Je remercie Alison Boulanger et Alban Gautier pour leur travail de traduction du présent article ; je remercie aussi mes étudiants Vangelis Andreou et Sofia Serdari de m’avoir aidé à mettre en forme le diaporama présenté lors du colloque de Boulogne.
L’année 406-407 a vu trois usurpateurs se succéder rapidement, tous proclamés chefs par les troupes romaines de l’île de Bretagne : un certain Marcus (probablement à la fin de l’année 406, ou au début de l’année 407), Gratien (dont le règne ne dura que quatre mois) et pour finir Constantin (proclamé empereur sous le nom de Constantin III et régnant de 407 à 411), celui qui a rencontré de loin le plus de succès, et qui est le seul dont on puisse attester avec certitude les prétentions à l’Empire. Assurément, il avait bien choisi son moment, puisque le jeune Honorius avait déjà fait la preuve de sa grande faiblesse et de son incapacité à prendre par lui-même une décision, tandis que le général en chef de l’Empire d’Occident, le demi-Vandale Stilicon, devait faire face au danger bien plus pressant que posait Alaric dans les régions proches de l’Italie, tout en guerroyant pour le contrôle de l’Illyricum, une préfecture de la plus haute importance stratégique que se disputaient les deux moitiés de l’Empire.
Assez bizarrement, pour les événements de la lointaine Bretagne et de la Gaule, nos principales sources sont les auteurs byzantins, qui s’inspirent pour la plus grande part du plus ancien d’entre eux, Olympiodore de Thèbes en Égypte (né entre 365 et 380, mort après 425)1. Comme seuls des fragments de son œuvre nous sont parvenus, il est difficile de s’en faire une vision cohérente, mais l’opinion générale s’accorde à voir en lui un auteur de grande valeur, car on lui prête une connaissance approfondie des événements d’Occident, où il a probablement passé une grande partie de sa vie, peut-être à Rome.
À la différence d’autres fragments d’historiens de l’Antiquité tardive, qui survivent entre autres dans les parties conservées de l’épitomé encyclopédique dû à l’empereur Constantin VII Porphyrogenète (945-959), les fragments d’Olympiodore sont à rechercher soit dans l’usage qu’en a fait l’historien Sozomène, qui composa son Histoire ecclésiastique entre 440 et 450, soit dans le codex 80 de la Bibliothèque de Photios, le patriarche érudit du milieu du IXe siècle, qui a compilé de courts résumés des ouvrages qu’il avait lus, et qu’il aurait cités de mémoire.
406-407 : Trois usurpateurs en Bretagne
Marcus, un officier romain effectuant son service en Bretagne, fut proclamé chef, et peut-être empereur, par les troupes, en 407 ou plus vraisemblablement fin 406. Le fragment 13.2 d’Olympiodore, cité par Photios, qui relate les événements concernant Constantin, rapporte que les troupes de Bretagne se soulevèrent et élurent un officier nommé Marcus, dont ils se débarrassèrent peu après. L’événement est placé avant le septième consulat d’Honorius (en 407), ce qui est raisonnable, dans la mesure où il est difficile d’envisager que trois usurpateurs se soient soulevés, et deux aient été renversés, en l’espace d’un an. Il n’est pas moins vital de déterminer si, comme on l’admet généralement, le soulèvement des troupes de Bretagne a partie liée au passage du Rhin par plusieurs tribus germaniques le 31 décembre 406. Dans certains esprits, cet événement aurait directement poussé les troupes bretonnes à se soulever et à élire Marcus comme chef, avec pour but de l’élever au rang d’empereur. On ne sait pas grand-chose d’autre à son sujet, mais il importe de se rappeler qu’une année est une période bien brève pour voir se produire trois changements forcés, sachant que le second (concernant Gratien) a duré quatre mois tandis que le dernier (celui de Constantin) s’est avéré le plus