Introduction
Le fonds d’ouvrages, brochures, manuscrits et revues de la Société Géologique du Nord, constitué à partir de 1870, a été transféré de Lille (rue Gosselet) au campus de la Cité Scientifique d’Annappes, dans les murs de la bibliothèque universitaire de Lille en 1967, la SGN en ayant fait don à l’université de manière définitive en 2009. Cette collection est composée de 1 631 titres de périodiques, de 2 743 ouvrages, auxquels s’ajoutent les tirés à part et les monographies actuellement classées dans le fonds des brochures. Périodiques et ouvrages ont fait l’objet d’un catalogage complet avant le déménagement de la bibliothèque universitaire du campus de la cité scientifique pour travaux en 2011. Brochures et manuscrits (Fig. 1) sont inventoriés, classés, reconditionnés et catalogués depuis 2018 ; cette dernière opération, toujours en cours, a été l’occasion de (re)-découvrir des sources de tout premier ordre pour l’histoire de la SGN et de sa bibliothèque. En particulier, trois registres manuscrits inédits (Ms SGN 1, Ms SGN 2, Ms SGN 4) rassemblent les procès-verbaux des séances et des réunions du conseil de la SGN, de 1870 à 1891 et de 1904 à 1914. Cette découverte nous invite à considérer très sérieusement le repérage, le classement et l’inventaire des archives de la SGN, et leur intégration en tant que telles dans le fonds SGN conservé à Lilliad.
Figure 1
Les brochures du fonds documentaire de la Société Géologique du Nord en attente de traitement (photographies J. Cuvelier).
Brochures from the Société Géologique du Nord documentary collection awaiting processing (pictures by J. Cuvelier).
Pour le chercheur en sciences de la Terre (Beck, 2010) comme pour l’historien, une bibliographie complète et exhaustive, portant sur une longue période, constitue la base incontournable de toute recherche : expérimentation et observations de terrain s’apparentent à l’étude des sources. Vient ensuite une analyse bibliographique des interprétations scientifiques et méthodologiques tirées desdites observations, équivalent d’une recherche historiographique. Enfin une analyse critique et l’apport d’observations et d’interprétations nouvelles complètent la démarche. L’importance de l’iconographie, et, partant, de la qualité d’impression des données graphiques et photographiques, conduit encore certains chercheurs à préférer les documents originaux imprimés plutôt que leur numérisation.
La diffusion des résultats des recherches géologiques, essentielle pour construire une vision d’ensemble des phénomènes géologiques dans le temps et dans l’espace, a incité les sociétés savantes à recourir très largement aux échanges de publications pour enrichir leurs collections.
Au commencement, était la bibliothèque
La constitution d’une bibliothèque, outil de recherche et de référence destiné à ses membres, est au cœur du projet de création de la Société Géologique du Nord. Le règlement fondateur de la SGN, en 1870, consacre six de ses seize articles à la formation, au fonctionnement, au devenir et à la constitution de ladite bibliothèque. Il n’était sans doute pas anodin que de 1870 à 1876 les fonctions de trésorier et de bibliothécaire fussent attribuées à un seul et même sociétaire : tout autant que les finances, les livres et périodiques étaient le moteur de la SGN, et de son rayonnement.
Règlement de la Société – 1870 (Anonyme, 1875)
« Article 3 : La Société forme une bibliothèque composée de livres qui traitent de la géologie ou de sciences se rapportant à la géologie (…)
Article 4 : La bibliothèque est à la disposition de tous les membres titulaires de la Société qui seuls, peuvent recevoir les livres en prêt.
Article 5 : Les membres de la Société prennent un engagement d’honneur de se conformer au règlement pour l’emprunt des livres, et de réparer les dégradations qu’ils auraient accidentellement causées.
Article 6 : En reconnaissance des services que la Faculté rend à la Société, il est convenu qu’en cas de dissolution, la bibliothèque devient la propriété de la Faculté. (…)
Article 14 : Toutes les décisions concernant l’administration de la Société ou le choix des livres qui doivent composer la bibliothèque se prennent en assemblée générale à la pluralité de voix. (…)
Article 16 : Le bibliothécaire devra faire, dans la première séance de l’année, un rapport sur l’état de la bibliothèque. »
Le remaniement du règlement, voté le 18 mai 1873 (Ms SGN 1) et le 20 décembre 1876 (Ms SGN 1) reprend l’intégralité des dispositions prévues en 1870, ajoutant toutefois un délai de grâce supplémentaire (dans les trois premiers mois de l’année plutôt que lors de la première séance de l’année) pour la présentation, par le bibliothécaire de la SGN, d’un rapport, non seulement sur l’état de la bibliothèque, mais aussi sur les échanges de la SGN. Une commission ad hoc est créée en 1875 pour l’aider dans cette tâche.
Dans les premières années de son existence, les présidents de la SGN ne manquent pas de s’enorgueillir de l’enrichissement continu de la collection, à l’occasion des discours de prise de fonction, ou des rapports annuels (Barrois, 1880 ; Duponchelle, 1882). "La bibliothèque, enrichie des dons et des échanges devient chaque jour de plus en plus précieuse pour servir le mouvement des sciences géologiques dans le monde entier" (Ortlieb, 1879).
Chaque séance de la SGN s’ouvrait par la mise à disposition des nouveautés reçues, ouvrages et fascicules de périodiques, que les participants pouvaient consulter, voire commenter à l’intention de leurs confrères ; très concrètement, le bibliothécaire disposait les volumes sur la grande table de réunion, au cœur de l’échange savant.
Un siècle plus tard, dans son allocution d’accession à la présidence de la SGN, le 7 février 1973 (Souliez & Dercourt, 1973), le professeur Jean Dercourt exprime le même attachement à cette bibliothèque, en présentant Jean-Louis Mansy, nouvel élu à la charge de bibliothécaire : « Une des richesses de notre Société est sa bibliothèque, mais cette richesse doit être exploitée. Il y a là un lourd travail puisque nous avons décidé, il y a peu, de la rendre accessible aux universitaires, nous y gagnerons qu'elle soit mise en forme et pleinement utilisable. Veiller et s'assurer de la bonne diffusion des nouveautés, promouvoir des échanges avec les sociétés qui se créent ici ou là, sera la tâche délicate mais passionnante de notre bibliothécaire. » L’ouverture de la bibliothèque à des lecteurs étrangers à la SGN, condition du dépôt de la collection à la Bibliothèque Universitaire, rompt avec un usage presque centenaire, et offre à un public plus large l’accès à une « bibliothèque spécialisée [qui] fut l’une des plus riches d’Europe » (Webographie : Waterlot, 1997 ; Blieck et al., 2014).
Aussi richement dotée qu’elle soit, une bibliothèque ne remplace en aucun cas la pratique concrète de la géologie, sur le terrain, comme ne manque pas de le rappeler Charles Barrois, dans une correspondance entretenue avec Ferdinand Fouqué, qui égratigne au passage son confrère, Emmanuel de Margerie :
« Mais je suis si froissé de certains, qui pensent déchiffrer les Pyrénées et même les systèmes de montagnes en n’escaladant que les rayons des bibliothèques parisiennes ! » (AAS - Archives de l’Académie des Sciences : lettre du 3 janvier 1894).
Observations de terrain et recherches bibliographiques, ces deux approches complémentaires de la recherche sont bien ancrées dans le projet de la SGN et toujours mises en œuvre. Une étude poussée des procès-verbaux sous l’angle des collections permettrait également de cerner l’activité réelle de la SGN à ses débuts en matière de collecte d’échantillons géologiques et paléontologiques.
Un archipel de bibliothèques
Fondée par Jules Gosselet, professeur titulaire de la chaire de géologie de la Faculté des Sciences depuis 1864, la SGN rassemblant un certain nombre d’étudiants et d’auditeurs de ses cours, est étroitement liée à l’université (Meilliez et Blieck, 2014). C’est tout naturellement dans des locaux universitaires qu’est hébergée la SGN.
Il n’est pas question de bibliothèque universitaire centrale, à Lille, avant 1907. Les collections de lettres et de droit sont rapatriées de Douai en 1887, deux salles de lecture et deux magasins étant ouverts pour leur consultation et leur conservation. La Faculté des Sciences, comme la Faculté de médecine, garde ses bibliothèques spécialisées, réparties par discipline dans les locaux qui lui ont été affectés en 1854, puis dans ses bâtiments du quartier Saint-Michel.
Dès l’origine, les membres de l’Association pour l’étude de la Géologie dans le département du Nord (Fig. 2), devenue Société Géologique du Nord en février 1871, bénéficient d’un accès privilégié aux ouvrages acquis par la faculté : son doyen Alexandre Guiraudet met à leur disposition la collection du Bulletin de la Société Géologique de France, et les autres ouvrages de géologie faisant partie de la bibliothèque de la Faculté, à condition de passer par son secrétaire (Ms SGN 1, séance du 11 mars 1870). Les nouveautés reçues par la bibliothèque de la faculté, « mises à disposition des sociétaires selon le mode accoutumé », font l’objet d’un point d’information en séance (Ms SGN 1, séances du 10 novembre 1871 et du 14 juin 1872 par exemple).
Figure 2
Photographies des procès-verbaux de la Société Géologique du Nord. A. 1re page du manuscrit Ms SGN 1 ; B. Page de titre du manuscrit Ms SGN 2 (photographies J. Cuvelier).
Pictures of the Société Géologique du Nord’s manuscripted minutes. A. First page of the manuscript, Ms SGN 1; B. Title page of the manuscript, Ms SGN 2 (Pictures by J. Cuvelier).
Le 18 mai 1873, des remerciements sont adressés à Jules Gosselet : « C’est grâce à lui que la bibliothèque de la Faculté et par conséquent la nôtre, en jouissance du moins, se monte en livres précieux pour l’étude de la géologie » (Ms SGN 1). Il règne une certaine porosité dans les acquisitions d’ouvrages entre les deux bibliothèques, analogue à celle qui a été observée pour les collections géologiques (Oudoire et al., 2014, Cuvelier et al., 2017). Ainsi, la SGN avance la somme de 90 francs (remboursée deux ans plus tard) qui permet à la bibliothèque de la faculté de faire l’acquisition de la collection des Bulletins de la Société Géologique de France (Ms SGN 1, séance du 11 février 1870). Un ouvrage particulièrement onéreux, dont l’acquisition avait été suggérée à plusieurs reprises par Charles Barrois, est finalement acquis par Jules Gosselet, avec « les fonds mis à sa disposition comme professeur de géologie » (Ms SGN 1, séance du 19 juin 1873). Il s’agit des sept volumes de The mineral conchology of Great Britain, publié en 1812 par James Sowerby, qui présente de magnifiques planches gravées (Fig. 3).
Figure 3
Fonds général de LILLIAD - Q20989 : The mineral conchology of Great Britain; or Coloured figures and descriptions of those remains of testaceous animals or shells, which have been preserved at various times and depths in the earth par James Sowerby (1812), Tome 1 – Page de titre et exemple de planche (photographies A.N.R.T.).
Collection Q20989: The mineral conchology of Great Britain; or Coloured figures and descriptions of those remains of testaceous animals or shells, which have been preserved at various times and depths in the earth by James Sowerby (1812), Band 1 – Title page and an example of a plate (pictures by A.N.R.T.).
Cette porosité entre les deux bibliothèques n’est pas sans poser quelques difficultés. Ainsi, le 19 décembre 1873, Jules Gosselet signale qu’« il manque quelques livres appartenant à la Faculté des sciences, emportés sans annotation sur le registre. Il prie les détenteurs de régulariser leur position en rapportant les livres ou en les faisant inscrire » (Ms SGN 1). S’ensuit un rappel assez sévère du règlement de la bibliothèque.
La mise en commun des collections semble se poursuivre dans les nouveaux locaux de la faculté, après 1894. En 1908, de nouveau, le nombre considérable de cartes manquantes dans les collections de l’Institut de géologie amène le conseil à en limiter l’accès pour les sociétaires (Ms SGN 4, séance du 28 février 1908).
Le fonctionnement de la bibliothèque de la SGN repose très largement sur les membres permanents du laboratoire de géologie, il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’un certain nombre des bibliothécaires de la SGN fussent préparateurs du laboratoire, comme Pierre Pruvost, Auguste Dutertre, René Dehée ou encore Paul Corsin (Annexe 1). Cet arrangement doit permettre d’accéder à la bibliothèque de la SGN sur de larges horaires.
Si l’on en croit Charles Barrois, il est particulièrement difficile d’accéder à la bibliothèque universitaire :
« Le rapport vous fournirait je crois tous les documents que vous désirez, vous le trouverez dans le Quarterly Journal of the Geological Society : je n’ai point ce journal sous la main, ce qui m’empêche de vous le résumer (vous savez que tous nos livres sont emprisonnés dans un lieu-dit "Bibliothèque universitaire") » (AAS, lettre de Barrois probablement adressée à Ferdinand Fouqué du 21 février 1891).
