Remerciements : Christian Gaillard et Jean-Pierre Garcia sont remerciés pour avoir aimablement communiqué des échantillons. Jean-François Deconinck, Johann Schnyder et Romain Vullo ont bien voulu partager leurs connaissances stratigraphiques et discuter des résultats, nous leur en sommes reconnaissants. George Mustoe est remercié pour ses indications sur le mode de silicification envisageable pour les échantillons étudiés. J.-F. Deconinck est également remercié pour sa relecture attentive qui a grandement contribué à l’amélioration du texte initial.
I. Introduction
L’étude des bois fossiles de la transition Jurassique-Crétacé dans le sud-ouest de l’Europe a mis en évidence un pic de diversité générique durant le Tithonien (Philippe et al., 2010). Ce pic pourrait correspondre à des oscillations climatiques plus fraîches dans une période marquée sinon, pour les écosystèmes continentaux, par des climats tropophiles soumis au moins saisonnièrement à une sécheresse poussée (Francis, 1984). Toutefois la possibilité d’un biais d’échantillonnage n’était pas écartée dans la mesure où un tel biais a été mis en évidence pour les tétrapodes terrestres de la même région à la même période, (Fara & Benton, 2000). Il était donc important de compléter les données, aussi de nouveaux échantillons de bois fossiles ont-ils été récoltés dans le Kimméridgien et le Tithonien du Boulonnais. Les résultats sont ici présentés et discutés dans une perspective paléoclimatique.
II. Matériel Et Méthodes
Sept bois fossiles ont été récoltés dans les formations du Kimméridgen et du Tithonien affleurant en falaises littorales, entre le Cap Gris-Nez au nord et Équihen-plage au sud. Ils sont décrits ci-après selon l’ordre de leur étude. Les numéros « MP-xxxx » sont ceux du registre d’étude à l’Université Lyon-1. Tous les échantillons sont conservés dans les collections de leur découvreurs-découvreuse. Les micro-moulages au Collodion sont quant à eux conservés dans la collection de paléobotanique de l’Université Lyon-1.
- MP1999 et 2002 Équihen plage – leg. Ludovic Blanc
Le premier (MP 1999) est un morceau d’axe ligneux de 25 cm de long. Les cernes ne présentent pas de courbure notable, ce qui suggère que l’axe était de fort diamètre, probablement supérieur au mètre. Le fil du bois est un peu ondulé. La préservation est essentiellement due à une épigénie oligoblastique (Buurman, 1972) des trachéides par de la silice non teintée, d’où un aspect blanc. Localement (et secondairement ?) le fossile est teinté par des oxydes de fer. Il ne reste plus de matière organique originelle. La préservation est fine et suffisante pour une identification, même si dans quelques parties limitées du fossile la préservation est moins bonne. Ce fossile provient du Tithonien supérieur, d'une des couches intercalaires entre les Grès de la Crèche et les Grès calcareux à Cardium pellati.
Le second (MP 2002) est également un fragment d’axe ligneux, plus court (env. 16 cm) et plus massif, plus mal conservé aussi. Le mode de préservation est identique à celui de MP 1999, mais la préservation des cellules est moins bonne, avec une majorité de plages où les trachéides ne sont pas suffisamment conservées.
La provenance exacte de ce second échantillon, trouvé ex-situ, n'est pas certaine.
Figure 1
Bois MP2000 en place dans les Grès de la Crèche, au Cap d'Alprech, Le Portel, photo Ludovic Blanc.
- MP2000 et 2001, Cap d’Alprech, Le Portel – leg. Ludovic Blanc
MP 2000 est un fragment de bois fossile d’environ 15 cm de long, probablement issu d’un axe de fort diamètre. Sa préservation est médiocre, le fossile est fragile, pulvérulent, avec un aspect tacheté dû à l’alternance de zones sombres et claires. Dans les premières la silice se présente essentiellement sous forme de cristaux sombres de quartz authigène automorphe, dans des cavités grossièrement ellipsoïdales millimétriques, en réseau dense, communicantes, et allongées dans le fil du bois. Intercalés dans ce réseau dense s’observent de petits groupes de trachéides épigénisées par de la silice oligoblastique, de couleur claire. La préservation est alors fine et suffisante pour une détermination, même si dans quelques parties limitées du fossile elle est moins bonne et se rapproche de celle du fossile MP 1999. MP 2001 est un galet d’environ 8 cm de long (sens du fil du bois). D’après la convergence des rayons il est issu d’un axe d’au moins 60 cm de diamètre. Il est silicifié, avec la même préservation que MP2000 mais plus cohérent, et les zones où les trachéides sont préservées sont rares.
