I. – Introduction
Le peak all ou peak everything peut être compris comme la survenue concomitante d’un pic d’exploitation des réserves de pétrole et des réserves de ressources minérales, en particulier des métaux. Un pic (peak en anglais) s’apparente au moment où l’exploitation d’une ressource (fossile, minérale, végétale) culmine à l’échelle mondiale, avant de décliner du fait de la raréfaction des ressources disponibles.
Le développement de nos sociétés contemporaines ces deux derniers siècles a été rendu possible par l’exploitation de ressources fossiles et fissiles (pétrole, charbon, gaz, uranium) permettant la production d’une énergie abondante et bon marché (Debeir, Deléage & Hémery, 2013). L’usage et la diffusion massive de « nouvelles technologies » ainsi que la numérisation d’un certain nombre d’activités humaines depuis les années 1980 ont entraîné une exploitation exponentielle des ressources minérales métalliques, entrant dans la composition des artefacts électroniques (Flipo, Dobré & Michot, 2013).
De nombreuses ressources sont aujourd’hui surexploitées, ce qui contribue à leur raréfaction et amplifie leurs impacts négatifs sur les écosystèmes et le climat.
II. – Les enjeux du Peak All
L’impact énergétique de l’extractivisme
On assiste depuis la fin du XVIIIe siècle à une explosion de la demande énergétique. Au cours du XXe siècle, la consommation énergétique a été multipliée par sept (Grübler & Nakicenovic, 1996). L’exploitation de nouvelles sources d’énergie est à mettre en parallèle avec des évolutions technologiques. La première révolution industrielle au début du XIXe siècle a permis, via le charbon, le développement des trains et bateaux à vapeur. La seconde révolution industrielle du début du XXe siècle a permis, via le pétrole, le développement de l’automobile individuelle et des matières plastiques. Nous connaitrions actuellement une troisième révolution industrielle, basée sur le développement massive des énergies renouvelables et de l’hydrogène, fortement liés au développement des nouvelles technologies (Rifkin, 2013). En 2016, 87 % de l’énergie consommée est d’origine fossile (pétrole, gaz, charbon), 92 % en prenant en compte le nucléaire et l’uranium (ENERDATA, 2017)
Il existe ainsi un lien très étroit entre un pic des ressources fossiles et un pic des ressources métalliques dans la mesure où l’extraction de ces ressources du sol nécessite l’usage de très grandes quantités d’énergie. L’indice EROI (Energy Return On Energy Invaested) permet de calculer la quantité d’énergie nécessaire à l’extraction d’une quantité donnée. A titre d’exemple, il faut 2 à 3 barils de pétrole pour produire 100 barils de pétrole dans les champs pétroliers d’Arabie Saoudite contre 1 baril pour en produire 3 dans le cas des sables bitumineux du Canada (Bihouix, 2014)
De plus, les réserves facilement accessibles s’épuisant, de nouveaux gisements jusque-là économiquement non viables et concentrant moins de minerais, le deviennent.
Un état des réserves fluctuant
L’état des réserves fossiles et métalliques constitue un sujet quasi constant de controverse. Cela peut s’expliquer par le caractère auto correcteur des fluctuations économiques dues à la raréfaction des réserves disponibles. En effet, la hausse des prix stimule l’exploration de gisements jusque-là trop onéreux, ce qui engendre la création de nouvelles réserves, avec une augmentation de l’offre et une baisse des prix.
Tout comme pour les réserves fossiles, les réserves de minerais métalliques facilement accessibles sont très largement exploitées, au point de rendre la disponibilité de certains métaux critique. La massification des appareils électroniques et leur mauvais recyclage créent des tensions sur la disponibilité des métaux. C’est le cas notamment du cuivre dont l’épuisement des réserves connues est estimé par l’United States Geophysical Survey, à une trentaine d’années au rythme d’exploitation actuel.
