Islam de Belgique, islam moderne ou islam des origines ?

Étudier les segments répétés pour comprendre le discours social

DOI : 10.54563/lexique.637

p. 113-131

Résumés

This article studies a large corpus of newspaper articles about Islam in Belgium. The analysis focuses on repeated segments, i.e., collocations that appear regularly throughout the corpus. Among all the repeated segments identified we isolated those that contain the word Islam, namely 27 definite or indefinite nominal expressions (Islam in Belgium, modern Islam). We will first observe the nature of these phrases (their syntactic structure and semantic content which enable them to behave as more or less fixed expressions) and, in a second step, their discursive meaning and referential properties through the study of co-occurrences. These repeated segments uncover a social endeavour to define Islam on the basis of competing representations which vary according to the place this religion is meant to have in Belgian and European societies.

Cet article analyse un grand corpus de presse écrite sur l’islam en Belgique. L’analyse se focalise plus particulièrement sur les segments répétés du corpus, à savoir des « unités fortement récurrentes constituées de plusieurs formes répétées ensemble et dans le même ordre » (Salem, 1986). Parmi tous les segments répétés identifiés, nous avons isolé ceux qui contiennent le mot islam, à savoir 27 expressions nominales (islam de Belgique, islam des Lumières, islam moderne) définies ou indéfinies. Il nous intéresse, en premier lieu, d’étudier la nature de ces syntagmes, à savoir la structure syntaxique et le contenu sémantique qui en font des expressions plus ou moins figées. En deuxième lieu, l’analyse portera sur le sens en discours et la référenciation, par le biais d’une étude des co-occurrences. Ces expressions dénominatives dévoilent les tentatives de définition de l’islam par les énonciateurs et des représentations concurrentes de l’islam en fonction de la place qu’on lui accorde dans la société belge et européenne.

Plan

Notes de la rédaction

Received: December 2020 / Accepted: March 2021
Published online: July 2021

Texte

1. Introduction

Ces dernières années, les expressions désignant l’islam se multiplient dans le discours médiatique et politique. On peut ainsi lire qu’il faut « un schéma pour la structuration de l’islam de France1 » ou qu’il faut « favoriser un islam adapté au contexte démocratique belge et européen2 ». Ces expressions nominales définies ou indéfinies interpellent par leur abondance dans le discours social et interrogent les discursivistes sur l’articulation entre le langage et ce qu’il est censé désigner. D’autres formulations, telles que des expressions qualificatives (islam rigoriste ou islam moderne), participent du même phénomène, à savoir la définition et redéfinition de l’objet social désigné. Le contexte d’énonciation et les usages au sein des discours médiatiques sont centraux pour leur compréhension et leur interprétation, vu leur caractère parfois néologique et sémantiquement instable.

La multiplication de ces désignants n’est pas anodine, elle témoigne d’un moment du discours social dans lequel l’islam, objet de débat depuis des décennies en Europe, est reconfiguré par les différents acteurs (politiques, associatifs, religieux, académiques). Ces derniers font appel à des ressources linguistiques disponibles qui leur permettent de spécifier de quel islam ils parlent, autrement dit d’opérer une référenciation plus fine que celle que l’expression nominale définie incomplète (l’islam) permet. Les expressions désignent des entités tantôt perçues comme existantes, tantôt comme non existantes mais qui doivent voir le jour ; elles reformulent l’image de l’islam (religion de paix et non de guerre) ou le qualifient en fonction de caractéristiques saillantes (modéré ou radical). Dans ce sens, leur mise en discours n’est pas seulement désignative (on pointe quelque chose qui est déjà là) mais participe de la construction de ce que l’on veut voir émerger ; elle a donc une portée pragmatique car les énonciateurs veulent faire quelque chose avec le langage qui dépasse la désignation. L’effet de cette détermination hétérogène du nom islam est finalement de segmenter la représentation du référent en plusieurs sous-ensembles, que le groupe nominal seul n’arrive pas à exprimer.

Si le procédé discursif est tout à fait banal car il permet une référenciation plus affinée de l’objet, dans un contexte de débat accru il devient le symptôme d’une reconfiguration du réel social. Plus que les occurrences isolées, c’est la masse d’énoncés dénominatifs et leur poids statistique dans le corpus qui fait sens et qui témoigne d’une nécessité de (re)définition de l’objet. En étudiant les différentes expressions formées avec le pivot islam, cet article se veut un apport aux études sur la sémantique des discours, en analysant la manière dont le langage est actualisé par les acteurs pour reconfigurer des réalités. Dans le cas qui nous occupe, on verra comment la référence d’islam devient multiple par la détermination, ce qui a pour effet d’enrichir le sens du nom en discours. Ce travail s’inscrit dans une série d’études visant à explorer la construction langagière de référents sociaux complexes par le biais de la nomination (Calabrese & Roig, 2015 ; Calabrese & Veniard, 2018).

Pour aborder cette nomination multiple, nous avons analysé un grand corpus de presse écrite belge constitué à partir du mot pivot islam et ses dérivés. Il contient 16074 articles (plus de 9 millions d’occurrences) tirés de quatre grands titres de la presse généraliste francophone, La Libre Belgique, Le Soir, Le Vif/L’Express et La Dernière Heure, entre janvier 2014 et décembre 2018.

Tableau 1. Composition du corpus « Islam* ».