La provenance exacte de l’échantillon MP 2001, trouvé ex-situ, n'est pas certaine, mais MP 2000 provient des Grès de la Crèche.
Figure 2
Fragments de bois fossiles dans une coulée sableuse au Cap Gris-Nez, échantillon MP2003, photo Éric Morillon.
- MP2003 Cap Gris-nez, – leg. Éric Morillon
Il s’agit de fragments de bois fossiles, à l’anatomie identique et récoltés à quelques dm les uns des autres, sont considérés comme provenant d’un même fossile. Ils ont une conservation similaire à celle de MP 1999. Ce sont des fragments centimétriques, qui ne permettent pas d’estimer le diamètre de l’axe dont ils sont issus. Les cernes n’y montrent pas de courbure notable.
Ils n’ont pas été trouvés in-situ mais proviennent vraisemblablement, du fait de leur lithologie, des Grès de la Créche (Tithonien).
- MP2032 Cap Gris-nez – leg. Marie Coquant
L’échantillon a été trouvé à l’entrée de la plage de la Sirène, au-dessus des Argiles de Châtillon, dans la falaise de Floringzelle, dans un éboulement de sables et grès de la formation des Grès de la Crèche (Tithonien). Il s’agit d’un morceau d’axe ligneux est massif, mesurant environ 18 x 13 x 11 cm. La courbure des cernes laisse supposer qu’il provient d’un axe de plus de 50 cm de diamètre, sans qu’il soit possible de dire s’il s’agit d’une branche ou d’un tronc. La préservation est la même que celle de MP1999.
- MP2033 Pointe de la Crèche, Wimereux – leg. Marie Coquant
Le fossile provient des Argiles de la Crèche. Ce bois est bien différent des autres. Il s’agit d’un fragment plat (8 x 5 x 1 cm environ), de couleur foncée, probablement en partie épigénisé par de la sidérite. Sur le côté il inclut une sphère (diamètre 5 mm) de matière organique vitreuse noire et brillante, qui pourrait résulter de la diagenèse d’un globule résineux.
Tous les échantillons ont été étudiés avec des micro-moulages au Collodion. Cette méthode est rapide, peu onéreuse, non destructive. À la loupe binoculaire est sélectionnée une zone où les trachéides sont bien préservées et située dans le plan radial. À la loupe binoculaire, au grossissement 40 et en lumière rasante, on distingue alors habituellement les ponctuations. Le collodion (acétate de cellulose) dissout dans l’acétate d’isoamyle à consistance pâteuse est appliqué en couche mince (0,5 mm au plus) sur cette zone. On laisse sécher une nuit puis le moulage est détaché délicatement à l’aide d’une aiguille montée. Il est ensuite disposé, la face ayant été au contact du fossile vers le haut, entre lame et lamelle pour une observation en lumière transmise au microscope optique. L’observation des détails caractéristiques, s’ils sont préservés, est alors facile. L’inconvénient de cette méthode est qu’elle ne permet usuellement pas la préparation de microphotographies satisfaisantes. En effet la surface du moulage est irrégulière et donc seules de petites zones y sont nettes à chaque prise de vue. La méthode connue sous le nom de « stacking » ne permet pas vraiment de contourner cet inconvénient. Du fait de la transparence du moulage les logiciels peinent à additionner les images.
Les identifications s’appuient sur les clés de détermination de Philippe & Bamford (2008) et pour le genre Xenoxylon Gothan de celle de Philippe et al. (2013). Le vocabulaire utilisé est celui de Boura et al. (2021).
Les données de bois fossiles publiées concernant la zone (Philippe et al., 2008, 2010) sont résumées dans le Tableau 1. Deux données proviennent des Argiles de Châtillon, deux autres des Grès des Oies, à la Pointe aux oies (Schnyder et al., 2005).
Tableau 1 : données publiées de bois fossiles jurassiques du Pas-de-Calais (Philippe et al., 2008, 2010).