Des vulnérabilités géopolitiques
Les métaux sont des ressources stratégiques sujettes à des enjeux géopolitiques. En effet, la France, et l’Union Européenne d’une manière générale, disposent pour des raisons géologiques de très peu de gisements de matières premières métalliques. La quasi-totalité des ressources fossiles et métalliques utilisées en Europe sont importées d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Certaines de ces zones géographiques sont confrontées à des conflits ou des instabilités politiques récurrents qui peuvent entraîner des ruptures d’approvisionnement et une fluctuation du prix des ressources, ce qui accroît la vulnérabilité matérielle des pays importateurs. (Pitron, 2018)
Des ressources, comme le cobalt (présent dans les batteries de téléphones portables, ordinateurs, voitures électriques), sont considérées comme des « minerais de conflit » dans la mesure où leur valeur stratégique génère ou entretient des conflits armés notamment en République démocratique du Congo.
Des impacts environnementaux et sociaux
L’extractivisme a de forts impacts environnementaux et sociaux. Exploiter une ressource naturelle suppose de l’extraire d’un environnement donné et donc d’en modifier les caractéristiques. Cela peut avoir un impact sur les écosystèmes (sol, eau, air), la biodiversité et les paysages. De plus, l’une des conséquences du réchauffement climatique est l’apparition de gisements jusque-là inconnus, ou non rentables car difficilement accessibles. Le développement ces dernières années de missions de prospection de certains États et entreprises privées dans l’Arctique témoigne de l’appétence pour les gisements rendus accessibles par la fonte du permafrost et de la banquise (Bednik, 2016).
Les conditions d’exploitation de ces gisements sont souvent rudes, exposant les travailleurs à de nombreux risques, amplifiés par des manquements aux normes sanitaires et environnementales, comme cela peut être régulièrement constaté dans certaines mines de terres rares en Afrique ou Asie (Flipo, Dobré & Michot, 2013).
Le recyclage des minerais avec les technologies actuelles est également très consommateur d’énergie. De plus, du fait du principe d’entropie, un minerai ou un objet ne peut jamais être recyclé en totalité et de manière infinie, la matière étant dégradée à chaque phase de recyclage (Georgescu-Roegen,1971). L’obsolescence programmée d’un certain nombre d’appareils électroniques et la complexité de leurs compositions rendent bien souvent le coût du rachat d’un produit neuf plus intéressant que le coût d’une réparation, ce qui engendre des quantités énormes de déchets électroniques riches d’éléments dont les réserves sont par ailleurs en voie d’épuisement.
III. – L’urgence climatique comme limite à l’extractivisme
Toutefois, la problématique de raréfaction des ressources fossiles et métalliques se révèle être en réalité une problématique d’abondance quand il est question de l’impact de la combustion et de l’usage de ces ressources sur l’environnement, et en particulier sur le climat.
Les ressources fossiles étant majoritairement composées de carbone, leur combustion est fortement émettrice de gaz à effet de serre, ce qui joue un rôle déterminant dans le processus de réchauffement climatique de la planète (Landrieu, 1994).
En 2009, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) tire la sonnette d’alarme en appelant à l’atteinte du « pic des émissions de C02 » le plus rapidement possible et à une baisse drastique des consommations d’énergie d’origine fossile. Dans son rapport de synthèse sur les changements climatiques à l’intention des décideurs en 2014, le GIEC précise que « si elles se poursuivent, les émissions de gaz à effet de serre provoqueront un réchauffement supplémentaire et une modification durable de toutes les composantes du système climatique, ce qui augmentera la probabilité de conséquences graves, généralisées et irréversibles pour les populations et les écosystèmes. Les émissions cumulées de CO2 détermineront dans une large mesure la moyenne mondiale du réchauffement en surface vers la fin du XXIe siècle et au-delà ».
Afin de ne pas dépasser la barre des 2 °C de réchauffement climatique d’ici 2100 par rapport à l’ère préindustrielle, 80 % des réserves d’énergies fossiles, actuellement identifiées, devraient rester dans le sol. Autrement dit, il ne faudrait pas consommer plus de 20 % des réserves d’énergies fossiles prouvées et disponibles économiquement d’ici à 2050. (Meinshausen et al., 2009)
Depuis le début des années 1990, les États et les pouvoirs publics se sont saisis de cette problématique. C’est ainsi que la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 fixe comme objectif pour la France de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030 et de 75 % d’ici 2050, par rapport à celles de 1990.