durable. Par ailleurs, si Marcus a été choisi dans les derniers mois de 406, et si l’on admet sans réserve la date du 31 décembre comme étant celle du passage du Rhin, alors, de toute évidence, les événements de Bretagne n’ont plus aucune pertinence. C’est pourquoi Michael Kulikowski a suggéré, à bon droit selon moi, que le passage du Rhin devait avoir eu lieu à la fin de l’année 405, plutôt que 4062. Il nous faut aussi prendre en considération le fait que ces tribus germaniques se dirigeaient toutes vers le sud. Par conséquent, il était peu probable que la Bretagne se voie envahie par celles qui avaient traversé le Rhin. En outre, la traversée, fait important, se fit dans la partie médiane du fleuve, plutôt que dans sa partie septentrionale, ce qui réduit encore la probabilité d’un lien entre les deux événements. Ce qui aurait revêtu une importance cruciale pour les Bretons, c’est le moment où les Francs ont atteint les rivages voisins de l’île et s’y sont établis. Ceci semble s’être produit plus tardivement, et cette migration ne peut donc pas présenter de lien avec les événements en Bretagne. En revanche, la piraterie saxonne avait déjà débuté à l’époque de l’usurpateur Magnus Maximus (qui se souleva en 383 et porta le titre d’Auguste de 384 à 388). Certes, les Pictes et les Scots présentaient un plus grand danger que les Saxons, toutefois leurs expéditions augmentèrent exponentiellement au tournant du siècle, et le fait que l’on n’ait pas trouvé près du mur d’Hadrien de pièces de monnaie postérieures à 402 suggère que l’Empire se trouvait dans l’incapacité de payer les garnisons bretonnes. Voilà qui a pu pousser les troupes à se choisir un chef parmi leurs officiers ; ces motifs semblent plus vraisemblables que celui de secouer le joug romain.
Dès lors, la proclamation de Marcus comme chef est sans doute plutôt liée au fait que Stilicon avait retiré des troupes pour protéger l’Italie des Visigoths d’Alaric, et au besoin d’assurer leur sécurité pour les Bretons. Dans la citation qu’en donne l’historien ecclésiastique Sozomène, Olympiodore déclare que les troupes bretonnes, s’étant soulevées, élurent Marcus comme tyran, mais s’en débarrassèrent bien vite. Le terme employé est τύραννον (tyran), qui désigne généralement un dirigeant. Mais il faut préciser que lorsqu’un « tyran » accède au rang d’empereur, cela est en général clairement stipulé. Les deux versions du texte d’Olympiodore se prêtent à différentes interprétations. Chez Photios3, on trouve le mot αυτοκράτωρ (empereur tout-puissant), mais dans la version de Sozomène, Marcus est seulement désigné comme τύραννος (tyran)4. Dans la mesure où Sozomène a écrit peu après Olympiodore, son témoignage est vraisemblablement plus proche de la vérité.
Zosime, par ailleurs, est un peu plus éclairant, car il écrit que Marcus fut effectivement élevé au rang d’empereur, mais qu’il fut renversé parce qu’il refusait d’accéder aux désirs des soldats5. Dès lors qu’Olympiodore, notre source principale, ne signale pas explicitement que Marcus a été proclamé empereur, nous ne sommes pas tenus d’adhérer sans réserve aux déclarations de Zosime. Si, comme il l’affirme, Marcus fut renversé parce qu’il ne répondait pas aux attentes des troupes bretonnes, alors ces attentes devaient sûrement porter plutôt sur des avantages matériels, comme l’octroi de sommes généreuses. De telles attentes n’auraient eu aucun fondement si elles n’avaient pas reposé sur un accord conclu avant l’hypothétique accession au pouvoir. Ce qui nous amène à postuler qu’il était prévu que Marcus soit proclamé empereur après avoir accepté les exigences des soldats. Comme il n’a pas honoré cet accord, ceux-ci s’en débarrassèrent et offrirent la pourpre, selon les dires de Zosime, à un certain Gratien.
