement Hazard (presence of underground cavities).
Cette note consiste en une étude comparée des successions lithologiques actuellement visibles depuis l’ouest de la métropole (Loos-Emmerin) jusqu’aux carrières souterraines de Lezennes à l’est, en passant par Faches-Thumesnil et Ronchin. Notre objectif est de présenter des coupes détaillées (levées avec une précision centimétrique) dans chacun de ces secteurs afin d’identifier un certain nombre de repères lithologiques et paléontologiques. Grâce à ces outils, il devient possible d’envisager des corrélations avec une très haute résolution au sein des craies lilloises et ainsi d’affiner la manière dont s’effectue la condensation de la série vers l’est (Amédro et al., 2023). Ces coupes géologiques sont également un support précieux permettant de se situer avec précision dans les craies lilloises. De cette façon, il devient possible de mieux appréhender et de caractériser les décalages structuraux (failles) observés lors des inspections des carrières souterraines. Ces réseaux de fracturations sont une composante géomécanique importante qui guide la rupture et la ruine des carrières souterraines, induisant des troubles aux terrains et biens en surface qu’il faut prévenir et anticiper.
Le point de départ de cet article est la description d’une coupe géologique levée dans le secteur d’Emmerin (au sein de la carrière à ciel ouvert de Loos-Emmerin) (Fig. 2), qui complète et précise les observations effectuées par le passé dans la carrière de Loos-Haubourdin (Lagaisse, 1902 ; Fenet, 1965 ; Dezwarte et al., 1965 ; Robaszynski (1977) ; Amédro & Robaszynski, 1978, 2006). À Loos, les carrières souterraines du Bon Dieu Noir exposent les mêmes niveaux que les carrières à ciel ouvert de Loos-Haubourdin et de Loos-Emmerin. À Faches-Thumesnil et Ronchin, nous prenons en compte de nouvelles coupes géologiques jamais décrites dans la littérature. À Lezennes, la succession lithologique recoupée par les carrières souterraines vient d’être décrite (Amédro et al., 2023), mais nous l’actualisons suite à la découverte d’un niveau durci qui n’avait pas été repéré auparavant.
En ce qui concerne les aspects paléontologiques, des niveaux riches en inocérames sont visibles dans toutes ces carrières sur les fronts de tailles et dans les galeries. À Lezennes et Faches-Thumesnil, des inocérames ont également été rencontrés dans des galeries descendantes. D’autres occurrences nous ont été signalées et présentées sur photo en d’autres points des carrières souterraines par Michel Dubois (Université de Lille), témoignant du caractère assez généraliste de nos observations.
Les niveaux repères utilisés dans les craies coniaciennes des falaises de la manche
Ce paragraphe peut sembler, a priori, hors sujet géographiquement mais en réalité, il apporte les informations permettant d’interpréter la succession visible dans toutes les carrières de craie de l’agglomération lilloise. Il justifie également les lignes de corrélation entre la coupe dilatée de Caffiers dans le Boulonnais et les séries ultra-condensées des environs de Lille (Fig. 3).
Figure 3
Niveaux repères et corrélations dans les craies du Coniacien inférieur et moyen entre le Boulonnais (tranchée de chemin de fer de Caffiers ; Amédro & Robaszynski, 2001) et la région lilloise (carrières d’Haubourdin, de Lezennes et forage de la Cité Scientifique à Villeneuve d’Ascq). fg = firmground.
Marker beds and correlations in the lower and middle Coniacian chalks between Boulonnais (Caffiers railway trench; Amédro & Robaszynski, 2001) and the Lille region (Haubourdin and Lezennes quarries and Cité Scientifique drilling in Villeneuve d'Ascq). fg = firmground.
Un certain nombre d’événements à caractère lithologique ou écologique sont connus au sein des successions crayeuses du Bassin anglo-parisien. Dans le cas des craies coniaciennes, il s’agit de niveaux marneux d’origine détritique, de niveaux marneux résultant de la diagenèse de cendres volcaniques (bentonites), de bancs durcis (hardgrounds et firmgrounds), de lits de silex particuliers (tabulaires, noduleux de grosse taille ou épigénisant des bioturbations de type Thalassinoides) et enfin de niveaux caractérisés par l’abondance momentanée d’un certain nombre de fossiles, le plus souvent des inocérames. Ces niveaux repères présentent une grande extension géographique au sein du bassin et constituent d’excellents outils de corrélation.
Les coupes de référence pour les craies coniaciennes du Nord de la France sont situées dans le Boulonnais. Il s’agit de la tranchée de chemin de fer de Caffiers et de la carrière de l’ancienne cimenterie de Coquelles, décrites de façon détaillée par Amédro et al. (1979), Robaszynski, Amédro coord. et al. (1980) et Amédro & Robaszynski (2001). Par respect de la règle d’antériorité, la terminologie des niveaux repères utilisée est celle définie dans le Sud-Est de l’Angleterre (postérieurement à nos travaux, mais dans lesquels nous n’avions pas nommé les niveaux repères) par Gale & Woodroof (1981), Gale & Smith (1982), Mortimore (1983, 1986) et Robinson (1986).
Suivant la décision de la Commission Stratigraphique Internationale (Walaszczyk et al., 2022), la base de l’étage Coniacien est définie par l’apparition de l’inocérame Cremnoceramus deformis erectus (Meek, 1877). L’espèce n’a pas été identifiée dans le Boulonnais. Mais dans le Kent, cette apparition est observée quelques décimètres au-dessus du Navigation Hardground décrit ci-dessous (Mortimore et al., 2001).
L’intervalle pris en compte dans la présente publication concerne uniquement la coupe de Caffiers. Du bas vers le haut, la succession des lithoévénements est la suivante (Fig. 3) :
- Turonien supérieur
- Navigation Hardground (Mortimore, 1983), demi-métrique. Ce hardground, riche en Micraster cortestudinarium (Goldfuss, 1829), correspond au niveau de disparition de l’espèce précédente Micraster normanniae (Bucaille, 1883). Les premiers M. cortestudinarium apparaissent 5 m en dessous du Navigation Hardground. [Les principaux critères de détermination des Micraster présents autour de la limite Turonien-Coniacien ont été présentés par Amédro et al., 1979 ; Fouray, 1981 et plus récemment par Smith & Wright, 2012. Le lecteur intéressé par la détermination de ces échinides spatangoïdes est invité à se reporter à ces publications]. La limite supérieure du Navigation Hardground coïncide à quelques décimètres près avec la base de l’étage Coniacien ;
- Coniacien inférieur
- Hope Gap Hardground (Mortimore, 1983), pluridécimétrique ;
- Beeding Hardground (Mortimore, 1983), bien développé et également pluridécimétrique ;
- Light Point Hardground (Mortimore, 1983), comparable par son épaisseur et sa structure aux deux hardgrounds précédents ;
- East Cliff Marl 1 (Gale & Smith, 1982) [= Shoreham Marl 1 de Mortimore (1983)]. Dans le sud-est de l’Angleterre, un niveau marneux discret, rubané, précède de quelques mètres un autre niveau marneux qui, lui, est bien exprimé. Ce niveau marneux discret, épais en moyenne de 2,5 cm, est l’East Cliff Marl 1. Dans le Sussex, l’East Cliff Marl 1 est facilement repérable. En revanche, dans la plupart des coupes du Kent, en particulier à Douvres, le niveau n’est pas enregistré ou apparaît sous l’aspect d’un mince lit de silex tabulaire plus ou moins discontinu. Il est probable que le lit de cette nature, repéré à Caffiers à 121,70 m, corresponde à ce niveau ;
- Shoreham Tubular Flints (Mortimore, 1983) : intervalle épais d’1,50 m à 2 m, caractérisé par la présence de fins silex tubulaires d’1 cm de diamètre, dont la longueur peut atteindre 60 cm ;
- East Cliff Marl 2 (Gale & Smith, 1982) [= Shoreham Marl 2 de Mortimore (1983)] : niveau marneux de 3 à 5 cm d’épaisseur en moyenne qui correspond à un niveau de bentonite, c’est-à-dire de cendres volcaniques altérées. À Caffiers, l’East Cliff Marl 2 est oblitéré et remplacé par un mince lit de silex tabulaire. C’est au niveau de l’East Cliff Marl 2 qu’est placée conventionnellement la limite entre les zones d’échinides successives à Micraster cortestudinarium et à Micraster coranguinum (Jenkyns et al., 1994 ; Mortimore et al., 2001). Des exemplaires transitionnels proches de M. coranguinum apparaissent toutefois quelques mètres sous l’East Cliff Marl 2 (Amédro et al., 1979) ;
- Coniacien moyen
- Hope Point Marls (Gale & Smith, 1982). Dans le Kent, il s’agit d’un faisceau de 5 niveaux marneux centimétriques, plus ou moins rubanés, échelonnés sur une hauteur d’1,50 m à 2 m, dont trois seulement sont généralement bien exprimés. Dans le Boulonnais, et de façon comparable à ce que l’on observe pour l’East Cliff Marl 2, ces niveaux marneux sont oblitérés et remplacés par de minces lits de silex tabulaires ;
- East Cliff Semitabular Flint (Gale & Woodroof, 1981). Ce lit de silex cornus est constitué de gros silex pouvant atteindre 30 à 40 cm de longueur et 10 à 15 cm d’épaisseur, très proches les uns des autres, parfois même coalescents, dont la surface inférieure est onduleuse et la surface supérieure plus ou moins plane.