Code échantillons | Localités | Stratigraphie | Collecteurs | Identification |
MP639 | Cran Barbier | Argiles de Châtillon – base du Tithonien | Jean-Pierre Garcia | Circoporoxylon |
MP641 | Pointe aux Oies | base du membre supérieur des Grès des Oies | Jean-Pierre Garcia | Protocupressinoxylon |
MP1182 | Pointe aux Oies | base du membre supérieur des Grès des Oies | Christian Gaillard | Agathoxylon |
MP1184 | Cap Gris-nez | Argiles de Châtillon – base du Tithonien | Christian Gaillard | Agathoxylon |
MP1589 | Pointe de La Crèche | Argiles de La Crèche – bancs jumeaux | Christian Gaillard | Agathoxylon |
Planche 1
a et b) bois MP2032, leg. et photo Marie Coquant, vue latérale puis vue transverse ; c) bois MP2003, leg. Éric Morillon, photo Marc Philippe, faisceau de trachéides bien conservé, en vue radiale, encadré de quartz automorphe sombre ; d) bois MP2000, leg. Ludovic Blanc, photo marc Philippe, aspect macroscopique grumeleux.
III. Résultats
- Plantae
- Tracheophyta
- Gymnospermae Prantl
- Pinopsida Burnett
- Familiae incertae sedis
- Genre Protocupressinoxylon Eckhold
P. purbeckensis Francis emend. Philippe in Philippe et al.
MP2033
- Genre Protocupressinoxylon Eckhold
Bois constitué uniquement de trachéides et de rayons ligneux (trachéidoxyle), à cernes marqués, bois final limité à 2-3 assises de bois final. Trachéides pourvues sur leur face radiale de longues files de ponctuations aréolées unisériées, couvrant toute la largeur de la trachéide, contigües, aplaties au contact, ou beaucoup plus rarement un peu espacées et rondes. Ponctuation radiale brachyoxyléenne. Rayons ligneux bas (1-4 cellules), homogènes et homocellulaires. Champs de croisements du bois initial pourvus de 5 à 9 (13) petits oculipores cupressoïdes alternes et imbriqués, plus rarement de (1) 3-5 oculipores cupressoïdes de taille hétérogène. Parenchyme axial manquant.
La conjonction d’une ponctuation radial brachyoxyléenne et de champs araucarioïdes est caractéristique du genre Protocupressinoxylon. Les champs variables, parfois typiquement araucarioïdes à nombreux oculipores de même taille, et plus rarement de champs à oculipores moins nombreux et de taille très hétérogène, sont caractéristiques de P. purbeckensis (Philippe et al., 2010).
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- Genre Protopodocarpoxylon Eckhold
Protopodocarpoxylon araucarioides Schultze-Motel ex Müller-Stoll et Schultze-Motel
MP2000, MP2001, MP2002
- Genre Protopodocarpoxylon Eckhold
Bois constitué uniquement de trachéides et de rayons ligneux (trachéidoxyle). Du fait de la médiocre préservation d’éventuels cernes n’ont pu être observés. Trachéides pourvues sur leur face radiale de files de ponctuations aréolées unisériées, couvrant toute la largeur de la trachéide, contigües, aplaties au contact, ou un peu espacées et rondes. Ponctuation radiale brachyoxyléenne. Rayons ligneux hauts de (2) 7-14 (21) cellules, homogènes et homocellulaires. Champs de croisements du bois initial pourvus de 1 à 2 oculipores podocarpoïdes. Parenchyme axial manquant.
La conjonction d’une ponctuation radial brachyoxyléenne et de champs podocarpoïdes est caractéristique du genre Protopodocarpoxylon. Ce genre a été relativement mal traité par les taxonomistes, une école l’ayant longtemps utilisé pour des espèces que l’on convient aujourd’hui d’intégrer dans Brachyoxylon Hollick & Jeffrey. De plus, de nombreuses espèces de Protopodocarpoxylon au sens actuel ont été décrites de façon non critique, avec des protologues insuffisants, et sur la base d’un matériel manquant ou peu accessible aujourd’hui. En revanche, une espèce a été décrite du Malm inférieur de Westphalie (Allemagne), P. araucarioides (Müller-Stoll & Schultze-Motel, 1989). Le matériel étudié ici est suffisamment similaire au type pour être référé à cette espèce.
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- Genre Xenoxylon Gothan
Xenoxylon latiporosum (Cramer) Gothan
MP1999, MP2003, MP2032
- Genre Xenoxylon Gothan
Bois constitué uniquement de trachéides et de rayons ligneux (trachéidoxyle), à cernes marqués, bois final limité à 2-3 assises de bois final. Trachéides pourvues sur leur face radiale de longues files de ponctuations aréolées unisériées, couvrant toute la largeur de la trachéide, contigües, fortement aplaties au contact. Ponctuation radiale xénoxyléenne. Rayons ligneux très hauts, avec (5) 8-27 (38) cellules, homogènes et homocellulaires. Champs de croisements du bois initial pourvus de 1, exceptionnellement 2, oopore fenestriforme. Parenchyme axial manquant.