« J’ai été pris par le temps ; les recherches bibliographiques sont pénibles dans les bibliothèques universitaires actuelles… » (AAS, lettre de Barrois probablement adressée à Ferdinand Fouqué du 26 décembre 1895) (Charles Barrois se réfère-t-il à une bibliothèque parisienne ?).
Isabelle Westeel, dans son histoire des bibliothèques universitaires, parue en feuilletons sur le blog Insula (Webographie : les bibliothécaires de l’Université de Lille entre 1883 et 1910), signale qu’« en 1879, le recteur demande la création urgente d’un poste de bibliothécaire à Lille pour les collections de médecine et de sciences. Les temps ne sont pas faciles pour les bibliothécaires envers lesquels les professeurs manifestent beaucoup d’hostilité, comme le consignent les archives administratives » (AN – Archives Nationales - F17-3556). Un peu plus loin, à propos de Louis Solon, qui fut bibliothécaire de l’université de 1892 à 1900, elle écrit : « à son arrivée il hérite de l’impopularité qui l’attache à ses fonctions. […] Pendant tout son exercice, Louis Solon est confronté à l’hostilité des professeurs et aux tentatives du conseil des facultés d’accroître ses prérogatives à son détriment. »
Dans ces courriers de Charles Barrois, comment faire la part entre le propos stéréotypé des professeurs de la faculté à l’encontre des bibliothécaires et de réelles difficultés d’accès aux services documentaires ?
Charles Barrois était en correspondance avec plusieurs libraires européens (une partie de sa correspondance est conservée dans le fonds des brochures SGN, à Lilliad), notamment avec Henri Georg, à Genève, et surtout avec la librairie Friedländer, à Berlin, qu’il avait chargée de repérer toutes les publications susceptibles de l’intéresser (Fig. 4). La bibliothèque universitaire conserve un certain nombre de documents d’archives relatifs à ces acquisitions : courriers, devis et factures. Dans une lettre du 29 novembre 1881, le libraire accuse réception d’un paiement, et précise : « Pour le moment, il n’y a pas d’autres comptes à régler, ni pour vous, ni pour le laboratoire de Géologie. » Dans cet ensemble, se trouve également une facture pour l’acquisition de La Paléontologie de Maine et Loire, de Pierre-Aimé Millet de la Turtaudière (cote SGN 1036), ouvrage publié en 1854 et qu’il déniche à la librairie Barassé, à Angers. Enfin, on trouve dans ces archives, au nom de Charles Barrois, une facture du relieur Babin, 81 rue de la Monnaie à Lille, en 1879, pour des travaux de reliure correspondant à des titres souscrits ou reçus par la SGN à cette époque. Au-delà des dons, effectués en nombre par Jules Gosselet notamment, à la bibliothèque de la SGN, il semble bien que la porosité constatée entre les bibliothèques de la SGN, de la faculté, du laboratoire de géologie, se vérifie aussi avec les bibliothèques personnelles des professeurs.
Figure 4
Fonds général de LILLIAD – 405122 : Geology of East Somerset and the Bristol coal-fields: descriptions of the rocks comprised in sheet 19, part of sheet 35, and adjoining portions of sheets 18, 20, and 21, of the (one inch) geological survey map of England par Horace B. Woodward (1876) – A. Page de titre ; B. 2e plat avec l’étiquette de la librairie Friedländer et le tampon du don de la famille Charles Barrois en 1981 ; C. En-tête d’une facture de la librairie Friedländer à Charles Barrois.
Collection LILLIAD – 405122 : Geology of East Somerset and the Bristol coal-fields: descriptions of the rocks comprised in sheet 19, part of sheet 35, and adjoining portions of sheets 18, 20, and 21, of the (one inch) geological survey map of England by Horace B. Woodward (1876) – A. Title page; B. 2nd cover showing the Friedländer bookstore label and the donation stamp of the Charles Barrois family in 1981; C. Header of an invoice from the Friedländer bookstore to Charles Barrois..
Fonctionnement
Le tracas du bibliothécaire
Moins un règlement est respecté, plus il fait l’objet de rappels et d’adaptations (« Plus il y a de lois, et plus il y a de voleurs » Lao Tseu, Livre du Tao et de sa vertu). Force est de constater que les règles présidant au prêt des livres de la bibliothèque de la SGN ont dû faire l’objet de bien des rappels, de bien des modifications, et de bien des adaptations. Non pas que les sociétaires de la SGN fussent particulièrement indociles : en 1892, Charles Bayet, recteur de l’Académie de Lille dans une lettre au Ministre de l’Instruction publique note, à propos du remplaçant à trouver de Pierre Tracou, bibliothécaire de l’université, qui vient de décéder, que, « pour obtenir des professeurs un respect suffisant des règlements, il faudrait qu’il, tout en étant ferme, eût beaucoup de courtoisie et de tact et sût éviter des conflits inutiles. » (ADN – Archives Départementales du Nord – 2 T 735).
L’Association pour l’étude de la Géologie dans le Département du Nord se dote en même temps, le 11 février 1870, de statuts sous forme de règlement général, et d’un « Règlement du prêt des livres »1.
« I. Les livres seront demandés directement ou par écrit.
II. Dans le cas où plusieurs personnes demanderaient le même livre, elles seront servies dans l'ordre d'inscription.
III. Les livres prêtés doivent être rapportés au bibliothécaire2 dans la quinzaine3. Passé ce moment, le retardataire est taxé d'une amende de cinq centimes pour chaque jour de retard et par volume.
IV. Si un livre prêté n'a pas été demandé depuis sa sortie, le détenteur, après une nouvelle demande, pourra le conserver une autre quinzaine4.
V. L'état des livres sera constaté avant et après le prêt. Dans le cas où ils auraient subi une légère détérioration à laquelle l'article 55 du règlement ne serait pas applicable, le détenteur du livre sera soumis à une amende dont la quotité sera fixée par le bureau.
VI. S'il y avait inconvénient à ce qu'un livre sortît de la bibliothèque, le bureau pourrait proposer à la société d'en interdire le prêt, soit à Lille, soit au dehors.
VII. Les membres de la société, habitant hors de Lille, sont soumis aux mêmes obligations. Ils sont responsables des accidents qui seraient survenus pendant le voyage et se chargent du transport aller et retour. »
Dès le 28 décembre de cette première année (Ms SGN 1), Jules Gosselet passe en revue les inscriptions figurant au registre affecté au prêt de livres de la bibliothèque. Il constate que la rentrée des ouvrages se fait en général en temps utiles. Toutefois, « quelques irrégularités sur lesquelles il est fourni des explications plausibles », incitent à étendre de quinze jours à un mois le délai fixé pour les prêts, délai qui sera porté à deux mois en 1909, puis trois mois en 1912.
Pour vérifier la bonne tenue de la bibliothèque et inciter les sociétaires au respect de son règlement, une commission de la bibliothèque est désignée pour la première fois le 14 janvier 1875 (Ms SGN 1), elle remet son rapport le 18 février suivant (Ms SGN 1). Ses membres se sont « rendus dans la salle de la bibliothèque et ont procédé à l’inventaire et au pointage de tous les ouvrages composant notre fonds de livres, moins trois cartons renfermant de nombreuses brochures offertes à la Société. Il ressort que les ouvrages suivants n’ont pu être retrouvés… » : trois fascicules de revues (Bulletin de la Société des Sciences, n° 49, Revue scientifique n° 48, un numéro non précisé du Bulletin de la Société Géologique de France) ainsi que trois monographies (Les collines tertiaires du Nord de la France et de la Belgique, par Chellonneix et Ortlieb, La Géologie de l’Abbé Lambert, Le Traité des roches de Coquand) manquent à l’appel, et trois autres ouvrages n’ont pas encore été rendus (Le Précis élémentaire de géologie d’Omalius d’Halloy, L’Histoire de la Création par Bürmeister et un numéro non précisé de la Revue des sciences naturelles de Montpellier). Titre, date de l’emprunt et nom de l’emprunteur figurent au procès-verbal. Le rapporteur conclut toutefois avec mansuétude : « Le carnet d’inscription qui devrait avoir sa place marquée dans l’armoire est parfois, il est vrai, peu facile à trouver, et les plumes et l’encre manquent souvent dans la salle de nos séances. » Il recommande de se faire ouvrir la salle du laboratoire, « où encre et plumes ne manquent jamais » enfin, il supplie d’éviter « cette pratique vicieuse de faire les inscriptions au crayon. » Sur ce, il est décidé que la commission de la bibliothèque restera permanente et fera les démarches nécessaires pour rentrer en possession des livres manquants. Un seul des emprunteurs pris en faute restitue son emprunt, un autre meurt quelques années après sans avoir rendu L’Histoire de la Création par Bürmeister (Fig. 5 : aujourd’hui présent dans le fonds SGN sous la cote SGN 30 : a-t-il été rendu par la famille ?). Quant aux documents retirés sans avoir été notés sur le registre, ils manquent toujours au récolement les années suivantes. « Que faire ? Rappeler le règlement à nos confrères ? C’est ce qui a déjà été fait, et ce que nous ferons de nouveau avec l’espoir d’obtenir une solution ». (Ms SGN 1, séance du 29 décembre 1875).
Figure 5
SGN 30 : Histoire de la création : exposé scientifique des phases de développement du globe terrestre et de ses habitants par Hermann Burmeister (1870) (photographie A.N.R.T.).
SGN 30: Histoire de la création : exposé scientifique des phases de développement du globe terrestre et de ses habitants by Hermann Burmeister (1870) (picture by A.N.R.T.).
MM. Leroy, Crespel et Lecoq, membres de la commission de la bibliothèque en 1877 manifestent leur contentement devant « l’augmentation continue d’ouvrages précieux qui à chaque séance viennent s’ajouter à ceux que possédait déjà notre société. Aussi l’emploi de bibliothécaire n’est pas sans demander du travail et il faut le dévouement que vous connaissez à M. Debray pour s’acquitter avec tant de sollicitude de cette charge. Malheureusement, plusieurs de nos confrères ne se doutent pas, croyons-nous, combien ils augmentent le tracas de notre bibliothécaire lorsqu’ils négligent d’observer le règlement qui exige l’inscription de l’emprunt sur un livre réservé à cet effet. […] Nous espérons n’avoir plus à constater, comme à l’inventaire que nous venons de faire, l’absence d’un aussi grand nombre de livres et brochures. » En effet, plus de vingt ouvrages et fascicules sont mentionnés manquants. Quant à M. Debray, « on ne pourrait choisir pour bibliothécaire un homme plus amoureux de remplir cet office. » Tout est dit (Ms SGN 1, séance du 2 mai 1877).
Des entorses au règlement sont régulièrement constatées, qui conduisent le bureau à apporter la précision suivante, le 18 juillet 1888 : « il est décidé que des réclamations seront adressées aux emprunteurs et on leur rappellera les articles du règlement. » (Ms SGN 2).
Cette situation a pu susciter de sérieuses tensions. Ainsi, lors de la réunion du conseil du 10 juillet 1906, « M. Briquet insiste sur le fonctionnement déplorable du service de prêt : il manque à la bibliothèque nombre de volumes de fascicules dont il est impossible de retrouver la trace. Il est décidé que sur les prochaines convocations à envoyer aux membres de la société, il sera fait réclamation des ouvrages qu’ils pourraient avoir entre les mains. […] Le conseil décide en outre qu’il sera procédé à un récolement général des périodiques à l’effet d’établir la liste des livraisons manquantes, qui seront redemandées aux sociétés correspondantes. » M. Boutry est nommé bibliothécaire en charge de ce récolement, et M. Blanchard, bibliothécaire en titre, démissionne (Ms SGN 4).
Des solutions sont imaginées pour mieux contrôler les emprunts. En 1904 (Ms SGN 4, séance du 17 février) M. Ladrière demande l’impression de bulletins d’emprunt pour la bibliothèque de la SGN, ces bulletins, rendus aux emprunteurs, faisant office de reçu. Le 11 décembre 1908, « le Conseil, constatant combien la bibliothèque s’appauvrit par suite de la négligence des membres à rapporter les ouvrages empruntés prend les décisions suivantes : 1) les livres posés sur la table les jours de séances ne pourront être emportés de suite ; 2) les livraisons des ouvrages paraissant périodiquement ne pourront être empruntées pendant l’année en cours de publication. » Lors de la séance suivante, le 6 janvier 1909, le président fait part de ce vote du conseil, et précise « à l’avenir, pour emprunter des livres, les membres devront faire constater leurs emprunts par un membre du laboratoire de géologie qui signera avec eux le registre de prêt. » M. Vignol, bibliothécaire de la SGN, « propose de créer un nouveau mode d’emprunt des livres avec fiches et reports de manière à se rendre compte de ce que chaque membre possède. […] M. Barrois demande que les règlements nouveaux pour le prêt des livres soient affichés en différents points de la salle. » (Ms SGN 4, séance du conseil du 14 février 1909).
Le 1er décembre 1911, un nouveau règlement est proposé pour l’emprunt des livres et des publications :
« Article 1er : la clef de la bibliothèque est déposée au laboratoire de la faculté où elle sera réclamée par l’emprunteur.