L’examen de cette suite de niveaux repères montre que le sommet du Turonien et le Coniacien inférieur sont caractérisés par la présence de nombreux hardgrounds. Il s’agit de niveaux condensés qui sont associés à une diminution du taux de sédimentation. Selon Gale (1996), la genèse de ces hardgrounds souvent très fossilifères s’inscrit dans un contexte transgressif. Le Coniacien moyen est en revanche représenté par une craie blanche, fine, tendre et traçante qui correspond à des dépôts sédimentaires fins, par décantation, dans un milieu d’offshore supérieur dans la mer de la craie, pendant une période de haut niveau marin (Mortimore et al., 2001).
L’extraction de la craie dans l’agglomération lilloise : un peu d’histoire
L’extraction de la craie autour de la ville de Lille a probablement débuté vers le XIe siècle, peut-être même plus tôt, comme semblent le prouver les dernières découvertes du service d’archéologie de la Ville de Seclin où des carrières à ciel ouvert de l’époque gallo-romaine ont été mises en évidence (e.g., Revillion et al., 1994). L’exploitation souterraine de la craie a perduré pendant un peu moins de 1 000 années sur le territoire métropolitain.
Typologie des carrières
Sur le territoire métropolitain, différentes typologies de carrières souterraines sont recensées. Ces modes d’exploitation du sous-sol vont évoluer au cours des siècles pour répondre à différents besoins. On distingue ainsi trois types d’exploitations souterraines : 1) par "chambres et piliers tournés" (ou "piliers tournés" ou encore "chambres et piliers abandonnés"), 2) par puits en bouteille (ou "catiches") et 3) par mode mixte.
Le type d’exploitation par chambres et piliers tournés constitue 40 % des carrières connues sur le territoire de la métropole de Lille. Ce type de cavités consistait à creuser un réseau de galeries qui s’entrecoupent, en laissant en place des piliers de craie de dimensions plus ou moins importantes. Un faible nombre de puits permettait la descente du personnel, l’aérage et l’extraction des pierres taillées. La craie était exploitée dans un horizon situé entre 10 et 15 mètres de profondeur d’où les carriers sortaient des blocs de craie taillés. Ces « blancs caillaux » étaient ensuite envoyés sur les chantiers de construction. Les carrières à chambres et piliers sont caractéristiques de Lezennes. On en retrouve également à Lille, Loos, ainsi que plus au sud à Vendeville et Templemars.
Le second type d’exploitation, par puits en bouteilles (ou « catiches »), est une méthode caractéristique et unique des exploitations de la région lilloise (Fig. 4 et 5a). Elle représente environ 60 % des carrières rencontrées. Les exploitations de type catiches sont constituées de puits d’extraction disposés en lignes, plus ou moins régulières, distants de 6 à 10 mètres d’axe en axe. Ces puits sont cylindriques dans la traversée des terrains limoneux superficiels : leur diamètre y est compris entre 1 mètre et 4 mètres. Lorsque la craie est atteinte, ces puits s’évasent progressivement pour prendre la forme d’une bouteille (de type champagne). Le fond des puits est déterminé, soit par un banc induré (le tun), soit par le niveau de la nappe phréatique atteint entre 10 et 15 mètres de profondeur. Ces puits sont reliés à leur base par de courtes galeries de 1 à 2 mètres de longueur (les "portes"). Après exploitation, ils ont été le plus souvent fermés par des voûtes autoclavées constituées d’un appareillage de pierres taillées. Soulignons qu’il s’agit de la même technique pour la fermeture des puits d’accès des chambres et piliers. Ainsi pendant un millénaire, les carriers vont fermer les puits d’extraction avec la même méthodologie. Les carrières de type catiches ont quant à elles été utilisées pour sortir de la craie en vrac. Cette craie était utilisée pour deux principaux usages : la production de la chaux et pour le marnage des terrains agricoles. Cette typologie de cavités est apparue à la fin du XVIIIe siècle pour un apogée d’exploitation au XIXe siècle.
Enfin, le troisième mode d’exploitation, de type mixte, présente les mêmes caractéristiques que les carrières de type chambres et piliers, mais avec en plus un grand nombre de puits d’extraction en forme de catiches. Ce type de carrière souterraine est beaucoup plus rare et ne se trouve que sur Hellemmes, Lezennes et Villeneuve d’Ascq. On y sortait à la fois des blocs de craie taillés et de la craie en vrac.
Figure 4
Vue d'artiste d'une coupe de catiches, carrières souterraines d'exploitation de la craie dans la métropole de Lille. © J. Benoist.
Artist's view of a cross-section of catiches, underground chalk quarries in the Lille metropolitan area. © J. Benoist.
Pourquoi trois types de carrières souterraines ?
Jusqu'au XVIIIe siècle, la brique, demandant une cuisson, est coûteuse à produire. Pour la construction, on va lui préférer la craie qui sera généralement exploitée en sous-sol. Les blocs de craie sont taillés à proximité des constructions, ce qui entraîne le creusement de nombreuses carrières souterraines selon la méthode des chambres et piliers. Pour trouver une craie saine et résistante au point de vue mécanique, il est nécessaire d'exploiter les niveaux crayeux situés entre 8 et 15 mètres de profondeur, la craie étant trop altérée ou fracturée vers la surface (faciès "marnette"). Au début, ce sont essentiellement les édifices religieux qui seront construits de la sorte ; par exemple, l'église Sainte Marguerite de Faches-Thumesnil. Mais l’essor des villes et leurs fortifications vont nécessiter davantage de matériaux. L'exemple le plus parlant est la construction de la citadelle de Lille où Vauban demande aux carriers de Lezennes de produire 2 000 parpaings par jour. Les maîtres d’œuvre ont en effet développé depuis longtemps une expertise sur le sujet (probablement dès le XIe siècle), mais le transport des blocs de craie taillés est compliqué et coûteux et va nécessiter des aménagements. En tout cas, les qualités de la craie de Lezennes comme pierre à bâtir (densité élevée de la roche et faible porosité) sont connues et reconnues depuis le Moyen Âge. Cependant, les besoins vont être tels que la Ville de Lezennes ne pourra pas à elle seule y répondre. Le chantier va nécessiter l'exploitation d'autres carrières en chambres et piliers à Loos et la réquisition de milliers de travailleurs, prisonniers de guerres et paysans.
À partir de la fin du XVIIIe siècle, la brique devient plus facile à produire et sa qualité s’améliore. Dans la mesure où la brique devient économiquement attractive et puisqu’elle est plus robuste que la craie, ne craignant ni l’eau, ni le gel, l'utilisation des blocs de craie est progressivement abandonnée pour la construction des bâtiments. Les carrières de type chambres et piliers n'ont alors plus de raison d'être. En revanche, à cette époque, les besoins en craie restent importants pour deux usages : premièrement pour la fabrication de la chaux, élément essentiel pour la préparation du ciment, des enduits, dans l’industrie et deuxièmement pour le marnage des champs. Cette fois, la craie peut être sortie en vrac. C’est la raison pour laquelle les catiches apparaissent à la fin du XVIIIe siècle avant de connaître un apogée d'exploitation au XIXe siècle. On va alors exploiter le sous-sol de façon industrielle. Mais les chantiers restent toujours situés le long des axes de transport afin de faciliter l'acheminement des matériaux.
Figure 5
Carrières souterraines et aériennes de la métropole de Lille. a) Carrières souterraines du « Bon Dieu Noir » à Loos. Vue de quelques chambres d’extraction ou « catiches » communiquant entre elles à la base. © F. Chanier. b) Carrière NORMAT à Emmerin (ex-carrière des Ciments Lafarge). Vue du front de taille exploité en avril 2015. © F. Graveleau. ECM 2 : East Cliff Marl 2. Il s'agit d'un niveau marneux repère facilement identifiable dans les carrières du SW et S.
Aerial and underground quarries in the Lille metropolis. a) Underground quarries of the “Bon Dieu Noir” in Loos. View of a few extraction chambers or “catiches” communicating with each other at their base. © F. Chanier. b) NORMAT quarry in Emmerin (former "Ciments Lafarge" quarry). View of the working face exploited in April 2015. © F. Graveleau. ECM 2: East Cliff Marl 2. This is an easily identifiable marly level in the SW and S quarries.
Localisation des carrières de craie de la métropole de Lille
La plupart des carrières souterraines sont situées sur l’arc sud de la métropole lilloise (Fig. 2). Le volume de vide généré par ces différentes typologies de cavités est estimé à 4.5 millions de m3 et représente une superficie de 170 hectares, le sous-sol de la ville de Lezennes englobant à lui seul 1 million de m3 de vide ! Aujourd’hui, on considère que 80 % des carrières souterraines sont recensées et cartographiées. Il en reste donc encore 20 % à découvrir.
En ce qui concerne l’exploitation de la craie dans des carrières à ciel ouvert, les deux seules carrières à ciel ouvert implantées en périphérie de l’agglomération lilloise ont été créées en 1899 par la Société des Ciments & Chaux Hydrauliques du Nord à Haubourdin (Fig. 5b). Au fil des décennies, l’aire d’extraction de la craie s’est progressivement agrandie jusqu’à Loos pour l’une d’entre elles (carrière de Loos-Haubourdin) et jusqu’à Emmerin pour l’autre (carrière de Loos-Emmerin). Tout en recoupant dans sa partie supérieure les mêmes niveaux que les « catiches » voisines des carrières souterraines du Bon Dieu Noir à Loos, la carrière à ciel ouvert de Loos-Haubourdin, profonde d’une quinzaine de mètres dans sa partie la plus excavée, descend cependant nettement plus bas dans la succession stratigraphique que les carrières souterraines dans la mesure où elle atteint la partie supérieure des craies turoniennes (Amédro & Robaszynski, 2006). Ce paradoxe s’explique par l’existence d’une faille majeure (la faille d’Haubourdin) découpant en WNW-ESE le « Dôme du Mélantois » (Fig. 2). Cette faille, dont le tracé cartographique passe précisément au niveau de la carrière de Loos-Haubourdin, décale verticalement d'une dizaine de mètres le compartiment Nord (soulevé) par rapport au compartiment Sud (affaissé). Son pendage est inconnu mais généralement considéré comme sub-vertical. Grâce à ce décalage vertical de petits compartiments tectoniques, associé à un pendage stratigraphique de quelques degrés, près de 25 m de coupe sont ainsi restés visibles jusqu’à la fermeture de la cimenterie en 1987, celle-ci ayant été rachetée par les Ciments Lafarge en 1975.
