Introduction
Les marges continentales des océans (ou marges océaniques) sont relativement bien connues grâce notamment aux forages et surtout aux méthodes géophysiques telles que la sismique réflexion et réfraction (Watkins et al., 1979, 1992 ; Biari et al., 2021 et références incluses).
En fonction de l’absence ou de la présence d’une activité sismique au niveau de ces marges continentales, deux grands types de marges ont été distingués : les marges passives (sans séismes ou presque) et les marges actives marquées par des séismes liés à l’enfoncement de panneaux plongeant dans les zones de subduction. Les parties profondes des marges passives sont un peu moins connues, notamment le domaine de transition entre la croûte continentale de la marge et la croûte océanique.
Les travaux sur les océans actuels ont d’abord établi que les marges passives étaient dues à une extension marquée par le développement de failles normales, généralement listriques, lors de la période de rifting (e.g. Péron-Pinvidic et Manatschal, 2009 ; Chenin et al., 2020).
Depuis quelques décennies, la typologie de ces marges passives a été affinée en fonction de la quantité de magmatisme. Deux grands types de marges répartis de façon assez équivalente dans les océans actuels ont ainsi été définis :
- les « marges passives volcaniques » (« passive magma-rich passive margins » ou « passive volcanic margins ») possédant de puissantes formations volcaniques (laves et filons doléritiques notamment), une formation profonde dite SDR (Seaward-Dipping Reflectors) en grande partie magmatique, pentée vers l’océan, ainsi que des failles normales à regard vers le continent (Gernigon et al., 2004 ; Geoffroy, 2005)
- les « marges passives pauvres en magma » (« magma-poor margins ») de ce fait plutôt caractérisées par leur taux d’extension généralement important (« hyper-extended margins »), parfois responsable, dans ce cas, de structures particulières comme les « extensional allochtons » (Péron-Pinvidic et Manatschal, 2010 ; Péron-Pinvidic et al., 2013).
Des marges passives anciennes comme celles de la Téthys mésozoïque s’observent également à l’affleurement, notamment à la suite de leur charriage sur les continents lors d’épisodes d’obduction. C’est le cas désormais classique de l’Oman (Glennie et al., 1973 ; Lippard et al., 1986 ; Bernoulli & Weissert, 1987) mais aussi en Grèce, dans les Hellénides (Fig. 1) où a été mise en évidence une obduction majeure datée du Jurassique moyen-supérieur. Cette obduction est responsable, dans la moitié orientale de la chaine, de la présence d’ophiolites provenant de l’Océan Maliaque, l’un des domaines océaniques de la Téthys (Brunn, 1956 ; Ferrière, 1972, 1976, 1982 ; Smith et al., 1975 ; Ferrière et al., 2016).
Il existe localement des unités tectoniques représentatives de la marge continentale entrainées sous les nappes ophiolitiques. Les deux secteurs les plus riches en unités de ce type sont l’Argolide (Argolida, Fig. 1) et le massif de l’Othrys (Fig. 1).
En Argolide quelques unités issues d’une partie proximale de la marge sont présentes dans un dispositif tectonique largement repris dans la tectonique tertiaire (Vrielynck, 1982 ; Baumgartner, 1985).
En revanche, en Othrys, les nombreuses unités tectoniques syn-obduction issues de la marge Ouest-Maliaque montrent un empilement régulier qui permet de reconstituer une marge complète avec un domaine proximal mais aussi un domaine distal de grande profondeur, ce qui est rare dans la plupart des chaînes, et même unique dans cette chaine des Hellénides (Ferrière, 1974, 1982 ; Smith et al., 1975).
Cette marge reconstituée (marge Ouest-Maliaque) a été décrite antérieurement dans ses grandes lignes, en fonction de précisions successives, notamment d’ordre micropaléontologique (Ferrière, 1972, 1982 ; Ferrière et al., 2016). En revanche, les caractéristiques de ce type de marge comparativement aux marges actuelles et les mécanismes de déformation associés au processus de rifting n’ont pas été décrits de façon approfondie.
Différentes phases de construction des marges passives, ont été reconnues, assez récemment, par différents auteurs, (eg. Péron-Pinvidic et al., 2013 ; Chenin et al., 2020) notamment sur les marges « pauvres en magmas » : i) phase de déformation diffuse (étirement, stretching) ; ii) phase de localisation de la déformation (amincissement, thinning) ; iii) phase d’exhumation mantellique et iv) début de l’accrétion océanique. De telles phases ont été reconnues dans des séries parfois très déformées de la chaine alpine (Manatschal, 2004 ; Mohn et al. 2010).
Dans ce travail après avoir rapidement décrit la marge Ouest-Maliaque, nous nous proposons, i) d’analyser les différentes étapes de construction de cette marge et les mécanismes associés, notamment lors du rifting ; ii) de la rattacher à un modèle connu de marge passive tout en signalant évidemment les différences éventuelles.
Contexte géologique
Les Hellénides appartiennent à l’ensemble des chaines téthysiennes développées au cours du « cycle alpin » méso-cénozoïque. Elles montrent beaucoup d’affinités avec les chaines situées plus au Nord en Albanie et en ex-Yougoslavie. L’ensemble forme l’axe Dinaro-Hellénique de direction NNE-SSW.
Les Hellénides sont le résultat de deux périodes tectoniques majeures : i) une obduction au Jurassique moyen-supérieur affectant la partie orientale de la chaine dite « Zones Internes » (Brunn, 1956) ; ii) Une collision dans l’ensemble des Hellénides, avec chevauchement des zones internes sur les zones externes uniquement tectonisées au Tertiaire (Fig. 1).
Les ophiolites, présentes dans la partie orientale des Hellénides, sont issues de l’obduction d’un océan téthysien mésozoïque, l’océan Maliaque (Ferrière, 1976, 1982). La position de cet océan par rapport au bloc Pélagonien à croûte continentale a fait l’objet de débats depuis les années 1970 (Dercourt, 1970 ; Bernoulli et Laubscher, 1972). Pour notre part (cf. discussion in Ferrière et al., 2012), nous considérons, avec d’autres auteurs (e.g. Bortolotti et al. 2013), que cet océan Maliaque était situé à l’Est du domaine Pélagonien (actuel domaine du Vardar, Fig. 1).
