Cet ouvrage examine la figure de Robert le Diable au fil des réécritures à la fois d’un point de vue artistique et historique et met en lumière les deux tendances qui orientent le traitement de cette histoire, tant au niveau de l’écriture qu’à celui de la critique. La première se caractérise par la volonté d’ancrer ce personnage dans l’histoire et la géographie normandes. L’autre souligne au contraire la portée universelle de cette légende.
Ainsi dès le Moyen Âge, la diversité est de mise. Dans le roman en vers du XIIIe siècle, influencé par l’écriture hagiographique, le repentir sincère de Robert le Diable permet de démontrer les bienfaits de la pénitence, en écho aux préoccupations contemporaines de l’Église, alors que Le Miracle de Robert le Dyable, représenté en 1375, met l’accent sur la prise de conscience de Robert. Le traitement du motif de la folie, étudié par H. Legros, est particulièrement intéressant : feinte, elle devient une humiliation imposée par Dieu à Robert pour qu’il expie les atrocités commises. Les diverses versions de la légende au Moyen Âge témoignent ainsi de l’évolution de la théologie en matière de pénitence. Mais, au fil du temps, c’est aussi l’aspect mondain du personnage qui vient à dominer. Robert ne termine plus ses jours en ermite, mais en bon époux et en duc respecté. La Grande Chronique de Normandie, dans un souci de véracité historique, supprime le merveilleux, ce qui témoigne de la volonté très ancienne d’identifier Robert le Diable à un personnage historique, Robert le Magnifique : l’ouvrage montre en effet que l’ancrage dans la géographie normande de l’histoire de Robert le Diable, ainsi que la légende « noire » des ducs de Normandie, qui porte une ombre à la réputation de charité et de sainteté qu’ils voulaient acquérir, permet de comprendre le rapprochement entre ces deux personnages.
L’ouvrage examine ensuite comment la littérature populaire de la Bibliothèque Bleue s’empare de Robert le Diable à partir du XVIIe siècle, puis comment son histoire sera réécrite pour un public lettré par Jean de Castilhon et le Comte de Tressan à la fin du XVIIIe siècle. Au XIXe siècle, Meyerbeer en fera un opéra à succès, transformant l’histoire en un drame familial. Dans ces remaniements se font sentir l’influence successive du roman libertin et du roman noir, ainsi que la prédilection romantique pour un Moyen Âge rêvé, dont témoigne l’« esthétique troubadour » de la Comédie normande d’Eliacim Jourdain (1858) ou du Mystère de Robert le Diable, joué au théâtre de la Gaîté en 1878.
Enfin nous découvrons que le succès de cette légende dépasse les frontières puisque la littérature anglaise de la fin du XIVe siècle en donnera sa propre variante avec le petit poème Sire Gowther en lien avec la matière de Bretagne.
Cet ouvrage doit se lire comme un prolongement du travail mené par E. Gaucher, qui abordait déjà la figure de Robert dans la littérature médiévale et dans les réécritures. Les contributions rassemblées ici permettent de croiser les regards d’historiens, de littéraires et de spécialistes de la Normandie ducale sur un même personnage et soulignent combien une légende est une entrée privilégiée pour appréhender les préoccupations d’une époque et d’une société données. À ce titre, l’histoire de Robert le Diable est particulièrement représentative. Racontée sous des formes littéraires très diverses, elle multiplie les variantes, très révélatrices à la fois des goûts du public et de l’ambition de l’auteur. L’ancrage géographique permet de rapprocher Robert du personnage de Richard li Biaus et, plus largement, traduit l’intérêt actuel pour la question de la géographie dans la littérature. Ainsi il sera très intéressant de mettre en perspective ces travaux avec le colloque de Clermont-Ferrand d’avril 2011, consacré aux saints et aux rois, dont les actes seront publiés prochainement chez Champion.