Les carrières de craies coniaciennes de Loos, Haubourdin et Emmerin
Les descriptions passées
Une première description relativement détaillée des couches de craies visibles à Loos-Haubourdin a été donnée par Lagaisse en 1902 à l’occasion d’une excursion de la Société Géologique du Nord dans la carrière de la Société Anonyme des Ciments & Chaux Hydrauliques du Nord en 1902. La craie est alors entaillée sur une hauteur de 8 m. L’auteur indique la présence, dans le tiers inférieur de la succession lithologique, de trois bancs de craie jaune et dure nommés tuns (« pierre qui tient ») par les ouvriers carriers (il s’agit de hardgrounds selon la terminologie lithostratigraphique actuelle), séparés par des intervalles constitués de craie blanche tendre, à silex. Le tun inférieur, métrique, correspond au « Gros Tun » suivant la terminologie actuelle, tandis que les tuns supérieurs, pluridécimétriques, correspondent aux « petits tuns ». Le reste de la coupe, soit les deux tiers supérieurs de la succession lithologique, est constitué de craie blanche, d’abord à silex, puis sans silex, incluant, 2 m au-dessus du tun supérieur, une « table de silex plat » corrélée avec l’East Cliff Marl 1 et surmontée quelques décimètres plus haut par un banc pluridécimétrique de craie « assez dure » (firmground selon la nomenclature actuelle). Les citations ultérieures de Gosselet (1902, 1905) reprennent la coupe de Lagaisse.
Les descriptions ultérieures des carrières de la cimenterie d’Haubourdin publiées par Fenet (1965) et Dezwarte et al. (1965) apportent quelques précisions supplémentaires. Premièrement, le Gros Tun est constitué par la superposition de deux bancs distincts épais chacun de 0,60 m. Deuxièmement, un « joint argilo-sableux », interprété aujourd’hui comme étant un équivalent de l’East Cliff Marl 2 du Kent, est présent 3 m au-dessus du banc de tun supérieur. Ces descriptions se révélant au fil du temps d’une précision insuffisante, de nouveaux levés lithologiques avec un degré de résolution de quelques centimètres sont entrepris au sein de la carrière de Loos-Emmerin dans l’intervalle où se trouvent les tuns (Amédro & Robaszynski, 1978). Les observations réalisées dans le cadre de cette étude révèlent que chaque banc de tun est constitué par la superposition de deux hardgrounds. Ces levés lithologiques sont complétés trois décennies plus tard par des récoltes systématiques d’ammonites et d’échinides réalisées banc par banc (Amédro & Robaszynski, 2006).
Grâce à l’ensemble de ces travaux, il est aujourd’hui possible d’interpréter chaque hardground en le corrélant avec les niveaux repères connus régionalement (notamment dans le Boulonnais) et, ainsi, de placer avec précision la limite Turonien-Coniacien au sein de la suite des tuns (Fig. 3). Une corrélation détaillée de la partie inférieure de la succession incluant l’ensemble des hardgrounds situés de part et d’autre de la limite Turonien-Coniacien, a été présentée récemment suite à la description d’un sondage carotté réalisé sur la Cité Scientifique à Villeneuve d’Ascq (Amédro et al., 2023). C’est la raison pour laquelle cet aspect n’est pas repris, d’autant que l’intervalle ciblé dans la présente publication correspond à la craie blanche avec, puis sans silex, située au-dessus des tuns. Il convient néanmoins de signaler que la limite Turonien-Coniacien a été placée dans la littérature au sommet du « Gros Tun » (Fenet, 1965 ; Amédro & Robaszynski 1978) ou au sommet de l’ensemble des « tuns » (Sangnier, 1967 ; Waterlot, 1969 ; Leplat, 1973). Ces deux interprétations sont inexactes. En effet, en tenant compte maintenant de la succession des divers litho-événements, la base du Coniacien coïncide avec la limite supérieure du Navigation Hardground et doit être tracée à Haubourdin au sommet du premier hardground constituant la paire inférieure des petits tuns (Amédro & Robaszynski 2006) (Fig. 3).
L’état des carrières en 2023
Depuis la fermeture de la cimenterie Lafarge en 1987, la carrière de Loos-Haubourdin a été partiellement remblayée et les tuns ne sont plus visibles. La partie supérieure de la coupe reste en revanche accessible dans la carrière de Loos-Emmerin où l’on peut observer une dizaine de mètres de craie blanche, d’abord à silex, puis sans silex (Fig. 5b). C’est dans cet intervalle que se situent l’East Cliff Marl 1, les Shoreham Tubular Flints, l’East Cliff Marl 2 et la limite Coniacien inférieur-Coniacien moyen. Ce même intervalle est bien exposé dans les anciennes carrières souterraines du Bon Dieu Noir à Loos (Fig. 5a).
Les conditions d’observation se révélant plus favorables en surface qu’en souterrain, la description lithologique a été effectuée dans la carrière de Loos-Emmerin. La totalité de la succession lithologique ayant fait l’objet d’un métrage en 1975, à l’époque où les deux carrières de la cimenterie Lafarge étaient encore en exploitation, les levés actuels reprennent la numérotation de l’époque (Amédro & Robaszynski, 1978).
La carrière à ciel ouvert de la Société NORMAT à Emmerin en 2023 (ancienne carrière de Loos-Emmerin)
L’entrée actuelle de la carrière et les fronts de taille exploités en 2023 sont tous localisés à Emmerin. Les coordonnées Lambert 93 du front de taille où les observations et levés ont été réalisées en avril, 2017, septembre 2022 et juillet 2023, sont les suivantes : x = 701 102 ; y = 7 055 483. Le plancher de la carrière est situé à une altitude de 23 m NGF (M. F. Juckel, com. pers.), quelques décimètres au-dessus de la paire supérieure de « petits tuns ». La section visible actuellement débute au niveau 14,80 m de la coupe publiée par Amédro & Robaszynski (1978). Du bas vers le haut, la succession lithologique, entièrement située dans la craie coniacienne, est la suivante (Fig. 6) :
Figure 6
Lithologie des craies du Coniacien inférieur et moyen visibles dans la carrière de Loos-Emmerin en 2023 (ancienne carrière des Ciments Lafarge, devenue carrière de la Société NORMAT) avec, en regard, la position des niveaux repères utilisés pour les corrélations et les principaux macrofossiles collectés. C’est ici qu’a été trouvé, en place durant cette étude au niveau 19,90 m, le premier exemplaire de Volviceramus koeneni (Müller, 1888) connu dans les craies du Nord de la France. La base du Coniacien moyen est prise à l’apparition de l’espèce à 19,40 m.
Lithology of lower and middle Coniacian chalks visible in the Loos-Emmerin quarry in 2023 (former Lafarge Ciments quarry, now NORMAT quarry) with the position of the benchmark levels used for correlations and the main macrofossils collected. It is here that the first specimen of Volviceramus koeneni (Müller, 1888) known in the chalks of northern France has been found during this study at level 19,90 m. The base of the middle Coniacian is taken at the appearance of this species at level 19,40 m.
- Craie blanche à silex
14,80 m : plancher de la carrière en juillet 2023 ;
14,80 m à 15,50 m : craie blanche, tendre, fine, traçante ;
15,50 m à 15,75 m : lit de très gros silex noduleux, pluridécimétriques, noirs à cortex blanc, proches les uns des autres. Ce niveau constitue un excellent repère visuel à la base du front de taille ;
15,75 m à 16,70 m : craie blanche à silex, tendre, fine, contenant quelques silex disséminés et un lit de silex décimétriques à 16,50 m ;
16,70 m à 16,72 m : lit de silex parfois en rognons, mais le plus souvent en forme de dalles métriques à plurimétriques épaisses de 1 à 2,5 cm. Localement, les dalles fusionnent, formant alors un véritable lit de silex tabulaire. Ce mince lit de silex paraît correspondre à l’East Cliff Marl 1 tel qu’on l’observe dans le Kent et le Boulonnais ;
16,72 m à 18,00 m : craie blanche à silex, tendre, fine, traçante, incluant entre 17,20 m et 17,30 m un hardground abondamment bioturbé, constitué de nodules de craie indurée, jaunâtres, de 2 à 5 cm de diamètre. Latéralement, ce banc dur passe à un firmground un peu moins épais, mais toujours bien exprimé (Fig. 7a). C’est dans ce niveau durci que l’un d’entre nous (F.A.) a trouvé en 1982 un exemplaire de l’ammonite Peroniceras tridorsatum (Schlüter, 1867), une espèce caractéristique du Coniacien inférieur élevé. Les intervalles 16,80 m-17,10 m et surtout 17,50 m-17,80 m sont caractérisés par une abondance de petits silex tubulaires, centimétriques en section, distants de 10 à 15 cm les uns des autres. Un de ces silex tubulaires, oblique par rapport à la stratification, est long de 40 cm et présente un diamètre d’1,5 cm (Fig. 7a). Selon l’avis de notre collègue britannique le professeur Andy Gale, il s’agit typiquement d’un tube d’annélide tubicole nommé Terebella lewesiensis (Davies, 1879). Ces silex tubulaires présents dans l’intervalle 16,80 m-17,80 m correspondent aux Shoreham Tubular Flints du Sussex et du Kent (Mortimore, 1986 ; Mortimore et al., 2001) ;
18,00 m à 18,05 m : niveau gris-beige, paraissant plus marneux, légèrement en creux dans le front de taille (Fig. 7). Ce niveau repère est constitué de filets marneux gris, onduleux, millimétriques, très abondants à la base, se raréfiant au-dessus. Il s’agit de l’East Cliff Marl 2. Ce lit marneux a été identifié en Angleterre comme étant une bentonite (Wray, 1999). Un prélèvement réalisé à Haubourdin, analysé à Dijon par le professeur Jean-François Deconinck, n’a pas révélé la présence d’importante proportion de smectite. Il ne s’agit pas d’une bentonite. Il est probable que la bioturbation intense, dans une aire à sédimentation réduite et dans une série ultra-condensée (Amédro et al., 2023), ait entraîné une dilution des éléments d’origine volcanique ;
Figure 7
Carrière NORMAT à Emmerin. a) Détail d’un ancien front de taille exposant les Shoreham Tubular Flints, dont un exemplaire est bien visible, encadrés au-dessus par l’East Cliff Marl 2 et en dessous par le firmground présent à 17,30 m. © F. Graveleau. b) Détail de l’East Cliff Marl 2 et du lit de gros silex en rognons situé 0,30 m au-dessus. © F. Graveleau. Ces deux horizons représentent de très bons niveaux repères sur la carrière.