La conjonction d’une ponctuation radial xénoxyléenne et de champs à oopore fenestriforme est caractéristique du genre Xenoxylon. La clé de détermination de Philippe et al. (2013) identifie ce bois comme X. latiporosum.
La conservation n’a pas permis de mesurer la largeur des cernes. La méthode utilisée n’est pas propice à l’observation de la dégradation microbienne des bois. Étant données les conservations observées il est improbable que des hyphes mycéliens y soient conservés. Enfin il n’a pas été observé de traces indubitables d’attaque par des animaux : galeries d’insectes xylophages, d’oribatides, de pholades ou de térébrants, etc.
Planche 2
a et b) bois MP2033, leg. Marie Coquant, Protocupressinoxylon purbeckensis Francis emend. Philippe in Philippe et al., ponctuation radiale brachyoxyléenne puis champs de croisement araucarioïdes ; c et d) bois MP2002, leg. Ludovic Blanc, Protopodocarpoxylonaraucarioides Schultze-Motel ex Müller-Stoll et Schultze-Motel, ponctuation radiale brachyoxyléenne puis champs de croisement à oculipore podocarpoïde unique ; e et f), bois MP1999, leg. Ludovic Blanc, Xenoxylon latiporosum (Cramer) Gothan, ponctuation radiale xenoxyléenne puis champs de croisement à large oopore fenestriforme.
IV. Discussion
Pour tous les échantillons, sauf celui de Wimereux (MP2033), la fossilisation est assurée par une silicification, plus ou moins poussée. La silicification de bois au sein de séries globalement carbonatées est un phénomène relativement rare et encore mal compris (Mustoe, 2023). Pour les mieux conservés des échantillons la silicification est complète et oligoblastique, la matière organique ayant complètement disparu. Pour les autres la silicification a commencé au niveau de nuclei, où le bois est relativement bien préservé, d’une façon identique à la précédente, puis les espaces entre ces noyaux après dissolution des restes de matière organique, ont été tapissés de quartz automorphe et cristaux millimétriques. Dans un même échantillon on observe parfois des intermédiaires entre les deux degrés de conservation.
Du fait de la similitude de leur fossilisation les bois MP1999 à MP2003 sont considérés comme probablement originaires des Grès de la Crèche. Les bois fossiles des Argiles de Châtillon et des Argiles de la Crèche sont quant à eux ligniteux et souvent pyriteux.
Le Tithonien du Boulonnais a livré de nombreux bois fossiles, répartis dans plusieurs niveaux successifs. Il en résulte un enregistrement fossile d’une densité exceptionnelle à l’échelle du Jurassique français, résumé dans tableau n° 2.
Tableau 2 : synthèse des données paléoxylologiques pour le Tithonien du Pas-de-Calais. Stratigraphie de Proust et al. (2001).
Age | Formation | Echantillons | Taxa |
Tithonien | Grès des Oies | MP641, 1182 | Agathoxylon sp., Protocupressinoxylon purbeckensis |
Tithonien | Assise de Croï | Aucun | |
Tithonien | Argiles de Wimereux | Aucun | |
Tithonien | Argiles de la Crèche | MP1589, 2033 | Agathoxylon sp., Protocupressinoxylon purbeckensis |
Tithonien | Grès de la Crèche | MP1999, 2000, 2001, 2002, 2003, 2032 | Protopodocarpoxylon araucarioides, Xenoxylon latiporosum |
Tithonien | Argiles de Châtillon | MP639, 1184 | Agathoxylon sp., Circorporoxylon sp. |
Les nouvelles données portent à 5 la diversité générique des bois fossiles pour le Tithonien du Pas-de-Calais. Une telle diversité régionale est peu commune pour le Jurassique en France. À notre connaissance elle n’a d’équivalent que durant le Toarcien inférieur et moyen (Agathoxylon, Baieroxylon, Circoporoxylon, Simplicioxylon, Xenoxylon) et durant un intervalle couvrant le sommet du Callovien et la base de l’Oxfordien (Agathoxylon, Brachyoxylon, Protaxodioxylon, Protocupressinoxylon, Xenoxylon). Ces deux intervalles pourraient se singulariser par l’existence d’un refroidissement marqué, significatif à l’échelle globale et ayant entrainé des modifications des biocénoses jusqu’aux paléolatitudes moyennes (Dromart et al., 2003 ; Suan et al., 2010 ; Krenker et al., 2014).