Tableau 1. Composition du corpus « Islam* ».

Le corpus a fait l’objet d’un traitement automatique dans les logiciels Lexico et Hyperbase. L’analyse se focalise plus précisément sur les segments répétés du corpus, à savoir des unités fortement récurrentes constituées de plusieurs formes répétées ensemble et dans le même ordre (Lafon & Salem, 1983 ; Salem, 1986). Loin d’être anecdotiques, ces syntagmes figés et répétés revêtent une double importance pour comprendre les discours sur l’islam : d’ordre sémantique car ils viennent enrichir le sens d’islam, d’ordre discursif dans la mesure où ils dévoilent la présence de désignants pas tout à fait stabilisés, mais assez populaires pour constituer des référents saillants dans le discours médiatique, et donc identifiables par les lecteurs. Méthodologiquement, les outils de la linguistique de corpus sont employés pour déterminer les collocations et les cotextes immédiats les plus significatifs, d’un point de vue statistique, du mot pivot islam. Un retour systématique au texte par le biais du concordancier a permis de déterminer le sens donné à chaque syntagme en examinant ses co-occurrents.

2. Observer la nomination pour comprendre le social

Islam est un nom d’action issu du verbe arabe aslama, ‘se confier, se soumettre, se résigner (à la volonté de Dieu)3’ ; l’origine du nom explique qu’il emprunte une forme différente d’autres noms de religion construits avec le suffixe -isme (christianisme, judaïsme, bouddhisme4). Cette caractéristique n’est pas perçue par les locuteurs francophones, qui n’y voient pas de nom déverbal ; sa lexicalisation cache d’ailleurs qu’il s’agit d’un xénisme. Comme c’est le cas d’autres noms de religion, il est poly-référentiel et peut donc désigner plusieurs entités (Hekmat, 2018) :

  1. La religion comme dogme, comme idéologie, mais aussi corpus textuel et rituel ;

  2. Un concept géopolitique, une civilisation ;

  3. L’ensemble des croyants, les musulmans (ce dernier nom dérivé de la même racine sémitique qu’islam, racine qui n’est pas transparente en français), souvent – mais pas toujours – écrit avec une majuscule.

Ces trois significations font d’islam un nom au référent hétérogène composé à la fois d’éléments extralinguistiques, de gestes, d’images mentales et de discours. Le fait qu’il s’agisse ici d’une entité composite à la fois sociologique, matérielle et abstraite ne fait que renforcer la plasticité de la référence, d’autant que les occurrences du nom renvoient tantôt à une, tantôt à toutes ces entités à la fois.

Au sens (1), il s’agit d’un nom commun abstrait (même si le concept renvoie indirectement à de nombreux artefacts, notamment des livres, des objets, des vêtements), tandis qu’au sens (2) on peut le considérer comme un nom propre, de la même manière qu’Occident. Au sens (3), islam est un nom collectif humain (Ncoll). Pour rappel, celui-ci se définit par une pluralité sémantique associée à un singulier morphologique (Lecolle, 2019). Comme le remarque Lecolle, les Ncoll humains sont particulièrement chargés d’enjeux sociaux et discursifs, car « les rassemblements et modes de rassemblement d’humains que dénote le lexique des Ncoll humains renvoient plus largement à des construits culturels et sociaux » (Lecolle, 2016) et non, comme dans le monde biologique, à des ensembles naturels (essaim, forêt). S’il est plus ou moins aisé de compter les arbres qui composent une forêt ou les abeilles d’un essaim, il est plus complexe de décider de l’extension d’un groupe ethnique ou culturel humain5. À cela s’ajoute le fait que les Ncoll humains sont parfois définis comme un groupement d’éléments de même catégorie (Lecolle, 2016), ce qui pose évidemment des problèmes de type sociopolitique plutôt que linguistique, dans la mesure où un groupement aussi grand que les croyants d’une religion est sociologiquement, ethniquement, voire théologiquement, hétérogène. C’est de cette caractéristique que découle, comme le note Lecolle, le référent flou des Ncoll humains, qui en fait des entités « discutables, polémiques dans leur relation à un référent, et [...] sémantiquement ambigu[ë]s » (Lecolle, 2016, p. 8). Si le flou référentiel ne remet pas en question l’existence du collectif, qui ne s’embarrasse pas de considérations ontologiques, il ouvre des possibilités discursives intéressantes, permettant la caractérisation multiple, la spécification, voire le déni du référent. On peut ainsi entendre dire que « l’islam, ça n’existe pas » vu la diversité des membres qui composent le collectif6.

La signification d’un Ncoll humain est plus riche que la simple addition de ses parties. Sémantiquement, on distingue deux niveaux : celui de la collection et celui des membres (Lecolle, 2019), entre lesquels il existe une relative indépendance, dans la mesure où « les parties sont autonomes et hétérogènes par rapport au tout » (Flaux, 1999, p. 472). Alors que l’identité des individus qui composent le groupe se modifie sans cesse, l’identité de la collection est plus stable, dans le cas qui nous occupe car le groupe s’appuie sur des institutions, des dogmes, des rites, des coutumes qui disposent d’une certaine continuité, assurée par la transmission générationnelle et transnationale ; par ailleurs, le nom est perçu comme ayant un référent unique malgré son hétérogénéité7. L’unicité du référent permet effectivement à l’expression nominale définie incomplète (l’islam) d’opérer la référence (contrairement à la voiture, qui, hors contexte, ne renvoie à aucun objet en particulier), mais vu la nature hétérogène du nom, il est possible d’identifier des sous-groupes. Morphologiquement singulier mais sémantiquement pluriel et avec un référent unique, l’islam – comme tout autre groupe religieux – est à la fois un, mais aussi multiple. Or, cette pluralité provoque des frictions entre les tenants d’une pratique unifiée et unique et les partisans d’une adaptation et modernisation de l’islam8, tensions visibles dans les discours et plus particulièrement dans les désignants, qui se voient démultipliés dans le discours social, au point que le pluriel interne devient externe9.