NORMAT quarry in Emmerin. a) Detail of an old working face exposing the Shoreham Tubular Flints (one example is clearly visible), framed above by the East Cliff Marl 2 and below by the firmground present at 17,30 m. © F. Graveleau. b) Detail of East Cliff 2 and the bed of large chipped flints located 0,30 m above. © F. Graveleau. These two horizons represent very good career benchmarks.
18,05 m à 18,40 m : craie blanche, tendre et fine ;
18,40 m à 18,50 m : lit de gros silex cornus décimétriques, proches les uns des autres. Associé à l’East Cliff Marl 2 situé 0,30 m plus bas, ce lit de silex constitue un excellent repère le long du front de taille (Fig. 5.b & 7.b) ;
18,50 m à 19,40 m : craie blanche à silex, tendre, fine, traçante avec, à 19,00 m, un lit discret de petits silex pluricentimétriques espacés les uns des autres de plusieurs décimètres ;
19,40 m à 20,00 m : craie blanche à silex, tendre, fine, traçante, incluant à 19,95 m un lit de silex décimétriques, distants de 10 à 15 cm les uns des autres. Latéralement, ce lit s’effiloche, les silex devenant de plus en plus épars, puis rares. La particularité de ce banc crayeux par rapport au niveau précédent est l’apparition de très nombreux fragments d’inocérames appartenant aux genres Platyceramus et Volviceramus. Dans le détail, l’intervalle débute entre 19,40 m et 19,60 m par un banc riche en inocérames plats rapportés à l’espèce Platyceramus mantelli (de Mercey, 1872). La plupart sont des fragments de coquilles, constituant ce que les ouvriers carriers appelaient des « soies », d’où le nom de « craie à soies » parfois donné à ces niveaux (Fig. 8). À ces inocérames plats s’ajoutent des formes « bombées », représentées par l’espèce Volviceramus koeneni (Müller, 1888), dont un spécimen typique a été collecté un peu plus haut à 19,90 m (détermination I. Walaszczyk, Varsovie) (Fig. 9). Il s’agit de la première citation de ce taxon de ce côté-ci de la Manche. Jusqu’à présent l’espèce était connue au sein du Bassin anglo-parisien uniquement dans les craies du sud-est de l’Angleterre (Mortimore et al., 2001). Le banc riche en Platyceramus et Volviceramus identifié dans l’intervalle 19,40 m-19,60 m correspond vraisemblablement au lit « presque continu » suivi par Charles Barrois en 1878 en Angleterre, ainsi que dans le Nord et l’Est du bassin de Paris. L’apparition concomitante des genres Volviceramus et Platyceramus étant le critère définissant la base du Coniacien moyen, la limite Coniacien inférieur-Coniacien moyen peut être tracée avec précision dans la succession lithologique des carrières d’Emmerin, Haubourdin et Loos au niveau 19,40 m, soit quelques décimètres seulement sous la limite entre la Craie blanche à silex, et la Craie blanche (sans silex) au-dessus ;
Figure 8
Volviceramus associé à de nombreux débris de Platyceramus (P) dans un des lits décimétriques riches en fragments de coquilles d’inocérames visibles au toit des carrières souterraines du Bon Dieu Noir à Loos, ici au niveau 22,00 m-22,10 m. Ces fragments de coquilles vus en section constituent la « craie à soies » des anciens ouvriers carriers. Base de la Craie blanche sans silex, Coniacien moyen. © F. Graveleau.
Volviceramus associated with numerous remains of Platyceramus (P) in one of the decimetric beds rich in fragments of inoceram shells visible on the ceiling of the underground quarries of Bon Dieu Noir in Loos, here at level 22,00 m-22,10 m. These shell fragments seen in section constitute the “bristle chalk” of the ancient quarry workers. Base of White Chalk without flint, Middle Coniacian. © F. Graveleau.
Figure 9
Volviceramus koeneni (Müller, 1888). Spécimen recueilli au niveau 19,90 m, à la limite supérieure de la Craie blanche à silex, 1,90 m au-dessus de l’East Cliff Marl 2, dans la carrière NORMAT à Emmerin (ex. carrière des Ciments Lafarge) ; Coniacien moyen. (a) : le spécimen vu en place au sein du front de taille de la carrière © F. Chanier ; (b) les deux valves dégagées de leur gangue crayeuse © J. Dziudzia.
Volviceramus koeneni (Müller, 1888). Specimen collected during this study, at level 19,90 m, at the upper limit of the White Chalk with flints, 1,90 m above East Cliff Marl 2, in the NORMAT quarry in Emmerin (former Lafarge quarry); Middle Coniacian. (a): the specimen seen on the outcrop © F. Chanier; (b) the two valves extracted from their matrix © J. Dziudzia.
- Craie blanche (sans silex)
20,00 m à 24,00 m (fin de la coupe) : craie blanche sans silex dans laquelle on observe plusieurs lits riches en fossiles situés respectivement à :
20,20 m-20,45 m : nombreuses éponges de type Paraplocia, souvent ferruginisées et jaunâtres, associées à de fragments de coquilles de Platyceramus mantelli et à des Volviceramus involutus (J. de C. Sowerby, 1829) ;
21,50 m : lit continu d’éponges ;
22,00 m-22,10 m : abondance de Platyceramus associés à quelques Volviceramus et à des éponges ;
23,40 m-23,50 m : concentration en Platyceramus et Volviceramus, accompagnés de quelques éponges ferruginisées rapportées aux genres Siphonia, Paraplocia et Rhizopoterion.
Quelques fossiles sont également épars dans la masse de la craie blanche, en particulier des Volviceramus involutus à 20,20 m, 20,70 m et 21,80 m et des échinides spatangoïdes appartenant à l’espèce Micraster coranguinum (Leske, 1778) à 20,10 m et 22,20 m.
En définitive, la moitié inférieure du front de taille de la carrière (de 14,80 m à 20,00 m) expose une craie blanche à silex dans laquelle on peut identifier trois niveaux repères connus dans le Coniacien inférieur du Sud-Est de l’Angleterre et du Nord de la France, successivement l’East Cliff Marl 1 (à 16,70 m), les Shoreham Tubular Flints (dans l’intervalle 16,80 m-17,80 m) et l’East Cliff Marl 2 (à 18,00 m) (Fig. 5b, 6 et 7). La moitié supérieure de la coupe (de 20,00 m à 24,00 m) expose quant à elle une craie blanche sans silex entrecoupée d’au moins quatre niveaux fossilifères (écoévénements) riches en inocérames (Platyceramus et Volviceramus) situés respectivement à 19,40 m-19,60 m, à 20,20 m-20,45 m, à 22,00 m-22,10 m et enfin à 23,40 m-23,50 m.
La limite Coniacien inférieur-Coniacien moyen est placée à 19,40 m, au niveau où apparaissent les premiers Platyceramus mantelli et Volviceramus koeneni, soit 0,60 m sous le sommet de la craie à silex.
Les carrières souterraines du « Bon Dieu Noir » à Loos
Les carrières souterraines du « Bon Dieu Noir » sont situées sur le territoire de la commune de Loos (Fig. 2). Elles sont recoupées à certains endroits par la vaste carrière à ciel ouvert de Loos-Emmerin (Leplat, 1973). Les anciennes exploitations souterraines en forme de bouteilles apparaissent alors à l’air libre. Le plancher des « catiches », profondes d’une douzaine de mètres (Fig. 5a), correspond au niveau 16,60 m de la coupe de l’ancienne carrière des Ciments Lafarge à Haubourdin (Fig. 6). Le sommet des catiches atteint des niveaux un peu plus élevés dans la craie blanche sans silex que la carrière à ciel ouvert de Loos-Emmerin. L’impossibilité d’accéder à ces niveaux supérieurs ne permet malheureusement pas d’en donner une description lithologique.
Les carrières souterraines du « Bon Dieu Noir » sont particulièrement bien conservées. Elles exposent à leur base et de façon beaucoup plus spectaculaire que dans la carrière à ciel ouvert de Loos-Emmerin, l’East Cliff Marl 1, les Shoreham Tubular Flints, l’East Cliff Marl 2 (Fig. 10) et enfin, au plafond de plusieurs galeries horizontales reliant les catiches, de nombreux et grands exemplaires de Platyceramus mantelli et Volviceramus involutus (Fig. 8). Les lits riches en inocérames visibles au toit des galeries souterraines correspondent aux niveaux d’abondance décrits à Loos-Emmerin dans les intervalles 22,00 m-22,10 m et 23,40 m-23,50 m. De façon comparable à ce que l’on observe dans la carrière à ciel ouvert NORMAT, le niveau marneux de l'East Cliff Marl 2 associé 30 cm plus haut au niveau de silex cornus constitue un très bon repère visuel au sein des carrières du « Bon Dieu Noir ».