Pour le Tithonien un refroidissement a aussi été mis en évidence (Gröcke et al., 2003 ; Nunn & Price, 2010 ; Scotese et al., 2021), même s’il n’a probablement pas été aussi marqué que les deux précédents.
Dans ce cadre l’identification du genre Xenoxylon est significative. C’est la première fois que ce genre est signalé en France métropolitaine pour le Malm postérieur à l’Oxfordien inférieur. Or ce genre est connu comme étant un marqueur d’un climat plus frais, sans qu’il soit possible de distinguer si ce sont les températures ou les précipitations qui sont le déterminant principal (Oh et al., 2015 ; Afonin et al., 2022). En France ce genre n’est trouvé que lors d’épisodes frais et uniquement dans la partie nord (Philippe et al., 2017 ; Thévenard & Philippe, 2021).
La formation des Grès de la Crèche présente donc un intérêt tout particulier. Dans ce corps sédimentaire Xenoxylon latiporosum est associé à Protopodocarpoxylon araucarioides. Cette association a déjà été observée dans le Jurassique moyen d’Ouzbékistan (Gomolitzky & Khudayberdyev, 1978), en lien avec d’épais dépôts de charbon. En Allemagne c’est dans le nord (Westphalie) et dans l’Oxfordien inférieur qu’a été observé Protopodocarpoxylon araucarioides. Il est donc raisonnable de supposer que la formation des Grès de la Crèche pourrait, au moins pour une partie, s’être mise en place sous un climat relativement plus frais que celui qui prévalait au Kimméridgien supérieur en France (Schnyder et al., 2022).
Au-dessous (avant) et au-dessus (après) ces Grès de la Crèche on rencontre dans le Tithonien du Pas-de-Calais les classiques assemblages dominés par Agathoxylon, un bois lié aux paléolatitudes plutôt moyennes à basses à l’époque (Philippe et al., 2017) et donc probablement à des climats plus chauds ou plus secs. On notera que Protocupressinoxylon purbeckensis, même s’il n’est pas été observé à ce jour dans le Kimméridgien du Pas-de-Calais, y est probablement présent (Philippe et al., 2010). Ce bois, marqueur d’un climat subtropical tropophile à saison sèche marquée, est présent dans les Argiles de la Crèche et les Grès des Oies.
Les données sur les bois fossiles du Tithonien sont rares part ailleurs en France. La principale source de données est l’île d’Oléron où, dans des niveaux probablement équivalents stratigraphiquement aux Argiles de la Crèche (Schnyder et al., 2012), ont été observés les genres Agathoxylon et Brachyoxylon (Vullo et al., 2013). Le second a une distribution en France nettement méridionale durant le Jurassique (Philippe et al., 2017), n’a pas à ce jour été mentionné du Malm supérieur anglais ou allemand, et il n’est donc pas étonnant de ne pas l’avoir trouvé ici.
Il faut garder à l’esprit que proposer des hypothèses sur des tendances paléoclimatiques durant un étage avec seulement douze données a ses limites. Pour le moment les données disponibles ne démentent pas un climat plutôt chaud et sec au début du Tithonien, suivi d’un épisode plus frais, avant un retour rapide à des conditions plus chaudes. Mais obtenir plus de données serait bien sûr souhaitable. Les Argiles de Châtillon contiennent des bois fossiles. Ceux-ci sont noirs, ligniteux et se détériorent rapidement à l’air libre, mais il existe des techniques permettant de prendre en compte de tels bois, notamment la microscopie électronique à balayage. De même les Argiles de Wimereux pourraient-elles livrer des bois fossiles.
V. Conclusion
Même dans une région dont la paléontologie peut sembler bien connue un travail de prospection précis peut permettre la mise en évidence de données intéressantes. Ici des bois fossiles, de préservation globalement médiocre, ce qui expliquerait qu’ils aient été négligés, ont montré des zones suffisamment conservées pour une identification. Les taxons mis en évidence caractérisent la survenue au Tithonien d’une période froide, pour laquelle on avait jusqu’ici encore peu d’indices fiables.