Santé et territoires. Des soins de proximité aux risques environnementaux

Sous la direction de Marcel Calvez, Presses Universitaires de Rennes, 2016

DOI : 10.4267/pollution-atmospherique.6127

Text

L’ouvrage résulte d’un colloque organisé en novembre 2012 par la Maison des Sciences de l’Homme de Bretagne et la Maison des Sciences de l’Homme Ange-Guépin de Nantes.

Marcel Calvez introduit l’ouvrage en replaçant le contexte des dernières réformes sanitaires françaises, dont la loi Hôpital Patient, Santé, Territoire de 2009 et la dernière loi de modernisation du système de santé de 2015 : le territoire est devenu une composante des politiques publiques de santé, il est conçu comme un espace d’organisation administrative sous l’autorité de l’Agence Régionale de Santé (ARS) chargée de mettre en place un plan régional de santé et la coordination de l’offre de soin. La loi de 2015 prolonge et affirme l’approche territoriale en se centrant sur l’organisation des soins de proximité, instituant un Service Territorial de Santé au Public (STSP) pour organiser la coordination des parcours de soin complexe et réguler l’offre de prévention et de soins de proximité. En outre, la loi de 2015 considère le territoire comme un environnement de vie ou de travail susceptible d’affecter la santé des populations. Marcel Calvez insiste sur la complexité des liens entre santé et territoires, qui nécessitent de considérer la santé selon l’acceptation globale de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), définissant la santé en 1946 comme étant « un état complet de bien-être physique, mental et social qui ne consiste pas simplement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Cette approche globale sous-entend de prendre en considération les déterminants sociaux de la santé et les inégalités socio-territoriales de santé pour mieux répondre aux besoins des populations. Le territoire est bien plus qu’un territoire administratif, c’est aussi un territoire vécu, perçu et ressenti, avec un ensemble de ressources spatialisées qui sont appropriées par la population, pour qui la qualité environnementale est de plus en plus associée à la santé et à la qualité de vie. L’ouvrage se divise en deux parties : la première se centre sur l’organisation des soins de proximité et la deuxième sur la perception des habitants de la qualité environnementale et des risques sanitaires.

La première partie permet de comprendre les enjeux de l’organisation territoriale de la santé, et en particulier ceux du recours aux soins de proximité. Les deux premiers chapitres, rédigés par Sébastien Fleuret et Pierre Bertrand, rappellent l’organisation du système de soins et l’emboîtement des dispositifs aux différentes échelles. La région, les territoires de santé, les bassins de santé, les territoires de proximité sont autant de territoires de planification du soin. Or la territorialisation de la santé pose, pour Sébastien Fleury, quatre enjeux : le premier suppose de mieux concilier les initiatives locales et la politique descendante de l’Etat ; le deuxième de considérer le territoire comme le support de l’intersectorialité, en véritable territoires de santé centrés sur les besoins des habitants ; le troisième de passer d’une offre de soins territorialisée à la construction de véritables territoires de santé, centrés sur les habitants, leurs pratiques de l’environnement physique ; et enfin le quatrième enjeu consiste à prendre en considération les déterminants de santé et les inégalités de santé dans tout projet d’aménagement des territoires. Ces enjeux sont d’autant plus importants que les inégalités de répartition de l’offre de soins sont majeures et concernent en particulier les premiers recours (médecin généraliste, pharmacien, dentiste, infirmier, kinésithérapeute, assistant-social). Certaines zones sont dites fragiles, en pénurie d’offre de soins de proximité, et concernent aussi bien des espaces ruraux que des espaces urbains. François-Xavier Schweyer et Romain Marié, dans les chapitres 3 et 4, montrent que l’offre de soins de premiers recours est souvent déconnectée des besoins des populations, tant dans l’accessibilité physique que financière. Elle dépend de la démographie médicale mais aussi de la répartition géographique des médecins, qui ont une liberté d’installation. Que ce soit pour les médecins généralistes évoqués par Romain Marié ou bien pour les sages-femmes étudiées par Florence Douguet et Alain Vilbrod, l’installation professionnelle libérale répond, d’une part, aux besoins de l’offre de soins mais répond aussi, d’autre part, à des facteurs économiques, sociaux et personnels liés à des considérations familiales, comme la volonté d’équilibrer sa vie privée et sa vie professionnelle. Si les jeunes médecins ont tendance à se salarier, les sages-femmes, après avoir eu une expérience dans le secteur public, tendent vers l’installation libérale. Romain Marié insiste sur la complémentarité des nouvelles pratiques que sont les maisons pluridisciplinaires, les maisons de santé, avec le maintien de la médecine libérale dans les zones fragiles.

