1. Introduction
Le présent article interroge la définition et la structuration du lexique de la langue des signes française (LSF), langue des signes des Sourds1 français. Notre hypothèse est que le composant sublexical classiquement considéré comme unité phonologique est en fait, en LSF, porteur de sens de manière régulière et qu’il est particulièrement impliqué dans la nature des liens forme-sens qui structurent le lexique. Un enjeu est de montrer que le lexique de cette langue ne se résume pas à la somme de ses « signes », c’est-à-dire à l’ensemble de ces unités qui, sur la base d’une comparaison avec les mots des langues vocales (LV), sont traditionnellement considérées comme les unités lexicales de la LSF et sont à ce titre retenues comme entrées dans les dictionnaires existants.
Nous présenterons les premiers résultats d’une recherche en cours, qui vise à montrer qu’une meilleure compréhension de la structure interne de l’unité-signe et de la nature de ses composants permet de mieux appréhender la structure du lexique lui-même. Les analyses s’appuient sur trois ensembles complémentaires de données : le corpus lexicographique que représente ce qui est couramment considéré comme le recensement le plus substantiel pour la LSF, La langue des signes, Dictionnaire bilingue LSF-français (Girod, Vourc’h, Galant, Gache et Mousson, 1997 : tomes 1-3 ; Galant et Laquerrière-Leven, 2013, tome 4) ; une partie du corpus Creagest de dialogues en LSF (Garcia et L’Huillier, 2011, réalisé dans le cadre de l’ANR 2007-2012, voir Garcia, Sallandre et L’Huillier, 2013), constituée notamment de discours métalinguistiques d’adultes sourds sur les unités lexicales récemment émergées en LSF ; un recueil d’échanges en LSF entre adultes sourds à partir d’un ensemble de tâches (Sennikova, thèse de doctorat en cours).
Après une revue des questions particulières posées par l’appréhension du lexique dans une LS et un focus sur les réponses de la littérature quant au statut des composants sublexicaux (section 2.), nous présentons nos options théoriques et précisons, dans ce cadre, notre problématique de recherche (section 3.). Nous décrivons ensuite le protocole méthodologique original mis en place et, entre autres, la raison de notre prise en compte du discours des locuteurs (section 4.) et rendons finalement compte des premiers résultats (section 5.).
2. Qu’est-ce que le lexique dans une langue des signes ?
2.1. Dictionnaires des LS et « exo-grammatisation »
Si l’on excepte les travaux de Padden sur l’ASL durant les années 1980 (Padden, 1983, 1988), la question de la structure du lexique dans les LS n’a commencé à être abordée comme telle que très récemment, dans les années 1990 et surtout 2000 (notamment Brennan, 1990 ; Johnston et Schembri 1999, 2007 ; Cuxac, 2000, 2004 ; Fernald et Napoli, 2000 ; Bré-Le Corre, 2002 ; Millet, 2004 ; Bonnal-Vergès, 2005).
Une difficulté particulière pour qui veut s’atteler à décrire pour lui-même le lexique d’une LS tient au fait que, n’ayant pas de forme écrite instituée, ces langues ont été appréhendées pendant plus de deux siècles par la médiation de la forme écrite de la LV environnante (voir Bonnal-Vergès, 2005, 2006). Ce qui est communément présenté comme des « dictionnaires » de la LSF a en effet systématiquement, depuis le tout premier d’entre eux (Ferrand, 1784), pris la forme de répertoires de mots écrits du français mis en regard de telle ou telle unité de la LS dont le sens semblait leur correspondre au mieux. En d’autres termes, ces outils qui sont désignés du terme de « dictionnaires » de telle LS sont en réalité pour l’essentiel des répertoires bilingues LV-LS, dans lesquels ne sont retenues de la LS que celles de ses unités qui se trouvent avoir un sens assez proche de celui de mots écrits de la LV médiatrice. Ce principe de mise en correspondance unilatérale mot-signe a eu pour conséquence de fausser durablement la représentation commune de la nature et de la structure du lexique des LS, appréhendé au filtre de celui de la LV environnante (voir Jouison, 1995 ; Cuxac, 2000 ; Cuxac et Antinoro-Pizzuto, 2010). Cette « exo-grammatisation » (Garcia, 2016) a contribué entre autres au développement, chez les locuteurs eux-mêmes mais aussi dans certains travaux de recherche (voir Pointurier-Pournin, 2014), de l’idée d’une pauvreté lexicale des LS comparativement aux LV. Cette assertion est problématique à plusieurs titres.