3. Analyse des résultats

Le tableau suivant reprend tous les segments répétés du corpus10, avec le nombre d’occurrences par ordre décroissant. Globalement, on distingue trois types de syntagmes, si on considère à la fois le contenu lexical et la forme grammaticale : ceux formés avec un toponyme ou un adjectif ethnique (islam d’Europe, islam belge), des syntagmes islam + adj. où le modificateur exprime la nature du référent (islam politique, radical, etc.) et enfin des syntagmes avec un complément du nom (islam des Lumières, islam de paix, islam des origines).

Tableau 2. Les segments répétés significatifs contenant le mot islam.

Tableau 2. Les segments répétés significatifs contenant le mot islam.

Certains de ces syntagmes constituent des dénominations car ils renvoient à des entités reconnaissables collectivement. Il en est ainsi pour les différentes branches de l’islam : chiite, sunnite et wahhabite. Mais la plupart des expressions ici listées ont un usage flottant, un caractère plus ou moins néologique et un référent flou, raison pour laquelle nous allons les considérer comme des désignations plutôt que comme des dénominations (nous appellerons désignants l’ensemble des expressions renvoyant à un référent, quel que soit leur degré de stabilité référentielle). Rappelons que pour Kleiber (1996), la dénomination est une lexie codée suite à un acte de dénomination préalable et une habitude associative, au contraire des désignations, qui n’ont pas ce lien référentiel préalable :

La convention référentielle instaurée par l’acte de dénomination est une association faite pour durer, donc une association référentielle stable ou constante, qui a pour but non une désignation uniquement momentanée, transitoire et contingente de la chose, mais l’établissement d’une règle de fixation référentielle qui permet l’utilisation ultérieure du nom propre ou du nom commun pour l’objet dénommé. (Kleiber, 1996, p. 575)

Cette « règle de fixation référentielle » (Kleiber, 1984) qui suppose la codification de l’expression n’est pas applicable à la plupart des syntagmes de la liste, même si on pourrait penser que plusieurs d’entre eux ont tendance à se stabiliser et renvoient à des référents plus ou moins identifiables par les publics médiatiques. C’est probablement le cas d’islam radical, en raison d’un usage intense dans le discours social et d’un effort de conceptualisation dans les sciences sociales, de telle manière qu’il renvoie à une réalité sociologique définie (Marzouki, 2008). À l’autre extrême, on retrouve des expressions beaucoup moins lexicalisées telles qu’islam de paix ou des Lumières. Dans toutes ces expressions il y a une prédication nominale, un adjectif ou un complément qui disent quelque chose du nom pour restreindre son extension.

3.1 L’islam existant et l’islam à venir

Les désignants du type [islam + adj. ethnique] ou [islam + complément du nom (toponyme/adj. ethnique)] ont un comportement sémantico-discursif intéressant car ils ont un sens en discours plus métaphorique qu’on ne pourrait le croire de prime abord. En effet, islam belge/de Belgique/en Belgique/à la belge, avec les variantes d’Europe, de France ne servent pas seulement à sous-catégoriser l’islam mais aussi à le qualifier.

Avec 103 occurrences, islam de Belgique est le plus fréquent dans le corpus. L’expression est le plus souvent indéfinie et ses co-occurrences sont principalement formation et émergence, mais on trouve aussi construire, construction, mise en place, développer, avènement, chantier, autrement dit, le champ lexical de la construction. L’islam de Belgique est souvent évoqué comme une entité à venir, à bâtir, souhaitée par certains, ce qui est visible autant dans le lexique (chantier, demandeurs) que dans le temps verbal (usage du conditionnel) :

(1)

Toute une série de chantiers ont été lancés, notamment la mise en place d’un islam de Belgique, c’est-à-dire un islam qui prend en compte le contexte du pays dans lequel il évolue. Mais je ne veux pas dire un islam coupé de ses racines, loin de là ! (La Dernière Heure, « On travaille avec toutes les autres religions », 20 juillet 2017).

(2)

L’islamisme n’est pas l’islam. Les musulmans de Belgique, de France, d’Europe doivent développer un islam de Belgique, de France, d’Europe, un islam respectueux, vécu de l’intérieur, compatible avec notre humanisme et les valeurs des Lumières. (La Libre Belgique, « Édito : Faut-il interdire le parti Islam ? », 9 avril 2018).

(3)

La majorité des musulmans sont demandeurs d’un islam de Belgique qui permettrait de faire d’eux des citoyens actifs qui à la fois respectent leur identité culturelle et religieuse et qui s’investissent dans le respect des institutions et des règles du pays dans lequel ils vivent. L’avènement d’un islam de Belgique participerait sans aucun doute à une meilleure cohésion sociale et à un meilleur vivre ensemble. (La Libre Belgique, « L’islam des ambassades, un frein à un islam de Belgique ? », 28 janvier 2015).