Article 2 : un livre de sortie est disposé dans la salle. La sortie des ouvrages ne pourra se faire qu’en apposant une signature à côté de celle d’une personne du laboratoire.
Article 3 : la durée de prêt est fixée à 3 mois, elle est renouvelable.
Article 4 : le récolement des publications aura lieu chaque année. »
Ce règlement du prêt des livres complètement révisé fait l’objet d’une publication dans les Annales en 1912 (Anonyme, 1912), il présente dans sa version imprimée de notables différences par rapport à la version manuscrite transcrite ci-dessus :
« Art. 1. La Bibliothèque de la Société est ouverte aux Membres tous les jours sauf les dimanches et jours fériés. Les membres désirant travailler à la bibliothèque sont priés de demander les clefs de la salle et des armoires à l'un des membres (préparateur et professeur) du Laboratoire de Géologie. Leur travail terminé, ils doivent remettre les clefs à la personne qui en a la garde.
Art. 2 : Les Membres qui veulent emprunter des livres, doivent les inscrire sur un registre, installé pour cet usage dans la Salle des Séances. Le titre des livres doit être accompagné de la date de l'emprunt de la signature de l'emprunteur et de celle d'un membre du laboratoire. La remise des livres empruntés doit être également constatée par la signature d'un membre du Laboratoire.
Art. 3 : Le délai d'emprunt ne devra jamais dépasser trois mois. Au cas où le livre n'aurait pas été demandé, le prêt peut être renouvelé dans les mêmes conditions.
Art. 4 : Les Membres de la Société habitant hors de Lille peuvent emprunter des livres à la Bibliothèque. Ils sont responsables des accidents qui seraient survenus pendant le voyage et se chargent du transport aller et retour.
Art. 5 : Il sera procédé chaque année à un récolement des livres de la bibliothèque. À cet effet, une circulaire sera adressée par le Bibliothécaire aux Membres emprunteurs, qui devront renvoyer les livres dans les huit jours.
Art. 6 : S'il y avait inconvénient à ce qu'un livre sortit de la Bibliothèque, le Bureau pourrait proposer à la Société d'en interdire le prêt, soit à Lille, soit au dehors.
Art. 7 : Les infractions à ce règlement entraîneraient la suppression du droit de prêt pendant un an. »
La communication et le prêt des fascicules de périodiques et des cartes font l’objet de plusieurs discussions en séance. Ainsi, quand Jules Gosselet suggère un abonnement à l’hebdomadaire La Revue Scientifique de la France et de l’étranger (côte FRA 21/SG), il précise que « les fascicules n’en seront pas distraits de la bibliothèque à titre de prêt avant d’avoir atteint un mois de date. » (Ms SGN 1, séance du 12 janvier 1872). De fait, la généralisation de la reliure par année des fascicules de périodiques reçus en livraison entraîne même l’interdiction du prêt de certains titres pour l’année en cours. L’acquisition de cartes d’état-major et de cartes géologiques a été âprement débattue, ainsi que leur conditionnement : convient-il de les laisser en feuilles pour consultation sur place uniquement, ou de les entoiler pour en faciliter l’usage sur le terrain ? « Ces cartes doivent former comme les livres de notre bibliothèque un matériel qu’il est indispensable de mettre avec le plus d’utilité possible à la disposition de chacun de nous » : il est donc décidé qu’elles seront encollées, à commencer par celles du département du Nord (Ms SGN 1, séance du 1er mai 1873). Dans l’un des rapports de la commission de la bibliothèque, on comprend que certains membres s’accaparent l’usage de ces cartes pour mener leurs propres travaux.
Même dans une bibliothèque de société, composée de membres fort dignes de confiance, et où le fonctionnement se veut beaucoup plus souple que dans le cadre très formel et administratif de l’université, le bureau est amené à durcir le règlement, et à mettre en place des mesures en cours dans les bibliothèques universitaires encore aujourd’hui : pas de prêt des derniers numéros de revue reçus, suspension des prêts pour les emprunteurs indélicats, contrôle des prêts et des retours d’ouvrages par un tiers… on en viendrait presque à « emprisonner » les livres… ! Nous n’avons toutefois trouvé aucune mention attestant l’application des amendes prévues dans le règlement.
De la rue des Fleurs à Lilliad : aménagements et locaux
De 1870 à 1894, la Société Géologique du Nord et sa bibliothèque sont hébergées dans une aile de l’ancien couvent des Récollets, rue des Fleurs, devenu Lycée impérial (Lycée Faidherbe), accueillant la Faculté des Sciences de Lille. Son doyen, le mathématicien Alexandre Guiraudet, met à disposition de la SGN, pendant ses deux premières années d’existence, « une pièce, située près de l’ancien cabinet de physique. Elle présente les appareils indispensables de chauffage et d’éclairage. » (Ms SGN 1, séance du 11 mars 1870). L’association pourra « s’en servir pour ses réunions mensuelles ainsi que pour le travail journalier de ses membres » et « y déposer sa bibliothèque particulière, ainsi que la collection du Bulletin de la Société Géologique de France, appartenant à la Faculté… ». Mais en 1872, « par suite de circonstances indépendantes de sa volonté, M. Le Doyen de la Faculté se voit dans l’obligation de disposer du local servant » aux réunions de la SGN, mais « il ne désespère pas de pouvoir en offrir une autre » (Ms SGN 1, séance du 28 novembre 1872), en l’occurrence, la salle de Mathématiques, dont Jules Gosselet demande officiellement l’usage (Ms SGN 1, séance du 5 décembre 1872).
Très vite, les collections s’accroissant, la bibliothèque se trouve à l’étroit. Dès 1873, le trésorier-bibliothécaire, Jules Ladrière « présente quelques observations sur l’emplacement incommode et par trop restreint de la bibliothèque et demande qu’il soit pris d’urgence une solution pour remédier aux inconvénients actuels » (Ms SGN 1, séance du 20 mars 1873). Des observations sont faites sur la « dépense que représenterait un bois de bibliothèque » et sur son emplacement. Finalement, « M. Gosselet offre de prendre dans son cabinet les collections du Bulletin de la Société Géologique de France et les Mémoires de la Société des Sciences de Lille, la solution demandée par M. Ladrière est remise à plus tard. ». Une bibliothèque supplémentaire est acquise en 1879 au prix de 200 francs (Ms SGN 1, séance du 2 avril 1879).
Lorsqu’en 1895, le laboratoire de géologie prend ses quartiers dans les locaux de l’Institut des Sciences naturelles, rue de Bruxelles, la Société Géologique du Nord bénéficie d’une installation soignée dans la prestigieuse salle de la rue Gosselet, où la bibliothèque croît paisiblement jusqu’en 1907, quand « M. Leriche invite le Conseil à réfléchir à un moyen d’agrandir la bibliothèque de la Société, insuffisante pour contenir les publications. » (Ms SGN 4, séance du 1er mars 1907). Le problème n’est pas résolu un an plus tard, et « pour faire place dans la bibliothèque de la société aux livres nouveaux plus importants, le conseil accepte la proposition de M. Barrois de placer au second étage de l’institut de géologie les ouvrages dont on se sert le moins. » (Ms SGN 4, conseil du 28 février 1908).
L’année suivante (Ms SGN 4, conseil du 17 février 1909), « M. Demangeon propose pour obtenir de la place à la bibliothèque : 1) de construire des meubles sous les fenêtres ; 2) de faire monter au 2e étage les publications de la société et de transporter dans cette salle les ouvrages rarement consultés. » Ses propositions sont validées, et quelques mois plus tard « les travaux destinés à augmenter la place réservée aux livres de la bibliothèque sont en voie d’exécution. Déjà deux armoires ont été placées entre les fenêtres de la rue de Bruxelles. » (Ms SGN 4, conseil du 6 mai 1909). Cet aménagement est complété par « l’achat de 40 supports en fer pour soutenir les livres. » (Ms SGN 4, conseil du 7 juillet 1909). Enfin, on apprend que « le mobilier, la bibliothèque de la société et la réserve des publications sont assurées pour une somme de 25 000 f » (Ms SGN 4, conseil du 12 janvier 1910).
Figure 6
Aménagement de la bibliothèque dans la salle de la SGN à l’Institut des Sciences Naturelles de Lille – A. Plan de l’Institut des Sciences Naturelles en 1937 où la SGN est localisée en bas à droite, AML 6D28 (photo J. Cuvelier) ; B-C. Installation du centre de documentation de la MRES dans la bibliothèque de la SGN après son départ (Archives ASAP, enveloppe 103, 1988).
Display of the library in the SGN room at the Lille Institute of Natural Sciences– A. Map of the Institute of Natural Sciences in 1937 where the SGN is located at the bottom right, AML 6D28 (picture J. Cuvelier); B-C. Installation of the MRES documentation center in the SGN library after its departure (ASAP Archives, envelope 103, 1988).
Sur le plan réalisé en 1937, deux salles de l’Institut de Sciences naturelles nous intéressent particulièrement. La « petite bibliothèque », avec son sol carrelé, est meublée d’armoires vitrées, en pitchpin, et présente une petite galerie, elle aussi garnie de rayonnages en sapin. La « Salle de la Société géologique » (Fig. 6) est parquetée à bâtons rompus, ses fenêtres sont « rhabillées » de chêne verni. Le plafond est mouluré et compartimenté. Les murs de la salle sont ceints d’armoires murales hautes à portes vitrées. Enfin, la pièce présente une imposante armoire basse en chêne verni avec un dessus formant pupitre (AML – Archives Municipales de Lille - 6D28). Cette pièce, comme la petite bibliothèque attenante, est surmontée d’une galerie, avec une série de rayonnages tout le long.
Dès le milieu des années 1950, la Faculté des sciences se trouve non seulement à l’étroit dans ses locaux du quartier Saint-Michel, mais peine aussi à leur assurer un entretien suffisant, et la situation se dégrade au cours des années suivantes, non sans conséquences pour la bibliothèque de la SGN. Au moment de quitter la présidence, Antoine Bonte (1953) déclare : « la bibliothèque, qui est sans doute l’une des plus riches bibliothèques géologiques de province, devient un gros souci. Le volume des échanges impose à notre secrétaire, Paul Celet, une lourde charge aggravée par le manque de place et peut-être aussi par l’insouciance de certains emprunteurs. Il y a là un problème qui demande une solution urgente. » En 1961, la salle de réunion est transformée, ainsi qu’une partie de la bibliothèque (Dumon, 1961). Jacques Chalard (1962), prenant ses fonctions de président, prévoit de « procéder à la remise en état et au reclassement de la bibliothèque […] ; les décisions à prendre pour la suite dépendant d’un certain nombre de facteurs que nous ne connaissons pas encore très bien, en particulier la façon dont l’Université compte nous loger dans la nouvelle faculté. » En 1967, Pierre Dollé (1967), dans son discours d’accueil de la nouvelle présidente, Mme Defretin, évoque le transfert de la bibliothèque « dans un emplacement plus vaste et plus adapté que celui qui l'a vue croître depuis son origine. La Bibliothèque Universitaire va bientôt installer son fonds scientifique dans le nouveau bâtiment d'Annappes. Des pourparlers sont en cours. » À la suite de ce discours, la nouvelle présidente dresse un tableau tragique : « Littéralement abandonnée rue Gosselet, malgré tous les efforts de notre si dévoué bibliothécaire M. Mériaux, ses livres étaient lourdement menacés car le froid et surtout l'humidité en sont les pires ennemis. » Contact est pris avec Melle Bruchet, conservateur en chef de la Bibliothèque Universitaire, et, en 1970, « grâce à l'accueil bienveillant de Mme le Conservateur de la Bibliothèque Universitaire, [la bibliothèque] se trouve en dépôt dans les rayonnages de notre bibliothèque universitaire où elle occupe 2,5 km de rayonnages. » (Anonyme, 1970).
La convention passée alors entre la SGN et la Bibliothèque Universitaire prévoit un simple dépôt. La SGN n’ayant pas les moyens (compétences, finances) pour assurer une gestion à la hauteur de la valeur de ce fonds, elle signe avec l’Université de Lille 1, en 2009, une convention pour en faire don à l’université en échange d’un accès permanent ouvert à ses adhérents. Parallèlement, la SGN continue à alimenter ce fonds par la publication d’un tome annuel de ses Annales. L’enjeu est d’échanger cette publication avec quelques dizaines d’institutions scientifiques, dispersées sur les cinq continents, et publiant elles aussi une revue que la Bibliothèque Universitaire de Lille peut ainsi acquérir à bon compte.
La SGN et l’Université de Lille 1 décident aussi de clarifier les relations entre l’établissement public (université) et l’association de droit privé (SGN). Une convention-cadre est signée en 2015, assortie dès 2017 d’un avenant financier : une subvention universitaire forfaitaire, imputée au budget du Service Commun de Documentation (SCD), apporte à la SGN un soutien à la publication. Depuis 2020, par actualisation de la convention de 2015, l’Université de Lille accorde à la SGN un accès aux outils d’édition scientifique dont elle s’est dotée, tout en maintenant sa subvention forfaitaire. En échange de quoi la SGN s’engage à relancer une politique d’acquisition et une politique de restauration, menées en coordination avec le SCD.