Gratien eut un peu plus de succès que son prédécesseur. Tout ce que nous savons de lui est qu’il s’agissait d’un municeps, c’est-à-dire un concitoyen, un compatriote6. Il est difficile de glaner suffisamment d’informations à partir de ce seul terme ; toutefois la lecture qu’on en fera ici (à la suite d’autres commentateurs) est qu’il signifie simplement que Gratien était un compatriote breton, un homme né dans le pays. Pour les sources grecques, qui ne disent rien de son origine, l’aspect important est qu’il a régné quatre mois avant d’être tué par les troupes de Bretagne7. C’est là une information intéressante, car cela signifie que Gratien, à supposer qu’il ait été proclamé empereur, aurait eu peu de temps pour mettre sur pied une traversée vers le continent européen. Son rejet doit être également dû au fait que, par incapacité ou par refus, il n’ait pas répondu aux attentes de ses troupes, qui portaient en toute probabilité sur une récompense sonnante et trébuchante. Puisqu’aucun texte ne mentionne explicitement son élévation à l’Empire, on peut partir du principe que Gratien, comme Marcus, a seulement été désigné comme chef, avec la perspective de devenir empereur, à condition de pouvoir ou de vouloir fournir les dons attendus.
Olympiodore et Sozomène sur Constantin III
Le plus intéressant est, de loin, le troisième usurpateur, Constantin III. Non seulement il accepta de revêtir la pourpre impériale, comme l’attestent nos sources, mais il rencontra en outre des succès incontestables dans les stratégies qu’il suivit pour atteindre son but ultime, c’est-à-dire être reconnu à Rome. Ce but fut presque atteint en 409, lorsqu’Honorius, alors lui-même aux abois en raison de la présence d’Alaric en Italie, lui fit parvenir un vêtement impérial. Bien que l’histoire de Constantin ne s’arrête pas tout à fait là, son sort ultérieur et les lieux qu’il a traversés avant son exécution en 411 ne présentent aucun caractère pertinent depuis la perspective des événements de Bretagne, aussi je choisirai cette reconnaissance en 409 comme le terminus ad quem de cet article8.
Seul Orose fait allusion au statut antérieur de Constantin, en suggérant qu’il s’agissait d’un obscur soldat sans mérite9. Toutefois ce commentaire contraste quelque peu avec celui de Procope de Césarée, qui désigne Constantin par les termes οὐκ ἀφανῆ ἄνδρα qui impliquent une forme d’excellence ou de notoriété10. Si l’on combine les deux versions, on peut conclure que Constantin devait être un soldat d’origine assez modeste, qui par ses faits d’armes avait obtenu un certain respect. Point plus important, le propos de Procope, écrit au VIe siècle, ne découle pas du modèle commun d’Olympiodore, ce qui suggère que Procope travaillait à partir d’une source différente, ou d’une variante de son cru. Sa représentation est renforcée par un commentaire du chroniqueur Théophane le Confesseur, auteur du début du IXe siècle, qui dans sa Chronographie qualifie Constantin de λαμπρότατος (terme qui traduit habituellement le titre d’« illustre »)11. Peut-on en déduire que Procope et Théophane ont tous deux utilisé une même source ? Quoi qu’il en soit, le terme employé n’est pas d’une grande importance, car le titre d’illustris, couramment conféré aux officiers, aurait pu lui être accordé du fait de son usurpation, et non antérieurement à celle-ci. Dans la mesure où Constantin s’avéra relativement apte à maintenir efficacement la Gaule sous contrôle, arrêtant pour le moment l’avancée de ceux qui avaient traversé le Rhin, la version de Procope ne peut être rejetée à la légère.