Beaucoup de travaux concernant les nappes obductées portent sur la pétrographie des ophiolites et l’interprétation de leur contexte géodynamique (Beccaluva et al., 1984 ; Celet et al., 1980 ; Vergely, 1984 ; Ferrière, 1985 ; Saccani et al., 2004 ; Rassios et Moores, 2006 ; Barth et al., 2008). Contrairement aux ophiolites, les séries issues des marges de l’océan Maliaque sont rares à l’affleurement. Au sein des nappes syn-obduction, les séries de la marge Ouest-Maliaque ne sont bien représentées qu’en Argolide (Vrielynck, 1982 ; Baumgartner, 1985) et surtout dans le massif de l’Othrys (e.g. Ferrière, 1974, 1982).
Les travaux portant sur ces séries ont permis d’établir les grandes lignes de cette marge, tant sur le plan spatial que de son évolution au cours du temps. Les séries Trias-Jurassique anté-obduction de la marge Ouest-Maliaque en Othrys, ont notamment permis d’étudier la partie la plus profonde de cette marge et en conséquence de distinguer deux domaines très différents : les marges proximale et distale (Ferrière, 1982). Ce dernier point est important car de telles séries sont rarement préservées en Grèce ou en Albanie voire même dans les Dinarides plus généralement.
Les travaux sur ces séries ont également permis de reconnaître un épisode de rifting d’âge Trias moyen et donc de séparer des formations anté-, syn- et post-rift, se terminant par l’obduction du Jurassique moyen.
S’agissant des formations volcaniques syn-rift de la marge Ouest-Maliaque, le problème, qui concerne par ailleurs l’ensemble du volcanisme du Trias moyen des Hellénides, est celui de leur contexte de formation. Les différences géochimiques observées au sein du volcanisme triasique (Lefèvre et al., 1993) ont conduit à envisager deux hypothèses principales : i) une origine liée à un contexte général en divergence (rift-related) (Hynes, 1974 ; Ferrière, 1982 ; Pe-Piper 1998) ; ii) une origine liée à un contexte de subduction active (Stampfli et Borel, 2002 ; Monjoie et al., 2008). Le débat reste encore ouvert.
Ces résultats précédents et de nouvelles données permettent de mieux appréhender la nature de la marge et ainsi de préciser les mécanismes de la déformation lors du rifting à l’origine de la marge Ouest-Maliaque et d’analyser l’héritage de ces structures initiales triasiques sur le développement des structures propres à l’obduction jurassique.
La marge Ouest-Maliaque : les données
Globalement on peut distinguer entre la plate-forme pélagonienne et les fonds océaniques maliaques représentés par les nappes ophiolitiques, une marge constituée de deux grands types de séries pélagiques d’âge triasico-jurassique (Fig. 2 et 3) :
- des séries très pélagiques (unités de Loggitsion) caractéristiques de la partie profonde de la marge (marge distale) ;
- des séries représentant la partie proximale de la marge (unités de Pirgaki et Garmeni Rachi surtout) avec notamment des calcarénites au Trias supérieur - Jurassique.
Les séries distales ne sont connues qu’à partir du Ladinien (rifting) alors que les séries proximales montrent des niveaux anté-rift caractérisés par un environnement de dépôt de faible profondeur, d’âge Permien-Trias inférieur.
La marge proximale
Les séries des unités situées entre celles de la marge distale et celles du domaine Pélagonien ont des points communs qui permettent de définir la marge proximale. Trois types de séries présentant certaines différences peuvent cependant être distinguées au sein de cette marge proximale (MP). Elles correspondent à trois unités tectoniques superposées, du bas vers le haut : i) l’unité de Chatala qui fait la transition vers la plate-forme pélagonienne ; ii) l’unité du Pirgaki, la plus représentée en surface à l’affleurement ; iii) l’unité de Garmeni Rachi, qui fait la transition vers la marge distale (Fig. 2, 3, 4 et 5).
L’unité centrale de la marge proximale : l’unité de Pirgaki
La série typique la plus complète (unité de Pirgaki) peut être observée en Othrys centrale méridionale, (Fig. 2, 4 et 5), avec de bas en haut, les 6 formations suivantes :
- une épaisse formation (ca. 200 m) de calcaires de faible profondeur d’âge Trias inférieur-Anisien. La partie inférieure est constituée de bancs calcaires décimétriques parfois oolitiques à Meandrospira pusilla (Ho). La partie supérieure est typique d’une plate-forme avec des calcaires benthiques massifs à algues et foraminifères dont Meandrospira dinarica Kochansky-Devide et Pantic, de l’Anisien ;
- des mauvais affleurements de niveaux volcaniques et sédimentaires variés, très écrasés, dont des brèches calcaires, des radiolarites, des pélites noires, des pillow-lavas violacées à amygdales de calcite, des dolérites souvent altérées et des grès à quartz et éléments de roches effusives. Cet ensemble est daté du Ladinien par encadrement entre les calcaires benthiques de base de l’Anisien p.p. et les calcaires siliceux sus-jacents du Carnien. Ces niveaux, qui témoignent d’un changement radical de la nature de la sédimentation (approfondissement net) associé à du volcanisme basique, sont les marqueurs du processus de rifting.
- des calcaires gris siliceux à grain fin et des passées de calcaires roses d’aspect noduleux (ca. 100 m d’épaisseur), datés par des conodontes du Ladinien terminal et surtout du Carnien-Norien ;
- une formation épaisse (jusque 400 m d’épaisseur) de calcarénites et calcilutites grises à silex, dont des turbidites, associées localement à des microbrèches et des brèches calcaires (éléments jusque 20 cm). A la base de la formation, les microbrèches présentent des fossiles triasiques (Involutines) remaniés. Le Lias n’est pas daté avec certitude. La partie sommitale de ces calcaires siliceux est datée par des foraminifères dont Protopeneroplis striata Weynschenk (à partir du Jurassique moyen) en abondance. Les calcarénites sont riches en éléments provenant de la plate-forme Pélagonienne dont des oolites. La principale variation observée au sein de l’unité de Pirgaki concerne l’épaisseur de cette formation à valeur de cône sous-marin profond, qui devient très faible en Othrys orientale (secteur de Pelasgia, Fig. 2).