Cette isotopie de l’émergence et de la construction a été repérée par Pitoizet, Grossmann et Tutin (2020) dans un article sur un corpus médiatique français portant sur l’islam. Cet islam à venir a de manière essentielle une double appartenance, caractéristique qui est visible dans les structures grammaticales bipartites : il prend en compte le contexte du pays dans lequel il évolue mais n’est pas coupé de ses racines (A mais aussi B, exemple (1)), c’est un islam compatible avec notre humanisme et nos valeurs des Lumières (A est compatible avec B, exemple (2)), un islam qui permettrait de faire des citoyens actifs mais aussi respectueux des institutions (il permettrait A et, à la fois, B, exemple (3)).

Islam belge et islam à la belge (moins fréquent dans le corpus, peut-être à cause du registre familier de l’expression) fonctionnent sur le même principe :

(4)

Il faut soutenir aujourd’hui le développement d’un islam à la belge, qui intègre les valeurs de la démocratie éclairée et pour lequel les lois de l’État sont supérieures aux lois religieuses. (Le Soir, « Nous avons un but : la paix sociale », 30 juillet 2016).

(5)

Un aspect auquel tient Philippe Markiewicz, le président du Consistoire central israélite de Belgique, qui a espéré que puisse se développer ici un « islam à la belge, essentiel pour un mieux vivre ensemble ». (Le Soir, « La mosquée inaugurée dans la paix des religions », 1er juin 2016).

(6)

Je trouve que ce serait une bonne idée de construire un islam belge avec des imams bien formés et des mosquées qui fonctionneraient de manière autonome, sans intervention étrangère. Durant le ramadan, il y a des imams qui viennent de l’étranger sur lesquels nous n’avons pas de prise. (La Dernière Heure, « Nous avons besoin d’un islam belge », 26 janvier 2015).

Le même phénomène, visible dans islam de Belgique, est à l’œuvre dans les expressions islam de France et islam d’Europe ; à l’isotopie de la construction s’ajoute le répertoire lexical des valeurs européennes (humanisme, laïcité, démocratie éclairée, Lumières) :

(7)

Professeurs et étudiants ont pu échanger avec les ministres [...]. Le but ? Développer un « islam de France dont la marque de fabrique serait l’humanisme » et permettre la formation à la laïcité d’imams et d’aumôniers des prisons. (La Libre Belgique, « Paris veut former les imams à la laïcité en Alsace », 4 mars 2015).

(8)

L’effondrement récent de cette civilisation musulmane a engendré auprès des musulmans un malaise presque existentiel qui explique en partie la violence de certains. Dépasser ce malaise est donc une condition supplémentaire à l’avènement d’un islam d’Europe ? (La Libre Belgique, « Les Belges auront les musulmans qu’ils méritent », 13 août 2016).

Dans ces exemples, le syntagme [islam + expansions] désigne plutôt la religion, le dogme, la pratique, l’idéologie, l’institution, compatible avec le champ lexical de la construction, et seulement par extension les membres du collectif. On observe clairement que l’épithète et le complément du nom n’ont pas une fonction purement locative, ils ne renvoient pas uniquement à l’habitat naturel du collectif humain existant car le syntagme désigne une entité en construction. Si l’expansion crée un sous-ensemble qui permet de catégoriser cet islam parmi d’autres, en même temps, elle qualifie ce sous-ensemble, porteur de caractéristiques et de valeurs propres. En ce qui concerne la détermination, elle est toujours indéfinie car le syntagme renvoie à une entité en construction.

Quelques segments répétés ont une détermination définie, soit parce que la construction grammaticale l’exige (comme en (9), on dit « l’islam belge de demain » comme on dit « la jeunesse de demain ») ou parce que l’expression réfère à une entité existante (comme en (10), où l’on observe plus clairement le sens locatif) :

(9)

« “Il y a en Belgique, francophone en tout cas, un antagonisme entre la condamnation du salafisme et du wahhabisme – qui ne sont pas l’islam belge de demain que je souhaite – et la difficulté des pouvoirs publics à soutenir les initiatives des intellectuels musulmans”, dit Mme Torrekens. » (La Libre Belgique, « Le sursaut doit venir de la communauté musulmane », 9 février 2017).

(10)

C’est à partir de ce double aspect qu’il est d’emblée possible de schématiser différents courants qui se partagent l’islam belge. (La Libre Belgique, « Les cassures de l’islam belge », 30 janvier 2016).

Nous voyons donc que les désignants fluctuent entre une détermination définie et indéfinie. Rappelons que si l’article indéfini pose en règle générale l’existence du référent, l’article défini, quant à lui, la suppose et implique donc qu’il se trouve quelque part une entité qui vérifie les conditions prédiquées (Roig, 2011). Plus particulièrement dans le cadre du discours journalistique, l’article défini crée un effet d’évidence, de déjà-là, de connivence, qui rend saillant le référent pour le lecteur (Calabrese & Roig, 2015, p. 110). Le concordancier suivant montre comment fluctue la référence du syntagme islam européen :

Concordancier 1. Extrait du concordancier du segment répété islam européen.

Concordancier 1. Extrait du concordancier du segment répété islam européen.

