Georges Cuvier – Anatomie d’un naturaliste, Philippe Taquet

p. 111-113

Bibliographical reference

Georges Cuvier – Anatomie d’un naturaliste, Philippe Taquet, 2019, Odile Jacob, 779 p., 16 p. de planches, ISBN 978-2-7381-4352-5

Text

Cet ouvrage est le deuxième tome d’une trilogie que Philippe Taquet consacre au célèbre anatomiste français Georges Cuvier (1769-1832). Ce savant, issu d’une modeste famille protestante de Montbéliard, est l’un des fondateurs de l’anatomie comparée. Il traverse quatre régimes politiques différents, l’Ancien Régime, la Révolution, l’Empire et la Restauration, au cours desquels il progresse dans sa carrière professionnelle. Aujourd’hui, les œuvres de Cuvier sont reconnues mondialement, en particulier le discours d’introduction à son ouvrage sur les ossements fossiles de quadrupèdes (Cuvier, 1992) où il expose ses idées sur la disparition d’espèces fossiles lors de crises. Récemment, plusieurs œuvres ont été rééditées en version bilingue par le Muséum National d’Histoire Naturelle, en particulier ses cours sur l’histoire des sciences naturelles professés à la fin de sa carrière (Cuvier, 2020 ; Pietsch, 2012, 2015, 2018).

Il y a 22 ans, Philippe Taquet a commencé ses recherches sur Cuvier par la transcription du récit d’une expédition dans les Alpes souabes, rédigé par Georges Cuvier, âgé de 18 ans, et annoté par des dessins au crayon et à l’aquarelle du savant (Taquet, 1998). Depuis plusieurs années, Philippe Taquet a entrepris la rédaction d’une biographie exhaustive en trois volumes, rendant compte jour après jour des activités de Georges Cuvier (Taquet, 2006a). Le premier tome de cette biographie, Georges Cuvier : Naissance d’un génie (Taquet, 2006b), relate la vie de Cuvier depuis sa naissance à Montbéliard en 1769 jusqu’à son départ pour Paris en 1795, soit sa jeunesse et les premières années de sa carrière en tant que précepteur en Normandie (cf. Gaudant, 2006).

 

 

Le présent ouvrage constitue le deuxième tome de la trilogie ; il est consacré à l’ascension de Georges Cuvier dans les milieux scientifiques sous la Ire République française. Philippe Taquet expose les huit premières années de la carrière scientifique de ce citoyen, de son arrivée à Paris, en mars 1795 jusqu’à sa nomination en tant que secrétaire perpétuel à l’Institut (l’actuel Académie des Sciences) en avril 1803, en 622 pages. Cet ouvrage rend compte également de l’essor d’une communauté de jeunes scientifiques français (Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, Alexandre Brongniart, Constant Duméril, Jean Hermann) et étrangers (le professeur hollandais Adriaan Gilles Camper, le médecin allemand Christoph Heinrich Pfaff, les physiciens italiens Giovanni Fabbroni et Alessandro Volta, le naturaliste américain Charles Wilson Peale entre autres). Ce cercle d’amis parisiens, rassemblés autour de Cuvier, ainsi que ses correspondants étrangers vont mettre en lumière les sciences naturelles à cette époque.

L’auteur aborde la situation professionnelle et les recherches scientifiques de l’anatomiste aussi bien que ses relations personnelles, à travers quelques anecdotes. Dès mars 1795, Georges Cuvier devient membre des principales sociétés savantes parisiennes, où il présente ses travaux sur le larynx des oiseaux et la circulation sanguine des vers. Très rapidement, en juillet il est nommé suppléant de Jean-Claude Mertrud, professeur de la chaire d’anatomie des animaux au Muséum. En novembre, Georges Cuvier prononce un discours introductif à ses cours d’anatomie au Muséum. Et lors d’un dîner, Louis Jean-Marie Daubenton décèle déjà le potentiel de ce jeune savant et prévient son ami Etienne Geoffroy Saint-Hilaire du zèle de son collègue en lui offrant un exemplaire de La Fontaine, ouvert à la fable de La Lice et sa compagne ! En décembre, Cuvier est nommé membre de l’Institut national des sciences et des arts, créé 4 mois auparavant en août 1795. En avril 1796, il présente un mémoire sur les éléphants fossiles et actuels à la séance publique de l’Institut, donnée au Louvre, et divers travaux aux séances de la Société philomatique et de la Société d’histoire naturelle, de Paris. Le 11 novembre 1797, Cuvier est présent lors de l’élection de Bonaparte à l’Institut. Le mois suivant, il prononce la première des 38 éloges nécrologiques qu’il rédigera tout au long de sa carrière.