Cette bibliothèque universitaire a bénéficié de lourds travaux entre 2011 et 20166, ses magasins rénovés et modernisés accueillent les collections de la SGN dans un espace dédié, dont la température et l’hygrométrie sont contrôlées en permanence (Fig. 7).
Figure 7
Le fonds documentaire de la SGN dans le magasin de LILLIAD (photographie J. Cuvelier).
The SGN documentary collection in LILLIAD reserve (picture J. Cuvelier).
Gestion de l’état physique des collections
De 1967 à 2009, le fonds n’étant qu’en dépôt à la Bibliothèque Universitaire, ne fait l’objet d’aucun traitement particulier. On a vu précédemment que les conditions de conservation rue Gosselet étaient alarmantes. Après plus de 50 ans d’un entretien insuffisant, le fonds de la SGN fait aujourd’hui l’objet d’une campagne systématique de conditionnement des brochures et des fascicules dans des boîtes et pochettes composées de matériaux neutres, de manière à limiter la dégradation du papier (Fig. 8). La collection date en effet très majoritairement des années 1850 à 1950, période à laquelle la pâte à papier, extraite du bois, était chargée d’agents blanchissants acides instables, dont l’effet perdure. Le papier brunit, devient cassant et s’effrite. Au-delà de la conservation préventive, la restauration de certains volumes s’avère nécessaire. La numérisation soignée des ouvrages et périodiques les plus rares permet d’en limiter la manipulation.
Figure 8
Conditionnement adapté des périodiques de la SGN dans des boîtes composées de matériaux neutres (photographie J. Cuvelier).
Appropriate packaging of SGN periodicals in boxes made out of neutral materials (picture J. Cuvelier).
Cependant, les premiers bibliothécaires en charge de cette collection ont été attentifs à son entretien, et ont consacré, de manière continue et régulière, des budgets pour la reliure des années de périodiques et des volumes les plus consultés. Le 10 mars 1871, M. Ladrière signale le mauvais état de la brochure de M. d’Omalius d’Halloy sur La Géologie de la Belgique et mentionne qu’il sera prochainement cartonné. Le 9 juin 1871, Jules Gosselet remet le 1er volume du Bulletin scientifique du Département du Nord (année 1869) et le bibliothécaire est chargé de faire brocher sur le même modèle le volume de l’année suivante (Ms SGN 1). Quelques années plus tard, les membres demandent que les fascicules des Proceedings of the Geological Society of London soient brochés (Ms SGN 1, séance du 1er février 1882). Au-delà de ces demandes ponctuelles, une politique plus systématique voit le jour, à partir de 1885 : sont proposés « la brochure d’un certain nombre de volumes afin de réunir des années de revues qui se trouvent en livraisons, et l’achat de cartons pour les cartes. » (Ms SGN 2, séance du 10 mai 1885, rapport de la Commission de la Bibliothèque). Les sociétaires sont d’ailleurs attentifs à la qualité des travaux de reliure : alors qu’un crédit de 100 francs est voté pour ces derniers, « plusieurs membres font remarquer que les travaux de reliure exécutés l’année précédente manquent de solidité malgré leur prix élevé. M. Leriche est prié d’insister auprès du relieur pour qu’il veille à fournir un travail plus soigné. Le Conseil décide de la reliure des Annales de la Société malacologique, du Bulletin de la Société Géologique d’Allemagne et de quelques ouvrages souvent consultés. » (Ms SGN 4, 10 juillet 1906).
Classement et catalogue
Maxime bien connue dans la profession, un livre mal rangé est un livre perdu. La rigueur et la pertinence du classement opéré par le bibliothécaire sont tout aussi importantes que le respect des règles de prêt. Sur les registres de prêt ne figure aucune cote avant 1967 : c’est à cette date que la collection est déposée à la Bibliothèque Universitaire, et qu’ont été attribuées les cotes actuelles des périodiques et monographies. Ce système de cotation permet d’identifier facilement le pays d’édition des périodiques, mais ne répond à aucun classement thématique pour les monographies. Le cadre de classement en cours de déploiement pour les brochures répond à une organisation par auteur ou producteur. Un autre système de cotation préexistait, visible encore sur quelques étiquettes de couleur saumon (Fig. 9), malheureusement, aucun registre d’inventaire ancien des monographies ne nous est encore parvenu. Nous disposons d’un catalogue des cartes de la SGN (Fig. 10) qui a été établi selon un classement géographique, et d’après les graphies, au fil des arrivées dans les collections, mais sans date d’entrée. Pour certaines séries, on dispose du prix d’achat ou de la mention « don » dans une colonne spécifique. En rouge figure une cote qui pourrait correspondre à un classement en tiroirs ou portefeuilles. Cet inventaire a été particulièrement précieux pour l’identification des cartes du fonds Heringen (Auguste et Delrue, 2020).
Figure 9
Quatre exemples de brochures avec un ancien système de cotation noté sur des étiquettes de couleur saumon (photographie A.N.R.T.).
Four examples of brochures with old shelf-marks on salmon-pink labels (pictures by ANRT).
Pour les monographies, en revanche, les inventaires dont nous disposons sont plus récents. Aussi, les mentions régulières portées aux procès-verbaux des séances, relatives à l’établissement de différents catalogues au fil des ans ne manquent-elles pas de nous intriguer. Ainsi, le 29 décembre 1875, la commission de la bibliothèque conclut son rapport en demandant aux membres « de bien vouloir voter les remerciements à M. Ladrière, notre actif et laborieux trésorier, pour le catalogue dont il vient de doter la société ». Deux ans plus tard, le secrétaire, sans doute las de reporter d’interminables listes d’ouvrages reçus, écrit : « la société a reçu les livres suivants – (voir catalogue) » (Ms SGN 1, séance du 21 novembre 1877).
Figure 10
Ancien catalogue des cartes de la Société Géologique du Nord (photographie J. Cuvelier).
Société Géologique du Nord ancient maps catalogue (picture by J. Cuvelier).
Ce catalogue ne semble pas mis à jour, ni diffusé auprès des membres de la SGN, puisque Jules Gosselet remarque « qu’il serait intéressant pour la plupart des membres de lire les ouvrages généraux comme la Paléontologie de M. Briart, mais nos confrères, et surtout ceux qui ne résident pas à Lille, ignorent le contenu de notre bibliothèque. Ne serait-il pas bon d’en publier le catalogue peu à peu, de manière que les fonds de la société ne s’en ressentent pas trop, et d’ajouter, sous forme d’une feuille volante, un bulletin bibliographique à chaque livraison de nos Annales, en attendant la fin de cette publication ? Une discussion générale s’engage à ce propos, et comme divers projets sont tour à tour proposés, la Société nomme pour examiner la question de publication du catalogue et l’organisation du prêt de livres aux membres résidant hors de la ville une commission composée de MM. Quarré-Reybourbon, Crespel, Guerne et Barrois. » (Ms SGN 1, séance du 21 février 1883).
Cette commission remet ses conclusions le 7 mars 1883, par la voix de Louis Quarré-Reybourbon : « La commission a décidé qu’une feuille de 16 pages avec pagination spéciale serait chaque année réservée dans nos Annales à cette impression. » La SGN vote l’impression du catalogue et nomme une commission composée de MM. Quarré-Reybourbon, Crespel et Six, « chargés de s’occuper de la question matérielle de ce travail. » (Ms SGN 1, séance du 7 mars 1883). Il semble que cette proposition soit restée vœu pieu : nous n’avons jusqu’à ce jour retrouvé aucune trace d’une telle publication. D’ailleurs, le 20 mai 1885, le rapport de la commission de la bibliothèque se conclut « en renouvelant le vœu que le catalogue de notre bibliothèque soit imprimé. » L’examen de cette question est remis à la prochaine séance (en réalité, ce n’est pas le cas…), de même que l’année suivante, « M. Quarré-Reybourbon renouvelle le vœu qu’il a fait l’année dernière que le catalogue soit imprimé. » (Ms SGN 2, séance du 3 mars 1886).
L’année suivante, c’est Charles Maurice, qui, donnant lecture du rapport annuel de la commission de la bibliothèque, revient à la charge. « Après avoir remercié de leur dévouement à la société MM. Six, Crespel, ancien bibliothécaire, et Quarré-Reybourbon, il demande à la Société de décider par un vote s’il n’y a point lieu de publier le catalogue de ses richesses bibliographiques. Après une discussion à laquelle prennent part MM. Barrois, Maurice, Gosselet, Péroche et Canu [Quarré-Reybourbon est absent à cette séance] et de laquelle il ressort que les échanges de périodiques paraissent mériter seuls la publication, le projet est renvoyé à la commission de la bibliothèque qui présentera ultérieurement une étude complète de la question. » (Ms SGN 2, séance du 1er juin 1887). Très clairement, les membres les plus influents de la SGN, et Charles Barrois au premier chef, ne voient pas l’intérêt de la publication de ce catalogue, si bien que tout le monde s’accorde (hypocritement ?) à trouver l’idée intéressante, en la renvoyant à l’étude d’une énième commission. La publication d’un tel outil de recherche, même à la seule destination des membres, aurait pourtant permis de valoriser ce fonds, et de le faire connaître plus largement.
Outre la rédaction et la publication d’un catalogue, le classement des ouvrages préoccupe également les sociétaires. Le conseil du 28 février 1908 « vote un crédit de 5F par mois destiné à rétribuer les services d’une personne pour le classement de la bibliothèque. M. Barrois propose pour remplir cet office Leclerc, employé au secrétariat. Celui-ci travaillera sur les indications du secrétaire de la société et sous la direction du préparateur de géologie. » (Ms SGN 4).
MM. Bertrand et Pruvost (Ms SGN 4, conseil du 1er décembre 1911) prennent l’initiative d’un nouveau rangement de la bibliothèque, sans précision de format (périodiques, monographies, cartes ?), selon un cadre géographique que nous citons infra :
- « l’armoire A concerne les pays étrangers, les pays latins et européens,
- les armoires B et C les Etats-Unis d’Amérique,
- les armoires D et E l’Angleterre et ses colonies, ainsi que le Mexique,
- l’armoire F la Russie, les pays scandinaves, la Bohême et la Roumanie (avec 2 rayons pour l’Allemagne),
- l’armoire G l’Allemagne,
- l’armoire H la Belgique,
- les armoires I à N, la France.
Une armoire spéciale est consacrée aux tirés à part. Les armoires O et P sont dédiées aux travaux du Geological Survey, au Japon et à la Toscane. »
Au tournant du XIXe et du XXe siècles, dans un contexte où se structurent les échanges entre les bibliothèques européennes et où se formalisent, dans un cadre international, les pratiques bibliothéconomiques professionnelles, les scientifiques organisent les moyens de leur coopération dans le cadre de congrès internationaux : en 1901, un catalogue international de la littérature scientifique voit le jour à l’initiative de la Royal Society (Tesnière, 2021). La réalisation d’index bibliographiques collectifs, le prêt international d’ouvrages et la normalisation des vocabulaires évitent la dispersion des moyens et des énergies. Les géologues et paléontologues s’emparent de la réflexion sur le classement des ouvrages dans leur discipline, et en débattent à l’occasion des congrès internationaux.
Au Congrès Géologique International de Berlin en 1885, Juan Vilanova y Piera (1888) propose la création d’un thésaurus géologique polyglotte. C’est en 1891, au Congrès Géologique International de Washington, que voit le jour la Commission internationale de bibliographie géologique, dont le secrétaire est Emmanuel de Margerie (Anonyme, 1893). Ses objectifs sont les suivants : dresser et publier une liste des bibliographies géologiques partielles existantes ; provoquer, dans les pays qui n’ont pas fait l’objet d’un tel travail, la rédaction de bibliographies géologiques correspondant à leur territoire ; étudier les moyens qui permettraient de centraliser la production d’une bibliographie courante. Les résultats sont exposés au Congrès Géologique International de Zurich en 1894 (Margerie, 1897), alors que se trouve sous presse le Catalogue des bibliographies géologiques (Margerie et Congrès Géologique International, 1896), organisé en une partie générale, et une partie régionale. Chacune des deux divisions est découpée en sections, allant du plus général au particulier. Lorsque Michel Mourlon, conservateur du Muséum des Sciences Naturelles de Bruxelles, spécialiste du Dévonien et créateur du Service géologique de Belgique présente, lors du Congrès de Saint-Pétersbourg en 1897, le premier fascicule de la Bibliographia Geologica, celle-ci présente l’originalité de respecter la classification décimale.