Tout d’abord, pour la très grande majorité d’entre elles – dont fait partie la LSF –, les LS n’ont pas à ce jour fait l’objet d’une lemmatisation scientifiquement fondée2. Il est dès lors difficile de dire précisément de combien de lemmes/lexèmes disposent ces langues. Certes, pour ce qui concerne les LS qui sont en cours de lemmatisation, le nombre de lemmes dégagés n’excède pas quelques milliers. Pour la LS australienne, l’Auslan, dont la lemmatisation est de loin la plus avancée, il atteint à peine 2578 (Johnston, 2012), soit un chiffre très inférieur à ceux mis en avant pour les LV écrites de grande diffusion, qui s’élèveraient à plusieurs centaines de milliers3. Johnston (2012) souligne toutefois à juste titre deux points qui permettent de relativiser ces écarts. D’une part, pour nombre de LV et particulièrement les (très nombreuses) LV non écrites et/ou de faible diffusion, les chiffres sont nettement moins élevés que ceux avancés pour les LV de tradition écrite longue. D’autre part, ces chiffres sont moins élevés encore y compris pour ces dernières si l’on raisonne en termes de fréquence lexicale, et a fortiori dans les usages parlés4. Les LS étant strictement des langues du face-à-face, il faut comparer ce qui est comparable. Mais il y a plus, et l’auteur précité fait partie des rares linguistes des LS qui explicitent la question : le « lexique » d’une LS se réduit-il à la liste de ses unités-signes ?
2.2. « Core lexicon », « non core lexicon » et question du statut des composants sublexicaux
Même si la question des contours du lexique et de ce qui doit constituer les entrées de dictionnaire dépasse largement les seules LS, elle se pose dans ces langues de manière originale – et cruciale compte tenu des phénomènes d’exo-grammatisation évoqués ci-dessus. La mise en correspondance mot écrit de la LV-signe de la LS s’est accompagnée, dans l’histoire de la linguistique des LS, d’une mise en correspondance de leurs composants respectifs. C’est en effet à partir d’un corpus d’environ 2000 signes décontextualisés de l’ASL d’emblée posés comme des équivalents des mots des LV et comme « unités de première articulation » de la LS que, dans ce qui est considéré comme le texte fondateur de la linguistique des LS, Stokoe (1960) a cherché à isoler des équivalents des unités de deuxième articulation des LV. Il identifie ce qu’il nomme « chérèmes » et dont il pose qu’ils sont des équivalents des phonèmes des LV, c’est-à-dire des unités minimales distinctives non porteuses de sens. Ces chérèmes/phonèmes5 sont décrits comme un ensemble fini de configurations de la main, d’emplacements (sur le corps ou dans l’espace) et de mouvements. Bientôt augmentés de l’orientation (Battison, 1973) puis, quoique posée comme peu productive, de l’expression du visage (Baker et Padden, 1978), il s’agit là des fameux « paramètres » d’analyse des signes, toujours retenus comme pertinents pour l’analyse des signes lexicaux des LS. Ces composants paramétriques constituent aujourd’hui encore le fondement des phonologies des LS, par-delà les évolutions théoriques et la diversification des types de modélisation. Ce n’est pas le lieu ici de développer le détail des problèmes théoriques et descriptifs posés par cette assimilation des composants paramétriques de formation des signes aux phonèmes des LV (voir notamment, pour la LSF, Cuxac, 2000, 2004 ; Boutora, 2008). Nous nous focalisons sur deux de ces problèmes.
En premier lieu, plusieurs auteurs ont observé, pour diverses LS, que les composants sublexicaux censément phonémiques sont, très massivement, porteurs de sens de manière régulière6. Une étude approfondie très récente centrée sur une configuration manuelle particulière en Libras – LS brésilienne – et en ASL (Occhino, 2017) va dans ce même sens. Meir (2012, p. 79) souligne que la question du statut linguistique de ces composants paramétriques (phonèmes ? morphèmes ? phono-morphèmes ?) est un défi pour la linguistique des LS. Pour Occhino (2017), qui rappelle que le principe de la double articulation est de plus en plus souvent descellé de son statut de critère définitoire des langues humaines (voir Blevins, 2012 ; Ladd, 2012 ; Givón, 2015), ce défi concerne désormais tout autant les LV.