- des radiolarites rouges datées du Bajocien-Bathonien ;
- des mélanges à blocs, souvent très déformés, atteignant parfois plusieurs centaines de mètres d’épaisseur. Ces mélanges se déposent à l’avant des nappes supérieures en mouvement (ophiolites et unités issues de la marge distale) qui fournissent l’essentiel des blocs et olistolites présents dans ces formations.
L’unité de transition entre la marge proximale et la plate-forme pélagonienne : l’unité de Chatala
Le domaine pélagonien (Celet et Ferrière, 1978) correspond au bloc continental qui reçoit les nappes obduites au Jurassique. Les calcaires pélagoniens Trias-Jurassique témoignent d’une plate-forme peu profonde jusqu’au Jurassique moyen. L’unité de Chatala est une unité tectonique de dimension assez limitée, encadrant la fenêtre tectonique du Pélagonien en Othrys centrale (Fig. 2). Cette série essentiellement calcaire montre des variations de faciès assez rapides :
- à l’Est, la série est riche en calcaires microbrèchiques à involutines et algues du Trias supérieur. Les calcaires siliceux du Jurassique, d’épaisseur pluri-décamétrique, sont comparables à ceux de la série de Pirgaki (calcarénites à Protopeneroplis striata) ;
- à l’Ouest, les faciès du Trias sont plus riches en calcaires siliceux. La base est datée du Carnien par des conodontes et la formation du Jurassique (surtout des calcarénites) est peu épaisse.
Cette série, avec ses nombreux niveaux microbréchiques, évoque un talus en bordure de la plate-forme pélagonienne. Les variations de faciès, avec un approfondissement d’Est en Ouest alors que l’océan Maliaque bordant la marge est située à l’Est de cet ensemble, pourraient être liées à des contre-pentes au niveau des blocs basculés associés aux failles listriques. Dans le cas présent il s’agit des failles normales séparant la plate-forme pélagonienne de sa bordure orientale (série de Chatala).
L’unité de transition de la marge proximale vers la marge distale : l’unité de Garmeni Rachi
L’unité de Garmeni Rachi présente certains caractères propres aux deux unités adjacentes, celle de Pirgaki, série type de la marge proximale à l’Ouest (cf. supra) et celle de Loggitsion série type de la marge distale à l’Est (cf. infra). La logique de la série est la même que celle de l’unité de Pirgaki, avec de bas en haut (Fig. 4 et 5) :
- les calcaires benthiques à Méandrospires du Trias inférieur-Anisien p.p., ici peu épais, avec des passées de calcaires marneux. Des conodontes et même quelques petites ammonites y ont été observés (Ferrière, 1982). Ces calcaires reposent localement sur des grès et lentilles de calcaires noirs à Fusulines du Permien ;
- la formation syn-rift de l’Anisien p.p.- Ladinien, avec les mêmes composants que dans la série de Pirgaki. Cette formation est ici un peu plus épaisse mais les niveaux sont toujours très écrasés (niveaux de décollement plus ou moins importants).
- une dizaine de mètres de radiolarites rouges datées localement du Trias supérieur, notamment du Carnien. C’est là une ressemblance majeure avec les séries de la marge distale (Loggitsion, cf. infra) et une différence fondamentale avec l’unité de Pirgaki qui montre au Carnien des calcaires fins ou microbréchiques siliceux à conodontes.
- la formation des calcilutites et calcarénites grises et siliceuses d’âge Trias supérieur à la base et Jurassique pour l’essentiel. Les niveaux de base sont rouges et dolomitiques avec des éléments effusifs. Le corps principal de cet ensemble présente des turbidites granoclassées. La partie supérieure est encore datée du Jurassique moyen par les foraminifères dont Protopeneroplis striata Weynschenk (abondants). Une passée de pélites siliceuses pluri-décamétriques présente dans cette partie supérieure sert localement de niveau de décollement pendant l’obduction. Cette formation constituerait la partie distale du cône sous-marin observé dans la série de Pirgaki mais dans cette unité de Garmeni Rachi elle montre peu de variations d’épaisseur, elle est toujours très puissante (plusieurs centaines de mètres) ;
- une formation épaisse de radiolarites rouges datée du Bajocien et du Bathonien termine la série (Gingins et Schauner, 2005). Les mélanges observés au sommet de la série de Pirgaki sont ici très peu épais et même souvent absents. C’est encore un point commun avec les séries de la marge distale.
La marge distale : les unités de Loggitsion
Les séries de la marge distale sont présentes au sein de deux nappes (unités de Loggitsion) situées juste sous les nappes ophiolitiques. La base des unités de Loggitsion correspond à une épaisse formation de pillow-lavas syn-rift du Trias moyen. Contrairement aux séries de la marge proximale, les séries issues de la marge distale ne montrent pas de formations anté-rift. Les successions stratigraphiques observées dans les nappes de Loggitsion sont assez comparables, ce qui permet de définir une série type pour la marge distale, avec de bas en haut :
- Une épaisse formation de pillow-lavas violacés avec quelques passées de laves massives verdâtres. Cette formation peut atteindre plus de 100 m d’épaisseur. Les pillows présentent d’abondantes amygdales de calcite et de zéolites blanchâtres. Les affinités géochimiques de ces laves sont assez diversifiées. Il s’agit de MORB (Mid-Oceanic Ridge Basalts soit Basaltes de Ride Médio-Océanique) mais aussi de laves de type supra-subduction dites SSZ (Hynes, 1974 ; Ferrière, 1982, Lefèvre et al., 1993 ; Bortolotti et al., 2008 ; Montjoie et al., 2008).