Michel Mourlon, dans sa Géologie de Belgique, en 1880, avait consacré 144 pages à sa bibliographie. Quand il prend la direction de la section de géologie au Musée d’Histoire naturelle de Belgique, il décide de renouveler le classement de la bibliothèque, et propose une réforme pour les bibliothèques scientifiques, dont il déplore l’« absence de classement rationnel et de catalogues systématiques à la portée du public. » (Anonyme, 1891). Pour y remédier, il propose un « nouveau classement, par ordre des matières », partageant les idéaux pacifistes et internationalistes des fondateurs de l’Office International de Bibliographie (OIB), Paul Otlet, Henri La Fontaine et Hippolyte Sébert, qui, tous trois, militaient pour la normalisation des outils intellectuels, afin d’en faciliter le partage et l’universalité. Paul Otlet et Henri La Fontaine créent, en 1905, la classification décimale universelle, adaptée d’après la classification décimale de Dewey. Les deux systèmes permettent d’organiser l’ensemble de la connaissance en 10 divisions, de 0 à 9, chacune d’entre elles pouvant à son tour être subdivisée. Enfin, Otlet et La Fontaine ambitionnent de créer un Répertoire bibliographique universel (RBU), rassemblant tous les ouvrages publiés dans le monde, et permettant de savoir, sur un sujet donné, tout ce qui a été publié. Michel Mourlon est nommé membre officiel de l’OIB en 1896. Membre associé de la SGN, il envoie régulièrement ses publications, tant géologiques que bibliographiques et bibliothéconomiques. Lors de la séance du 19 mars 1899, une note de Mourlon (1899) est lue en séance, à propos de la publication, par le service géologique de Belgique, des premières livraisons de la carte géologique, mais aussi, de la Bibliographia Belgica : « Le même établissement scientifique vient aussi de livrer à la publicité deux nouveaux volumes de la Bibliographia Belgica. Ce répertoire des travaux concernant les services géologiques, dressé d’après la classification décimale, comprend deux séries : la série A se rapportant aux publications antérieures à 1896, et la série B renseignant tous les travaux parus à partir du 1er janvier 1896. L'indice bibliographique qui accompagne le titre de chaque publication donne l'analyse chiffrée et détaillée du contenu de celle-ci, si l'on en cherche la signification dans le petit ouvrage intitulé « la Classification décimale de Melvil Dewey », complétée pour la partie 549-559 de la Bibliographia Universalis par le Dr G. Simoens, et appropriée à l'élaboration de la Bibliographia geologica, par Michel Mourlon. » (Mourlon, 1899).
Il semble toutefois que ces travaux n’aient guère passionné les membres de la SGN, pas même les bibliothécaires de la société, puisque le volume de la CDD appliquée aux sciences géologiques (Simoens & Mourlon, 1898) n’est même pas découpé ! Le fonds des brochures de la SGN ne compte pas moins de 13 brochures et tirés à part consacrés à ces questions de bibliographie géologique, la plupart adressées à la SGN avec envoi. Curieusement, Emmanuel de Margerie est très critique à l’égard de cette entreprise (Margerie, 1903) : en témoigne une série d’échanges assez stériles où Michel Mourlon (ou son associé G. Simoens) et E. de Margerie s’invectivent par articles interposés (Simoens, 1904 ; Margerie, 1904). Depuis les reproches à propos de coquilles d’impression jusqu’aux attaques ad hominem, en passant par des accusations de « pamphlet », d’« élucubrations » et de « critiques puériles », la lutte bibliographique est sans merci, et le principal reproche des bibliographes belges à l’égard de la Commission géologique internationale défendue par Emmanuel de Margerie est d’être « façonnée sur un patron déjà bien démodé » !
Que pensèrent les membres de la SGN de ce débat ? Gageons qu’ils n’en furent guère émus, mais, soucieux d’une bonne visibilité de leurs publications, ils n’ont pas manqué de répondre à la demande de l’Institut International de Bibliographie (héritier de l’OIB) leur réclamant les tables des volumes XX à XXIX des Annales (Ms SGN 4, séance du 6 février 1907) pour la mise à jour du répertoire bibliographique universel.
Constitution des collections
À grands traits, la bibliothèque de la SGN connaît une croissance forte depuis sa création jusqu’à la Seconde Guerre mondiale : dons de ses membres (titulaires, correspondants et associés), échanges avec d’autres sociétés savantes. Parfois complété par des acquisitions onéreuses, dans les premières années d’existence de la SGN, ce modèle d’accroissement ne reposant que sur les dons et échanges a souffert de n’être pas enrichi, après-guerre, par des acquisitions choisies et sélectionnées par les membres, le volume des échanges se réduisant progressivement, puis drastiquement à partir des années 1980. Les différentes voies de constitution de ce fonds ont-elles, au moins partiellement, répondu à une politique documentaire ?
Achats et abonnements
Les acquisitions onéreuses constituent, de loin, le mode d’entrée le moins fréquent. Lors de la création de la SGN, sont décidées des « acquisitions d’utilité immédiate », qui s’avèrent malheureusement, pour certains titres, indisponibles en librairie. Ces ouvrages, « destinés à former la première case de la Bibliothèque particulière de l’Association » sont les suivants :
« Les Bulletins de la Société Géologique de France
Le Bulletin des Progrès de la Géologie
Dewalque, Prodrome d’une description géologique de la Belgique
Omalius d’Halloy, Précis de Géologie, 8e édition
Lyell, Manuel de Géologie (6e édition traduction)
Meugy, Essai de géologie pratique de la Flandre française
Burmeister, Histoire de la Création (traduction)
Coquand, Traité des roches
Le Hardy de Beaulieu, Guide minéralogique dans le Hainaut, et l’entre-Sambre-et-Meuse
Lambert, Cours élémentaire de Géologie
Loriol et Pellat, Monographie Paléontologique et Géologique de l’étage Portlandien de Boulogne-sur-Mer
Woodward, Manuel de Paléontologie (trad. Par Humbert)
Basterot, Description géologique du Bassin tertiaire du Sud-Ouest de la France » (Ms SGN 1, séance du 11 février 1870).
Dès l’année suivante, « l’état déjà satisfaisant de notre bibliothèque particulière ne fait pas prévoir à bref délai des achats de livres bien importants… », mais « Monsieur Gosselet engage les sociétaires à rechercher les ouvrages dont l’acquisition leur paraîtrait utile. » (Ms SGN 1, séance du 10 mars 1871). L’acquisition ponctuelle de cartes fait débat, et quelques abonnements sont rapidement décidés : le Bulletin scientifique, historique et littéraire du département du Nord et des pays voisins en 1871, la Revue Trimestrielle en 1872. En 1890, Jules Ladrière propose de souscrire un abonnement à La Statistique houillère publiée sous la direction de M. Delcroix, il demande également la continuation de l’abonnement au Bulletin scientifique du Nord et de la Belgique. Le seul abonnement souscrit de manière récurrente au début du XXe siècle est L’Anthropologie, de 1892 à 1914.
En 1871, les dépenses pour achats de livres, de cartes et d’abonnements, ainsi que la gratification du concierge, s’élèvent à 142 francs. L’année suivante, pour les mêmes postes auxquels s’ajoutent des impressions : 234,40 francs ; en 1873, pour les mêmes postes et la cotisation à la Société Géologique de France, 480 francs. Le budget de 1874 est très contraint, et dès le 18 février, il est décidé de « renoncer à toute nouvelle acquisition de livres » (Ms SGN 1). Les sociétaires n’en dressent pas moins une liste d’ouvrages « pour être acquis en des temps meilleurs », comme L’Iconographie zoophytologique : description par localités et terrains des polypiers fossiles de France et des pays environnants d’Hardouin Michelin (une suggestion de Charles Barrois). Finalement, l’attribution d’une subvention permet de consacrer 122,85 francs à des achats documentaires et abonnements. 1875 est aussi l’année où la SGN commence à financer ses publications, Annales et Mémoires ; dès lors, la plus grande partie du budget annuel, d’après les sources comptables dont nous disposons, est consacré aux frais de publications, et il devient rare de voir mentionnés des achats de documentation. Notons que, lors de l’examen des comptes de l’année 1885, « M. Gosselet fait remarquer que les recettes et les dépenses pourraient être balancées et que l’excédent des recettes sur les dépenses pourrait être porté au compte d’achats de livres. Cette proposition est adoptée. » (Ms SGN 2, séance du 17 février 1886).
La recherche d’un équilibre financier entre dépenses liées aux publications (la librairie) et dépenses liées au fonctionnement de la SGN (ici, à l’accroissement de sa bibliothèque) n’a rien de récent.
Dons et legs
Les membres fondateurs de la SGN sont aussi ses premiers donateurs, et ne se satisfont pas d’offrir uniquement leurs propres travaux. Jules Gosselet est remarquablement généreux pour la bibliothèque (Fig. 11 A-C), et ce, de manière continue. Soulignons le don particulièrement important de sa collection du Quaterly Journal of the Geological Society of London (années 1876 à 1903) (Anonyme, 1906). En 1935 et 1936, Charles Barrois donne une impressionnante collection de 350 cartes géologiques de différents pays (Anonyme, 1935 ; 1936).
D’autres membres titulaires ont légué à la SGN leur bibliothèque géologique, comme M. Daubrée (Anonyme, 1897, 24 notices de monographies SGN mentionnent Daubrée comme ancien possesseur), Jules Péroche (Anonyme, 1914) et Abel Briquet (Anonyme, 1948). Un ouvrage a notamment attiré notre attention, il s’agit d’un des trois exemplaires du Manual of Geology, de Dana (référencé SGN 122 dans le fonds, Fig. 11 D-F) : il comporte un cachet du legs Daubrée, mais est aussi signalé comme un don de Barrois à l’Institut de Géologie. Très récemment, en 2014 et 2019, Francis Amédro a donné des ouvrages extrêmement rares venus augmenter les collections de la bibliothèque de la SGN.
Figure 11
Dons et legs de savants au fonds documentaire de la SGN : A. SGN 1552 : Crustacés divers et poissons des dépôts siluriens de la Bohème par Joachim Barrande (1872), avec une dédicace de l’auteur à « Monsieur Gosselet professeur à la faculté des Sciences de Lille » et la signature de Jules Gosselet « donné à la Société géologique du Nord » ; B. Etiquette de la bibliothèque J. Gosselet sur la couverture ; C. Tampon de don de Jules Gosselet à la SGN sur la page de titre ; D. SGN 122 : Manual of geology : treating of the principles of the science with special reference to American geological history, for the use of colleges, academies and schools of sciencepar James Dana (1864) ; E. Tampon du legs de M. Daubrée et dédicace de l’auteur « M. le Prof. Daubrée with the respects and esteem of the author. New Haven, Febr. 16. 1864 » ; F. Tampon de don de Charles Barrois sur la page de garde (photographies A.N.R.T.).
Donations and bequests from scholars to the SGN documentary fund : A. SGN 1552 :Crustacés divers et poissons des dépôts siluriens de la Bohème by Joachim Barrande (1872) with dedication of the author to « Monsieur Gosselet professeur à la faculté des Sciences de Lille » and the signature of Jules Gosselet « donné à la Société géologique du Nord »; B. J. Gosselet library label on the cover; C. Jules Gosselet donation stamp to SGN on the title page; D. SGN 122: Manual of geology: treating of the principles of the science with special reference to American geological history, for the use of colleges, academies and schools of science by James Dana (1864); E. Stamp of the legacy of Mr Daubrée and dedication of the author« M. le Prof. Daubrée with the respects and esteem of the author. New Haven, Febr. 16. 1864 »; F. Charles Barrois donation stamp on the front page (pictures by A.N.R.T.).
Certains des dons, enfin, émanent de personnalités scientifiques n’appartenant pas à la SGN : par exemple, Joachim Barrande, l’Abbé Coemans, ou encore Ernest Munier-Chalmas.
Avant même l’instauration des échanges, certaines sociétés savantes, comme la Société des Sciences, de l’Agriculture et des Arts de Lille, ou le Musée d’Histoire naturelle de Douai, ont fait don de volumes publiés sous leurs auspices.
Ces dons sont tellement nombreux, et fastidieux à reporter aux procès-verbaux des réunions que le secrétaire de la SGN, dès le 20 novembre 1873, demande s’il est vraiment nécessaire de les y mentionner tous, question à laquelle les membres présents répondent par l’affirmative (heureusement pour nos recherches !) d’autant que le 3 mars 1875, il est décidé « qu’on n’imprimera pas les noms des donateurs dans les Annales. » (Ms SGN 1). Jusqu’au 1er février 1882, la transcription de l’ensemble des ouvrages et fascicules reçus était exhaustive, ce n’est plus systématique ensuite.
Aujourd’hui, le SCD accepte toujours des dons sélectionnés d’ouvrages anciens, rares et précieux, et d’archives scientifiques, quand ces documents viennent compléter et enrichir les fonds dans l’un de ses domaines d’excellence.