Une autre particularité des LS met elle aussi en question la portée des modélisations phonologiques élaborées pour ces langues et, partant, le statut phonologique des composants paramétriques. Dès les premiers travaux qui ont suivi l’étude fondatrice de Stokoe (1960), les descripteurs de l’ASL (voir Klima et Bellugi, 1979) puis d’autres LS identifient un autre type de constructions très fréquentes, de même format que les signes lexicaux et coexistant avec eux dans le discours. Sémantiquement complexes, ces constructions figurent le déplacement, la localisation, la manipulation et/ou la description visio-géométrique de référents nominaux. De mêmes types paramétriques que ceux des signes lexicaux, leurs composants, hautement iconiques, apparaissent par là même directement porteurs de sens. La configuration, notamment, varie selon les caractéristiques saillantes de ce à quoi elle réfère. À la différence de ce qu’il en est pour les unités lexicales (qui sont également désignées comme « established signs », « regular signs » ou « words »), le sens global de ces constructions n’est pas conventionnel : il se résume à la somme du sens de leurs composants et varie (iconiquement) avec eux. Contrevenant aux critères qui, pour l’orthodoxie de la discipline, définissent l’unité linguistique, ces « unités non conventionnelles », qui ne suivent pas les règles phonologiques identifiées pour les unités lexicales, ont dès lors suscité une abondante littérature. Les analyses se sont centrées sur le composant configuration qui, parce qu’il servirait à catégoriser sémantiquement les référents, est très tôt comparé aux morphèmes classificateurs de certaines LV (voir Frishberg, 1975 ; Kegl et Wilbur, 1976 ; Supalla, 1986). Ces configurations et les constructions multilinéaires qui les utilisent sont alors rapidement désignées, respectivement, comme « classificateurs » et « constructions/prédicats à classificateur ». Diverses analyses (et terminologies) alternatives en ont ensuite été proposées (voir Emmorey, 2003). Le point important à souligner ici est que, par-delà les divergences théoriques et descriptives, tous s’accordent a minima sur le fait que, pour partie d’entre eux et tout particulièrement pour la configuration, les composants de ces unités non conventionnelles, porteurs de sens de manière stable et régulière7 , sont décrits comme « lexicalement spécifiés ». L’un des termes proposés aujourd’hui pour désigner ces constructions hautement iconiques est celui d’unités « partiellement lexicalisées » (voir Johnston et Schembri, 2007). Ainsi le lexique des LS est-il bien considéré, et depuis longtemps, comme ne se réduisant pas aux seuls « established signs » : il inclut notamment les configurations « classificateurs », composants paramétriques admis au rang d’unités lexicalement spécifiées8.
Pour autant, les « established signs » (quadri-paramétriques) ont toujours été et demeurent, chez la grande majorité des linguistes des LS, considérés comme centraux. Ils sont dits constituer le « core lexicon » des LS, les unités non conventionnelles (« constructions à classificateurs » ou « partly lexical signs », et certains de leurs composants) relevant du « non core lexicon » (Brentari et Padden, 2001). Et c’est bien pour l’essentiel sur l’analyse de ces seuls signes « réguliers » ou « établis » qu’ont porté les modélisations phonologiques des LS (voir Fenlon, Cormier et Brentari, 2018) et que repose l’affirmation quasi-consensuelle de la double articulation des LS, les composants paramétriques de ces signes lexicaux constituant les unités de deuxième articulation. Que penser, pourtant, de modélisations phonologiques qui ne portent que sur une partie seulement des productions du discours en LS ? Ajoutons à cela qu’un autre type de constructions encore a été identifié dès l’origine dans le discours en LS, dont le statut linguistique a aussitôt été interrogé et largement mis en cause. Il s’agit de ces constructions par lesquelles le locuteur incarne telle ou telle entité dont il adopte le point de vue, qui ont été initialement désignées comme « free pantomime » (Klima et Bellugi, 1979) et, dans une approche anti-formaliste très minoritaire, comme « role shifts » (Mandel, 1977). Longtemps reléguées, ces constructions ont suscité un fort regain d’intérêt tout d’abord chez des auteurs fonctionnalistes dans les années 1990 et surtout 2000 (Winston, 1991 ; Liddell, 1995, 1998, 2003) et, plus récemment, chez tous les linguistes des LS. Quel que soit le bord théorique, l’accord est quasi-consensuel sur le fait que ces constructions hautement iconiques, pour l’essentiel caractérisées par la « gradience » (le caractère non discret) de leurs composants et leur non « listabilité », relèvent du « gestuel » non linguistique (pour une discussion récente sur l’opposition « gesture » vs « sign », voir Goldin-Meadow et Brentari, 2017). Ces constructions sont elles aussi d’un empan formel comparable à celui des signes lexicaux, mobilisent les mêmes types de composants paramétriques et sont très fréquentes dans le discours en LS. Elles ne sont pourtant pas davantage prises en compte dans les modélisations phonologiques.
En dépit de ces problèmes théoriques, la centralité des unités lexicales « établies », le statut phonologique de leurs composants paramétriques et, sur ces bases, le caractère doublement articulé des LS, restent encore le plus souvent considérés comme des acquis (voir par exemple Sandler et Lillo-Martin, 2006 ; Sandler, Aronoff, Meir et Padden, 2011 ; Brentari, 1998 ; Eccarius et Brentari, 2007 ; Fenlon et al., 2018). À l’inverse, la mise en question d’une double articulation dans les LS, l’hypothèse d’une compositionnalité morphémique des unités-signes et le rôle central des unités « non conventionnelles » sont au cœur de l’approche théorique qui est la nôtre. Nous présentons ci-dessous cette approche, désignée depuis quelques années comme « Modèle sémiologique », en nous attachant à souligner ce qui nous semble être son apport propre pour la problématique qui nous intéresse, celle du statut des composants sublexicaux et de leur rôle dans la compréhension de ce qu’est le lexique dans une LS.