- des radiolarites rouges (10 m environ) datées localement du Ladinien supérieur au contact des laves et du Carnien pour la partie principale (Gingins et Schauner, 2005) ;
- des calcaires siliceux en bancs décimétriques gris, roses ou noirs, d’épaisseur assez faible comprise entre 10 et 30 m. C’est la seule formation calcaire bien développée dans ces séries de Loggitsion. Il s’agit de calcaires siliceux à grain fin riches en conodontes, entrecoupés parfois de calcarénites, et datés de la totalité du Norien ;
- des shales et pélites siliceuses de couleur lie-de-vin, d’épaisseur variable parfois pluri-décamétrique. Très localement, cette formation est séparée des calcaires sous-jacents par quelques mètres de radiolarites qui ont été datées du Norien terminal-Rhétien (Gingins et Schauner, 2005). De ce fait, elles sont attribuées au Lias. Quelques bancs de calcarénites intercalés ont livré des foraminifères dont des Vidalina sp qui évoquent le Lias (Ferrière, 1982). Cette formation pélitique termine l’ensemble des séries de Loggitsion dans la totalité des secteurs, pourtant très vastes, où elles ont pu être analysées.
On n’observe pas dans ces séries typiques, de mélanges syn-obduction du Jurassique moyen comme dans la plupart des séries de la marge proximale ou même dans les séries supra-ophiolitiques. Par ailleurs, les rares radiolarites observées dans la partie supérieure des pélites n’ont pu être datées, or on sait que c’est un cas général pour les formations siliceuses liasiques de Grèce, voire même dans la Téthys en général (Baumgartner et al., 2015).
Une série de type Loggitsion dite de Grammeni en Othrys orientale (Fig. 3) présente quelques différences par rapport aux séries types :
- des écailles et/ou des olistolites de calcaires de type Ammonitico-rosso ont été datés de l’Anisien-Ladinien moyen (Koch et Nicolaus, 1969). Leur position au sein de la base triasique de la série ou en tant qu’olistolites dans le mélange du Jurassique n’a pu être déterminée ;
- un mélange à blocs, peu épais, existe au sommet de la série sur des pélites et radiolarites recouvrant elles-mêmes les calcaires siliceux du Norien.
Les séries de Tourla-Trilofon : la limite de la marge et de la croûte océanique
Situées en Othrys occidentale, les séries de Tourla-Trilofon (TT) appartiennent à des nappes syn-obduction situées entre les unités ophiolitiques au sommet et la série de Grammeni de type Loggitsion à la base (Fig. 2 et 4). Cette position structurale conduit à les placer sur la marge à proximité de la croûte océanique, à la transition entre les croûtes océanique et continentale (TOC en français ; OCT en anglais).
Les affleurements de ce secteur sont assez complexes en raison : i) de l’existence de phases tectoniques successives : obduction Jurassique ; phase tertiaire majeure de l’Éocène supérieur mais aussi, une phase de plis d’axe NE-SW mal datée ; ii) de la nature particulière des séries de Tourla-Trilofon qui possèdent peu de niveaux repères et peu de successions lithologiques sans disharmonies en raison de ces phases tectoniques successives. Les séries de Tourla-Trilofon (TT Fig. 2 et 4) présentent quelques ressemblances mais aussi des différences importantes par rapport aux séries types de Loggitsion, notamment :
- un grand développement des formations magmatiques effusives syn-rift (pillow-lavas du mont Tourla, jusque 300 m d’épaisseur) ;
- des faciès de plus faible profondeur (surtout des calcaires siliceux et non des radiolarites) au Ladinien-Carnien ;
- la présence de formations d’âge Jurassique moyen : des radiolarites pélitiques (Bajocien et Bathonien), des mélanges à blocs syn-obduction et entre les deux des grès jaunâtres riches en quartz ;
- l’existence de blocs décamétriques voire pluri-décamétriques de calcaires blancs massifs benthiques à algues et madréporaires, datés pour certains de la limite Ladinien-Carnien (Courtin et al., 1982) dans les mélanges à blocs jurassiques.
Bilan interprétation : les mécanismes mis en évidence
La marge Ouest-Maliaque : les grands traits
La marge Ouest-Maliaque située en bordure orientale du Pélagonien a d’abord été reconstituée dans ses grandes lignes lors de l’analyse stratigraphique des séries des nappes syn-obduction mises en évidence en Othrys (Ferrière, 1974, 1982). Le modèle retenu (e.g. Ferrière, 1982) était celui des marges passives résultant d’une extension (rifting) conduisant à la genèse : i) de deux domaines majeurs, les marges proximale et distale ; ii) de failles listriques limitant des blocs basculés ; iii) d’un haut-fond à soubassement inconnu limité en surface (unité de Tourla-Trilofon), à la limite des croûtes continentale (marge) et océanique. Le passage au niveau de la marge proximale, de faciès néritiques à des faciès pélagiques au Trias moyen, accompagné de volcanisme abondant (pillow-lavas surtout dans la marge distale) a permis de définir la période syn-rift. De ce fait les périodes anté-, syn- et post-rift ont pu être distinguées. Le début de la période post-rift est aussi marquée par la datation des pillow-lavas (MORB, unité de Fourka) de la première croûte océanique Maliaque (Anisien supérieur).
Discussion : les mécanismes d’évolution de la marge Ouest-Maliaque
Une interprétation en termes de mécanismes est ici envisagée en tenant compte des précisions acquises sur les marges continentales passives depuis ces dernières décennies.
Le magmatisme
Si le magmatisme syn-rift est peu important sur la marge proximale, il est relativement abondant sur la marge distale. La quantité de magmatisme n’est pas suffisante pour déterminer le type de modèle de marge (marge volcanique ou pauvre en magma), certains caractères qualitatifs doivent être pris en compte. Les marges volcaniques ont surtout été décrites dans les océans actuels, notamment les marges de Norvège et du Groënland (e.g. Gernigon et al., 2004).