L’offre de soins est aussi décryptée selon son usage par les patients. Anne-Chantal Hard, dans le chapitre 5, insiste sur les déterminants territoriaux de l’usage de l’offre de soins en période prénatale. Si les femmes ont la liberté de choisir les professionnels qui vont les suivre pour leur grossesse, elles se retrouvent parfois devant des difficultés majeures, en particulier en zone rurale plus touchée par les fermetures de maternité qui répondent à une exigence de gestion de risque, de réduction des coûts mais négligent la notion de l’éloignement géographique. Certaines femmes vont ainsi cumuler des difficultés liées à l’accessibilité physique, financière, sociale et médicale. Les inégalités se creusent entre celles qui ont accès à l’ensemble des dispositifs et qui les utilisent et celles qui, au contraire, n’ont pas les moyens de les utiliser. On retrouve cette territorialisation des inégalités sociales de santé dans le diagnostic territorial, réalisé à Gonesse dans le Val-d’Oise, dans le chapitre 7, avec l’étude dirigée par Zoé Vaillant. L’accès au dépistage du cancer du sein des femmes de 50 à 74 ans ne dépend pas que de la présence de l’offre mais fait écho à une multitude de facteurs : au-delà des inégalités marquées entre les territoires qui cumulent des facilités et les territoires qui cumulent les désavantages sociaux et économiques, l’accès au dépistage dépend aussi de l’accessibilité physique, du rôle des acteurs locaux pour mettre en place une prévention, des pratiques collectives et culturelles.

Dans une deuxième partie, plus courte, les auteurs évoquent les territoires de vie et les risques de santé au sein d’un territoire vécu et perçu par ses habitants pour qui le risque sanitaire est de plus en plus associé à la santé et à la qualité de vie.

L’exemple de l’exposition à la pollution atmosphérique, développé par Isabelle Roussel dans le chapitre 8, questionne la notion de territoires des risques sanitaires. L’État et les collectivités territoriales mettent en place des plans de prévention des risques et de limitation des émissions : ils s’appuient sur les territoires administratifs, supports de la collecte de données statistiques permettant de cartographier la géographie des pathologies ou des faits de santé. Mais le territoire administratif ne permet pas toujours de rendre compte de la complexité des inégalités de santé, sociales ou environnementales, où le cumul des désavantages et des expositions peut avoir des conséquences majeures sur la santé. En outre, la perception du risque sanitaire par les habitants ne coïncide pas toujours avec le territoire du risque. Les habitants se sentent de plus en plus exposés, sans pouvoir contrôler les effets de l’exposition : le territoire de vie devient alors le support des revendications sanitaires et environnementales. Les plaintes formulées contre des installations telles que les incinérateurs ou les antennes de radiotéléphonie sont emblématiques de la volonté des habitants de maîtriser la qualité de vie et la santé. Les habitants s’informent et se tournent vers des experts et des études scientifiques épidémiologiques pour étayer leurs craintes. Mais, comme le souligne Rémi Démillac, les études épidémiologiques ne permettent pas toujours d’établir un lien de causalité entre une pathologie et les facteurs d’exposition sur un territoire donné. Ainsi, Marcel Calvez, Véronique Van Tilbeurgh et Sylvie Ollitraut décrivent, dans les chapitres 11 et 12, un certain nombre de plaintes environnementales qui n’aboutissent pas faute d’être prises en considération par les élus locaux et les professionnels de santé, qui ont tendance à minimiser la perception des habitants, ce qui provoque un véritable déficit de confiance envers les pouvoirs publics. L’enjeu majeur est donc de concilier une information large et compréhensible des risques pour les habitants et la prise en compte par les décideurs d’être à l’écoute des nuisances et du ressenti des habitants. L’exemple du projet ESCALE de Véronique Daubas-Letourneux et Christophe Coutanceau, dans le chapitre 10, montre néanmoins que, dans un contexte professionnel, l’association entre les dockers du port de Saint-Nazaire et les chercheurs permet de mettre en évidence des risques sanitaires, en étant à l’écoute de l’expérience personnelle et ainsi d’identifier les facteurs de risques d’une profession.

Ces contributions montrent la complexité des liens entre santé et territoires, mais aussi les difficultés à prendre en considération l’ensemble des facteurs qui participent de la qualité de vie d’un territoire. La santé devient une revendication sociale territorialisée, tant dans l’usage des soins de premiers recours que dans la perception du risque sanitaire.

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References

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Brigitte Nader, « Santé et territoires. Des soins de proximité aux risques environnementaux », Pollution atmosphérique [Online], 233 | 2017, Online since 03 avril 2017, connection on 18 juin 2025. URL : http://www.peren-revues.fr/pollutionatmospherique/6127

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Brigitte Nader

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