Pendant que Etienne Geoffroy Saint-Hilaire consigne dans ses lettres à Cuvier son malheur lors de l’expédition d’Egypte de Napoléon (1798-1802), Georges Cuvier est nommé professeur au Collège de France en janvier 1800, à la mort de Daubenton. A cette époque, il s’intéresse de plus en plus aux fossiles trouvés dans les gypses de Montmartre et entretient une correspondance assidue avec Adriaan Gilles Camper sur le mosasaure de Maastricht. Pour obtenir de l’aide pour son futur ouvrage sur les ossements fossiles de quadrupèdes, Cuvier rédige un manifeste à l’intention de tous où il expose ses objectifs et son projet de recherche. Ce texte intégralement retranscrit est fondamental, en incitant les savants étrangers à envoyer des fossiles à Cuvier. Cette démarche a permis d’enrichir les collections paléontologiques du Muséum National d’Histoire Naturelle. Pour finir, Cuvier est désigné Inspecteur de l’Instruction Publique en juin 1802, fonction qui l’amène à voyager en France, jusqu’à Marseille et Bordeaux où il apprend qu’il devient professeur au Muséum en remplacement de Mertrud, décédé en octobre 1802, et surtout il est élu secrétaire perpétuel de l’Institut, fonction qui l’oblige à retourner à Paris.

En même temps que Philippe Taquet retrace les échelons gravis par Cuvier, le lecteur apprend à connaître l’homme derrière le savant, qui sort fréquemment avec ses amis dans des cafés, n’hésite pas à jouer dans des pièces de théâtre, donne, avec mélancolie, l’autorisation à son frère Frédéric Cuvier de se marier pendant qu’il est attristé par le mariage de la sœur d’Alexandre Brongniart, qu’il apprécie.

Cet ouvrage est l’aboutissement d’une recherche conséquente de livres et d’articles sur le savant, d’un dépouillement méticuleux de comptes rendus, rapports et procès-verbaux de séances et réunions de l’Institut et des sociétés savantes, et un travail remarquable de transcription des correspondances puisque l’auteur s’est appuyé sur des archives de différents pays. L’auteur a également eu accès à des archives redécouvertes de la famille Brongniart. Depuis la publication d’une biographie de cette famille par de Launay (1940), certaines archives avaient disparu jusqu’à ce qu’elles soient retrouvées par les descendants de de Launay et vendues aux enchères au grand étonnement de la famille Brongniart qui avait prêté ces documents à de Launay pour ses recherches (Taquet P., 2009 ; Lejeune P., s.d.) ! Heureusement, ces documents ont été préemptés en 2008 par le Muséum National d’Histoire Naturelle. Cependant, j’ai observé quelques défauts qui freinent la lecture de ce livre. Premièrement, cette édition brochée est une chronologie détaillée des travaux mais également un recensement exhaustif de la présence de Cuvier aux séances, avec des phrases souvent répétitives qui peuvent décourager certains lecteurs. La majorité des notes indiquent les sources des documents. Néanmoins, certaines sont intéressantes et auraient dû être dans le texte. De plus, il aurait été judicieux de regrouper les notes décrivant brièvement les protagonistes dans une annexe « auteur » classée alphabétiquement, car elles sont redondantes et le lecteur s’y perd. Cela aurait permis de faciliter la lecture. Pour terminer, l’ouvrage propose des planches avec de très belles illustrations, regroupées au milieu ; malheureusement, il n’y a pas d’appel de ces illustrations dans le texte.

Néanmoins, j’ai éprouvé un réel plaisir à lire cet ouvrage, sans pour autant avoir lu le premier tome de la biographie et je le conseille à un public averti, passionné d’histoire des sciences. Il est d'un abord difficile pour les néophytes et nécessite une lecture attentive et du temps, mais c'est une œuvre originale qui nous amène à côtoyer les savants d’une période tourmentée de l’histoire française.