Au Groënland, une partie proximale de la marge s.l. est accessible à l’observation directe. Des caractères particuliers apparaissent, à savoir des trapps continentaux et des filons nombreux à pendage vers le continent. Ces filons appartiennent aux lignées alcalines et surtout tholéïtiques (de type High Ti et Low Ti) (e.g. Geoffroy, 2005). Du côté océanique la sismique a révélé des corps particuliers épais montrant des réflecteurs pentés vers l’océan : les « Seaward Deeping Reflectors » (SDR). Les rares forages montrent qu’il s’agit de corps essentiellement magmatiques avec des alternances de niveaux volcano-sédimentaires. Les données sismiques ont montré également des sous-placages magmatiques importants.
S’agissant de l’Othrys, le volcanisme syn-rift du Trias moyen présente un volume non négligeable notamment dans les séries de la marge distale. En revanche, ce volcanisme a peu de caractères communs avec celui de la marge volcanique du Groënland :
- très peu de filons sont présents dans les différentes séries triasiques y compris du côté proximal (continent) ;
- le chimisme des laves triasiques d’Othrys, parait être plus diversifié, avec des laves de la lignée tholéitique ou alcaline mais aussi des laves connues en contexte de subduction (Lefèvre et al., 1993). Pour certains, ce serait un volcanisme lié à une subduction active au Trias (Stampfli et Borel, 2002 ; Monjoie et al., 2008). Pour d’autres, ce volcanisme serait le résultat d’une histoire antérieure au rifting (slab abandonné en profondeur à la fin du Paléozoïque) ou un volcanisme particulier expliqué par les conditions de la fusion partielle (Pe-Piper, 1998).
- en Othrys, la nappe qui pourrait correspondre à un ensemble de type SDR de par sa position en pied de marge, est celle de Fourka. Cependant, cette nappe de Fourka est surtout constituée de pillow-lavas recouverts d’une série sédimentaire assez continue et les âges des laves de Fourka s’étalent sur une assez longue période de 30 Ma environ (Anisien supérieur à Norien p.p.) sur la partie connue. Ces critères et le chimisme de type MORB des laves de Fourka font que nous considérons qu’il s’agit là d’un élément de croûte océanique typique située au pied de la marge Ouest-Maliaque.
- Quant aux éventuels témoins de sous-placages, rien n’indique dans les nappes syn-obduction d’Othrys une équivalence possible avec des corps magmatiques profonds (de type gabbros notamment).
En bref, même si en Othrys, le volcanisme syn-rift est relativement bien représenté, notamment dans la marge distale, on ne peut classer la marge Ouest-Maliaque dans la catégorie des « marges volcaniques ».
La tectonique
La tectonique à l’origine de la marge correspond à la période de rifting du Trias moyen (Fig. 5). Son étude se fait de façon indirecte, les témoins de cette marge étant repris par des structures compressives majeures lors des processus d’obduction au Jurassique. Les principaux témoins préservés de cette tectonique associée au rifting sont les séries présentes au sein des nappes et éventuellement les contacts tectoniques de nappes potentiellement hérités des structures initiales syn-rift.
Les failles normales listriques : des structures tectoniques syn-rift :
Les séries des nappes syn-obduction montrent des différences majeures entre la plupart des unités adjacentes. Ces différences sont attribuées à la présence de failles normales syn-rift. L’essentiel de la marge semble être représenté au sein des différentes nappes provenant de la marge. En effet, même si des portions de nappes sont masquées sous les nappes sus-jacentes, l’empilement des nappes issues de la marge est très régulier, sans perturbation notable dans l’enchainement des faciès. En outre, la somme estimée des dimensions de ces nappes est de l’ordre de 120 à 150 km soit une dimension compatible avec la largeur des marges passives actuelles. De ce fait, les variations brutales de faciès d’une unité à l’autre sont très certainement associées au développement initial de ces séries de part et d’autre de failles majeures. Dans la mesure où les différences entre les séries commencent dès l’Anisien (voire le Trias inférieur), ces failles majeures sont nécessairement les grandes failles normales qui participent à l’extension syn-rift.
Ces variations de faciès sont notamment très marquées entre les séries des unités de Loggitsion (Marge Distale) et celles des unités de la marge proximale (Garmeni Rachi et Pirgaki), mais elles apparaissent aussi entre la plupart des unités voisines : entre l’unité de Chatala et ses deux unités adjacentes (le bloc pélagonien et l’unité de Pirgaki), ou encore entre l’unité de Loggitsion et celle de Tourla-Trilofon.
La présence de grandes failles normales listriques liées à l’extension syn-rift est donc envisagée dans chacun de ces cas pour expliquer la transition brutale des faciès depuis l’Anisien (période du rifting). La seule exception concerne peut-être le contact entre des deux unités principales de Loggitsion dont les séries sont assez comparables, ce qui ne permet pas de mettre en évidence le rôle éventuel de telles failles héritées de la période de rifting.
Le nombre de nappes issues de la marge étant de 6 (dont 4 majeures), il est probable que chacun des contacts de nappes se soit développé à partir des failles listriques les plus importantes structurant cette marge Ouest-Maliaque entre le début du rifting et l’océanisation. Cela parait d’autant plus crédible que les failles normales listriques syn-rift triasique sont en général pentées vers l’océan et donc synthétiques du mouvement propre aux nappes syn-obduction du Jurassique, ce qui facilite naturellement l’inversion tectonique des failles originelles. Le contact tectonique (chevauchement) lié à l’inversion du mouvement sur les failles listriques se transforme ensuite en décollement à la base de formations particulières ; e.g. à la base des calcaires benthiques sur la marge proximale, et dans la partie inférieure des laves syn-rift au niveau de la Marge Distale.
L’unité de Tourla-Trilofon (TT) : un « bloc distal » en bordure de la croûte océanique, différent du domaine typique de la marge distale (unités de Loggitsion)
L’unité TT est une unité composite de faible ampleur qui n’est présente qu’à l’ouest de l’Othrys. Les séries sont assez dissociées en raison de leur position tectonique au niveau du front tertiaire des zones internes. Sa position structurale au sein du dispositif syn-obduction jurassique indique qu’il s’agit d’un élément situé initialement entre la croûte océanique ancienne (Fourka dont les pillow-lavas les plus anciens sont d’âge Anisien supérieur, Ferrière et al., 2015) et les séries de Loggitsion (marge distale).