3. Options théoriques et question de recherche
L’approche des LS dans laquelle s’inscrivent nos recherches, d’abord centrée sur l’analyse des constructions très iconiques, a pour cette raison-même davantage échappé à l’emprise du signe-mot. Conçue par Cuxac à partir des années 1980 pour la LSF (Cuxac, 1985, 2000) et développé depuis (voir notamment Cuxac et Sallandre, 2007 ; Cuxac et Antinoro Pizzuto, 2010 ; Garcia et Sallandre, 2014), cette approche, dite « sémiologique », apporte une réponse unifiée aux questionnements évoqués ci-dessus et inverse la perspective sur le lexique des LS.
Une analyse minutieuse de longs corpus de discours en LSF, appréhendés dans une perspective énonciative et fonctionnelle et intégrant d’emblée l’ensemble des paramètres, manuels et non manuels, a permis à Cuxac de montrer que les deux types de constructions très iconiques évoquées dans la section précédente ressortissent de structures linguistiques, en nombre limité. Ce sont, très directement, des structures de l’iconicité 9. Ces structures, dites « structures de transfert »10 sont considérées comme les résultantes structurales (à échelle phylogénétique) de la mise en œuvre répétée d’une intentionnalité sémiologique particulière du locuteur (« visée illustrative »), qui vise certes à dire mais « en donnant à voir ». Indiquons simplement ici le marqueur formel essentiel et commun de ces structures : le décrochage du regard du locuteur de celui de son interlocuteur. Cette possibilité d’exploiter l’iconicité imagique comme mode verbal de production du sens est ouverte par la modalité visuo-gestuelle. L’hypothèse est que c’est parce que cette modalité est la seule qui ait pu (et qui puisse) être exploitée dans la communication sourde – là où la communication entendante est bimodale – que les LS ont développé une telle structuration linguistique de l’iconicité11. Cette approche requiert ainsi de fonder la description des langues humaines, LS et LV, et des formes qu’elles peuvent prendre, sur une sémiologie préalable du canal.
Les structures de transfert permettent de générer, en nombre effectivement illimité (comme toute structure linguistique), des constructions multilinéaires que nous appelons « unités de transfert » (désormais UT). Ces structures, et les unités qu’elles génèrent, loin d’être périphériques (« non core lexicon ») sont au contraire considérées comme le cœur de la LSF et, au-delà, celui des LS. L’hypothèse est en effet que, résultantes linguistiques d’une iconicisation de l’expérience perceptivo-pratique ancrée dans l’imagerie mentale, elles se retrouvent dans toute LS12. Dès lors, les unités lexicales (désormais UL), les « established signs » de la littérature, voient leur centralité très relativisée, le mode conventionnel du dire qui les caractérise (le dire classique) n’étant que l’une des deux manières de dire dont disposent les LS. Les deux types d’unités, UL et UT, régies par le regard, alternent et/ou s’imbriquent continûment dans le discours en LSF, quels que soient le genre discursif et le type de discours (monologique et dialogique).
De même format en moyenne qu’une UL, une UT met pareillement en jeu dans la simultanéité les composants manuels, chacun, toutefois, contribuant individuellement par son iconicité au sens de l’UT ; elle implique d’autre part les quatre composants non manuels que sont le regard, l’expression du visage, les mouvements du visage et du corps, dont Cuxac a montré qu’ils sont chacun fonctionnellement spécialisés selon la structure de transfert utilisée. Pour autant, ces choix paramétriques, s’ils sont bien régis par une visée illustrative, ne sont pas libres de toute contrainte (il s’agit de structures). L’hypothèse de compositionnalité des UT est que chacun des composants paramétriques s’inscrit dans un paradigme, probablement vaste mais non illimité. Parallèlement, rejoignant les auteurs cités ci-dessus, nous observons en LSF que les composants des UL elles-mêmes, loin d’être des unités non porteuses de sens (des « phonèmes ») sont majoritairement des constantes forme-sens13. Point très important pour la présente étude, diverses recherches ont montré que les composants porteurs de sens des UL sont en outre très souvent identiques à ceux identifiés dans les UT (Cuxac, 2000 ; Garcia, Braffort, Boutet et Dalle, 2007), ceci allant dans le sens de l’hypothèse selon laquelle une partie importante des UL proviendrait de la lexicalisation (du figement) d’UT14. Par ailleurs, l’analyse des procédés de la création lexicale en LSF, menée à partir d’un sous-corpus de 300 UL récentes extraites d’un vaste corpus de dialogues entre locuteurs sourds (Garcia et L’Huillier, 2011), a montré que ce sont directement ces composants forme-sens, infra-UL et/ou infra-UT, qui sont mobilisés pour la création de nouvelles UL (Garcia et L’Huillier, 2013).