Si l’on part du principe que Sozomène et Photios citent tous deux fidèlement Olympiodore, on pourrait en déduire que c’est en raison de son nom prometteur que Constantin a été choisi pour diriger le soulèvement visant à renverser Honorius, ou au moins à l’obliger à reconnaître son rival comme co-empereur. Les propos d’Orose vont dans le même sens12. Mais on peut en dire autant pour les deux précédents usurpateurs, Marcus et Gratien, qui portent tous deux le nom d’empereurs couronnés de succès. Le nom de Constantin doit par conséquent avoir exercé un attrait supplémentaire sur les troupes ; peut-être devons nous en conclure qu’il l’emportait en gravitas. Sozomène va plus loin encore en suggérant que le nom à lui seul aurait suffi à garantir le succès du nouvel usurpateur13.
Contrairement à ses prédécesseurs, Constantin a pu se mettre rapidement en mouvement et traverser le pas de Calais jusqu’à Boulogne. Cette ville était alors la principale base romaine sur la rive gauloise de Manche14, et les historiens byzantins ne l’ignoraient pas : Olympiodore, aussi bien dans la version de Photios que dans celle de Sozomène, est très précis sur ce point15. Dans la mesure où rien n’indique l’existence d’une source écrite antérieure à Olympiodore, la mention de Boulogne par ces lointains Romains d’Orient est impressionnante et témoigne incontestablement du fait que les connaissances étaient diffusées à travers les régions éloignées de l’Empire de façon bien plus étendue que l’on aurait pu le croire, même si de grossières erreurs pouvaient s’y glisser.
Le fait que Constantin, une fois maître de troupes suffisantes, ait marché sur Arles, suggère qu’il entendait prétendre au rang impérial, ne serait-ce qu’en association, soit pour la Bretagne et la Gaule, soit pour l’intégralité de l’Occident romain. On s’est peu attardé sur un fragment d’Olympiodore également cité par Sozomène16. Selon ce que rapporte ce dernier, Constantin se serait proclamé empereur après avoir atteint Arles. Si nous prenons ce passage à la lettre, cela veut dire que Constantin voulait atteindre l’un des principaux centres du pouvoir avant de déclarer ses prétentions à l’Empire. Cette interprétation, qui paraît logique sur le plan de la sécurité comme du prestige, produit un contraste marqué avec ses deux prédécesseurs, si tant est que ceux-ci aient sérieusement eu l’intention de revendiquer la dignité impériale. Cela veut également dire que toutes les pièces de monnaie qui ont circulé sous son nom en Bretagne doivent avoir été frappées après qu’il s’était établi en toute sécurité dans la capitale des Gaules.
De même, il est intéressant de se pencher sur une remarque de Grégoire de Tours qui, citant l’historien du Ve siècle Renatus Profuturus Frigeridus, suggère que Constantin s’adonnait à l’oisiveté et la gloutonnerie17. Ce jugement a son importance, dans la mesure où, sur les 121 occurrences du terme gula que l’on relève dans la base électronique Monumenta Germaniae Historica, dont la très grande majorité relève de débats théologiques et moraux concernant les excès de table, c’est le seul, parmi les quelques remarques à caractère purement séculier, à proposer une explication de ce comportement – en l’occurrence, le fait que Constantin, une fois établi en Arles, pouvait se permettre de se consacrer aux plaisirs de la table parce qu’il n’avait plus à redouter de mauvaises surprises du côté de l’Italie. Si l’on se fonde sur sa conduite antérieure et ultérieure, en y ajoutant le fait qu’aucune autre source ne formule ce reproche et que les sources gauloises semblent particulièrement obsédées par le problème de la gloutonnerie, nous pouvons en conclure que ces auteurs voulaient expliquer l’inactivité de Constantin par ses vices personnels, alors qu’il serait peut-être plus juste d’y voir la tentative d’instaurer un pouvoir officiel stable au centre de la Gaule, comme tous les usurpateurs couronnés de succès l’avaient fait dans les siècles précédents18.