Figure 10
Carrières souterraines du Bon Dieu Noir à Loos. a) Vue du front de taille d’une chambre d’extraction montrant le sommet de la Craie à silex et la partie inférieure de la Craie blanche. © F. Chanier. b) Détail montrant, du bas vers le haut, l’East Cliff Marl 1, ici oblitéré et remplacé par un lit de silex tabulaire, un niveau décimétrique durci (firmground), malheureusement peu visible sur la photo, les Shoreham Tubular Flints et enfin l’East Cliff Marl 2. © F. Graveleau.
Underground Bon Dieu Noir quarries in Loos. a) View of the working face of an extraction chamber showing the top of the Flint Chalk and the lower part of the White Chalk. © F. Chanier. b) Detail showing, from bottom to top, the East Cliff Marl 1, here obliterated and replaced by a bed of tabular flint, a hardened decimetric level (firmground), unfortunately not very visible in the photo, the Shoreham Tubular Flints and finally the East Cliff Marl 2. © F. Graveleau.
Les carrières de craies coniaciennes de Faches-Thumesnil
La commune de Faches-Thumesnil est en partie construite au-dessus de carrières souterraines. La carrière étudiée, constituée d’un ensemble de catiches reliées les unes aux autres, est située au sud-est de la localité. Sa position géographique exacte n’est toutefois pas indiquée dans la mesure où la descenderie se trouve sur un terrain privé. La base de la coupe est prise sous le plancher de la carrière, dans un puits qui, le jour du levé lithologique, était partiellement rempli d’eau (Fig. 11b). Le sol de la carrière est situé dans la plupart des catiches au niveau 1,60 m et, dans les zones les plus basses, vers 1 m au-dessus de la base de la coupe levée (Fig. 12). Cette coupe, levée en mars 2024, expose la succession lithologique suivante, du bas vers le haut (Fig. 11 et 12a, b) :
Figure 11
Carrières souterraines à Faches-Thumesnil. a) vue du front de taille des catiches ; b) Vue du puits © F. Chanier.
Underground quarries in Faches-Thumesnil. a) view of the working surface of the catiches ; b) View of the well © F. Chanier.
- Craie blanche à silex
0 à 1,80 m : craie blanche, tendre, fine, traçante, incluant à 0,20 m un lit continu de silex tabulaire noir épais de 1 à 3 cm suivant les endroits et, à 1,40 m, une passée décimétrique plus cohérente qui correspond à un firmground. L’intervalle 0,60 m-1,60 m renferme de nombreux petits silex tubulaires, centimétriques en section, souvent subverticaux. La comparaison de cet intervalle avec les coupes d’Haubourdin-Emmerin-Loos permet d’identifier l’East Cliff Marl 1 (oblitéré par de la silice) à 0,20 m et les Shoreham Tubular Flints dans l’intervalle 0,60 m-1,60 m ;
1,80 m à 1,83 m : niveau marneux gris-beige correspondant, par sa position géométrique dans la succession lithologique, à l’East Cliff Marl 2 ;
1,83 m à 3,20 m : craie blanche tendre avec, à 2,10 m, un lit de gros silex pluridécimétriques noirs, cornus, à cortex gris-blanc, très proches les uns des autres, presque coalescents, puis au-dessus, respectivement à 2,50 m et 3,20 m, deux lits de petits silex distants de quelques décimètres les uns des autres. Trois échinides spatangoïdes appartenant à l’espèce Micraster coranguinum ont été observés à 2,60 m, 2,70 m et 3,15 m. Un lit riche en éponges ferruginisées (Paraplocia) est également présent à 2,70 m ;
- Craie blanche (sans silex)
3,20 m à 6,50 m (fin de la coupe) : craie blanche tendre, fine, traçante, sans silex, incluant plusieurs lits riches en éponges à 3,80 m, 4,05 m, 4,40 m et 5,40 m, ainsi que quatre bancs contenant de nombreux fragments d’inocérames situés respectivement à :
3,20 m-3,35 m (Platyceramus mantelli et Volviceramus koeneni) ;
4,40 m-4,65 m (Platyceramus et Volviceramus involutus) ;
5,65 m-5,80 m (Platyceramus) ;
6,15 m-6,20 m (Platyceramus).
Un spécimen isolé de Volviceramus, probablement involutus, a été également observé à 4,10 m.
La succession lithologique visible dans les carrières souterraines de Faches-Thumesnil est semblable à celle décrite 3,4 km à l’ouest à Haubourdin, Loos et Emmerin. On y retrouve l’East Cliff Marl 1 (oblitéré par de la silice) à 0,20 m, les Shoreham Tubular Flints dans l’intervalle 0,60 m-1,60 m et l’East Cliff Marl 2 à 1,80 m. À la base de la Craie blanche, on retrouve également plusieurs lits riches en Platyceramus et Volviceramus, le plus ancien caractérisé par l’espèce V. koeneni, les suivants par V. involutus. L’apparition de la première espèce marque la limite entre Coniacien inférieur et Coniacien supérieur.
Figure 12
Lithologie des craies coniaciennes visibles dans les carrières souterraines (catiches) de Faches-Thumesnil.
Lithology of Coniacian chalks observed in the underground quarries (catiches) of Faches-Thumesnil.
Les carrières de craies coniaciennes de Ronchin
Le puits d’accès de la carrière décrite ici, également fermée au public, est situé au sud de la commune. Comme à Faches-Thumesnil, il s’agit essentiellement d’un ensemble de catiches reliées les unes aux autres. Toutefois, une partie de la carrière est aussi constituée de galeries horizontales avec des chambres d’extraction séparées par des piliers crayeux, ce qui conduit à attribuer cette exploitation au type « mixte ». Le niveau 0 est pris à la hauteur d’un lit de silex tabulaire qui constitue un excellent repère visuel à la base d’une grande partie des catiches (Fig. 13). Du bas vers le haut, la succession lithologique est la suivante (Fig. 13 et 14).
Figure 13
Carrières souterraines à Ronchin. © F. Graveleau.
Underground quarries in Ronchin. © F. Graveleau.
- Craie (piquetée) à silex
-1,10 m à 0 m : craie blanche, tendre, fine, traçante, ponctuée de grains infra-millimétriques de glauconie. La glauconie est éparse et visible uniquement à la loupe, ce qui n’altère en rien la teinte blanche de la craie. Un lit de gros silex noirs, en rognons, dont certains atteignent 10 cm, est présent à -0,65 m. Latéralement, ce lit tend à former des dalles, sans toutefois se transformer en lit de silex tabulaire ;
0 m à 0,02 m : lit continu de silex tabulaire noir dont l’épaisseur varie suivant les endroits de 1 à 3 cm ;
- Craie piquetée
0,02 m à 2,00 m : craie blanche, tendre, fine, traçante, ponctuée de grains infra-millimétriques de glauconie. La teneur en glauconie est identique à celle de l’unité précédente. Un niveau durci épais de 5 cm (firmground) est présent à 0,90 m, ainsi que plusieurs éponges ferruginisées entre 1,30 m et 1,60 m ;
- Craie blanche (sans silex)
2,00 m à 9,60 m : craie blanche, tendre, fine, traçante, dépourvue de glauconie. Le toit des galeries horizontales à chambres et piliers est situé vers le niveau 4 m, tandis que les catiches atteignent des niveaux plus élevés. Plusieurs lits décimétriques riches en Platyceramus mantelli, dont certains exemplaires ont une coquille atteignant plus de 60 cm, sont repérés à 2,30 m-2,40 m, puis à 3,80 m-4,00 m et enfin à 6,20 m-6,40 m. Des Volviceramus involutus sont associés aux Platyceramus dans les deux niveaux supérieurs. Il est probable que le niveau inférieur corresponde au niveau d’occurrence de l’espèce antérieure (V. koeneni), mais nous n’y avons observé aucun représentant du genre au cours de nos investigations. La valve droite, costulée, d’un Volviceramus involutus de grande taille (30 cm) est visible dans la partie supérieure d’une catiche au niveau 9,40 m.
Tout en retrouvant, comme dans les carrières précédentes, la superposition de craie avec, puis sans silex, les 3,10 m inférieurs de la coupe présentent un fait nouveau : l’apparition de fins grains épars de glauconie. La faible proportion de ce minéral au sein de la craie ne change en rien la teinte de la roche qui reste blanche. Le lit de silex tabulaire observé au niveau 0 est interprété comme équivalent à l’East Cliff Marl 1 surmonté quelques décimètres plus haut par un firmground, de façon comparable à ce que l’on observe à Loos-Emmerin, Haubourdin et Faches-Thumesnil. Le niveau marneux correspondant à l’East Cliff Marl 2 n'a quant à lui pas été observé et semble disparaître entre Faches-Thumesnil et ici à Ronchin.
Figure 14
Lithologie des craies coniaciennes visibles dans les carrières souterraines (catiches) de Ronchin.
Lithology of Coniacian chalks observed in the underground quarries (catiches) of Ronchin.