Les séries TT se différencient des séries de Loggitsion sur différents points (cf. supra § III et Fig. 4) : i) un plus grand développement des formations effusives syn-rift (laves du mont Tourla) ; ii) l’existence de calcaires et non de radiolarites au Ladinien-Carnien ; iii) la présence de formations d’âge Jurassique moyen : des radiolarites pélitiques (Bajocien et Bathonien), des grès jaunâtres riches en quartz et des mélanges à blocs syn-obduction contenant notamment des blocs décamétriques de calcaires blancs massifs benthiques à algues et madréporaires, datés pour certains de la limite Ladinien-Carnien.
En bref, ces séries TT témoignent de l’existence d’un haut-fond (TTb Fig. 4) au début de la période post-rift (Ladinien-Carnien). Ce haut-fond peut être lié à deux processus non incompatibles : i) la présence d’un ensemble effusif syn-rift important formant un relief, un mont sous-marin volcanique par exemple ; ii) la présence d’un reste de soubassement de type continental susceptible d’être la source des quartz des grès jaunâtres au Dogger.
Le mécanisme responsable de la présence de ce bloc particulier en limite de la marge distale, peut être associé à un processus d’hyper-extension. Ce processus conduirait à un amincissement majeur au niveau de la marge distale (unités de Loggitsion), isolant plus ou moins un élément crustal d’affinité continentale limité à sa base par un contact tectonique subhorizontal (faille de détachement). Cet élément est figuré sous le nom de « bloc distal » sur la figure 6.
Dans certaines marges passives, du manteau sous-continental partiellement serpentinisé affleure au sein de la marge distale et isole ainsi des éléments particuliers à croûte continentale amincie, parfois dénommés « extensional allochtons » (Péron-Pinvidic et Manatschal, 2010).
Outre les particularités du soubassement, la position surélevée de cet élément TTb pourrait être aussi, pour partie, en relation avec une anomalie thermique (Péron-Pinvidic & Manatschal, 2010) que celle-ci soit liée ou non au contexte tectonique en extension.
La marge distale : présence d’une faille de détachement ; exhumation ou non du manteau sous-continental
Les unités de Loggitsion qui couvrent pourtant une surface importante (ca. 20x40 km soit 800 km2 au minimum) sont toujours décollées à la base de pillow-lavas syn-rift. L’origine de ce contact, doit donc être lié à un processus général. Ce décollement peut être lié à une différence majeure de compétence entre cette formation de laves syn-rift et son soubassement d’âge anté-Anisien p.p. Il est nécessairement différent du décollement observé au niveau de la marge proximale qui se développe à la base des calcaires du Trias inférieur, et dépend des caractéristiques du soubassement de la marge distale propres à ce domaine, par exemple : i) un soubassement de nature très différente (mais aucun élément ne subsiste à la base des unités de Loggitsion) ; ii) une réduction importante voire une absence de soubassement anté-rift liée à une hyper-extension.
Cette dernière interprétation a le mérite d’expliquer l’absence permanente de formations anté-rift à la base des nappes syn-obduction de Loggitsion. La cause de cette absence serait liée à l’extension initiale syn-rift supprimant une forte épaisseur de croûte et favorisant la montée du volcanisme syn-rift. Un contact de type « faille de détachement sub-horizontale » à la base de la marge distale, rend compte de ces particularités. Il est à remarquer que ce type de failles est, elle aussi, extrêmement favorable à une réactivation en contact chevauchant lors d’une inversion tectonique associée au processus d’obduction.
La nature des séries de Loggitsion témoigne d’une profondeur importante (ca. 2 000 - 3 000 m) et en conséquence d’une croûte très amincie. Si l’on admet une épaisseur totale de croûte de l’ordre d’une dizaine de km au niveau de la marge distale, les séries de Loggitsion faisant 1 km d’épaisseur au maximum, il resterait donc une épaisseur de croûte continentale non négligeable, de l’ordre de 8-9 km (?). En règle générale, c’est la croûte continentale ductile (croûte moyenne) qui disparait en premier dans ces étirements majeurs (Fig. 6). La croûte continentale supérieure fragile (non ou peu ductile) soumise aux extensions est elle aussi amincie de façon importante. Cette croûte supérieure amincie, et éventuellement la croûte basale (magmatique) résistante, reposent alors directement sur le manteau péridotitique. Les éléments de croûte qui subsistent peuvent même avoir une épaisseur très faible, nettement inférieure aux 10 km parfois signalés pour les marges distales. Le problème se pose alors de savoir si le manteau sous-continental a été localement exhumé et modifié sous la forme de péridotites partiellement serpentinisées à l’image de la marge de Galice (Boillot et al., 1989). Dans le cas présent de la marge distale Ouest-Maliaque aucun corps majeur constitué de péridotites serpentinisées n’a pu être observé au niveau des nappes de Loggitsion et de Tourla-Trilofon. Quoiqu’il en soit, cet amincissement initial syn-rift important a très certainement favorisé le futur décollement syn-obduction à la base des pillow-lavas triasiques au sein des unités de Loggitsion (Fig. 6 F).
Le « Necking Domain » : signification de l’unité de Garmeni Rachi à la limite entre les marges proximale et distale
L’unité de Garmeni Rachi est une unité située au sein de l’empilement syn-obduction entre les nappes de Loggitsion (Marge Distale) et celle de Pirgaki (Marge Proximale). La série est assez comparable à celle de Pirgaki typique de la marge proximale, mais elle présente malgré tout deux caractères qui rappellent celles de Loggitsion (Marge Distale) : i) des radiolarites et non pas des calcaires au Ladinien supérieur-Carnien ; ii) une absence quasi-totale de mélanges à blocs au Dogger.
