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C’est donc à une série de questions – que l’on peut regrouper en cinq sous-thèmes – qu’ont bien voulu répondre les contributeurs de ce numéro thématique que je remercie très sincèrement : la mesure des odeurs ; la mesure et le ressenti ; une chimie et une biochimie complexes ; l’aval (que faire une fois que l’odeur est présente ?), avec des exemples, des crises locales, mais aussi des stratégies ; enfin, un historique nous rappelle la relativité des appréciations. Outre ces 14 articles, deux documents apportent des éclairages différents sur ces problématiques.

Comme une odeur chemine dans l’espace et le temps, il faut bien lui trouver une éclosion – pour paraphraser les pompiers sur l’origine d’un incendie de forêt –, un début, qui n’est pas forcément une seule source.

La mesure est à la fois un acte physico-chimique et un objet juridique : on recherche la source rétroactivement avec des outils comme « Odotrace » (BouAlem Mesbah, Mélanie Selvanizza) en reconstituant les trajectoires commandées par le vent et la structure verticale de l’atmosphère, preuve du rôle des conditions météorologiques récentes et du moment.

L’odeur peut être générée et éventuellement combinée à partir de différentes sources, mais le cas relativement simple d’une émission à partir d’une surface montre pourtant une grande complexité pour l’établissement d’un protocole de mesure (Anne-Sophie Clincke et Jean-Michel Guillot). La normalisation des mesures dans l’air est un parcours difficile, puisqu’il existe plusieurs méthodes normalisées, qui ne doivent pas être confondues avec la réglementation en matière d’odeur, comme le rappellent Jean-Michel Guillot et Caroline Luillery.

Le nez humain est capable de détecter des odeurs à un seuil de concentration pour le moment inférieur à celui d’une machine, c’est pourquoi il joue un rôle multiple, servant à la fois de détecteur et d’outil, établissant in fine un lien entre toutes les parties prenantes d’éventuels conflits, comme le montrent les expériences d’établissement du langage des nez par Air Normand faisant figure d’expert-initiateur dans le domaine (Céline Léger) ou de recherche des sources en Belgique (Julien Delva, Pierre Cobut, Jean-Louis Fanlo) avec l’exposé de distinctions subtiles entre intensité, concentration, qualité… des odeurs.

Quels sont les mécanismes qui permettent de « sentir » puis de reconnaître une odeur ?, se demandera-t-on. L’odeur parvient à notre cerveau, si l’on peut dire, par l’intermédiaire d’un système olfactif très élaboré et complexe où la culture, l’émotion prennent leur place (Caroline Bushdid, Jérémie Topin et Jérôme Golebiowski). Ce système olfactif a une plasticité hors du commun, comme l’écrivent en titre de leur contribution Jérémy Forest, Maëllie Midroit et Nathalie Mandairon. La neurogénèse adulte, contredisant l’idée plus ancienne selon laquelle le cerveau adulte est incapable de se régénérer, intervient fortement dans les circuits reliant l’épithélium olfactif au bulble olfactif et au reste du cerveau. Or cette neurogénèse est sensible au stress, à la pollution, qui peuvent l’altérer.

Une fois présente(s), que faire avec cette ou ces odeur(s) incommodante(s), sources de crises locales et engendrant tactiques et stratégies pour les combattre ?

Des désagréments plus ou moins locaux naissent ainsi, par exemple, en ville, où après avoir développé les possibilités de traitement voire d’élimination des odeurs après caractérisation, Camille Scotto et Xavier Fernandez insistent sur le cas des restaurants (plus de 200 000 sources d’odeurs diverses en France !).

Ghislaine Goupil, Guénaël Thiault, Bertrand Frère, Loïc Paillat, Nicolas Risler donnent l’exemple du Laboratoire Central de la Préfecture de Police de Paris, appelé à enquêter également sur les nuisances de ce type. L’objectif étant de les faire cesser, la répression n’est que le terme ultime éventuel de nombreux efforts pour évaluer les personnes exposées, tracer la source, conseiller sur les actions à mener et faire évoluer la réglementation.

La gestion des odeurs implique des méthodes adaptées – comme dans le cas d’un évènement accidentel comme Lubrizol en 2013 qui a entraîné un « après-Lubrizol » – en termes de réflexions et de mesures, impliquant plus étroitement les AASQA (Associations Agréées pour la Surveillance de la Qualité de l’Air), comme le montre l’article sur la circulaire du 12 août 2014 cosigné par des membres de trois AASQA (Benoît Wastine, Céline Leger, Nicolas Vigier, BouAlem Mesbah).

Marie Cors, Pierre Cobut, Jean-Louis Fanlo, Anne-Claude Romain, Jean-François Thomas et Julien Delva s’interrogent sur la résolution des conflits et sur les outils disponibles, dont « les observatoires des odeurs », une manière moderne et alternative de considérer ces problèmes, ayant le mérite de largement donner la parole aux citoyens.

Un paradoxe est que des odeurs désagréables ne sont pas toujours synonymes de pollution car elles peuvent aussi être générées par un système destiné à diminuer la pollution, comme une station d’épuration, de compostage, etc. Valérie Nastasi donne ainsi les pistes suivies par les professionnels chargés de réduire au maximum l’impact olfactif d’une station d’épuration : la ventilation puis le traitement des odeurs par plusieurs technologies. Chaque cas est particulier et plusieurs exemples (sites et pays différents) sont ainsi exposés.

Ces différentes sous-thématiques ainsi abordées montrent que l’odeur est inséparable de l’être humain, biologiquement mais aussi culturellement, socialement, et donc historiquement. Annick Le Guerer nous montre l’évolution de la place prise par l’odorat dans notre vie : honni sous Freud car nous rabaissant au rang de la bête, il est largement réhabilité depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Dans un autre article, elle expose parallèlement l’explosion récente de la vente des parfums en parallèle à la révolution chimique. C’est que, après l’Antiquité qui lui avait fait honneur, le sort du parfum a été très divers selon les époques, ainsi que son utilisation, thérapeutique au Moyen Âge, dédiée à l’élégance sous Louis XIV…

Deux documents sont également livrés, l’un donne l’analyse et la position d’une grande AASQA, AirPACA, face aux nuisances olfactives, par l’intermédiaire de son président, Pierre-Charles Maria, et de son directeur, Dominique Robin. L’autre prouve l’actualité de la thématique de ce numéro de la revue dans le monde de la recherche, puisqu’il présente le GDR (Groupement De Recherche) « O3 » (Odorants – Odeurs – Olfaction) prévu pour fonctionner de 2015 à 2018. Sa responsable, Elisabeth Dunach, de l’Institut de chimie, doit être particulièrement remerciée puisqu’elle a aimablement contribué à dérouler les premières pistes menant aux contributeurs de ce numéro.

References

Electronic reference

Pierre Carrega, « Introduction », Pollution atmosphérique [Online], 234 | 2017, Online since 24 juin 2017, connection on 11 décembre 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/pollutionatmospherique/6147

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Pierre Carrega

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