L’ouvrage, Grandes figures du passé et héros référents dans les représentations de l’Europe contemporaine, publié sous la direction de Danièle Henky et de Michel Fabréguet, contient neuf publications réunies lors d’une journée d’études à l’Université de Strasbourg en décembre 20091. Adoptant une approche pluridisciplinaire, entre Histoire, littérature, civilisation et sciences de l’information et de la communication, les auteurs envisagent la représentation des héros en Europe de nos jours, et interrogent la pertinence de celui-ci dans notre époque contemporaine. Le héros occupe-t-il encore une place dans l’imaginaire moderne, et si oui sous quelle forme ? A travers une étude diachronique qui souligne la complexification du héros d’aujourd’hui, et la manipulation du concept par nos sociétés, une nouvelle définition de l’héroïsme se dessine.
Le choix d’analyser des « grandes figures du passé » et leurs représentations européennes conduit à la réunion de communications issues de domaines nécessairement variés et prend le risque de la dispersion. Or, si les publications abordent des sujets divers, sans se limiter à un champ historique ou géographique, et par-delà les contraintes de genre, le recueil trouve justement son unité dans sa thématique, le sens donné au héros, et l’approche chronologique qu’il en fait. Le recours à l’Histoire, comme aux personnages qui l’animent, permet, d’abord, de mettre en évidence la permanence de caractéristiques héroïques. Danièle Henky, Agnès Graceffa, ou Régine Atzenhoffer témoignent d’une convention qui vaut également pour les hommes du Cercle de Kreisau, ou pour le Bodhisattva, « héros pour l’éveil » tibétain, évoqués par Adrian Grafe et Olivier Arifon2. Ainsi, le héros incarne traditionnellement les fantasmes inconscients de l’humain : beauté, intelligence, culture, action. Si l’esprit de conquête est abandonné, le personnage héroïque reste celui qui, au service de la communauté, sacrifie sa vie pour le salut de celle-ci. Il intègre « une rêverie d’excellence », au « service d’une idéologie commune bien structurée »3. Cette particularité de la figure s’explique parce qu’elle est « objet d’une construction »4. C’est un discours qui lui donne forme.
L’ouvrage met en évidence le processus d’héroïsation, qui trouve racine dans l’Histoire, en montrant la construction héroïque par-delà la dichotomie des champs littéraires et historiques. L’orientation pluridisciplinaire des analyses place en effet sur un plan identique les personnages principaux des fictions et les acteurs de l’Histoire, points de focalisation d’une même mise en scène destinée à favoriser l’adéquation du personnage aux attentes d’un public-cible5. Ainsi, exemplaire, caractérisation d’une façon d’être, ou vecteur de valeurs, le héros est un modèle, mais il traduit aussi les intérêts et préjugés de la société qui le fait naître. C’est ce que démontre Agnès Graceffa à partir du lien qui unit l’importance grandissante de Martin, Clovis et Dagobert et l’émergence de l’idée de Nation6. C’est ce qui explique également selon Charlotte Lacoste, à partir du modèle nazi, la fascination moderne qu’exercent les antihéros de nos jours sur le public7.
De fait, même si on peut regretter la réduction, par la sélection forcément limitative des publications, de l’antihéros au nazi, et le statut de l’héroïne cantonnée au roman sentimental ou à un héroïsme forcément collectif, l’étude propose une nouvelle typologie du héros : du héros traditionnel mais fictif aux héros du retrait, héros-victime ou antihéros. Elle souligne, en outre, un glissement des valeurs du politique à l’éthique, mais aussi un processus narcissique à partir du héros, une individuation de l’idéal dont il est le support. Par ailleurs, elle montre que la figure héroïque interroge la mémoire et exerce une fonction patrimoniale au risque de devenir monument. En réalité, le héros aujourd’hui, s’il forme l’Histoire, est également modelé par elle. Il engage la responsabilité de l’historien comme du romancier, le choix d’un héros, parmi la pluralité contemporaine de ses représentations, comme le traitement qui en est fait, orientant nécessairement sa réception.
Régine Atzenhoffer rappelle la phrase de Stefan Zweig : « l’éternel besoin de fabriquer des héros »8. Cela semble être le cas. Inscrivant la création héroïque dans une logique pluridisciplinaire allant de la légende aux contes pour adultes, de la littérature de jeunesse aux témoignages historiques, l’ouvrage éclaire la représentation du héros en Europe. La multiplicité des domaines envisagés, loin de nuire à la réflexion, l’enrichit au fur et à mesure que sont ouvertes de nouvelles perspectives, dans un jeu d’échos entre les publications. Libérateur d’imaginaire, désireux de « changer son être et le monde », le héros est devenu une figure paradoxale, être exemplaire et cependant ordinaire9. Si l’orientation historique du projet d’étude réduit le champ de l’analyse à une catégorie héroïque – essentiellement, de Clovis aux anonymes de la Résistance, celle du héros chevalier – elle ouvre bien « de nouvelles pistes à explorer, en partant de cette première investigation pionnière »10.