Ainsi, selon ces analyses, l’un des procédés les plus productifs (à l’œuvre dans environ 35% des UL récentes) consiste en la substitution, à l’un des composants forme-sens d’une UL existante, d’un autre composant forme-sens. À titre d’exemple, le changement d’emplacement (des tempes, « l’intellect », à l’abdomen, associé au « tripal », deux emplacements porteurs de sens très productifs dans le lexique) a permis de créer récemment l’UL culture sourde/surditude, à partir de l’UL culture (voir Figure 1).
L’autre grand procédé répertorié (également 35% des néo-UL) consiste en un assemblage (une « mosaïque ») de composants empruntés à d’autres UL et/ou à des UT. Le très récent centre-relais16 ci-dessous (Figure 3) est emblématique de ce procédé17. La forte productivité de ces deux procédés atteste la conscience épilinguistique qu’ont les locuteurs du statut de constantes forme-sens des composants sublexicaux ainsi mobilisés.
Finalement, le troisième grand procédé à l’origine des unités lexicales récentes (± 25%) est la lexicalisation d’unités de transfert, qui corrobore l’hypothèse, rappelée plus haut, d’une dérivation diachronique d’une partie des UL à partir des UT.
Sur ces bases, l’hypothèse que cherche à évaluer la présente recherche est que ces composants forme-sens sublexicaux ancrent les regroupements des UL en ce que nous appellerons « familles de signes » et constituent la voie d’accès à ce qui structure en propre (c’est-à-dire indépendamment de la LV environnante et de ses structures) le lexique de la LSF. Divers auteurs ont de fait noté une densité particulièrement remarquable de ces liens de famille dans le lexique des LS (Frishberg et Gough, 2000 ; Fernald et Napoli, 2000 ; Cuxac, 2000 ; Bré-Le Corre, 2002 ; Garcia, 2010, 2013 ; Meir, 2012)18. L’étude de Fernald et Napoli (2000), sur l’ASL, est la plus systématique des études mentionnées et elle a constitué une source importante pour notre recherche. À partir d’un corpus lexicographique issu d’un « dictionnaire » de l’ASL, les auteurs rapprochent des signes unis par le sens et ayant par ailleurs en commun un ou plusieurs composants paramétriques. Ces analyses, appliquées de proche en proche à tout leur corpus, leur permettent de proposer le concept original d’ion-morphe. Ils le définissent comme une unité morphologique caractérisée à la fois par une forme phonologique, le sens associé à cette forme et l’ensemble des restrictions pesant sur cette association forme-sens (Fernald et Napoli, 2000, p. 33). Ainsi les signes lexicaux father (‘père’) et mother (‘mère’), de sens proche, ne diffèrent l’un de l’autre que par l’emplacement (respectivement le front et le menton), le noyau sémantique commun semblant dès lors porté par l’ensemble des trois autres composants paramétriques. La valeur de sens commune (‘parent’) portée par l’association des trois paramètres ne vaut toutefois, selon les auteurs, que pour les signes ayant par ailleurs soit l’emplacement ‘front’ soit l’emplacement ‘menton’. Pour la famille unissant father et mother, l’ion-morphe se décrit dès lors comme suit :
[HC5, Mb, Ob, x] = ‘parent’ quand x ∈ {POAb, POAc}
où HC5 (‘hand configuration’) est la configuration ‘5’ , Mb est le mouvement de contact répété avec l’emplacement, Ob est l’orientation de la main vers la gauche et POAb (‘place of articulation’) est l’emplacement ‘front’, tandis que POAc est l’emplacement ‘menton’.
L’une des limites de l’étude de Fernald et Napoli est selon nous d’être fondée sur la seule logique du linguiste travaillant « en chambre ». La méthodologie adoptée est en outre peu explicite, les auteurs faisant mention sans plus de précisions d’« échanges avec des informateurs sourds ». Nous indiquons ci-dessous le protocole méthodologique que nous avons élaboré pour la LSF. Fondé par ailleurs sur les résultats de l’étude sur les procédés de la création lexicale, ce protocole a justement cherché à pallier ces limites.
4. Protocole méthodologique
Un enjeu pour nous important, a fortiori dans le cas d’une langue foncièrement de tradition « orale »19, est de croiser l’analyse in vitro du linguiste, l’expression de la conscience épilinguistique des locuteurs de la LSF – telle qu’elle se manifeste dans la création lexicale – et le point de vue plus explicite (métalinguistique) des locuteurs sur leurs signes, récents et plus anciens. Sur ces deux derniers aspects, nous rejoignons le point de vue de Béguelin (2002) selon qui « si le linguiste entend rendre compte de la compétence “naturelle” des sujets, (…) [il] (…) doit admettre (…) que la pratique étymologique spontanée puisse être instructive, révélatrice des conduites d’appariement morphologique et sémantique qui sous-tendent couramment l’activité langagière ».
