Introduction
La mesure des odeurs et des composés odorants fait l’objet de 3 normes ou projets de normes au niveau européen. Afin d’avoir une lecture synthétique, le tableau 1 permet de visualiser les éléments principaux de la portée de chaque norme. Chaque approche avec ses spécificités est décrite au cours des paragraphes suivants.
Les normes existantes utilisent des jurys de nez humains et sont donc des méthodes sensorielles. Les jurés sont sélectionnés sur la base d’une sensibilité « normale » à un composé de référence : le n-butanol. Malgré cette sélection vis-à-vis d’un composé, la méthode présente une incertitude plus grande que les méthodes physico-chimiques car, d’une part, la sensibilité à un composé ne peut traduire la sensibilité vis-à-vis de toutes les substances odorantes et, d’autre part, la sensibilité est dépendante du niveau de concentration du sujet et d’autres facteurs humains.
La norme en cours d’élaboration fait appel à toutes les techniques instrumentales susceptibles de détecter les composés odorants et d’établir une correspondance avec l’odeur. Cette correspondance peut s’imaginer sous différentes représentations (intensité sur une échelle graduée ou colorée…) mais sans fournir un résultat comme pour le nez humain. Ainsi, la concentration d’odeur reste une grandeur mesurée par le nez humain.
Ces normes ont pour objet la détermination de la présence d’odeur ou de la concentration de l’odeur au niveau de sources fixes ou dans un environnement. À partir des données de mesure et en connaissant la zone d’étude, un impact pourra être estimé. Mais ces normes sont faites pour donner un résultat de mesure et donc caractériser une situation. L’interprétation sur d’éventuelles nuisances liées à ces odeurs ne fait pas partie des portées de ces normes, car cela fait appel à de nombreux autres paramètres (conditions de dispersion et donc conditions topographiques, météorologiques ; densité et type d’habitat ; vulnérabilité et capacité d’acceptabilité des populations vis-à-vis d’une exposition aux odeurs…). Ces différents critères qui permettent de passer de la notion d’odeur à celle d’une éventuelle nuisance sont souvent décrits sous la forme des cinq facteurs FIDOL (Frequency, Intensity, Duration, Offensiveness and Location). Ces paramètres qui influent sur l’acceptabilité d’une odeur déterminent si elle est : fréquente (1er facteur), intense (2e facteur), avec une longue durée dans le temps (3e facteur), de nature agressive et très désagréable qualitativement (4e facteur) et qu’en fonction du lieu (usine, zone commerciale, zone résidentielle, lieu de vacances…), l’acceptabilité sera très différente (5e facteur).
Numéro |
EN 13725 (EN13725 révisée) |
EN 16841 partie 1 |
EN 16841 partie 2 |
Projet instruments (en cours d’élaboration) |
Nom |
Détermination des odeurs par olfactométrie dynamique (et du taux d’émission d’odeurs de sources fixes) |
Détermination des odeurs par mesure de terrain – Partie 1 : méthode de la grille |
Détermination des odeurs par mesure de terrain – Partie 2 : méthode du panache |
Mesure instrumentale des odeurs |
Grandeur mesurée |
Concentration d’odeur (unité d’odeur/m3) |
Exposition aux odeurs dans une zone d’évaluation définie |
Étendue du panache odorant sous le vent d’une source |
Intensité odorante et/ou qualité qui pourront être représentées par l’équipement |
Application |
Source fixe |
Dans l’environnement |
Dans l’environnement |
Air ambiant, air intérieur, émissions |
Tableau 1. Liste des normes européennes existantes ou en cours d’élaboration pour la mesure des odeurs et des composés odorants.
List of actual or in progress European standards about odour and odorous compound measurement.