Les travaux des membres correspondants et associés
Le 3 juin 1873, est créé le statut de membre correspondant. L’admission de ces membres est étudiée sur la base d’un rapport, confié à un ou plusieurs membres de la SGN, sur les travaux fournis par le candidat, qui constituent un apport non négligeable pour la bibliothèque (tirés à part et monographies). Ainsi, G.A. Labour (professeur de géologie à Newcastle), envoie sa candidature le 17 janvier 1877, accompagnée de sept de ses travaux ; JW Judd adresse le 7 février 1877 huit de ses ouvrages ; D. Kayzer enfin, envoie régulièrement ses publications nouvelles depuis qu’il a été nommé membre associé le 20 décembre 1876 (Ms SGN 1) (Fig. 12). Parmi ces donateurs réguliers, citons également Edmond Hébert, John Bigsby, Gustave Dewalque, Constantin Malaise, Jacques-Raoul Tournouer, Jules Cornet, Alphonse Briart, Guglielmo Guiscardi, Ernest Van den Broeck, Giovanni Capellini, Charles Velain… (Fig. 13). En 1899, Charles Barrois rend hommage au professeur James Hall, membre associé de la SGN, qui avait assisté à une séance en 1878, et « doté notre bibliothèque de livres remarquables » (Barrois, 1899) (Nb : Au cours du temps, le statut de membre associé a remplacé celui de membre correspondant).
Figure 12
Envoi de travaux par des membres correspondants : A. SGN 10038 : Mémoire sur les phénomènes d'altération des dépôts superficiels par l'infiltration des eaux météoriques étudiés dans leurs rapports avec la géologie stratigraphique par Ernest Van den Broeck (1881) avec une dédicace manuscrite « A Monsieur Jules Gosselet, Hommage affectueux » ; B. SGN 307 : Contributions to the study of volcanos par John Judd (1876) avec une dédicace manuscrite « M. Ch. Barrois, With the author’s king regard » ; C. SGN 1830 : Lehrbuch der allgemeinen Geologie für Studirende und zum Selbstunterricht par Emanuel Kayser (1893) avec une dédicace manuscrite « A la Société géologique du Nord, Hommage de l’auteur » (photographies A.N.R.T.).
Submission of work by corresponding members: A. SGN 10038 : Mémoire sur les phénomènes d'altération des dépôts superficiels par l'infiltration des eaux météoriques étudiés dans leurs rapports avec la géologie stratigraphique by Ernest Van den Broeck (1881) with a handwritten dedication « A Monsieur Jules Gosselet, Hommage affectueux »; B. SGN 307 : Contributions to the study of volcanos by John Judd (1876) with a handwritten dedication « M. Ch. Barrois, With the author’s king regard »; C. SGN 1830: Lehrbuch der allgemeinen Geologie für Studirende und zum Selbstunterricht by Emanuel Kayser (1893) with a handwritten dedication « A la Société géologique du Nord, Hommage de l’auteur » (pictures by A.N.R.T.).
Le 17 février 1886, M. Gosselet « fait connaître des documents relatifs aux membres associés. Il fait remarquer que l’on avait spécifié que la société n’enverrait ses Annales qu’aux membres associés qui nous feraient parvenir leurs travaux. Or, certains membres publient beaucoup et n’envoient absolument rien. La société décide qu’une lettre de rappel sera envoyée aux membres associés. » (Ms SGN 2).
Figure 13
Brochures des travaux de Charles Vélain, en cours de catalogage, autographiés à la SGN. La brochure en haut à gauche porte la mention « Société géologique de Lille, Hommage de l’auteur » et la brochure en haut à droite « Société géologique du Nord, Hommage de l’auteur » (photographie J. Cuvelier).
Brochures Charles Vélain’s works, in the process of being cataloged, autographed at SGN. The brochure at the top left is marked "Société géologique de Lille, Hommage de l’auteur" and the brochure at the top right "Société géologique du Nord, Hommage de l’auteur" (picture by J. Cuvelier).
Ces « dons » des membres associés relevaient donc partiellement d’un échange, et, de par leur caractère très scientifique, spécialisé et ciblé, participaient d’un développement organisé du fonds.
Échanges
Les échanges mentionnés ici désignent l’envoi réciproque des revues entre les sociétés savantes. Cette circulation des savoirs scientifiques (Chaubet & Martin, 2011), née avec la République des Lettres aux XVIe et XVIIe siècles connaît au XIXe siècle une expansion considérable. Le marché de l’édition se développe, l’édition scientifique émerge pour répondre à un marché en expansion : structuration de l’université sous la IIIe République, augmentation massive du corps médical, multiplication des sociétés savantes sont autant de facteurs de développement d’une clientèle avide de telles lectures. Ces publications scientifiques exigent des illustrations en nombre, et de grande qualité, nécessitant d’importantes mises de fonds, raison pour laquelle l’édition des monographies scientifiques se concentre sur le catalogue de quelques grosses maisons, souvent passées de la librairie à l’édition, comme Crochard, Masson, ou Klincksieck (Parinet, 2004).
À côté de ces entreprises prestigieuses se développe un réseau très dense de diffusion de travaux de recherche et d’érudition, dans les bulletins des sociétés savantes. En France, sur un corpus de 1385 titres de périodiques créés entre 1800 et 2002, la création de 48,7 % des titres se concentre entre 1851 et 1910, dont 22,1 % entre 1881 et 1900 (Tesnière, 2021) ! La France ne fait pas figure d’exception mais illustre un phénomène mondial : de nouvelles sociétés savantes voient le jour sur les cinq continents, et leurs membres appartiennent généralement à plusieurs sociétés, démultipliant ainsi leurs réseaux de veille et d’influence (Chaline, 1998). La figure de Louis Quarré-Reybourbon (1824-1906), libraire et éditeur lillois, auteur de plus de 95 ouvrages et brochures, illustre bien ce phénomène. Il fut bibliothécaire de la SGN entre 1887 et 1903, et auteur de quelques communications à caractère plus archéologique que géologique. Membre de la Société des Sciences, de l’Agriculture et des Arts de Lille (SSAAL), de la Société de Géographie de Lille, de l’Union artistique du Nord, de la Société régionale d’horticulture du Nord de la France, et de la Commission historique du département du Nord, sociétés où il a régulièrement accepté des responsabilités (de bibliothécaire, trésorier, vice-président ou président), il a également appartenu à la Société des Antiquaires de France, à la Société Française d’archéologie, à la Société des études historiques, à la Société française de numismatique, au Cercle archéologique de Mons, et à la Société royale de numismatique belge (Anonyme, 1909).
Les liens entre la SGN et les sociétés savantes régionales sont étroits, on perçoit tout particulièrement les appartenances croisées des membres de la SGN et de la SSAAL, au détour des présentations des nouveaux membres notamment. Ainsi, Benjamin Corenwinder, alors président de la SSAAL et membre de la SGN, est le premier à évoquer la perspective d’échanges et de présentations de travaux entre les deux sociétés (Ms SGN 1, séance du 5 décembre 1872). Dès le début de l’année 1874, alors que la SGN n’a pas encore concrétisé ses projets de publication des Annales et Mémoires, mais dispose de quelques Bulletins résumant le contenu scientifique des séances, arrivent les premières demandes officielles d’échanges de publications, émanant de sociétés savantes amies : Société malacologique de Belgique (Ms SGN 1, séance du 18 février 1874), Société Géologique de Normandie (Ms SGN 1, séance du 18 novembre 1874).
Avec la publication des Annales et des Mémoires, bien plus attrayants que les seuls Bulletins produits jusqu’alors, l’année 1875 est une année charnière. Dans l’objectif affiché de développer sa bibliothèque en sélectionnant les sociétés dont elle souhaite obtenir les productions, la SGN fait de ses propres publications une monnaie d’échange pour accroître à la fois sa notoriété, et sa bibliothèque. Tout comme elle en a reçu elle-même de la part de la Société malacologique de Belgique ou de la Société géologique de Normandie, elle adresse des courriers de demandes d’échanges à un certain nombre de sociétés (Annexe 2).
A la lecture des procès-verbaux, il ne nous échappe pas que d’âpres négociations ont accompagné certains des échanges. Il est répondu par la négative à une demande d’envoi des publications de la SGN aux bibliothèques du Musée du Trocadéro et du Muséum d’Histoire naturelle, en 1885, au motif que le Ministère de l’Instruction Publique n’octroie plus de subvention à la SGN (Ms SGN 2, séance du 2 décembre 1885). De même, certains échanges sont accordés avec un effet rétrospectif conséquent, permettant de constituer d’entrée un état de collection intéressant. Ainsi, en 1891, l’Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg échange la série complète des Annales contre ses propres publications depuis 1870. En 1912, est décidé l’échange du Bulletin du Muséum depuis 1895, contre les Annales et les Mémoires depuis 1906 (Ms SGN 4, séance du 21 juin 1912). Enfin, en cas de réclamation d’une société amie pour des exemplaires des Annales ou Mémoires non reçus, le bibliothécaire s’assure d’abord de la complétude des publications de ladite société dans le fonds, comme dans le cas de la demande reçue de la Société Malacologique de Belgique (Ms SGN 2, séance du 7 novembre 1883 : « L’envoi est décidé, avec réclamation des volumes manquants à notre Bibliothèque. »).
Il arrive que cessent certains échanges, soit du fait de la société donatrice (c’est le cas du Wagner Free Institute of Science en 1905, du Mining Journal de Londres en 1910), soit du fait de la SGN, qui missionne régulièrement certains de ses membres pour remettre un rapport sur les échanges (MS SGN 1, rapports de M. Duponchelle, 17 novembre 1880 et 6 décembre 1882). C’est alors l’occasion d’éliminer les échanges les moins pertinents, de préparer des lettres de rappel pour les sociétés dont les publications ne parviennent pas suffisamment régulièrement, ou de revoir les équilibres : en échange des revues les moins intéressantes, la SGN préfère proposer l’envoi des Mémoires plutôt que des Annales. De fait, cette politique n’est pas sans conséquence sur les finances de la SGN : il faut par exemple décider d’augmenter le tirage des publications « pour favoriser les échanges » (Ms SGN 1, séance du 1er février 1882). On vise non seulement un équilibre financier, mais aussi un équilibre des relations entre sociétés : les échanges avec les sociétés régionales dont les thématiques sont éloignées des sciences de la Terre font probablement l’objet de débats : en 1882, « il est décidé que les échanges seront continués avec les sociétés de la région du Nord. » (Ms SGN 1, séance du 6 décembre 1882, rapport de M. Duponchelle sur les échanges de la société).
Le 5 décembre 1890, Charles Barrois, rapporteur de la commission de la librairie (Ms SGN 2, séance du 5 décembre 1890), propose de cesser les échanges avec : la Société d’étude des sciences naturelles de Béziers, la Société des sciences naturelles de la Charente-Maritime, la Société archéologique de Vervins, l’Académie d’Arras, l’Union géographique du Nord de la France à Douai, l’Académie de Saint-Quentin. Il est également décidé de suspendre l’envoi de publications au Magyar nemzeti múzeum (musée national hongrois) à Budapest, au Naturhistorischen Hofmuseum de Vienne, à la Société d’Agriculture, des Sciences et des Arts de Valenciennes, à la Société d’Agriculture et des Arts de Douai, et à la Société d’Émulation de Cambrai. Vingt ans plus tard, la Société des Arts de Douai demande la reprise des échanges, mais on lui répond avec condescendance que « le conseil regrette de ne pouvoir échanger qu’avec les sociétés savantes. » (Ms SGN 4, séance du 9 novembre 1910). Enfin, la SGN décide de substituer l’envoi des Mémoires à celui des Annales dans les nouveaux échanges. Certains échanges un temps suspendu peuvent également reprendre comme avec la Société linnéenne du Nord de la France à Amiens (Ms SGN 4, séance du 10 juillet 1906).
La décision de solliciter ou d’accepter un échange fait l’objet d’un vote, fondé sur l’examen des fascicules envoyés au préalable. Il arrive qu’une demande d’échange soit refusée si la société demandeuse n’envoie pas un échantillon représentatif de ses publications, comme c’est le cas avec le Geological Survey de l’Illinois.
Charles Barrois exerce une certaine influence, semble-t-il, sur la détermination des échanges, peut-être au gré des voyages d’études et des rencontres lors de congrès internationaux. Après son voyage aux États-Unis à la fin de l’année 1878, les échanges avec les revues américaines sont plus nombreux. De même, Abel Briquet, de retour d’un voyage en Suède en 1910, incite ses confrères à développer les échanges avec les revues scandinaves (Ms SGN 4, séances des 28 octobre et 9 novembre 1910). Par ailleurs, les procès-verbaux mentionnent à plusieurs reprises des interventions de Charles Barrois pour convaincre ses confrères de l’intérêt d’accepter tel ou tel échange, allant parfois à l’encontre de l’avis du rapporteur désigné : c’est le cas pour les publications de la John Hopkins University, qui avait assorti sa demande d’un volume ne comprenant pas de géologie, ou encore du Survey of India.
La liste en annexe 2 est éloquente, l’incroyable richesse de cette collection repose sur les échanges des publications périodiques.
Quelle politique documentaire ?