Nous avons ainsi élaboré une méthodologie en trois phases (Sennikova, thèse en cours ; Sennikova et Garcia, 2016). Dans la première phase, suivant une démarche proche de celle de Fernald et Napoli évoquée plus haut, nous avons procédé à une analyse in vitro systématique des unités-signes recensées dans le corpus lexicographique le plus substantiel existant pour la LSF dans un format papier, le Dictionnaire bilingue de la LSF évoqué en section 2 (Girod et al., 1997 ; Galant et al., 2013), qui recense environ 4500 signes lexicaux. L’analyse visait à mettre en rapport des signes liés entre eux à la fois par le sens et par la forme – hypothèses de familles de signes fondées sur les composants sublexicaux – pour évaluer la nature et la prégnance de ces liens de famille dans le lexique de la LSF et le(s) composant(s) paramétrique(s) impliqué(s). Cette phase présente les mêmes limites que celles reprochées à l’étude de Fernald et Napoli : sans même parler des biais liés aux principes-mêmes de confection du « dictionnaire » (section 2), les rapprochements opérés et l’analyse reposent sur la seule évaluation du linguiste, qui plus est entendant et n’ayant pas la LSF comme langue première. Il importait de confronter notre analyse et nos hypothèses à celles des locuteurs eux-mêmes, ce qui est l’objet des deux phases suivantes.
Nous avons en premier lieu (phase 2) exploité une partie du corpus Creagest (Garcia et L’Huillier, 2011), composé de 51 dialogues longs entre adultes sourds issus de quatre régions de France et âgés de 20 à 65 ans20. L’analyse s’est centrée sur la deuxième partie de ces entretiens, durant laquelle l’enquêteur amène l’enquêté à commenter les signes récemment émergés qu’il a spontanément produits durant la première moitié de l’échange en parlant de son métier et de ses autres centres d’intérêt. Il s’est agi, à travers l’analyse de ces discours métalinguistiques, de voir si les locuteurs établissent d’eux-mêmes des liens forme-sens avec le lexique déjà là et sur quelles bases. L’analyse a porté jusqu’ici sur le discours métalinguistique de vingt enquêtés, également répartis entre les quatre régions, ce qui représente environ quarante heures de vidéo.
Ensuite (phase 3), à partir des données recueillies dans les phases 1 et 2 et de leur analyse, nous avons élaboré une série de tâches plus ciblées et n’impliquant plus simplement les unités récentes. Nous avons opté pour un travail en groupe, animé par un pair sourd, mieux à même de libérer la parole et de croiser les hypothèses. La réalisation d’un groupe pilote nous a permis de préciser la méthodologie (pertinence des tâches, du nombre de participants et des critères de sélection ; clarté et neutralité des consignes). L’objectif à terme est d’enregistrer les échanges de deux groupes de quatre sourds ayant la LSF comme langue principale et non formés à la linguistique des LS. À titre indicatif, le groupe pilote, seul analysé pour l’instant, représente trois heures de discussions en LSF. Les cinq tâches, décrites ci-dessous, sont avant tout considérées comme des stimuli devant amener les locuteurs à manipuler leurs signes et à en discuter.
Pour la tâche 3, l’animateur sourd présente des UL récentes en LSF dont la structure mobilise des liens forme-sens avec des UL existantes mais qui, néanmoins, ont spontanément été présentées comme problématiques par les locuteurs du corpus Creagest. L’enjeu de cette tâche est particulièrement important puisqu’il s’agit d’évaluer s’il existe des conditions d’acceptabilité de tel ou tel nouveau signe et notamment, pour ce qui nous concerne, des contraintes internes dans le choix et les associations de composants sublexicaux porteurs de sens — et, le cas échéant, de quelle nature22.
Enfin, dans la tâche 5, l’animateur présente successivement des UL récentes afin de susciter les commentaires et d’éventuels rapprochements avec d’autres unités. L’objectif est de voir si les locuteurs établissent prioritairement des liens par la forme, par le sens ou par les deux.
5. Premiers résultats
L’analyse systématique du corpus des 4500 signes environ recensés dans les quatre tomes du Dictionnaire bilingue LSF-français nous a permis de faire l’hypothèse d’au moins 420 familles de signes, dont plus de la moitié sont constituées de signes partageant un seul composant forme-sens. Les familles articulées sur deux composants forme-sens identiques et celles qui sont fondées sur trois composants communs sont de l’ordre d’une centaine à chaque fois. À titre d’exemple de famille articulée sur un seul composant commun, les UL PROFESSEUR, MEDECIN, RESPONSABLE, POLICIER (Figure 6) sont toutes réalisées sur un même emplacement, le haut du bras : alors que c’est là leur seul point commun formel (tous les autres paramètres diffèrent), elles partagent toutes l’idée d’autorité, de métier impliquant un haut degré de responsabilité. Nous supposons donc que ce sens commun est associé à cet emplacement24.