Ce portrait de Constantin sombrant dans l’oisiveté et la gloutonnerie s’éloigne encore un peu plus si l’on se reporte à un autre passage d’Olympiodore, cité par Sozomène, d’après lequel il se serait immédiatement consacré à la défense des passages alpins entre la Gaule et l’Italie. Ce fait est mentionné explicitement, d’une manière inhabituellement précise, car le texte nomme les Alpes Cottiennes, qui constituent une frontière naturelle entre la Gaule et l’Italie19. Du point de vue de Constantin, c’était là une mesure logique et de bon sens afin de garantir ses conquêtes des incursions venues d’Italie. Photios rapporte également ce fait dans sa Bibliothèque, mais sans préciser de quelle chaîne alpine il s’agit20. La base TLG ne comporte que sept occurrences comprenant le terme « Cottiennes », la première sous la plume l’empereur Julien au siècle précédent, tandis que toutes les autres occurrences citent Sozomène et datent du XIIe au XIVe siècle. Dès lors, il est intéressant de constater que Photios n’a pas fait mention de cette information particulièrement précise et rare venant d’Olympiodore. On aurait pu s’attendre à ce qu’il se rappelle un point aussi original, dès lors qu’il se targue d’avoir compilé sa Bibliotheca de mémoire uniquement.
On trouve une autre référence à cette même chaîne alpine lorsqu’Olympiodore relate comment Constantin tenta d’amener Honorius à traiter avec lui, marcha sur l’Italie, traversa les Alpes Cottiennes et parvint en un lieu nommé Ἀφερώνα (Aferona)21, en lequel il faut sans doute voir la localité ligurienne de Liberona, plutôt que la cité de Vérone. Mais ayant appris la mort de son général Alobich, il s’abstint de traverser le fleuve Ἠριδανός (Êridanos) et se retira en Arles22. Tout ce passage pose problème. On suppose habituellement que le mot Ἠριδανός désigne le Pô, mais ce fleuve est bien plus souvent appelé Πάδος (Pados) dans les sources grecques : or s’il s’était agi de passer le Pô, la traversée aurait eu lieu trop près de Milan pour qu’aucune autre source n’en fasse mention. Zosime, dont la relation est la plus intéressante à bien des égards, comme on le soutiendra ci-dessous, évoque quant à lui trois routes entre la Gaule et l’Italie : celle des Alpes Cottiennes, celle des Alpes Pennines et celle des Alpes Maritimes, cette dernière désignation renvoyant, on le présume, à la bande côtière qui mène de Provence en Ligurie23. Là encore, la base TLG fournit huit occurrences pour les Alpes Pennines, mentionnées avant tout par Strabon (quatre fois) et Ptolémée (deux fois). Ce qui veut dire que Zosime, comme on pouvait s’y attendre, s’est appuyé sur l’un de ces deux géographes. Ce deuxième événement doit avoir eu lieu en 409, lorsqu’Honorius, poussé dans ses retranchements par la présence d’Alaric en Italie, était prêt à reconnaître Constantin comme codirigeant.
Toutes les sources, latines ou grecques, rapportent que l’étape suivante pour Constantin fut de promouvoir ses deux fils, Constant et Julien, respectivement au rang de César, puis de coempereur, et au rang de nobilissimus. Orose exprime son indignation devant le fait que Constant ait été relevé de ses vœux monastiques pour devenir César24. Les sources byzantines ne rapportent rien de tel, mais relatent cette montée en grade progressive, et en particulier celle de Constant, qui s’avéra un administrateur relativement incompétent. Il importe de savoir exactement quand Constant fut proclamé coempereur, et si cela eut lieu avant ou après que Constantin eut demandé le pardon d’Honorius en même temps que sa reconnaissance, c’est-à-dire avant ou pendant l’année 409. De toute évidence, Constantin n’avait nullement l’intention de rechercher un compromis avec Honorius, car il savait certainement que ce compromis, s’il pouvait être négocié, exclurait catégoriquement Constant de la succession d’Honorius. Il est également possible que Constantin ait fait deux tentatives pour envahir l’Italie, et qu’elles aient été condensées en une seule par nos sources. Si tel est le cas, la première expédition, qui mena Constantin jusqu’à la ville de Liberona, doit avoir eu lieu en 408, lorsqu’il se retira en Arles après avoir appris la mort d’Alobich. La seconde doit dater de 409, lorsqu’Honorius changea d’avis (comme il le faisait fréquemment) et envoya Alaric vers le nord, où Constantin fut défait et d’où il fit une nouvelle fois retraite vers Arles. La raison en était le meurtre en Espagne de deux parents d’Honorius, Didymus et Verenianus, ainsi que de leurs épouses, sur ordre de Constantin.