Il s’agit donc bien d’une zone de transition avec une diminution drastique de l’épaisseur de croûte continentale entre celle de la marge proximale typique (estimée à 25-30 km pour l’unité de Pirgaki au Trias) et celle de la marge distale (ca. 10 km au niveau du secteur de Loggitsion, si l’on tient compte de certaines estimations pour les marges distales de marges actuelles). Cette variation rapide de l’épaisseur de la croûte continentale sur les marges passives, induisant un Moho à pente très forte, est typique de la zone particulière du « Necking Domain » (par ex. Mohn et al., 2012 ; Péron-Pinvidic et al., 2013). Il apparaît donc clairement que cette unité de Garmeni Rachi, intermédiaire entre marge distale et marge proximale, correspond typiquement à la zone de ce Necking Domain.
Conclusions
Vue d’ensemble
Des travaux antérieurs, notamment de notre équipe, ont permis de reconstituer une marge de l’Océan Téthysien par l’étude des séries présentes dans les nappes mises en place lors de l’obduction dès le Jurassique moyen dans les Hellénides. Ces nappes syn-obduction (3 nappes ophiolitiques et 6 nappes issues de la marge) proviennent de l’Océan Mésozoïque Maliaque, appendice de la Téthys, situé à l’Est du bloc Pélagonien. Elles constituent l’essentiel du massif de l’Othrys. Non seulement les séries des nappes syn-obduction ont été peu modifiées lors des différentes phases tectoniques compressives (obduction Jurassique et collision tertiaire notamment) mais, en outre, l’empilement des nappes est très régulier (les séries typiques de faciès profonds sont toujours sur des unités à séries de moindre profondeur). De ce fait la reconstitution de la marge parait être relativement fiable et assez complète.
Ainsi, dans un premier temps, ont été distingués de façon globale : i) les deux grands domaines de cette marge Ouest-Maliaque (Marge Proximale et Marge Distale) ; ii) les principales étapes de son évolution : rifting au Trias moyen ; période anté-Rift (quelques formations au niveau de la marge proximale) et période post-Rift (du Trias moyen pp au Dogger pp). Plus récemment, en Othrys, (Ferrière et al., 2015) les unités ophiolitiques ont été datées du Jurassique moyen (nappes principales à ophiolites) et du Trias moyen (unité des pillow-lavas de Fourka en bordure de la marge Ouest-Maliaque).
Les résultats rapportés ci-dessous concernent : i) les mécanismes de déformation de la marge lors du rifting ; ii) le type de marge correspondant à la marge étudiée : « marge volcanique » ou « marge pauvre en magma » dite aussi en « hyper-extension » (même si les marges volcaniques peuvent également avoir subi une extension importante).
La marge Ouest-Maliaque : dimensions
Les 2 domaines principaux de la marge sont caractérisés par des séries très différentes en lien avec la période de rifting : i) la Marge Proximale peu profonde est riche en niveaux calcaires ; ii) la Marge Distale à plus grande profondeur (c.a. 2 500-3 000 m au Lias ?) présente des faciès plus siliceux (radiolarites notamment). Au terme de la période de rifting, la marge Ouest-Maliaque s’avère avoir une largeur d’environ 120-150 km. Cette largeur correspond à la somme des dimensions des 6 nappes concernées, il s’agit donc d’une largeur minimale. Cette valeur nous semble cependant assez proche de la réalité dans la mesure où nous estimons qu’il ne manque pas de domaines importants de la marge au sein des unités syn-obduction.
Les failles normales syn-rift :
La genèse des deux domaines principaux de la marge dès la période de rifting au Trias moyen, est à mettre en relation avec l’existence de failles normales majeures syn-rift en limite de ces deux domaines. Dans la mesure où la marge reconstituée parait relativement complète (pas d’absence de domaines particuliers de la marge), le rôle de telles failles normales est envisagé pour expliquer les différences observées avec les séries des autres unités adjacentes.
La présence de failles normales majeures n’est pas démontrée dans le cas de la marge distale qui est assez homogène, avec des séries comparables sur une grande surface. L’existence de 5 ou 6 failles normales majeures syn-rift structurant la marge Ouest-Maliaque, accompagnant l’extension de cette marge, est en accord avec ses dimensions supposées (cf. supra) et les exemples de marges passives actuelles.
Nos observations nous conduisent à penser que les contacts de nappes syn-obduction se développent à partir des failles normales syn-rift ; en effet : i) le nombre de nappes est compatible avec l’existence d’un nombre correspondant de failles normales majeures sur une telle marge passive ; ii) La géométrie de ces failles favoriserait le développement des contacts de nappes de par leur pendage vers l’océan (ce qui est le cas en général sur les marges passives en dehors des marges volcaniques) et le fait qu’elles soient probablement de type listrique.
Il faut cependant préciser que ces contacts de nappes initiaux peuvent évoluer au cours de l’obduction en décollements empruntant des niveaux de faiblesse entre différentes formations lithologiques. La reprise de failles de détachement sub-horizontales comme celle très probablement située à la base de la marge distale, est évidemment susceptible de donner naissance à des contacts de nappes ultérieurs.
Caractéristiques de l’amincissement de la croûte continentale de la marge
L’existence de deux domaines de profondeurs très différentes est sans aucun doute liée à des différences d’épaisseur de leur croûte continentale à la suite de l’amincissement lors du rifting.
Mise en évidence d’un « Necking Domain » :
Si la croûte du bloc Pélagonien est de l’ordre de 30 km, on peut admettre des épaisseurs de l’ordre de 25-30 km pour la marge proximale médiane (Pirgaki) et de 10 km environ pour la marge distale très profonde par comparaison avec des exemples actuels. La transition entre ces deux domaines, correspond à l’unité de Garmeni Rachi. Certaines particularités de la série de cette unité plaident en faveur de ce caractère transitionnel. Elle présente en effet à la fois : i) des caractères des séries typiques de la marge proximale (séries de Pirgaki) : par ex. une succession de formations lithologiques comparables ; un cône sous-marin à calcarénites turbiditiques au Norien-Dogger p.p.) ; ii) des caractères des séries typiques de la marge distale (séries de Loggitsion) : par ex. présence de radiolarites et non de calcaires au Carnien ; pas de mélanges syn-obduction comme dans le cas des séries de la marge distale et à l’inverse des séries de la marge proximale où ces mélanges sont abondants.