Les premiers procès-verbaux laissent paraître les avis des membres sur certaines publications. À propos de l’opportunité de souscrire un abonnement aux Bulletins de l’Académie de Belgique : ils sont « intéressants mais entremêlés de matières étrangères à la géologie » (Ms SGN 1, séance du 10 mars 1871). Jules Ladrière propose l’acquisition de trois volumes de La Bibliothèque des Merveilles, célèbre collection de vulgarisation scientifique fondée en 1864, aux titres accrocheurs et aux illustrations saisissantes, largement diffusée comme livres de prix ou d’étrennes. « Malgré le peu de valeur scientifique de ces ouvrages » (Ms SGN 1, séance du 9 juin 1871), la Société valide cette acquisition… en raison de son prix peu élevé. Le même jour, il est débattu de l’achat d’un ouvrage de botanique élémentaire, mais Jules Gosselet estime que « ça s’écarte trop du cadre tracé par le règlement ». Il signale par ailleurs la publication prochaine d’un travail sur les végétaux houillers, demande que l’on cherche des recueils traitant des fossiles des terrains primaires et conseille de « ménager les ressources pour ces occasions ». L’achat d’un ouvrage de Gustave Lennier (1868) est différé, car jugé « trop peu stratigraphique » (Ms SGN 1, séance du 9 janvier 1873).
Les refus d’échanges sont la plupart du temps motivés par des contenus trop éloignés des préoccupations de la SGN : « trop littéraire » (Ms SGN 4, séance du 10 décembre 1913 à propos de la demande d’échange de l’Athénée du Pertuis), ou encore, « la revue ne traitant point de géologie, l’échange n’est pas décidé » (Ms SGN 1, séance du 18 juillet 1883, à propos de La Feuille du jeune naturaliste), « La Société ne peut accepter cette proposition puisqu’elle n’échange ses travaux qu’avec les sociétés qui publient de la géologie et après examen des travaux » (Ms SGN 2, séance du 22 juillet 1885, suite à la demande du Bureau de l’Académie d’Hippone à Bone), mais parfois, les justifications ne figurent tout simplement pas au procès-verbal : « La société décide qu’il n’y a pas lieu d’accepter l’échange de publications. » (Ms SGN 2, séance du 18 juin 1884, suite aux demandes de la Société des sciences naturelles d’Elberfeld et de l’Académie de Cordoba).
Très majoritairement constituée par dons et échanges, modes d’entrée qui échappent par nature à une sélection précise de chaque titre sur des critères scientifiques et documentaires, le fonds SGN répond-il à une « politique documentaire » au sens moderne du concept ? En termes bibliothéconomiques, « la politique documentaire est un processus visant à rendre des collections pertinentes à des publics dans le cadre des priorités de la politique publique. Elle s’exprime dans les processus d’acquisition (et parallèlement de désherbage et de conservation), de valorisation et de médiation des collections ainsi constituées, d’organisation de ces collections. » (Calenge, 2014). Stricto sensu, aucune analyse qualitative régulière de la collection ne vient étayer les choix d’accroissement ou d’élimination des documents conservés. Aujourd’hui considéré comme fonds patrimonial dans son ensemble, aucune élimination n’est envisagée, ni envisageable, bien que quelques ouvrages soient présents en deux voire trois exemplaires. Pour autant, la constitution du fonds a répondu à un petit nombre de critères très simples à résumer : correspondre aux domaines intéressant la Société et auxquels elle consacre des communications en séance, et répondre à un niveau scientifique généralement exigeant. Ces deux critères ont permis d’offrir aux membres de la SGN un ensemble documentaire pertinent pour leurs activités de recherche, complémentaire des autres collections à leur disposition (bibliothèques de la Faculté, du laboratoire de géologie, puis bibliothèque universitaire), et rendant compte de l’activité scientifique en géologie et en paléontologie, dans un très grand nombre de pays. C’est donc en tenant compte de ce corpus d’ouvrages rares, voire uniques, et de ses particularités thématiques que le Service Commun de Documentation accroît de manière continue les collections en géologie, tant au format imprimé que numérique. La labellisation, le 6 mai 2021, des fonds de géologie et de paléontologie conservés à l’Université de Lille « Collection d’excellence » par le Groupement d’Intérêt Scientifique CollEx-Persée, apporte une reconnaissance officielle de la rareté et de l’intérêt de ces collections pour les chercheurs. Nous traiterons des questions de valorisation et de médiation des collections dans la dernière partie de cette étude.
Quelle collection aujourd’hui ?
Les données statistiques
En complément à l’analyse des archives, une étude statistique a été menée à partir de données issues de deux exports des notices SGN du SUDOC en 2016, avant que le fonds documentaire de la SGN réintègre les magasins du nouveau bâtiment de LILLIAD.
Le Système Universitaire de Documentation (ou SUDOC) est le catalogue collectif des bibliothèques de l’enseignement supérieur. C’est un outil de localisation des documents, de partage de notices, et de gestion du prêt entre bibliothèques ( http://www.sudoc.abes.fr/cbs/). Deux exports ont été réalisés : un export pour les monographies (traditionnellement désignées par le terme de livres, ou ouvrages) et un export pour les périodiques (publications paraissant généralement à intervalles réguliers, pendant une durée non limitée, ou non définie à l’avance, souvent avec une numérotation par volume, tome ou simple numéro).
Lors du dépouillement de l’export concernant les périodiques, il est apparu plusieurs anomalies corrigées par un récolement ponctuel de certaines des cotes en question directement en magasin. Ainsi, cette démarche a permis de déceler plusieurs documents, soit non-catalogués, soit rangés sous des cotes de périodiques mais appartenant à des collections de monographies, des brochures et des cartes géologiques. Ces documents n’ont donc pas été pris en compte pour l’analyse des périodiques. Bien qu’il y ait encore des notices à corriger concernant le fonds documentaire de la SGN, les données recueillies sont suffisantes pour les analyser et rendre compte des modalités de constitution de ce fonds documentaire.
Ainsi, 2 743 notices de monographies sont analysées selon un point de vue géographique, chronologique et en fonction de la rareté de l’ouvrage.
Pour chaque notice de monographie, trois données sont recensées :
- le pays de l’éditeur. Le pays renseigné dans les notices du SUDOC est le pays actuel dans lequel est située la ville éditrice de l’ouvrage, donc les analyses ne prennent pas en compte les évolutions des frontières nationales au cours des siècles. Lorsque figurent plusieurs villes d’édition, donc plusieurs pays, le premier pays a été sélectionné. Pour les notices SUDOC ne présentant aucun pays d’édition, le titre du document et la nationalité de l’auteur ont été utilisés pour identifier le pays.
- l’année de publication de la monographie. Lorsque la notice présente un intervalle temporel, c’est la date la plus récente qui est comptabilisée. Les notices avec une date hypothétique (par exemple « 1906 ? ») ont été considérées comme probante afin d’analyser les données les plus complètes. Une recherche complémentaire a identifié les dates précises de 13 monographies. Seuls 7 documents demeurent sans date.
- le nombre de bibliothèques qui détiennent le document identifié par la notice. Les unica sont des monographies dont un seul exemplaire est répertorié dans le SUDOC. Pour ces documents, une vérification supplémentaire a été réalisée car certaines monographies possèdent plus d’une notice dans le SUDOC comme les monographies en plusieurs volumes : une pour l’ensemble des volumes, et une pour chaque volume. Dans ce cas, le nombre des bibliothèques est corrigé dans l’analyse des données.
Par ailleurs, 1 631 notices de périodiques sont analysées selon un point de vue géographique et chronologique.
Pour chaque notice de périodique, deux données ont été considérées : le pays de l’éditeur de la revue, et l’état de collection. La détermination du pays répond à la même méthode que celle mentionnée pour les monographies. L’état de collection est l’ensemble des fascicules présents dans une bibliothèque. Pour l’analyse chronologique, les périodiques présentant moins de trois années consécutives sont écartés de l’analyse car ils ne relèvent probablement pas d’un échange régulier, l’objectif étant d’identifier la politique d’échanges de la SGN.
Interprétations
L’évolution du nombre de monographies du fonds documentaire de la SGN au cours des années est reportée sur la figure 14. Au premier abord, la variation du nombre de documents est très chaotique, néanmoins, une abondance d’ouvrages correspondant à trois périodes d’édition se dégage : entre 1875 et 1888, du début du XXe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale (1900-1913), et l’entre-deux-guerres (1922-1939). Une croissance semble s’amorcer à nouveau vers 1960, sans dépasser les chiffres importants de la première moitié du XXe siècle à l’exception de l’année 1993 avec 31 monographies présentes dans le fonds documentaire, ce chiffre élevé étant le résultat de la parution de 17 documents par le Geological Survey of Canada. À partir de 1998, le nombre des monographies décline.
Figure 14
Évolution du nombre de monographies et de membres de la SGN de 1810 à 2015. Réalisées d’après l’export SUDOC et le tableau 5 de l’article Blieck et al., 2014. Ont été indiqués la création de la SGN et les deux guerres mondiales.
Evolution of the number of monographs and members of the SGN from 1810 to 2015. Realized according to the SUDOC export and table 5 of the article Blieck et al., 2014. The creation of the SGN has been indicated and that the two World Wars.
Ce graphique reflète en partie la production éditoriale et les modalités d’enrichissement du fonds documentaire. Ainsi, la baisse du nombre de monographies entre 1913 et 1922 et après 1939 correspond aux deux guerres mondiales, pendant lesquelles la production d’écrits est ralentie, voire interdite dans certains pays. Néanmoins, le XXe siècle a connu une explosion de l’édition de documents, sans que cette évolution se soit atténuée, vers la fin du siècle, contrairement à la courbe du nombre de monographies du fonds documentaire de la SGN. C’est pourquoi la fluctuation de cette courbe dépend aussi des méthodes utilisées pour enrichir le fonds documentaire : l’achat d’ouvrages et les dons.
Les variations chaotiques du nombre de monographies ne montrent pas des paliers stables qui pourraient rendre compte d’un budget régulier d’achat de plusieurs monographies chaque année. Ainsi, dans les procès-verbaux de la SGN, peu d’achats sont évoqués ; les membres du bureau limitent le budget dès 1871, voire renoncent à de nouvelles acquisitions en 1874. Les frais de publication des Annales et des Mémoires ainsi que les dépenses pour l’aménagement de la bibliothèque limitent fortement le budget pour l’achat d’ouvrages.
En fait, le fonds documentaire est surtout le résultat des dons faits à la SGN, que cela soit une bibliothèque d’un adhérent de la SGN, comme Gabriel Auguste Daubrée ; ou d’un professeur, Jules Gosselet et Charles Barrois étant parmi les plus connus. Le fonds ainsi comprend 163 monographies datées d’avant la création de la SGN, provenant probablement des dons et legs. Cependant, l’envoi ponctuel des travaux géologiques par leurs auteurs est la modalité la plus fréquente d’enrichissement. Le réseau des membres correspondants a fourni plusieurs monographies et brochures. Les trois périodes constatées sur le graphique correspondent à une époque où la SGN est prospère et où les avancées scientifiques sont diffusées par les sociétés savantes. Vers la fin du XXe siècle, les scientifiques se sont tournés vers les revues internationales dissociées des sociétés savantes, et l’envoi de leurs travaux à ces sociétés régionales n’avait plus autant d’impact qu’auparavant dans la communauté scientifique. En conséquence, les dons ont diminué drastiquement.
En 2014, la SGN a publié un mémoire sur l’histoire des géosciences dans le Nord de la France, dans lequel Blieck et al. (2014) recensent le nombre de membres de la SGN de 1870 à 2012. En reportant ces valeurs sur la figure 14, il apparaît que le nombre de monographies et le nombre des adhérents suivent une forte hausse de la naissance de la SGN jusqu'aux années 1970, ce qui nous amène à conclure que le réseau des membres correspondants et les membres de la SGN ont enrichi le fonds par leurs dons.
La répartition géographique des monographies du fonds documentaire de la SGN (Fig. 15 A) montre que la majorité des monographies ont été éditées en France (35 %), ce qui est logique pour une association française dont l’objectif est de concourir à l’avancement des sciences de la Terre en France. Ensuite, les Etats-Unis et la Russie sont bien représentés avec respectivement, 218 et 190 monographies (Annexe 3). Ces pays sont des territoires très vastes, nécessitant de nombreuses études pour en connaître l’histoire géologique. Viennent après des pays européens limitrophes de la région du nord de la France, sujet d’étude principal de la SGN : l’Allemagne (164), le Royaume-Uni (135) et la Belgique (125). La République tchèque est présente avec 113 monographies. A posteriori, la carte de la répartition géographique des monographies reflète le rayonnement des sciences géologiques dans le monde : l’hémisphère nord est la partie du monde la plus étudiée (c’est là que cette discipline s’est développée à partir du XVIIIe siècle), tandis que l’hémisphère sud commence à intéresser les scientifiques à la fin du XXe siècle (Ellenberger, 1994).
Figure 15
Répartition géographique du fonds documentaire de la SGN – A. Monographies ; B. Périodiques ; C. Indice créé dans le cadre de cette analyse, et obtenu à partir du nombre de titres de périodiques divisé par la superficie du pays et multiplié par 100 000.
Geographical distribution of the SGN documentary collection - A. Monographs; B. Periodicals; C. Index created as part of this analysis and obtained from the number of periodical titles divided by the area of the country and multiplied by 100,000.