Le témoignage de Zosime
Il convient maintenant de nous intéresser à l’apport de Zosime (vers 500), la source la plus ancienne qui, après Sozomène, ait été intégralement conservée. Son récit est, à mon sens, le seul à donner une représentation cohérente des événements ayant marqué l’usurpation de Constantin et la soi-disant sécession de la Bretagne. Certains des détails qu’il donne ne se trouvent nulle part ailleurs. On ignore à quel point il s’appuie sur Olympiodore, mais étant donné que le récit de Sozomène et les extraits de Photios sont relativement similaires, j’en conclurais que Zosime peut avoir suivi une source différente, à présent perdue25.
La décision d’Honorius s’avéra lourde de conséquences. S’il s’en était tenu à son compromis avec Constantin, les forces combinées d’Italie et de Gaule auraient pu arrêter l’avancée d’Alaric et, à terme, sauver Rome, qui fut prise et mise à sac en 410. Voilà pourquoi l’année 409 a été retenue comme aboutissement pour les événements dont cet article souhaite débattre.
Durant les deux années suivantes, Constantin resta à l’arrière-plan tandis que Gerontius, un officier qui l’avait accompagné depuis la Bretagne, soulevait l’Espagne. Ces événements entraînèrent une guerre tripartite entre Gerontius, Constant fils de Constantin III et ses généraux, et les généraux d’Honorius – à savoir le futur empereur Constance III (qui régna de février à septembre 421) et Ulfila. Ces derniers finirent par remporter la victoire. Après avoir été arrêté dans une église d’Arles, Constantin fut mené en Italie, mais avant d’avoir atteint Ravenne, il fut décapité sur les bords de la rivière Mincio, le 18 septembre 411. Sa tête fut fichée au bout d’une pique, de même que celle de son fils Constant, et on en fit parade à Ravenne, la capitale d’Honorius, ainsi qu’à Carthagène en Espagne, c’est-à-dire dans la région même où Constant était censé avoir régné pendant l’usurpation de son père.
Enfin, l’héritage de Constantin n’est peut-être pas sans incidence sur un autre point important, la perte de la Bretagne pour l’Empire romain. Il semble qu’une forme de gouvernement autonome était apparue dans les cités de Bretagne, ce que certains historiens ont interprété dans le sens d’un désir de se libérer du joug romain. Cette position est vraiment difficile à défendre, dès lors que, comme Evangelos Chrysos (entre autres) l’a fait remarquer26, gouvernement autonome et défense autonome n’impliquent en rien la fin de la tutelle romaine. Le célèbre « rescrit d’Honorius », par lequel il conseille aux villes bretonnes d’organiser leur propre défense, n’aurait jamais vu le jour si les Bretons n’avaient pas souhaité rester soumis à l’Empire27. Peut-on supposer qu’Honorius, qui inclinait d’habitude à la vengeance, souhaitait exprimer par là sa fureur et sa décision d’abandonner à leur sort ceux qui, au cours des années précédentes, avaient soutenu trois usurpateurs, dont l’un s’était avéré extrêmement dangereux ?