Ce domaine de transition est le lieu où le Moho présente sa pente maximale, avec une diminution d’épaisseur de la croûte continentale de l’ordre de 15 à 20 km sur une distance de 20 à 30 km environ correspondant à la dimension approximative de l’unité de Garmeni Rachi.
La localisation de l’unité de Garmeni Rachi, ses séries transitionnelles et le fort pendage du Moho sous cette unité, conduisent à la définir comme le « Necking domain » au sein de la marge Ouest-Maliaque, selon la terminologie utilisée par certains auteurs (par ex. Péron-Pinvidic et al. 2013).
Modalités de l’amincissement de la Marge Distale
La marge Ouest-Maliaque comme toutes les marges résulte d’un amincissement de la croute initiale lors du rifting (cf. supra). C’est le cas notamment de la Marge Distale. Si l’on admet une dizaine de km d’épaisseur pour la croûte de la marge distale et que les séries de Loggitsion ont environ un kilomètre d’épaisseur, il reste un soubassement d’une épaisseur de l’ordre de 8-9 km environ (?). Ce dispositif est en accord avec l’existence d’une grande faille de détachement sub-horizontale à la base de la marge distale. L’absence de formations sous les laves syn-rift des séries de Loggitsion ne permet pas de préciser la nature de ce soubassement anté-Rift.
Il est cependant classique de considérer que c’est la croûte ductile (croûte moyenne) qui disparait au niveau de la marge distale lors de l’extension tectonique. La croûte supérieure elle-même amincie et la croûte inférieure (magmatique ?) reposent alors directement sur le manteau. Dans certaines marges distales effectivement la croûte supérieure très amincie vient directement au contact des péridotites mantelliques sous-continentales. Ces dernières peuvent même être exhumées et affleurer au pied de la marge ou même au sein de la Marge Distale, sous forme de péridotites partiellement serpentinisées. Rien n’empêche d’envisager cette hypothèse d’une réduction majeure de la croûte de la Marge Distale Ouest-Maliaque tendant vers la disparition locale de cette croûte continentale entrainant l’exhumation du manteau sous-continental alors hydraté. Cependant, aucune unité péridotitique majeure n’a été observée au sein des unités issues de la marge, permettant de penser que le manteau pouvait affleurer au sein de cette marge Ouest-Maliaque. Si de telles péridotites en partie serpentinisées devaient affleurer dans le dispositif étudié ici, ce serait plutôt au pied de la marge devant ou à la base des pillow-lavas de Fourka (croûte océanique la plus ancienne de type MORB) qui s’avèrent être décollés en permanence de leur soubassement initial (cf. Fig. 6).
Signification du « bloc distal » (unité de Tourla-Trilofon) à la limite avec la croûte océanique
L’unité de Tourla-Trilofon est un haut-fond triasique temporaire (bien daté au Ladinien-Carnien) situé en bordure distale de la marge distale au contact de la croûte océanique représentée par l’unité de Fourka. Il est désigné ici sous le nom de « bloc distal » (cf. Fig. 6). Ce caractère de haut-fond peut être le résultat de plusieurs facteurs : i) l’existence de puissantes formations de laves syn-rift (pillow-lavas) à sa base, encore plus épaisses que dans les séries de Loggitsion ; ii) la présence d’un élément particulier dans le soubassement de la série de Tourla-Trilofon, capable de fournir au sein de cet univers « océanique » les quartz abondants observés dans les grès du Jurassique moyen. Cet élément serait un reste de croûte continentale isolée lors de l’extension syn-rift ; iii) un contexte thermique particulier, avec augmentation du gradient géothermique, lié par exemple à l’extension tectonique importante, qui pourrait favoriser cette surrection.
Selon nos interprétations, ce type de structure limitée en surface, dite ici « bloc distal », repose sur le décollement majeur de type « faille de détachement » qui a conduit à l’amincissement de la marge distale lors du processus de rifting.
Ces extensions majeures peuvent conduire à l’exhumation du manteau sous-continental, alors hydraté, isolant ce « bloc distal » à l’extrémité de la marge du côté océanique. De tels éléments de marge isolés à l’extrémité de la marge distale correspondent aux « Extensional Allochtons » décrits par certains auteurs (par ex. Péron-Pinvidic et Manatschal, 2010).
La marge Ouest-Maliaque : quel type de marge passive ?
La qualité des affleurements dans le secteur d’étude (Othrys) permet de reconstituer la marge Ouest-Maliaque de façon assez précise. Comme cela n’est pas fréquent dans les chaines soumises à de nombreuses phases tectoniques (collisions suivant en général les obductions), cette marge Ouest-Maliaque peut servir de modèle pour les marges de la Téthys, qu’il s’agisse des Hellénides de Grèce ou d’Albanie ou même des Dinarides de l’ex-Yougoslavie.
Parmi les types classiques de marges, définis principalement dans les océans actuels (les « « Marges volcaniques » et les « Marges pauvres en magmatisme » ou « Marges en hyper-extension »), la marge Ouest-Maliaque est plutôt proche du modèle de « Marge en Hyper-extension » et « pauvre en magma » même si le volcanisme syn-rift n’est pas totalement négligeable au niveau de la Marge Distale Ouest-Maliaque.
Remerciements. — Les auteurs adressent leurs remerciements au comité éditorial (Didier Torz et Danielle Decrouez) ainsi qu’aux relecteurs (Fabien Graveleau et un reviewer anonyme) pour leur efficacité et leurs corrections avisées. Nous tenons à remercier également les organismes et les personnes qui ont permis de réaliser nos travaux au laboratoire et sur le terrain : le Laboratoire d’Océanologie et Géosciences (LOG, UMR 8187) ainsi que le CNRS-INSU sur le plan financier sans oublier la gestion efficace de Monique Gentric, ainsi que Marion Delattre, Cindy Maliverney, et Sandra Ventalon pour les travaux de laboratoire et les autres urgences techniques. Remerciements sincères à toutes et à tous.