Le pourcentage de monographies, signalées exclusivement en France, dans le fonds SGN, s’élève à 21 %, et en considérant les livres possédés par une seule autre bibliothèque (19 %), plus d’un quart du fonds de la SGN (40 %) peut être considéré comme rare (Fig. 16). Généralement, plus un livre est ancien, plus il est exceptionnel. Pourtant, la collection de la SGN n’est pas très âgée : trois ouvrages ont été publiés avant 1850, et 125 entre cette date et 1900. La singularité du fonds s’explique plutôt par le caractère international des monographies et de l’extrême spécialisation des contenus.
Figure 16
Répartition des monographies conservées dans le fonds SGN par occurrence dans les bibliothèques universitaires et de recherche en France.
Distribution of monographs held in the SGN collection by occurrence in French university and research libraries.
La répartition géographique des périodiques est presque similaire à celle des monographies (Fig. 15 B) puisque les périodiques édités en France sont les plus représentés avec 324 titres, suivis des revues américaines (225) (Annexe 4). Derrière, l’ordre des pays change par rapport aux données concernant les monographies mais les pays sont les mêmes : l’Allemagne (102), la Belgique (75), l’Italie (63), la Russie (62) et le Royaume-Uni (58). La superficie des territoires influence le nombre des périodiques édités par les sociétés savantes : dans certains pays comme les Etats-Unis, il existe une société et un service géologique dans chaque état, sans oublier les sociétés spécialisées (de paléontologie, minéralogie, etc.) avec lesquelles la SGN a pu échanger, ce qui multiplie, par conséquent, le nombre des titres obtenus. C’est pourquoi une carte géographique a été réalisée à partir d’un indice créé dans le cadre de cette analyse, en divisant le nombre de périodiques par la superficie du pays, ce résultat étant multiplié ensuite par 100 000 pour faciliter la représentation (Fig. 15 C). Dans cette cartographie, les pays européens figurent parmi les premiers, en particulier la Belgique. Ce résultat confirme la volonté de la SGN d’échanger ses publications avec les sociétés savantes proches géographiquement. La Belgique est une région qui a constamment attiré les géologues lillois par son histoire géologique, toute publication évoquant son sous-sol a donc toujours été la bienvenue à la SGN.
Pour représenter l’importance numérique des périodiques pour chaque pays entre 1820 et 2021, une représentation de la surface a été retenue : pour une année donnée, la somme des périodiques a été positionnée de chaque côté de l’axe central du pays. Par conséquent, l’épaisseur du diagramme est proportionnelle au nombre de périodiques attribués à chaque pays (Fig. 17).
Figure 17A
Figure 17B
Figure 17C
Diagramme représentant l’évolution du nombre de titres de périodiques de chaque pays de 1820 à 2020, présents dans le fonds documentaire de la SGN.
Diagram showing the evolution of the number of periodical titles from each country from 1820 to 2020, held in the SGN documentary collection.
Les trois premiers pays (la France, les Etats-Unis et l’Allemagne) montrent une nette augmentation des revues à partir de 1870 (date de création de la SGN) pour atteindre un palier après 1890. Le recensement des échanges dans les procès-verbaux (Annexe 2) va dans le même sens puisqu’en 1876, un maximum de 17 échanges est noté, et 10 en 1879. L’édition des Annales de la SGN à partir de 1875 et les Mémoires à partir de 1876 incite les échanges, et explique l’augmentation de l’épaisseur du diagramme de l’Espagne et du Royaume-Uni à partir de cette date, voire les premiers échanges avec l’Italie. Un palier du nombre des échanges avec les Etats-Unis apparaît entre 1875 et 1880 avant un accroissement, peut-être suite au voyage de Charles Barrois dans ce pays en 1878.
La SGN semble avoir atteint le maximum d’échanges vers 1890. Bien que, dans la seconde moitié du XXe siècle, le nombre de nouveaux pays s’accroisse (Brésil, Turquie, Maroc et Slovaquie en autres), le nombre total des périodiques diminue progressivement en raison de la disparition de nombreuses revues régionales françaises et de l’édition numérique de plusieurs périodiques.
Il est à noter que la variation de l’épaisseur de certains diagrammes est due aussi à la scission de titres en plusieurs comme, par exemple, la scission des Annales de la Société scientifique de Bruxelles en 4 séries en 1926, ou la division du Bulletin de l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique, en trois séries distinctes en 1971 : le Bulletin de l’Institut royal d’histoire naturelle de Belgique en Sciences de la Terre, le Bulletin de l’Institut royal d’histoire naturelle de Belgique en entomologie et le Bulletin de l’Institut royal d’histoire naturelle de Belgique en biologie.
Si quelques titres entrent dans les collections par souscription, l’écrasante majorité est constituée de titres reçus en échange, avec, pour certains d’entre eux, un effet rétroactif, ce qui explique la présence de 39 titres pour l’année 1870. Mais, globalement, l’évolution du nombre des périodiques montre la croissance extrêmement rapide des échanges entre 1870 et 1910, les effets des deux conflits mondiaux, et la chute du nombre des échanges depuis 1970.
Que cela soit pour les monographies ou les périodiques, les analyses numériques sont cohérentes avec les décisions du conseil de la SGN notés dans les procès-verbaux à propos de la constitution de ce fonds documentaire exceptionnel.
Les échanges aujourd’hui
Depuis les années 1970 (Fig. 17), les échanges ont progressivement diminué, pour ne représenter plus qu’une vingtaine de titres en 2020. Cette évolution s’explique par l’articulation de trois facteurs. Le premier est l’extinction d’un grand nombre de sociétés savantes dans la seconde partie du XXe siècle, et, par la disparition des titres qu’elles publiaient. La professionnalisation de la recherche et l’essor de sociétés nationales spécialisées par discipline marginalise les sociétés savantes régionales (Tesnière, 2021). Le deuxième facteur illustre les difficultés financières rencontrées par les éditeurs scientifiques dans les années 1980-1990, qui voient croître les frais d’impression, de mise en page et d’illustration. Dans ce contexte, les échanges de publications sont de moins en moins généreusement accordés, ils sont parfois même réexaminés et suspendus. Enfin, les années 2000 marquent un passage brutal de l’édition scientifique au format électronique, ainsi que la concentration de ces publications chez de gros éditeurs (Elsevier, Springer, Wiley…). La coexistence des titres imprimés et électroniques dure quelque temps, mais depuis 2010, la plupart des revues ne sont plus éditées qu’au format électronique, et accessibles sur abonnement. Pour renouer avec l’esprit de la République des Lettres et de la libre circulation des savoirs, l’avenir est à la publication en accès ouvert !
Médiation et valorisation des collections
L’extraordinaire richesse de cette collection mérite d’être portée à la connaissance d’un public de chercheurs mais aussi d’amateurs de sciences géologiques et historiques. La première étape, en passe d’être franchie, est celle d’un signalement exhaustif du fonds : périodiques et monographies sont complètement catalogués, le fonds des brochures fait l’objet d’une rétroconversion, avec l’appui de l’Agence Bibliographique de l’Enseignement Supérieur (Abes) depuis 2017. Toutes les notices sont visibles sur le catalogue de la bibliothèque universitaire de Lille, et dans le Sudoc, elles mentionnent toutes la SGN comme ancien possesseur, ce qui permet d’effectuer des recherches dans ce fonds de manière spécifique. Par ailleurs, la bibliothécaire de la SGN, renouant avec une tradition ancienne décrite plus haut, souhaite publier un catalogue complet des périodiques, à destination des membres, classé par pays et indexé par grands domaines thématiques. Ce catalogue mentionnera les états de collection pour chaque titre.
À deux reprises (24 mai 2017 et 25 février 2019), il a été proposé aux membres de la SGN une présentation à deux voix d’une sélection de documents du fonds, mêlant les points de vue du bibliothécaire (histoire du livre et de l’estampe) et du scientifique (histoire des sciences et géologie / paléontologie). De tels rendez-vous pourraient de nouveau être programmés si les sociétaires y trouvent intérêt.
Des documents du fonds de la SGN sont dévoilés lors d’expositions. L’un d’eux figure parmi les sept ouvrages anciens, rares et précieux sélectionnés pour le recueil consacré au patrimoine de l’Université (Tourte et Varetz, 2020), il s’agit de l’Essai de géographie botanique des districts littoraux et alluviaux de la Belgique, Bruxelles : Lamertin, 1908, par Jean Massart.
L’Université de Lille Sciences et Technologies numérise ses collections anciennes depuis 2005, elles sont consultables sur la bibliothèque numérique en Histoire des Sciences Iris, et moissonnées sur Gallica. En 2009 ont été numérisés les Annales et Mémoires de la SGN, de 1870 à 1939, ce qui a été qualifié d’« événement de l’année » par Francis Amédro (2009), alors président de la SGN. Depuis, sans discontinuer, le SCD, qui s’appuie sur l’expertise d’enseignants-chercheurs de l’Université, consacre une large part de sa politique de numérisation aux collections de la SGN : les Annales sont en ligne de 1870 à 2018, les Mémoires jusqu’en 2014, et plus de 220 monographies ont également été numérisées. L’ensemble de ce fonds numérique a fait l’objet d’un traitement de reconnaissance de caractères, ce qui permet d’effectuer des recherches en plein texte dans l’ensemble du corpus.
Le fonds de brochures contient des manuscrits : carnets de terrain, cahiers de cours, correspondance, archives scientifiques et articles, qui ont également vocation à être numérisés dans le nouvel outil de bibliothèque numérique dont le SCD souhaite se doter en 2022-2023, et qui permettra la valorisation et le signalement de documents de cette nature (Fig. 18).
La transcription de ces manuscrits pourrait faire l’objet d’un chantier collaboratif associant les membres de la SGN pour permettre de proposer également une recherche en plein texte dans cette collection. Enfin, la toute récente labellisation nationale CollEx, reconnaissance nationale de la qualité et de l’intérêt du fonds dans son ensemble, garantit aussi une meilleure visibilité de ces ouvrages pour les chercheurs, et l’inscription de ce fonds dans un réseau plus vaste de ressources documentaires de tout premier ordre dans le domaine des sciences de la Terre.
Figure 18
Des archives scientifiques dans le fonds documentaire de la SGN, encore à découvrir – A. Carnet de notes d’Abel Briquet (photographie J. Cuvelier) ; B. Exemplaire annoté et traduit de la main de Charles Barrois (SGN 10308 : Grundzüge einer Spongien-Fauna des atlantischen Gebietes par Oskar Schmidt (1870)) (photographie A.N.R.T.).
Scientific archives in the SGN documentary collection, still to be discovered – A. Abel Briquet notebook (picture by J. Cuvelier); B. Copy annotated and translated by the hand of Charles Barrois (SGN 10308: Grundzüge einer Spongien-Fauna des atlantischen Gebietesby Oskar Schmidt (1870)) (picture by A.N.R.T.).
Conclusion
Au cœur du projet de la SGN, la bibliothèque reflète les liens forts qui unissent la SGN et l’Université de Lille. Elle a traversé ces 150 dernières années, enrichie par ses membres et par les sociétés amies, en conservant l’esprit qui a présidé à sa création, depuis les locaux de la rue des Fleurs jusqu’aux magasins de conservation de Lilliad. Règlements des prêts, catalogues et classements successifs lui ont permis de préserver globalement son intégrité. Cette bibliothèque réserve encore bien des découvertes pour les chercheurs de demain, tant elle regorge de documents et d’archives inédits. La numérisation et la mise en ligne des manuscrits, que nous appelons de nos vœux, devrait offrir cette opportunité à un large public.
Étudier l’histoire de cette bibliothèque, c’est toucher de très près à l’histoire de la SGN, de sa place dans un réseau scientifique mondial, et de ses membres les plus éminents ; c’est aussi mesurer l’importance majeure et la rareté des documents qui la composent, qui ont inspiré et nourri les travaux et débats scientifiques de ses membres sur un siècle et demi ; c’est enfin venir à la rencontre des bibliothécaires qui l’ont gérée et animée depuis 1870, et qui mériteraient eux aussi une étude particulière.
Remerciements. — Nous souhaitons remercier particulièrement Jocelyne Renard et Marie François-Hennion pour leur aide dans la vérification des cotes, Alexandre Allain pour l’extraction initiale des données, Vera Dupuis (SSAAL) pour les précieux renseignements à propos de Louis-Quarré Reybourbon, l’Association de Solidarité des Anciens Personnels de l’Université de Lille pour l’utilisation de la photo de la figure 6, sans oublier Didier Torz, l’actuel rédacteur en chef des Annales de la SGN pour sa patience.
Les auteurs souhaitent aussi adresser leurs remerciements à tous ceux qui ont travaillé ou travaillent encore de près ou de loin à cataloguer le fonds documentaire de la SGN et à le mettre en valeur.
Que soient également remerciés nos relecteurs, Solen Le Gardien, Philippe Le Vigouroux et Francis Meilliez dont les conseils nous ont permis d’enrichir et d’améliorer l’article sur plusieurs points.