Les carrières de craies coniaciennes de Lezennes
À la différence des carrières du « Bon Dieu Noir » à Loos, de celles de Faches-Thumesnil et dans une certaine mesure de celles de Ronchin (constituées de nombreuses « catiches » alignées et juxtaposées, communiquant entre elles à leur base par des portes), les carrières de Lezennes sont essentiellement des galeries souterraines plus ou moins horizontales reliées à la surface par des puits verticaux de 8 à 15 m de profondeur (Codde et al., 2009 ; Dubois, 2009). Dans certains cas semblant correspondre au plus ancien type d’exploitation, les galeries sont organisées en couloirs plus ou moins sinueux et de longueur variable. Mais il s’agit souvent de galeries parallèles creusées en tenant compte des directions de fracturation, reliées entre elles par des passages perpendiculaires et formant un quadrillage régulier. La hauteur des galeries atteint en moyenne 3 m à 3,50 m et la largeur 4 m à 5 m.
Figure 15
Lithologie des craies coniaciennes visibles en septembre 2022 dans les carrières souterraines de Lezennes. La coupe est prise dans la chambre d’extraction nommée « lac bleu » qui était alors à sec suite à la sécheresse exceptionnelle de l’année concernée.
Lithology of Coniacian chalks observed in September 2022 in the underground quarries of Lezennes. The section is taken from the extraction chamber called “blue lake” which was dry after the exceptional drought of year 2022.
Les carrières souterraines de Lezennes recoupant uniquement la moitié supérieure des niveaux glauconieux (Gosselet, 1870), la première coupe complète de la Craie glauconieuse de Lezennes a été publiée par Cayeux (1889) à partir d’observations réalisées dans des puits creusés à l’occasion d’une tentative avortée d’exploitation des nodules de phosphate de calcium présents dans les tuns. Une nouvelle description de la succession lithologique visible au sein des carrières, prise en un point nommé « lac bleu » en raison de l’émergence fréquente de la nappe de la craie en périodes de hauts niveaux piézométriques, vient d’être publiée (Amédro et al., 2023). Cette description est reprise dans la figure 15 avec une modification correspondant à un événement lithologique qui avait échappé à notre première observation. Il s’agit de la présence d’un niveau durci décimétrique (firmground) présent 0,60 m au-dessus du 1er Tun. Ce niveau semi-induré, beaucoup plus discret que le hardground sous-jacent, est situé dans la partie inférieure de la Craie piquetée (de glauconie), ou « Craie à bâtir » et plus précisément dans ce que les ouvriers appelaient le « Banc du Tun » (Fig. 16a). Pour mémoire, les carriers distinguaient deux bancs au sein de la Craie piquetée. À la base, le « Banc du Tun » (1,50 m) est constitué de craie assez grossière, bioclastique, reposant sur le 1er Tun (Fig. 16b), d’où son appellation. Au-dessus, le « Banc des Roux » (1,50 m également) est ainsi nommé en raison de la présence de quelques « rognons de fer » (en réalité des nodules de pyrite) et surtout de nombreuses éponges ferruginisées (Fig. 17). Les 0,60 m inférieurs de la Craie piquetée, jusqu’au firmground inclus, sont encore franchement glauconieux et verdâtres. En revanche, la teneur en glauconie diminue rapidement vers le haut dans le reste de la Craie piquetée qui présente une teinte blanchâtre (Fig. 16a).
Figure 16
Carrières souterraines de Lezennes. a) Vue d’ensemble d’un pilier de soutènement situé au niveau du « lac bleu », à l’endroit où les carrières atteignent leur niveau le plus profond. © F. Graveleau. b) Vue rapprochée du 1er Tun qui apparait sous l’aspect d’un hardground noduleux complexe. © F. Graveleau.
Underground quarries of Lezennes. a) Overview of a retaining pillar located at the “blue lake”, where the quarries reach their deepest level. © F. Graveleau. b) Close-up view of the 1st Tun which appears as a complex nodular hardground. © F. Graveleau.
D’un point de vue paléontologique, les deux ammonites recueillies au XIXe siècle dans les carrières souterraines de Lezennes, préservées dans les collections du Musée d’Histoire naturelle de Lille et qui ont été décrites et figurées par Amédro & Robaszynski (1978 ; 2006) sous le nom de Peroniceras tridorsatum (Schlüter, 1867), proviennent de la Craie piquetée. La faible teneur en glauconie de la craie dont elles sont constituées suggère que leur niveau de récolte pourrait correspondre à la partie supérieure du « Banc du Tun ».
En outre, une seconde découverte à caractère paléontologique est également à signaler dans les carrières de Lezennes. Il s’agit de l’observation au toit des galeries de deux Volviceramus koeneni complets, pourvus de leurs deux valves. L’un des spécimens a fait l’objet d’un scan 3D par Michel Dubois (Université de Lille) ce qui permettra d’en réaliser une impression en relief.
Figure 17
Deux éponges ferruginisées fréquentes au sein des craies coniaciennes de l’agglomération lilloise. a) Ventriculites chonoides (Mantell, 1822) © F. Chanier ; b) Paraplocia labyrinthica (Mantell, 1822) © F. Chanier.
Two common ferruginized sponges in the Coniacian chalks of the Lille area. a) Ventriculitis chonoids (Mantell, 1822) © F. Chanier; b) Paraplocia labyrinthica (Mantell, 1822) © F. Chanier.
Comparaison des coupes
La figure 18 présente une corrélation de l’ensemble des carrières étudiées, échelonnées sur une distance de 8 km entre Loos-Haubourdin à l’ouest et Ronchin à l’est. Deux coupes complémentaires, décrites antérieurement par nous-mêmes, sont également illustrées afin d’obtenir un meilleur aperçu des variations latérales de faciès et d'épaisseur au sein des craies coniaciennes à l’échelle de l’agglomération. La première coupe complémentaire est l’intervalle 7 m-15 m de l’ancienne cimenterie d’Haubourdin qui précède l’intervalle 15 m-24 m décrit ici et qui exposait jusqu’au début des années 1990 les « tuns » (Amédro & Robaszynski, 1978, 2006). La seconde coupe complémentaire est le forage de la Cité scientifique de Villeneuve d’Ascq qui a traversé la totalité de la Craie glauconieuse de Lezennes (Amédro et al., 2023). La corrélation entre les successions ultra-condensées d’Haubourdin et de Villeneuve d’Asq, prise dans l’intervalle où se situent les tuns, vient d’être discutée par Amédro et al. (2023) et n’est pas reprise ici. En revanche, deux niveaux repères indiqués sur la figure 18, mais non cités dans la liste des événements inventoriés au début de cette publication, nécessitent une courte description.
Figure 18
Corrélations à l’aide de la stratigraphie événementielle dans les craies coniaciennes de la région de Lille. fg = firmground.
Correlations using event stratigraphy in the Coniacian chalks of the Lille region. fg = firmground.
À la base de l’intervalle présenté dans la figure 18, les Bantam Hole Hardgrounds (ici un seul hardground composite) sont un ensemble de 2 (à Caffiers) à 4 (à Douvres) hardgrounds présents de façon constante dans les falaises de la Manche une trentaine de mètres sous le Navigation Hardground. C’est à ce niveau qu’apparaissent les premiers Sternotaxis plana (Mantell, 1822). Juste au-dessus (10 à 15 m plus haut dans les falaises de la Manche), les Lighthouse Down Hardgrounds (représentés ici également par un seul hardground composite) sont un faisceau de 3 à 5 hardgrounds très fossilifères, échelonnés sur une hauteur de 5 à 6 mètres. Les échinides abondent dans ces hardgrounds : S. plana, Micraster leskei d’Orbigny, 1855, ainsi que les ammonites : Lewesiceras mantelli Wright & Wright, 1951, Subprionocyclus bravaisianus (d’Orbigny, 1841), Sciponoceras bohemicum bohemicum (Fritsch, 1872), Scaphites geinitzii d’Orbigny, 1850, Hyphantoceras reussianum (d’Orbigny, 1850), etc.
L’examen de la figure 18 amène un certain nombre de remarques concernant la Craie glauconieuse de Lezennes, la craie piquetée (de glauconie), l’évolution latérale des niveaux marneux East Cliff Marls 1 et 2, le niveau de disparition des silex et enfin les variations d’épaisseur de plusieurs intervalles.
La Craie glauconieuse de Lezennes. Cette unité stratigraphique présente à l’est de la métropole lilloise correspond à l’intervalle allant de la limite supérieure du Lighthouse Down Hardground jusqu’au Light Point Hardground inclus. Nous avions espéré qu’en nous déplaçant vers l’ouest, certaines carrières localisées à Ronchin ou à Faches-Thumesnil recouperaient partiellement cette portion de la succession lithologique. Notre but était de comprendre comment s’effectue la transition entre la Craie glauconieuse de Lezennes (sans silex) et la craie blanche à silex (non glauconieuse) qui affleure largement dans les carrières de Loos, Haubourdin et Emmerin. Cette question reste non résolue.
La craie piquetée de glauconie. En revanche, des éléments intéressants peuvent être apportés en ce qui concerne la craie piquetée de glauconie qui surmonte la Craie glauconieuse de Lezennes à Villeneuve d’Ascq et Lezennes. Tout particulièrement si l’on examine l’intervalle compris entre la limite supérieure du Light Point Hardground et le niveau d’apparition des lits riches en débris de coquilles d’inocérames (Platyceramus et Volviceramus). On constate en effet que, dans le secteur de Loos-Haubourdin-Emmerin ainsi qu’à Faches-Thumesnil, la craie est riche en silex sur toute la hauteur de l’intervalle et totalement dépourvue de glauconie.