Le concordancier révèle que la fluctuation n’est pas aléatoire : l’expression définie renvoie à une entité existante et l’adjectif a un sens locatif. L’expression indéfinie, en revanche, renvoie le plus souvent à une entité en construction caractérisée par des valeurs proprement européennes11.

Contrairement aux syntagmes listés, islam en Belgique a un tout autre fonctionnement, ce qui expliquerait pourquoi il est toujours déterminé par un article défini. Dans ce cas, le complément du nom a un sens locatif12 :

Concordancier 2. Extrait du concordancier du segment répété islam en Belgique.

Concordancier 2. Extrait du concordancier du segment répété islam en Belgique.

Le désignant ne renvoie pas à une entité à venir mais à une entité existante dont l’extension est connue, ce dont témoigne l’article défini et les expressions qui se trouvent dans le cotexte du segment répété (il a des courants, il s’intègre déjà, regroupe des manières différentes de voir la religion, regroupe des communautés aux cultures et aux théologies très différentes, il a une structure) :

(11)

L’islam s’intègre déjà d’une certaine manière dans toutes les sociétés. Il suffit de voir la différence entre l’islam en Belgique et en France. (Le Soir, « Trop de jeunes cherchent à donner un sens à leur mort, à défaut d’en trouver un à leur vie », 12 mars 2016).

(12)

Or, s’agissant de l’islam en Europe, il y a vraiment des propositions différentes de voir le monde qui coexistent. Avec des rapports de forces entre elles, en lien avec les pétrodollars, avec la volonté de certains groupes organisés et États de développer des politiques islamiques de façon transnationale ou non. Une partie des crispations actuelles a pour origine ce rapport de forces entre des façons différentes de voir l’islam. (Le Soir, « En fait, la pluralité de l’islam, c’est la règle », 8 juin 2017).

Une dernière preuve de la différence référentielle entre islam belge et islam en Belgique sont les co-occurrents des deux désignants. Pour la première, nous trouvons les noms émergence, développement, ainsi que les verbes au conditionnel et au futur permettraient, fonctionneraient, émergera. Ces formes sont absentes de la liste de co-occurrents d’islam en Belgique, où l’on trouve courant et propagation, qui parlent d’une entité existante. L’idée de l’émergence d’un islam proprement local se traduit également par une réflexion autour de la place de cette religion dans la société européenne contemporaine, complétant le répertoire discursif de la transformation du collectif original au nouveau contexte social :

Concordancier 3. Extrait du concordancier du syntagme la place de l’islam.

Concordancier 3. Extrait du concordancier du syntagme la place de l’islam.

Pour conclure cette partie, nous faisons le constat que la référence des désignants est construite à la fois par l’article et le complément du nom (Charolles, 2002). Les expressions définies renvoient à une entité existante, à la fois le dogme et le groupe humain, qui contient des sous-groupes (courants, origines géographiques, degrés de croyance). Elles ont ainsi un sens descriptif. De l’autre côté, les expressions indéfinies renvoient à des entités qu’il faut construire, développer et ont de ce fait un sens normatif. Cette différence de taille nous conduit à ne pas considérer tous ces désignants comme faisant partie d’un paradigme désignationnel, c’est-à-dire une série « de syntagmes (en général nominaux, parfois verbaux) fonctionnant en coréférence avec un vocable initial dans un discours donné » (Mortureux, 1993, p. 124).

On peut résumer ces constats dans le tableau suivant :

Tableau 3. Distribution des désignants selon la détermination.

Tableau 3. Distribution des désignants selon la détermination.

3.2 Des qualificatifs axiologiques

Sous la structure [islam + adjectif] on retrouve des expressions définies et indéfinies complètes, où islam est modifié par un adjectif qui restreint la portée du nom, comme c’était le cas pour certains exemples plus haut, et qualifie en même temps l’entité nommée. Certaines renvoient à des sous-groupes institutionnalisés de l’ensemble (sunnite, chiite, wahhabite), alors que d’autres qualifient le nom de manière axiologique (que l’axiologie se trouve dans le lexique ou dans l’usage discursif, comme dans les trois derniers adjectifs de l’énumération suivante) : modéré, radical, conservateur, fondamentaliste, rigoriste, politique, militant, moderne. Certains de ces segments constituent, par leur figement et leur autonomie référentielle, des dénominations, c’est-à-dire qu’elles établissent un lien stable avec un référent plus ou moins bien délimité. Ceci est surtout valable pour les dénominations des courants théologiques de l’islam, qui constituent des Ncoll possédant des noms d’individus hétérogènes (les sunnites, etc.), même si l’hétérogénéité reste un constat d’expert, peu visible pour un énonciateur lambda :

(13)

L’islam sunnite n’est pas monolithique. Outre ses diverses origines ethno-nationales, il se décline en quatre écoles juridiques dont le hanbalisme, la plus fermée, est celle dont se revendiquent l’Arabie saoudite et le Qatar, Al-Qaeda et l’État islamique. (La Libre Belgique, « Repères », 14 février 2017).

Le reste des syntagmes construits avec des adjectifs axiologiques ont des degrés de figement variables et des référents moins stables mais surtout flous, ce qui explique les nombreux débats sociétaux autour des termes (Marzouki, 2008), malgré un usage massif dans les discours publics. En discours, ils fonctionnent souvent dans des oppositions (modéré/radical, modéré/fondamentaliste, moderne/conservateur). Pitoizet et al. (2020), qui ont étudié certaines de ces désignations dans un grand corpus de presse française, les considèrent comme des sous-catégorisants évaluatifs et externes, c’est-à-dire qu’ils ne proviennent pas des divisions internes de l’islam.

