Le XVIIe Congrès Mondial de !'Énergie s'est réuni en septembre dernier à Houston. Il s'est notamment penché sur l'évolution à moyen et long terme de la demande en électricité et sur les moyens de la satisfaire sans multiplier les émissions de gaz carbonique. Il s'est pour cela appuyé sur un rapport1 qu'il avait commandé à l'international lnstitute for Applied Systems Analysis (IIASA).
Une croissance inexorable
Selon l'IIASA, la croissance de la demande en électricité est inéluctable d'ici 2020, en particulier dans les pays émergents et les pays en voie de développement.
En effet, la population y augmentera considérablement et se regroupera dans les villes, de façon bien plus rapide que ce qu'ont connu les pays occidentaux lors de leurs transitions industrielles : la croissance démographique s'accompagnera donc de changements profonds des modes de consommation, avec par exemple en Chine, un passage de l'utilisation du charbon à celle de l'électricité.
Cette croissance démographique s'accompagnera aussi d'une croissance économique. L'IIASA, prenant alors pour hypothèse une baisse de l'intensité énergétique, conclut que la consommation d'électricité de ces pays n'augmentera que de 50 à 100 % d'ici 2020.
Le gain en efficacité énergétique n'est d'ailleurs pas acquis - non pas tant parce que l'histoire a montré que l'efficacité énergétique a diminué au cours des phases d'industrialisation des pays européens (les pays actuellement en cours d'industrialisation peuvent bénéficier dès maintenant de technologies occidentales efficaces sur le plan énergétique, quoique leur accès reste problématique dans certaines régions) - mais plutôt parce que la pression de la demande pour satisfaire de nouveaux besoins est considérable : par exemple, les pays d'Afrique du Nord envisagent dès maintenant de construire des usines de désalinisation de l'eau pour satisfaire les besoins d'une population croissante. De même, d'autres biens de première nécessité pourraient être soumis à forte pénurie à l'avenir ou être difficiles à acheminer dans les grandes villes, certains pays consacrant alors une part non négligeable de leurs ressources énergétiques à se les procurer. Apparaissent donc des effets de levier liés à la croissance de la population et du PIB, et non de simples effets multiplicateurs selon le schéma classique. Il faut noter à ce sujet le rôle que pourront jouer les énergies renouvelables (éolienne, photovoltaïque) pour permettre une électrification rurale et freiner ainsi l'exode vers les villes.
Même dans les pays industrialisés où croissances démographique et économique seront de moindre ampleur, les ménages pourraient consommer toujours davantage d'électricité, du fait de leur équipement progressif en matériels électroniques et appareils de climatisation par exemple.
Au total, d'ici 2020 :
• la population mondiale comptera 2 milliards d'habitants de plus ;
• la part des citadins passera de 44 % de la population mondiale en 1996 à 65 % ;
• le PIB aura été multiplié par 2 ou 3 ;
• la production mondiale d'électricité aura augmenté de 35 à 90 %.
Or cette production est déjà aujourd'hui la première activité émettrice de CO2 dans le monde, devant les transports et l'industrie. La maîtrise de ses émissions constitue donc un enjeu essentiel au regard de la lutte contre un changement climatique.
Six scénarios pour cerner le futur
Les avancées technologiques d'aujourd'hui déterminent les technologies employées en 2020 pour produire de l'électricité, même si l'on ignore quelle sera la part de chaque filière : l'IIASA, inscrivant son étude dans le long terme, prend soin de bien articuler ses stratégies de moyen terme (équipement en technologies déjà maîtrisées) autour de ses six scénarios de long terme, déterminés entre autres par les investissements dans tel ou tel secteur de recherche. Dès lors, 2020 apparaît comme une période de transition, une solution toute temporaire en attendant la mise en œuvre de nouvelles technologies.
Les six scénarios présentent les mêmes hypothèses de croissance démographique et de structure de la demande d'énergie finale ; ils se différencient par des hypothèses de croissance économique comme par des politiques énergétiques très contrastées :
Les scénarios de forte croissance : forte croissance économique et énergétique, importants progrès techniques, particulièrement dans les pays en voie de développement.
Dans les scénarios A 1 et A2, la croissance de la demande énergétique profite essentiellement aux combustibles fossiles, pétrole et gaz (A1), ou charbon (A2). Les émissions de CO2 s'envolent2, atteignant, dès 2010, 40 % de plus qu'en 1990 (et 50 % en 2020).
Dans le scénario A3 (dit « scénario bionucléaire »), d'importants progrès technologiques permettent le développement des énergies non renouvelables (ENR) et d'une filière nucléaire respectant des normes environnementales draconiennes, à la stricte condition que les recettes du secteur énergétique refinancent massivement les investissements. La filière nucléaire croit de 125 % d'ici 2020, et sa part égale celle des ENR hors hydraulique.
Ce scénario est particulièrement intéressant, car il montre que croissance économique (et donc emploi) et environnement sont compatibles sur le très long terme. Cependant, en 2010 puis 2020, les émissions de CO2 augmentent temporairement.
Le scénario tendanciel (B) : croissance économique moyenne, progrès technologique moyen, levée de toutes les barrières du commerce international ; l'Afrique se développe très peu.
Les scénarios environnementaux : même croissance économique que dans le scénario B. accompagnée d'une capacité d'investissement réduite, mais progrès technologique volontariste, coopération et entraide internationale sur les problèmes d'environnement (par le biais de taxes sur le carbone, par exemple), efforts considérables de maîtrise de l'énergie. La faible croissance économique ne permet pas un développement aussi rapide que dans le scénario A3.
Dans le scénario C1, les ENR finissent par remplacer totalement en 2100 le nucléaire, qui croît jusqu'en 2030.
Dans le scénario C2, une nouvelle génération de réacteurs nucléaires plus petits (100 à 300 MW) et répondant à des normes encore plus sévères est mieux acceptée socialement. Elle assure en 2100 la même production que les ENR.
Ces deux scénarios constituent des limites basses - et même extrêmement basses - de la consommation d'électricité. À ce titre, ils sont, de l'avis même de leurs auteurs, plus exploratoires que réalistes. Ils ont cependant le mérite de montrer que, même dans cette hypothèse extrême, la limitation des émissions de CO2 à leur niveau de 1990 passe, jusqu'en 2030 au moins, par une forte croissance de la production d'électricité d'origine nucléaire (+ 50 % au moins) et renouvelable (+ 300 %).
Cette conclusion, a fortiori vérifiée pour les scénarios plus énergivores, est l'un des principaux enseignements du congrès.