La succession lithologique change à Ronchin. Premièrement, de fins grains épars de glauconie apparaissent dans une craie qui devient « piquetée », tout en restant blanche et lardée de quelques niveaux de silex. Deuxièmement, les silex disparaissent au-dessus de l’East Cliff Marl 1 qui est remplacé ici, comme dans les coupes situées plus à l’ouest, par un lit de silex tabulaire. À Lezennes et Villeneuve d’Ascq, la disparition des silex s’étend à la totalité de l’intervalle. Parallèlement, la teneur en glauconie augmente sensiblement dans la partie inférieure de la « Craie piquetée » qui prend une teinte gris-verdâtre. Cette augmentation de la teneur en glauconie concerne uniquement la base de l’unité lithologique à Lezennes où elle est observée jusqu’à la limite supérieure du firmground situé 0,60 m au-dessus du 1er Tun, tandis qu’à Villeneuve d’Ascq, la glauconie abondante monte plus haut, un demi-mètre au-dessus du firmground. La Craie glauconieuse de Lezennes et la partie inférieure de la « Craie piquetée » prennent alors le faciès d’un véritable « Tourtia », c’est-à-dire d’un niveau transgressif, glauconieux et ultra-condensé.
L’évolution latérale des East Cliff Marls. Le suivi des différents niveaux repères identifiés au sein du même intervalle apporte également des informations intéressantes. Le seul niveau repère continu, présent dans toutes les coupes étudiées à travers l’agglomération lilloise, est le firmground décrit à Loos-Haubourdin au sein des Shoreham Tubular Flints (fg sur Fig. 18). En dessous, l’East Cliff Marl 1, oblitéré par de la silice, disparaît entre Ronchin et Lezennes là où la glauconie devient abondante. Au-dessus, l’East Cliff Marl 2 est préservé sous son aspect classique par un niveau marneux décimétrique à Loos-Haubourdin-Emmerin, mais il n’est pas représenté à Ronchin, Lezennes et Villeneuve d’Ascq où l’enregistrement sédimentaire est beaucoup plus condensé qu’à Loos-Haubourdin et Faches-Thumesnil. Suivant l’avis de notre collègue britannique, le professeur Andy Gale, il est probable que l’East Cliff Marl 2 soit oblitéré dans l’aire où se développe la Craie glauconieuse de Lezennes, mais que sa position géométrique coïncide avec la surface supérieure du firmground. Le balayage du fond marin par les courants, dans un environnement peu profond, a probablement empêché le dépôt des particules argileuses.
La disparition des silex. Le niveau de disparition des silex est diachrone dans les craies coniaciennes de l’agglomération lilloise. La comparaison des coupes montre qu’il s’agit d’un événement n’ayant aucune valeur stratigraphique. À l’ouest et au sud de Lille (Haubourdin, Emmerin, Loos et Faches-Thumesnil), les derniers silex sont observés 0,40 m au-dessus de la limite Coniacien inférieur-Coniacien moyen, soit 1,50 m à 2 m au-dessus de l’East Cliff Marl 2. Toujours au sud, mais à Ronchin, l’événement se produit au contraire sous la position présumée de l’East Cliff Marl 2, au niveau de l’East Cliff Marl 1. Enfin à l’est (Lezennes et Villeneuve d’Ascq), la disparition des silex s’effectue 7,50 m sous la limite Coniacien inférieur-Coniacien moyen, entre les 2e et 3e Tuns, soit entre le Navigation Hardground et le Lighthouse Down Hardground. Comme synthétisé sur la figure 19, l’apparition du faciès « craie blanche » (sans silex) n’est pas un événement isochrone, même à l’échelle de quelques kilomètres. Il ne convient pas alors d’attribuer un sens chronostratigraphique aux termes lithologiques (Craie à cornus, Craie piquetée, Craie blanche à silex, Craie blanche) utilisés dans la littérature à l’échelle régionale qui, selon nous, correspondent plus à des lithofaciès qu’à de véritables unités stratigraphiques.
Figure 19
Positionnement des « unités stratigraphiques » (i.e., faciès) utilisées dans la littérature par rapport aux niveaux repères identifiés dans les craies coniaciennes de la région de Lille. G.T signifie "Gros Tun", p.t.1 = "1re paire de petits tuns", p.t.2 = "2e paire de petits tuns", respectivement.
Positioning of “stratigraphic units” (i.e., facies) used in the literature in relation to the benchmark levels identified in the Coniacian chalks of the Lille region. G.T. means "Gros Tun", p.t.1 = "1st pair of small tuns", p.t.2 = "2nd pair of small tuns", respectively.
Les variations d’épaisseur. Une dernière remarque concerne les variations d’épaisseur observées au sein des craies du Coniacien inférieur au sein de la métropole lilloise. Alors que la tendance générale montre une réduction d’épaisseur de l’enregistrement sédimentaire en allant de l’ouest (Haubourdin-Loos-Emmerin) vers l’est (Lezennes-Villeneuve d’Ascq), le quasi triplement d'épaisseur de l’intervalle compris entre le firmground situé sous l'East Cliff Marl 2 et le premier lit riche en Platyceramus mantelli et Volviceramus koeneni (= base du Coniacien moyen) entre Ronchin et Lezennes interpelle. Cette observation pourraît ne pas être anodine sur une si courte distance et pose de nouveau la question d’un éventuel contrôle tectonique ou morphostructural de la sédimentation au niveau de la structure « anticlinale » du Mélantois au cours du Crétacé supérieur.
Pour terminer cette discussion, Gale (2024) vient de publier une corrélation des craies coniaciennes du Bassin anglo-parisien où sont illustrées plusieurs coupes de la région lilloise que nous lui avions montrées en mars 2024. Cette présentation à grande échelle concorde avec les résultats présentés ici, sauf en ce qui concerne l’interprétation du niveau marneux décrit au niveau 18,00 m-18,05 m dans la carrière à ciel ouvert de Loos-Emmerin et au niveau 1,80 m-1,83 m à Faches-Thumesnil. Il s’agit selon nous de l’East Cliff Marl 2, tandis que notre collègue y voit l’East Cliff Marl 1. Le problème dans l’interprétation de Gale est que, dans ce cas, les Shoreham Tubular Flints seraient situés géométriquement sous l’ECM 1 alors que, suivant la définition originelle de Mortimore (1983), ils se trouvent dans l’intervalle compris entre l’ECM 1 et l’ECM 2 (Mortimore et al., 2001), une observation confirmée dans toutes les coupes décrites au sud-est de l’Angleterre (Île de Wight, Sussex, Kent ; cf. Mortimore et al., 2001).
La craie glauconieuse de Lezennes à Sainghin-en-Mélantois
L’extension géographique de la Craie glauconieuse de Lezennes est localisée sur une aire relativement restreinte, limitée à la partie orientale de l’agglomération lilloise et qui englobe le quartier de Fives à Lille, ainsi que les communes d’Hellemmes, Lezennes, Villeneuve d’Ascq (Cité Scientifique) et Sainghin-en-Mélantois (Amédro et al., 2023). Il ne s’agit pas d’une limite d’érosion ou d’affleurement dans la mesure où les craies du Turonien supérieur-Coniacien sont présentes dans le sous-sol de toute l’agglomération, mais bien de l’aire où les faciès crayeux s’enrichissent en glauconie. Dans l’état actuel des connaissances, la Craie glauconieuse de Lezennes est interprétée comme un « Tourtia », c’est-à-dire comme un niveau glauconieux transgressif, développé localement sur la bordure nord-est du bassin parisien aux confins de la limite Turonien-Coniacien à l’occasion de l’intervalle transgressif d’un cycle eustatique de 3e ordre superposé à une phase transgressive de 2e ordre (Gale, 1996 ; Amédro et al., 2023).
Si la description lithologique la plus récente de la Craie glauconieuse de Lezennes est celle du forage de la Cité Scientifique à Villeneuve d’Ascq (Amédro et al., 2023), une autre description de cette « craie verte » a été publiée il y a un demi-siècle par Robaszynski in Colbeaux et al. (1975) au Mont-Sainghin, à 4 km au sud-est de Lezennes. Pourquoi ne pas avoir intégré la corrélation de cette coupe avec celles de Lezennes et de Villeneuve d’Ascq dans le chapitre précédent ? La raison est simple : malgré le soin apporté à la description lithologique de la carrière de Sainghin-en-Mélantois qui est aujourd’hui disparue, le levé a été réalisé en 1971, quelques années avant que la morphologie des niveaux indurés (firmgrounds et hardgrounds) ne soit étudiée dans le détail, en particulier par Kennedy & Garrison (1975). L’interprétation de la coupe de Sainghin est pour cette raison délicate. À l’occasion de la lecture du manuscrit de la présente note en tant que rapporteur, Francis Robaszynski nous a proposé une nouvelle interprétation de son levé lithologique de 1971. Celle-ci est présentée dans la figure 20. Alors qu’en 1971, seuls les 1er et 2e Tuns avaient été identifiés, le 3e Tun ou « Tun blanc » est reconnu aujourd’hui dans le « banc de craie grisâtre indurée, pénétrée dans sa partie supérieure de terriers remplis de craie glauconifère » présent à 4,50 m-4,90 m. En revanche les levés originels ne permettent pas de savoir si le 2e Tun est constitué par la superposition de deux hardgrounds ou s’il s’agit d’un seul hardground « complexe ». De la même façon, le Bantam Hole Hardground est probablement présent sous le 3e Tun, mais n’a pas été repéré. Malgré ces incertitudes, la comparaison des coupes montre que la succession est également ultra-condensée à Sainghin-en-Mélantois, avec des épaisseurs qui tendent encore à se réduire.
Figure 20
Fig. 20. – Corrélations à l’aide de la stratigraphie événementielle dans la Craie glauconieuse de Lezennes.
Fig. 20. – Correlations using event stratigraphy in the Craie glauconieuse de Lezennes.