Contrairement aux dénominations des courants, qui apparaissent dans des expressions définies, le reste des syntagmes prend majoritairement l’article indéfini ou alterne le défini et l’indéfini, comme le suggèrent les cotextes immédiats d’islam conservateur ou islam fondamentaliste :

Concordancier 4. Extrait du concordancier du segment répété islam conservateur.

Concordancier 4. Extrait du concordancier du segment répété islam conservateur.

Concordancier 5. Extrait du concordancier du segment répété islam fondamentaliste.

Concordancier 5. Extrait du concordancier du segment répété islam fondamentaliste.

La fluctuation entre les articles est subtile mais évidente : alors que l’indéfini réfère à une façon conservatrice/fondamentaliste de pratiquer l’islam, le défini renvoie à un phénomène sociologique saillant et connu de tous.

Les expressions islam moderne et islam contemporain, quant à elles, méritent un détour, car elles pourraient être prises pour synonymes, mais ont des fonctions spécifiques en discours. Alors que la deuxième désigne l’islam actuel (l’adjectif a une valeur chronologique : « spécialiste de l’islam contemporain », « les réalités de nos sociétés et de l’islam contemporain »), la première renvoie à un type d’islam en particulier, à une manière de pratiquer l’islam, à un islam occidentalisé :

(14)

Est-ce bien le même homme qui, la veille au soir, dissertait d’une voix douce et dans un anglais oxfordien sur les défis et les tourments de l’islam moderne ? (Le Vif/L’Express, « Un émir en ligne de mire », 10 avril 2015).

(15)

Mais il s’agit aussi de réfléchir à comment mieux intégrer l’islam dans notre société et ce avec un double axe : nous voulons un islam moderne, et européen, c’est-à-dire qui ne soit pas un islam importé, mais un islam qui vit en harmonie avec le territoire dans lequel il se développe. (Le Vif/ L’Express, « Un émir en ligne de mire », 10 avril 2015).

Deux autres expressions fonctionnent en binôme, à savoir islam militant (10 occurrences) et islam politique (147 occurrences). Si la deuxième est plus stable, figée et a un référent reconnaissable, la première est moins usitée mais fonctionne en discours comme un co-référent – militant/militance pouvant parfois se retrouver dans le même cotexte que politique, comme dans l’exemple 16 :

(16)

D’aucuns regrettent de la militance pure et simple pour l’islam politique, avec un penchant clair pour les Frères musulmans, la mouvance venue d’Égypte qui a essaimé un peu partout au grand dam des régimes qui savent la légitimité de cette tendance politique islamique au sein des populations. (Le Soir, « La chaîne Al-Jazeera soutient-elle l’extrémisme ? », 5 juillet 2017).

Les co-occurrents de l’expression islam politique confirment la valeur axiologique négative en discours (frères musulmans, islamisme, mais aussi avec une moindre fréquence Al Qaïda, ultrarigoriste). Le syntagme islam militant a un cotexte moins guerrier qu’islam politique, mais se présente comme une version intransigeante de la religion ; on doit le combattre, il est rigoriste, n’accepte pas les autres croyances, se répand, se radicalise et est provocateur :

(17)

Cet été, certains maires en France ont interdit le port du burkini sur les plages, considérant que ce « non-vêtement » était le signe d’un islam militant et provocateur. (La Libre Belgique, « Mélanome et cellulite », 28 décembre 2016).

3.3. Des désignants dialogiques

Certains désignants construits sous la forme [islam + adj.] ou [islam + complément] sont clairement dialogiques, comme c’est le cas d’islam modéré ou islam moderne qui présupposent les pratiques non modérées et non modernes de l’islam. Ces expressions ne prennent sens que par opposition à d’autres pratiques (rigoriste, conservateur, fondamentaliste, radical, mais aussi, en discours, salafiste ou wahhabite, qui renvoient à des pratiques rigoristes dans l’imaginaire collectif). Un élément ressort dans le cotexte d’islam modéré : les mots retour et revenir sont saillants, impliquant par là que les formes actuelles de radicalisme s’éloignent de l’islam traditionnel, que l’on suppose modéré ou non politique. On trouve également parmi les co-occurrences du segment répété les verbes encourager et promouvoir :

(18)

C’est sans doute vrai. On aurait pu, par exemple, s’opposer à la propagation du wahhabisme saoudien et encourager l’islam modéré et apolitique pratiqué au Maroc depuis mille ans. (Le Vif/L’Express, « On peut bien vivre ensemble dans un État fort », 1er avril 2016).