Répondre à ces objectifs suppose d’interroger les besoins énergétiques de nos sociétés afin d’engager une descente progressive de nos consommations associant aussi bien les acteurs publics et privés que les citoyens.
IV. – La sobriété, concept clé pour mener à bien la transition énergétique et répondre au défi climatique
Afin de sortir de la situation d’ébriété énergétique dans laquelle nos sociétés contemporaines se trouvent et de limiter le réchauffement climatique en dessous de 2 °C, l’adoption de modes de vie et d’organisation collective moins consommateurs d’énergie et moins émetteurs de gaz à effet de serre apparaît comme inévitable.
Cette démarche de sobriété énergétique interroge notre rapport aux objets et à leurs usages en recentrant les réflexions sur la notion de besoin. Par exemple, un besoin de mobilité peut être comblé par l’usage d’une voiture à essence, d’une voiture électrique, d’un vélo, de la marche à pied, etc. La sobriété énergétique se distingue de l’efficacité énergétique, qui fait appel exclusivement à des technologies permettant de réduire les consommations d’énergie à l’échelle d’un objet ou d’un système donné (véhicule moins consommateur, bâtiment rénové, etc.) (Virage Énergie, 2013).
Une société engagée dans la sobriété énergétique modifie ses normes sociales, ses besoins individuels et ses imaginaires collectifs au profit d’une réduction volontaire et organisée des consommations d’énergie. Parallèlement, cette démarche collective permet de limiter les externalités négatives des modes de consommation et de production actuels (pollutions, bruit, problèmes de santé, etc.) et participe à une amélioration générale de la qualité de vie des populations. Elle permet également d’associer les citoyens à des démarches de transition énergétique en les impliquant dans la mise en place de stratégies locales et territoriales de réduction des consommations d’énergie et de lutte contre le réchauffement climatique (Virage Énergie, 2016).
En 2016, dans le cadre d’un programme Chercheurs Citoyens mené avec le laboratoire CERAPS et financé par le Conseil Régional Hauts-de-France et l’ADEME, Virage Énergie a réalisé l’étude Mieux Vivre en Nord-Pas de Calais : pour un virage énergétique et des transformations sociétales, qui explore aux horizons 2025 et 2050 les gisements d’économies d’énergie et d’emplois associés à des changements profonds de modes de vie et d’organisations économiques et sociales. Cette étude présente plusieurs scénarios de sobriété énergétique et donne à voir les modifications sociétales nécessaires pour tendre vers une région Nord-Pas-de-Calais énergétiquement sobre en 2025 et 2050.
D’une « société fragmentée » à un « virage sociétal », la réduction de l’empreinte énergétique régionale, reposant à la fois sur la sobriété et l’efficacité énergétique, est potentiellement supérieure à 70 % pour le scénario le plus ambitieux. Une telle trajectoire ouvre la voie vers une adéquation entre la demande régionale en énergie et une production 100 % énergies renouvelables. Cela engendrerait également des bénéfices économiques, sanitaires et environnementaux ainsi que la création nette de 67 000 emplois en région à l’horizon 2050 (Virage Énergie, 2016).
V. – Conclusion
La finitude matérielle des ressources fossiles et minérales apparaît comme une menace de plus en plus tangible pour le développement de nos sociétés contemporaines. Les conséquences environnementales de l’exploitation de ces ressources depuis plus de deux siècles supposent que nous repensions notre modèle de développement et notre rapport à la nature.
La sobriété énergétique apparaît comme une voie complémentaire à l’efficacité énergétique et au développement des énergies renouvelables pour sortir nos sociétés contemporaines de leur dépendance aux énergies fossiles et à un extractivisme aux conséquences environnementales et climatiques considérables.