Les signes à deux mains se soumettre, sauter de joie et trembler de peur (Figure 7) illustrent le cas de signes qui, au contraire, ne diffèrent que par un seul de leurs composants. Ils sont en effet réalisés avec les mêmes configuration, orientation et emplacement (la main dominée en configuration ‘main plate’, orientation paume vers le haut), clairement associés ensemble à l’idée d’« être animé bipède (être humain) bougeant sur une surface plate ». Seul le mouvement de la main dominante les distingue, spécifiant le sens propre à chaque UL (fléchissement des phalanges pour la soumission, tremblement des doigts pour la peur, etc.).
Ces premiers résultats mettent en évidence une densité remarquable des liens de familles entre unités-signes constituées autour d’un, deux ou trois composants forme-sens communs. L’analyse du discours métalinguistique des locuteurs du corpus Creagest (phase 2) montre de même que les locuteurs recourent massivement aux liens forme-sens déjà existants et en particulier aux composants sublexicaux directement mobilisés comme des unités forme-sens pour expliquer la forme de telle ou telle UL récente. Entre autres exemples, plusieurs locuteurs analysent spontanément le signe français signé comme la reprise du signe écrire dans lequel la configuration et l’orientation de la main dominante (main en faisceau reproduisant la saisie d’une forme mince) sont remplacées par celles qui caractérisent signer (voir Figure 8).
De la même façon (voir Figure 9), détrôner est analysé comme issu de chaise/s’asseoir par modification du mouvement.
Point notable, les locuteurs proposent souvent les mêmes analyses pour les mêmes UL. Ainsi, l’UL récente iconicité est généralement mise en lien avec image, copier et signer (voir Figure 10), ce qui donne le sens final du concept d’iconicité « une image que l'on copie en signant ».
Outre les explications de la forme des nouvelles UL par les liens sublexicaux qu’elles entretiennent avec les UL existantes ou, nous venons de le voir, avec les composants iconiques des unités de transfert, diverses remarques des locuteurs corroborent l’idée que l’évidence de ces liens joue un rôle important dans l’acceptation ou le rejet du signe. Voici ce que dit l’un des locuteurs du corpus Creagest à propos du signe formateur lsf : « C’est un nouveau signe, il est apparu récemment. […] C’était dur pour moi de l’accepter. Il ne me convainc pas. *elle regarde ses mains* Pourquoi cette configuration-là ? Elle vient d’où ? Personne n’a su m’expliquer. »25.
Par leur regard sur les unités récemment émergées, les rapprochements qu’ils opèrent avec les signes déjà là et la nature de ces rapprochements, les locuteurs confortent le statut de constante forme-sens des composants sublexicaux. Toutefois leurs réactions de rejet face à certaines des unités récentes de la LSF qui, pourtant, entrent en forte résonance avec le lexique et semblent coïncider avec les procédés dégagés pour la création de nouvelles UL, permettent de préciser l’analyse, et en particulier le fait que, comme il en est pour les LV, divers facteurs, externes (sociolinguistiques) et internes (patrons de formation acceptés ou non par la langue), entrent en jeu pour assurer la survie de ces unités récentes.
Enfin, en raison cette fois d’une diglossie entre la LSF et l’ASL28, les locuteurs peuvent rejeter vivement certains emprunts à l’ASL là où préexistent des signes en LSF : formateur emprunté à l’ASL vient ainsi concurrencer des composés séquentiels préexistants professeur + lsf ou enseigner + lsf.
Parallèlement, les locuteurs invoquent d’autres types de motifs, que l’on peut dire internes et qui, point intéressant, concernent souvent les mêmes signes. Pour une partie d’entre eux, ces motifs coïncident avec les contraintes de bas niveau dont Cuxac (notamment 2004, 2013) avait fait l’hypothèse qu’elles interviennent dans la stabilisation et le lissage formel du signe, à savoir une contrainte de maximum de facilitation articulatoire et une contrainte de saillance perceptive maximale. Selon lui, ces contraintes interviennent, éventuellement de manière antagoniste, avec les contraintes de haut niveau qui président à la formation du signe (contraintes de maintien de l’iconicité et d’évitement homonymique), la forme finalement stabilisée résultant d’un équilibrage optimal entre ces diverses contraintes, soit phonétiques, soit sémantiques.