Les trois expansions du nom islam qui se déclinent sous forme de complément (islam des Lumières, islam de paix et islam des origines) prennent place dans un réseau d’oppositions (islam obscurantiste, islam de guerre, islam moderne), ce qui nous conduit à les considérer également comme des désignations dialogiques qui répondent ou s’opposent aux désignations opposées. Il ne s’agit pas de syntagmes figés mais de désignations néologiques dont le but est de nommer les tensions au sein du collectif. Ces tensions sont mises en évidence par le volontarisme qui entoure trois syntagmes, on préconise (19) ou on prône (20) une certaine pratique de la religion :

(19)

A la lumière des derniers événements à Copenhague, l’islam des Lumières que vous préconisez n’est-il pas qu’une vue de l’esprit ? interroge d’ailleurs l’un d’eux. Réponse sans concession de notre invité, habitué à cette critique. Selon lui, l’actualité rend la réalisation de son projet d’autant plus urgente. L’islam des Lumières est un programme d’ensemble, il procède de la philosophie des Lumières, use d’une méthodologie adaptée et progressive. (Le Soir, « Après les attentats de Copenhague, l’urgence d’un ‘islam des Lumières’ », 17 février 2015).

(20)

Les livres consultés par Alain Destexhe sont typiques de la mouvance salafiste, qui tourne le dos à l’éducation occidentale et prône un retour à un islam des origines, appliquant le Coran à la lettre. (La Libre Belgique, « Des livres rabaissant la femme, diffusés à la Foire musulmane », 2 décembre 2014).

Le même phénomène est à l’œuvre dans islam de paix : on le prône, on le défend, on encourage son essor (voir Concordancier 6). C’était aussi le cas d’islam conservateur/fondamentaliste, dont les cotextes témoignent de la tension, l’opposition entre pratiques, idéologies, sous-groupes : on le prône, on le propage, on s’y oppose, il monte, il est amené, il continue à sévir, on y retourne, il prospère, on le dissémine, on le restaure (voir Concordanciers 4 et 5).

Concordancier 6. Concordancier du segment répété islam de paix.

Concordancier 6. Concordancier du segment répété islam de paix.

Les trois expressions construites sur la base de la complémentation du pivot islam sont clairement axiologiques et témoignent d’un effort de nommer une opposition, laquelle est visible dans le terme opposé mais également dans les verbes qui l’entourent et qui expriment l’antagonisme qui caractérise l’islam aujourd’hui, tant à l’intérieur du collectif qu’avec d’autres groupes. En dernière instance, on pourrait considérer que les expressions formées sur un adjectif ethnique ou un toponyme, analysées dans la section 3.1, sont également dialogiques car elles contrastent avec d’autres types d’islam pratiqués en dehors du monde occidental. La fluctuation observée entre l’article défini et indéfini montre que les expressions indéfinies, notamment, renvoient à une vision de l’islam avec des caractéristiques proprement européennes, que les énonciateurs mettent en contraste avec des formes étrangères aux valeurs locales.

4. Sous-catégoriser l’islam pour mieux le nommer… ou le faire exister

L’analyse des segments répétés du corpus de presse a dévoilé un véritable réseau de désignants pour sous-catégoriser l’islam (voir Tableau 4). Certains, référentiellement autonomes et stabilisés dans l’usage, constituent de véritables dénominations codées et partagées que le discours médiatique suppose connues des lecteurs (et elles le sont en partie par leur circulation intense dans les médias), alors que d’autres constituent des assemblages lexicaux plus obscurs sémantiquement et au référent flou.

Dans le premier groupe, nous trouvons les sous-divisions théologiques de l’islam et des expressions à forte circulation qui ont fini par se figer (islam fondamentaliste, islam radical et islam politique). Pour le reste, il s’agit de désignations qui circulent avec plus ou moins de fréquence mais dont le sens est vague et l’extension indéterminable, ou qui parfois exigent une connaissance sociologique pour trouver le référent (rigoriste, conservateur) et identifier le degré de synonymie entre les termes. Toutes les expressions du corpus servant à sous-catégoriser et/ou qualifier l’islam peuvent être situées dans un continuum axiologique, que ce soit par des considérations lexicales ou discursives. Il est intéressant de constater que dans les expressions à axiologie positive se trouvent les désignants d’un islam que l’on appelle de ses vœux (islam moderne, de France, de Belgique, d’Europe) ou bien difficilement identifiables (islam de paix ou des Lumières). À l’opposé, les expressions à axiologie négative désignent des pratiques ou des sous-groupes existants, antinomiques avec les valeurs de la modernité européenne et qui appartiennent majoritairement au champ sémantique de la réaction ou de la radicalité politique. À l’exception des dénominations théologiques et des sous-catégorisations toponymiques ou nationales (islam belge, de Belgique), tous les désignants sont dialogiques et prennent leur sens dans un réseau d’oppositions, ce qui les rend particulièrement polémiques dans le cadre du discours médiatique.

Le Tableau 4 synthétise les principales observations sur la nature des syntagmes. Si on le croise avec le Tableau 3 (qui établit la nature existante ou à venir du référent), on comprend la complexité que représente ce réseau de désignants. Ceci témoigne de la productivité discursive du praxème (Siblot, 1997) islam dans ses multiples expansions, et ce dans un contexte de débat continu sur sa place dans les sociétés européennes. La conséquence de cette nomination multiple est de pluraliser un nom qui, en principe, n’a pas de pluriel externe : on parle ainsi aujourd’hui des islams, ce qui serait plus difficile à observer pour les autres dénominations de religions.

Tableau 4. Axiologie des désignants.

Tableau 4. Axiologie des désignants.