Les carrières souterraines de l’agglomération lilloise : des sites remarquables par les lits riches en platyceramus et volviceramus visibles au plafond des galeries
Les carrières de craies coniaciennes de l’agglomération lilloise recoupent, sur une hauteur de 4 m environ, plusieurs lits décimétriques riches en fragments de coquilles d’inocérames situés essentiellement à la base de la Craie blanche (sans silex) et en même temps de la zone à Micraster coranguinum. Il s’agit de ce que les ouvriers carriers appelaient le « banc à soies » à Lezennes (Decocq, 1874 ; Barrois, 1878). Ce niveau repère associe des fragments d’inocérames plats (Platyceramus) dont la coquille pouvait originellement atteindre 1 m2 et d’inocérames « bombés » (Volviceramus), un peu moins grands, mais d’une taille néanmoins, de l’ordre de plusieurs décimètres.
Il n’est pas question dans le cadre de cet article de réaliser une description systématique du matériel, d’abord parce que nous ne sommes pas spécialistes des inocérames et ensuite parce que les espèces concernées ont fait l’objet de révisions souvent récentes : Platyceramus mantelli (de Mercey, 1872) par Seitz (1962), Noda & Toshimitsu (1990) et Walaszczyk & Wood (2018), Volviceramus koeneni (Müller, 1888) et V. involutus (J. de C. Sowerby, 1829) par Walaszczyk & Cobban (2006). En revanche, ces lits riches en inocérames méritent une certaine attention dans la mesure où leur extension géographique déborde largement le cadre de la métropole lilloise et concerne l’ensemble des faciès crayeux du Bassin anglo-parisien. Ce fait a été constaté dès 1878 par Charles Barrois : « l’Inoceramus involutus que je choisis actuellement pour caractériser cette zone (la moitié inférieure de l’Assise à Micraster coranguinum) y forme, avec l’Inoceramus mantelli et quelques autres inocérames, un lit presque continu que j’ai suivi en Angleterre, ainsi que dans le Nord et l’Est du bassin de Paris. … Le lit qui renferme ces inocérames ainsi entiers, m’a paru avoir une position constante et pourra servir à reconnaître la base de la zone à Micraster coranguinum, si cette observation se généralise ». Non seulement, Barrois avait parfaitement placé il y a un siècle et demi la limite entre les zones d’échinides successives à Micraster cortestudinarium et à M. coranguinum, mais il avait de plus identifié pour la première fois un événement biologique et écologique qui allait être pris en 1995 pour définir la base du Coniacien moyen : l’apparition concomitante des genres d’inocérames Volviceramus et Platyceramus et leur prolifération soudaine (Kauffman coord. et al., 1996).
De façon plus précise, non pas un seul, mais au moins quatre lits riches en Platyceramus et Volviceramus se succèdent dans les derniers décimètres de la Craie blanche à silex et les premiers mètres de la Craie blanche sans silex (dans l’intervalle 19,40 m-23,50 m à Emmerin, Fig. 6). Le premier niveau (à 19,40-19,60 m) est caractérisé par une abondance de débris de coquilles de Platyceramus mantelli associés à quelques Volviceramus koeneni. Les lits suivants contiennent toujours de nombreux fragments de P. mantelli, mais accompagnés ici de Volviceramus involutus. Les figures 8, 9, 20 et 21 illustrent quelques spécimens que l’on peut déterminer de façon pratique en tenant compte des caractères suivants :
- Volviceramus koeneni (Müller, 1888) (Fig. 9) : coquille pourvue de valves enflées, sans enroulement de la valve gauche. Les deux valves sont ornées de côtes concentriques et rugueuses au stade juvénile et au début du stade adulte. Les côtes s’atténuent et disparaissent ensuite. L’identification de plusieurs spécimens de V. koeneni à Emmerin et à Lezennes est importante à signaler dans la mesure où il s’agit de la première citation du marqueur de la base du Coniacien moyen dans le nord de la France et en même temps dans la partie française du Bassin anglo-parisien. Jusqu’à ce jour, l’espèce était connue uniquement au sein des craies du sud-est de l’Angleterre, dans un intervalle peu épais : 2 m dans le Sussex, 1 m dans le Kent (Mortimore et al., 2001). À Emmerin, où l’enregistrement est très réduit, cet intervalle est encore plus mince (environ 0,50 m).
- Volviceramus involutus (J. de C. Sowerby, 1829) (Fig. 21) : coquille très inéquivalve. La valve gauche, presque lisse, est très enflée et présente un enroulement en spirale typique qui rappelle superficiellement celui des nautiles. La valve droite est operculaire et pourvue de côtes concentriques. Barrois (1878) indique que « Le musée géologique de Lille possède une splendide série de cette espèce, recueillie aux environs. Sans parler de nombreuses valves isolées, le musée possède 27 échantillons avec les deux valves réunies ».
- Platyceramus mantelli (de Mercey, 1872) [l’espèce, créée en 1872, a seulement été décrite de façon précise et illustrée en 1877] (Fig. 22) : coquille plate, épaisse, pourvue de larges stries concentriques et souvent de grande taille, certains spécimens atteignant près d’1 m2. Selon Barrois (1878) « … on a pu réunir au musée (de Lille) un certain nombre d’échantillons entiers de cette espèce. Les échantillons figurés par M. de Mercey ne sont que de simples fragments, aussi regrettons-nous bien de ne pouvoir figurer ici les échantillons du musée de Lille qui sont au contraire dans un remarquable état de conservation ». Selon Kauffman (1965), ces formes plates d’inocérames à test mince devaient vivre à plat sur des vases molles, d’où la taille impressionnante acquise par certains individus afin de pas s’enfoncer dans la boue crayeuse. Un autre argument convergent militant en faveur d’une nature semi-fluide du substrat est la présence d’échinides spatangoïdes (Micrasters) qui étaient des « fouisseurs superficiels » vivants dans des vases fines (Fouray, 1982).
Figure 21
Spécimens de Volviceramus involutus (J. de C. Sowerby, 1829). a) Spécimen préservé au plafond d’une galerie dans les carrières souterraines du « Bon Dieu Noir » à Loos, Craie blanche sans silex, Coniacien moyen. Le lit riche en Platyceramus et Volviceramus qui contient ce fossile correspond probablement à celui observé à Emmerin au niveau 23,40 m-23,50 m. © F. Graveleau. b) Spécimen provenant de base de la Craie blanche sans silex, du niveau 20,20 m dans la carrière NORMAT à Emmerin, Coniacien moyen. Collection F. Amédro, Musée d’Histoire naturelle de Lille. Barre d’échelle = 2 cm. © F. Amédro.
Specimens of Volviceramus involutus (J. de C. Sowerby, 1829). a) Specimen preserved on the ceiling of a gallery in the underground quarries of “Bon Dieu Noir” in Loos, White chalk without flint, Middle Coniacian. The bed rich in Platyceramus and Volviceramus which contains this fossil probably corresponds to that observed at Emmerin at the level 23,40 m-23,50 m. © F. Graveleau. b) Specimen from the base of white chalk without flint, from level 20,20 m in the NORMAT quarry in Emmerin, Middle Coniacian. F. Amédro's Collection, Lille Natural History Museum. Scale bar = 2 cm. © F. Amédro.
Figure 22
Platyceramus mantelli (de Mercey, 1872). Spécimen observé au plafond d’une galerie dans les carrières souterraines du « Bon Dieu Noir » à Loos, Craie blanche sans silex, Coniacien moyen. Le lit riche en Platyceramus et Volviceramus dans lequel ce fossile est préservé correspond probablement à celui observé à Emmerin au niveau 22,00 m-22,10 m. © F. Graveleau.
Platyceramus mantelli (de Mercey, 1872). Specimen observed on the ceiling of a gallery in the underground quarries of “Bon Dieu Noir” in Loos, White chalk without flint, Middle Coniacian. The bed rich in Platyceramus and Volviceramus in which this fossil is preserved probably corresponds to that observed at Emmerin at the level 22,00 m-22,10 m. © F. Graveleau.
À la différence de ce que l’on observe au niveau des fronts de taille des carrières à ciel ouvert ou en falaise où les coquilles d’inocérames apparaissent toujours en section, les carrières souterraines de l’agglomération lilloise, en particulier les carrières du Bon Dieu Noir à Loos et celles de Lezennes, exposent de façon spectaculaire les lits riches en Platyceramus et Volviceramus au toit des galeries. De nombreux individus complets, préservés à plat sur le paléo-fond marin, sont visibles par-dessous, la concentration des coquilles résultant d’un faible taux de sédimentation associé à une prolifération momentanée des individus. Ces conditions d’observation sont très rares, peut-être même uniques dans le Bassin anglo-parisien, ce qui fait de ces carrières des sites géologiques remarquables, dignes d’être inscrits au sein de l’inventaire national du patrimoine géologique.
Conclusion
Au sein et aux abords de la métropole lilloise, les craies coniaciennes, avec silex en dessous et sans silex au-dessus, correspondent aux niveaux crétacés les plus récents préservés de l’érosion. L’épaisseur moyenne de ces craies est estimée à une quinzaine de mètres. Ces craies coniaciennes n’ont jusqu’à présent jamais fait l’objet de description détaillée. Et pourtant elles renferment des niveaux repères (niveaux marneux, lits de silex tabulaires, niveaux durcis) connus tout le long de la côte sud de l’Angleterre et dans le Boulonnais, ouvrant la voie à des corrélations très précises sur des distances atteignant plusieurs centaines de kilomètres. Le marqueur de la base du Coniacien moyen, Volviceramus koeneni, est également identifié pour la première fois, ce qui permet de situer la limite Coniacien inférieur-Coniacien moyen avec une précision décimétrique. Les carrières souterraines de l’agglomération lilloise constituent enfin des sites géologiques remarquables dans la mesure où le plafond des galeries expose de nombreux spécimens entiers de grands inocérames appartenant aux genres Platyceramus et Volviceramus, un fait semble-t-il unique dans le Bassin anglo-parisien.