C’est bien à une question de facilitation articulatoire que fait référence l’un des enquêtés concernant handisport (voir Figure 13) :
|
P : « Le cerveau n’est pas capable d’analyser deux configurations différentes en mouvement, sinon il décroche. Par exemple, le signe travailler : il n’y a pas de problème, il s’agit de la même configuration pour les deux mains. Mais vous vous souvenez ce qui s’est passé avec le signe websourd quand il est apparu ? Les gens n’arrivaient pas à coordonner leurs mains. Pourquoi ? Parce que les configurations des deux mains étaient différentes »29. |
De même, les UL enseigner en lsf et enseigner la lsf sont analysées par les locuteurs comme aussi difficiles à articuler (deux mains symétriques de configuration différente) qu’à percevoir (où placer exactement la main dominante par rapport à la main dominée ?). En outre, la logique iconique interne à ces deux signes lorsqu’ils sont comparés entre eux semble insuffisamment claire aux locuteurs, à tel point que l’emplacement « correct » de la main dominante reste l’objet de débats, comme le montre par exemple l’échange suivant entre les locuteurs de notre phase 3 :
|
H : « *elle signe enseigner la lsf et enseigner en lsf, en positionnant sa main dominante en arrière de la main dominée dans le second* Pour moi ces signes sont clairs. Je ne les utilise jamais mais je les comprends. » |
Le signe vétérinaire, lui, est réalisé sur l’emplacement ‘tempes’ et utilise le mouvement circulaire que l’on trouve également dans animal mais il diffère par sa configuration, qui est celle de médecin. Il ressort du discours des locuteurs qu’il y a deux raisons au moins à son rejet. La première est qu’une très grande partie des UL ayant trait à l’intellect se réalisent à l’emplacement du front ou des tempes (comme, entre beaucoup d’autres, intellect, réfléchir, idée, penser, croire, savoir, connaissance, concept), cette association forme-sens étant très largement plus productive que celle unissant le front à l’idée d’animalité (on peut au mieux identifier quelques UL réalisées sur le front référant à des bêtes à cornes ou à longues oreilles comme vache, cheval, lapin). Parallèlement, comme vu plus haut, l’association forme-sens ‘configuration P et mouvement circulaire’/concept d’« entendant » est elle aussi productive, sa prégnance particulière pour les locuteurs sourds s’expliquant aisément par ailleurs par des raisons externes (désignation de la population majoritaire et dominante). De fait, pour nos locuteurs, la lecture attendue pour le signe vétérinaire (« médecin des animaux ») est tout simplement impossible. Cet exemple illustre par ailleurs, une fois encore, l’impossibilité de faire l’économie de l’emplacement ‘haut de l’épaule’ pour porter le concept de « médecin ».
Des points importants ressortent de ces observations et réactions des locuteurs et de leur croisement avec nos analyses. En premier lieu, tous les composants forme-sens d’une UL n’ont pas une importance égale dans la charge sémantique portée par cette UL : ainsi, l’emplacement semble central et donc inamovible dans médecin, tandis que c’est l’ensemble configuration-mouvement qui prévaut pour entendant. En second lieu, il apparaît que ce qui explique cette « dominance », dans certaines UL, d’un composant ou d’une association forme-sens portée par deux (voire trois) composants soit directement liée à leur rôle et à leur productivité dans les liens de familles qui unissent les signes. Dès lors, avancer dans la mise en évidence de ces réseaux de liens tissés entre UL par leurs composants ou par des combinaisons de composants doit à la fois nous permettre d’affiner notre description des procédés efficients de création de nouvelles UL et de commencer à dégager la structuration lexicale propre à la LSF.
6. Conclusions
Notre analyse « en chambre » du corpus lexicographique constitué par l’un des plus vastes dictionnaires papier existant pour la LSF et celle des discours métalinguistiques des locuteurs sourds corroborent fortement notre hypothèse de recherche. Elles convergent dans le même sens d’une structuration dense du lexique de la LSF en familles de signes articulées sur un noyau forme-sens sublexical constitué d’un, deux ou trois composants paramétriques. Un point particulièrement intéressant, au-delà de la confirmation du statut d’unités forme-sens d’une partie au moins des composants paramétriques des signes lexicaux, tient à la mise en évidence de ces combinaisons bi- ou tri-paramétriques qui constituent le noyau (la racine ?) d’une partie de ces familles de signes. L’identification circonstanciée sur l’ensemble du lexique de la LSF de ces composants et/ou associations de composants sublexicaux est l’une des perspectives de longue haleine de la recherche en cours, de même que la théorisation de leur statut linguistique, notamment en termes morphologiques.
Il nous semble néanmoins possible, dès ce stade, d’affirmer que loin d’être « pauvre » lexicalement, la LSF (les LS ?) présente au contraire une stratification lexicale d’une richesse exceptionnelle : les « signes » (UL) ne seraient en effet que l’un des types d’unités du lexique, les composants forme-sens mono ou pluri-paramétriques sublexicaux ayant, par leur productivité et leur rôle dans l’économie du lexique, pleinement droit sinon à un plein statut d’unités lexicales30 , du moins à figurer comme entrées de dictionnaires (voir, à ce sujet, la proposition concrète de specimen d’un tel type de dictionnaire de Bonnal (2005). Pour des langues sans écriture propre comme le sont les LS, ce type d’entrées, qui actent le caractère hautement structurant pour le lexique de ces « entités lexicales » sublexématiques (i.e. mono, bi- ou tri-paramétriques), constitue, à l’heure actuelle, le seul mode de représentation à même de rendre compte des spécificités d’organisation et de la richesse du lexique des LS.