5. Conclusion

Cet article avait pour but d’étudier les expansions du nom islam dans un grand corpus de presse d’information belge francophone. D’un point de vue discursif, elles contribuent à sous-catégoriser un Ncoll au référent unique, autrement dit à distribuer les membres de la collection en sous-groupes en les qualifiant à la fois. Le premier constat est qu’à côté de dénominations historiques désignant les branches de l’islam, il existe une profusion de désignants plus ou moins figés, en fonction de la fréquence d’usage, de la stabilité sémantique et du caractère néologique. Pour les lecteurs, la manière d’accéder au référent n’est pas aisée, car il ne suffit pas de passer par le sens lexical de l’adjectif (notamment lorsqu’il est polysémique, comme dans radical, ou flou, comme dans le complément des Lumières ou de paix). La référence se fait alors sur la base de représentations partagées, assez saillantes pour permettre de construire des référents communs. La multiplication d’expressions témoigne des tensions au sein du collectif ainsi qu’avec des groupes extérieurs, ce que confirment l’isotopie de l’émergence, de la place et de la promotion d’un modèle (prôner, propager, etc.). Elle dévoile un réseau complexe d’expressions qui sont le symptôme d’un moment de débat intense. Dans ce sens, la plupart des syntagmes ici étudiés ne nomment pas des sous-divisions de l’islam (à part les trois qui le font) mais des manières de pratiquer l’islam ou des formes futures, des manières souhaitées ou au contraire indésirables, cohérentes ou non avec les systèmes de valeurs qui prévalent dans les sociétés européennes. Elles ne nomment pas toutes des référents déjà-là mais ceux qui sont en train de se construire, de prendre une autre forme ou au contraire de reculer et, en tout cas, d’être débattus et objets de polémique. De cette manière, les différentes expansions du nom servent à promouvoir ou à combattre des pratiques concurrentes.

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Notes

1 https://www.lopinion.fr/edition/international/separatismes-schema-structuration-l-islam-france-225288. Retour au texte

2 https://www.lqj.uliege.be/cms/c_12324194/fr/islam-de-belgique. Retour au texte

3 Trésor de la langue française, http://atilf.atilf.fr/. Retour au texte

4 Merci à Michelle Lecolle de nous l’avoir fait remarquer. Il faut toutefois noter que le nom de la religion a longtemps été islamisme (Étienne, 2003), et ce à côté de mahométisme ; ces dénominations sont remplacées par islam après la période coloniale. Retour au texte

5 L’extension d’un nom est « l’ensemble des objets du monde auxquels N ou GN est applicable » (Wilmet, 2003, p. 132). Retour au texte

6 https://www.lopinion.fr/blog/relais-d-opinion/l-islam-ca-n-existe-pas-96482 Retour au texte

7 On ne dit pas un islam, preuve que le nom ne fonctionne pas comme un Ncom ordinaire. La multiplicité de l’islam (ou de tout autre groupe religieux) est interne et non externe : s’il y a plusieurs islams, c’est à l’intérieur du Ncoll, autrement dit, il y a un seul collectif. Dans ce sens, les noms de religions ne fonctionnent pas comme d’autres Ncolls (groupe, assemblée, etc.). Retour au texte

8 Voir par exemple dans cet article de presse : « Les adeptes et les détracteurs de l’islam sont contre l’idée d’un islam européen qu’ils estiment impossible et non souhaitable. Du côté de l’islam, on argumente régulièrement qu’il n’y a qu’un seul islam et qu’il n’est pas souhaitable que celui-ci s’adapte à une culture. » (https://www.levif.be/actualite/international/l-islam-europeen-est-l-islam-de-l-avenir-accueillons-le-a-bras-ouverts/article-opinion-433715.html). Retour au texte

9 Par exemple, dans les titres de ces deux ouvrages académiques : Islams politiques. Courants, doctrines et idéologies (Mervin & Mouline, 2017), Islams de Belgique : Enjeux et perspectives (Torrekens, 2020). Retour au texte

10 A l’exception de l’islam est compatible avec (10 occurrences), l’islam est une religion de paix (11 occurrences) et islam et terrorisme, car il ne s’agit pas d’expressions nominales. L’expression vrai islam, qui se retrouve 19 fois dans le corpus, n’apparait pas dans le tableau des segments répétés puisqu’elle ne dépasse pas le seuil de significativité statistique, fixé généralement à +2 pour la textométrie sur les discours médiatiques. Retour au texte

11 On pourrait bien entendu imaginer un syntagme indéfini pour nommer une entité existante (par exemple « il existe un islam belge »), mais l’effet serait également de détacher un sous-ensemble avec des caractéristiques propres. Retour au texte

12 On peut aussi interpréter en Belgique comme un complément circonstanciel (en Belgique, Michaël Privot est l’un des meilleurs connaisseurs de l’islam), ce qui montre que ce segment répété ne fonctionne que très aléatoirement comme un désignant. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Laura Calabrese et Magali Guaresi, « Islam de Belgique, islam moderne ou islam des origines ?  », Lexique, 28 | -1, 113-131.

Référence électronique

Laura Calabrese et Magali Guaresi, « Islam de Belgique, islam moderne ou islam des origines ?  », Lexique [En ligne], 28 | 2021, mis en ligne le 01 juillet 2021, consulté le 19 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/lexique/637

Auteurs

Laura Calabrese

Université Libre de Bruxelles (ReSIC)
Laura.Calabrese@ulb.be

Magali Guaresi

Université Libre de Bruxelles (ReSIC) – FNRS
Magali.guaresi@gmail.com

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