Bibliography

CUVIER G. (1992). — Recherches sur les ossements fossiles de quadrupèdes : où l’on établit les caractères de plusieurs espèces d’animaux que les révolutions du globe paraissent avoir détruites. Discours préliminaire (1812). Réédition GF-Flammarion, 189 p.

CUVIER G. (2020). — Historical Portrait of the Progress of Ichthyology from Its Origins to Our Own Time / Tableau historique des progrès de l’ichtyologie depuis son origine jusqu’à nos jours (1828-1849). Nouvelle édition de PIETSCH T.W., Paris, Muséum national d'Histoire naturelle, 670 p.. Collection Archives n° 29.

GAUDANT J. (2006). — Georges Cuvier, naissance d’un génie, par Philippe Taquet. Travaux du Comité Français d’Histoire de la Géologie, 3e série, 20 : 203-205 ; World Wide Web address: https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00907023/document [consulté le 24/03/2020]

LAUNAY L. de (1940). — Une grande famille de savants. Les Brongniart. G. Rapilly et fils, Paris, 208 p.

LEJEUNE P. (s.d.). Le journal retrouvé d’Alexandre Brongniart (1790-1802). World Wide Web address: https://www.autopacte.org/12a%20Le%20journal%20retrouv%E9%20d%27Alexandre%20Brongniart.pdf [consulté le 24/03/2020]

PIETSCH T.W. ed. (2012). — Cuvier's History of the Natural Sciences: twenty-four lessons from Antiquity to the Renaissance / L'histoire des sciences naturelles de Cuvier : vingt-quatre leçons de l'Antiquité à la Renaissance. Paris, Muséum national d'Histoire naturelle, 734 p.. Collection Archives n° 16.

PIETSCH T.W. ed. (2015). — Cuvier's History of the Natural Sciences: nineteen lessons on the Sixteenth and Seventeenth Centuries / L'histoire des sciences naturelles de Cuvier : dix-neuf leçons sur les seizième et dix-septième siècles. Paris, Muséum national d'Histoire naturelle, 859 p.. Collection Archives n° 20.

PIETSCH T.W. ed. (2018). — Cuvier's History of the Natural Sciences: twenty lessons from the first half of the Eighteenth Century / L'histoire des sciences naturelles de Cuvier : vingt leçons sur la première moitié du dix-huitième siècle. Paris, Muséum national d'Histoire naturelle, 576 p.. Collection Archives n° 26.

TAQUET P. (1998). — Les premiers pas d’un naturaliste sur les sentiers du Wurtemberg : récit inédit d’un jeune étudiant nommé Georges Cuvier. Geodiversitas, 20 (2) : 285-318.

TAQUET P. (2006a). — Les années de jeunesse de Georges Cuvier. Bulletin de la Société d’émulation de Montbéliard, 129 : 215-224 ; World Wide Web address: https://www.montbeliard-emulation.com/documents/pdf/bulletin34.pdf) [consulté le 24/03/2020]

TAQUET P. (2006b). — Georges Cuvier : Naissance d’un génie. Odile Jacob, Paris, 539 p.

TAQUET P. (2009). — Les contributions respectives de Georges Cuvier et d’Alexandre Brongniart à l’élaboration de l’Essai sur la géographie minéralogique des environs de Paris, d’après les manuscrits retrouvés d’Alexandre Brongniart. Travaux du Comité Français d’Histoire de la Géologie, 3e série, 23 : 1-16 ; World Wide Web address: https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00911668v2/document [consulté le 24/03/2020]

Illustrations

References

Bibliographical reference

Jessie Cuvelier, « Georges Cuvier – Anatomie d’un naturaliste, Philippe Taquet », Annales de la Société Géologique du Nord, 27 | 2020, 111-113.

Electronic reference

Jessie Cuvelier, « Georges Cuvier – Anatomie d’un naturaliste, Philippe Taquet », Annales de la Société Géologique du Nord [Online], 27 | 2020, Online since 02 novembre 2021, connection on 19 septembre 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/annales-sgn/262

Author

Jessie Cuvelier

UMR 8198 Evo-Eco-Paleo, CNRS & Université de Lille, F-59000 Lille, France, jessie.cuvelier@univ-lille.fr

By this author

Copyright

CC-BY-NC