1. La mesure de la concentration d’odeur par olfactométrie dynamique
La mesure des odeurs par olfactométrie est décrite par la norme NF EN 13725 « Qualité de l’air - Détermination de la concentration d’une odeur par olfactométrie dynamique ». Cette norme décrit comment sélectionner un jury selon une sensibilité par rapport au n-butanol et comment réaliser l’analyse à l’aide d’un olfactomètre. Le principe de la mesure consiste à diluer un échantillon odorant par de l’air pur et non-odorant et à présenter ces dilutions aux membres qualifiés (sélectionnés pour leur sensibilité normale, devenant ainsi membres du jury d’olfactométrie). Ces jurés doivent déterminer à quel niveau de dilution ils sont en limite de perception (détection de l’odeur sans pour autant être capable de la reconnaître). La valeur chiffrée du taux de dilution nécessaire pour faire passer un échantillon odorant à un niveau correspondant à la limite de détection conduit à l’obtention de la concentration d’odeur. Cette concentration est exprimée en Unité d’Odeur par m3. Le principal intérêt de la méthode est donc de donner une valeur chiffrée pour une mesure sensorielle, ce qui est plus pertinent que les termes odeur faible, moyenne ou forte. La dilution assurée par l’olfactomètre doit être de qualité et répétable, d’où un étalonnage rigoureux et une vérification régulière de ces équipements. Les plages de dilution peuvent varier selon les appareils, mais globalement, un appareil pourra difficilement diluer en une étape des concentrations supérieures à 50 000 ou 100 000 UO/m3 voire 10 fois plus. En effet, même si la plage théorique de l’appareil permet des fortes dilutions, cela signifie que son utilisation correspond aux passages d’échantillons très odorants, et par conséquent, le risque de contamination odorante de l’appareil existe, même si l’ensemble est construit avec des matériaux non-adsorbants. Les échantillons très concentrés doivent donc être dilués au préalable (il existe des sondes de dilution), et la concentration déterminée au final de l’analyse devra intégrer la pré-dilution et la dilution par l’olfactomètre. En ce qui concerne la limite basse, la valeur 1 UO/m3 correspond à la limite de perception humaine, mais les olfactomètres (qui sont conçus pour diluer) ont donc des limites. Ces appareils doivent intégrer les spécificités humaines (débit d’air à présenter aux jurés pour sentir dans des conditions permettant l’évaluation) et être compatibles avec l’ensemble du processus analytique (récupération de l’air odorant prélevé dans des sacs…). La limite de quantification à prendre en compte n’est pas seulement liée à l’équipement (olfactomètre) mais aussi aux sacs polymères contenant les atmosphères à analyser. En effet, selon les matériaux et les conditions, un sac rempli d’air pur peut ne pas être totalement inodore et présenter une odeur de quelques unités d’odeurs, d’où la précaution d’afficher la limite d’application de l’olfactométrie pour une gamme de 20-50 UO/m3, par exemple.
La norme EN 13725, qui date de 2003, est actuellement en révision (groupe de travail CEN/TC264 WG2), afin d’intégrer plus d’éléments sur la partie prélèvement des atmosphères odorantes mais aussi afin d’améliorer sa précision. À titre d’exemple, il sera possible, après une qualification des jurés au n-butanol, de requalifier ces derniers par rapport à un autre composé, afin de gagner en précision pour certaines applications. Cette norme s’applique pour les atmosphères très odorantes (forte intensité) et concerne donc principalement des échantillons prélevés au niveau des sources (rejets canalisés, tas de compost, bassins de station d’épuration…). Toutes ces sources étant des sources fixes, il sera désormais précisé dans le titre de la norme : la détermination du taux d’émission d’odeurs de sources fixes. En effet, de nombreuses réglementations ne se contentent pas de demander la concentration d’odeur, car l’impact sera dépendant de la concentration et du volume émis, ce qui nécessite de mesurer les débits d’émission.
2. La mesure de terrain pour déterminer l’exposition ou la présence d’odeur
Afin de compléter l’approche par olfactométrie dynamique, une approche par mesure de terrain dans un périmètre impacté par une ou plusieurs sources d’odeurs a été mise au point par le groupe CEN/TC264 WG27. Ainsi, les deux normes NF EN 16841-1 et NF EN 16841-2, reprises dans la collection française, et qui paraîtront très prochainement, sont intitulées « Air ambiant - Détermination de la présence d’odeurs par mesures de terrain Partie 1 : Méthode de la grille et Partie 2: Méthode du panache ». Elles décrivent deux méthodologies qui permettent aux jurés d’aller sur une zone susceptible d’être odorante et de faire des relevés pour identifier la présence d’odeur ou pas. La partie 1 décrit l’approche à l’aide d’une grille (maillage d’une zone avec des points précis) et des mesures définies sur une longue période (12 mois) et réparties sur les 24h d’une journée et les 7 jours d’une semaine. Cette approche statistique permet d’estimer une exposition aux odeurs sur la zone étudiée mais elle nécessite un investissement important des équipes de mesure (disponibilités des jurés et nombreux tours d’observation) et entraîne de fait un coût d’étude assez élevé. La figure 1 donne une illustration d’une cellule pour laquelle chaque angle a été visité 26 fois au cours d’une année par des tournées différentes (A, B, C, D). Cela signifie que les angles d’une même cellule ne font pas l’objet du même tour d’observation, et la somme des constats d’odeurs en chaque angle permet de déterminer la fréquence d’une odeur connue (usine X, par exemple) dans la cellule (13 % dans le cas ci-après). La somme des 26 constats pour chaque tour A, B, C, D conduit à 104 données par cellule, soit un équivalent de 2 constats par semaine.
Figure 1. Exemple d’une cellule de la grille avec 26 mesures à chaque angle.
Example of a grid cell with 26 measurements at each corner.
À chaque tour et chaque point, un observateur reste 10 minutes et note son impression toutes les 10 secondes (soit 6 x 10 notes de la présence ou pas d’une odeur). Ces 60 notes (observations) sont extrapolées pour correspondre à un équivalent d’une heure d’observation (avec une donnée par minute). Cette mesure individuelle compte pour une heure odorante lorsque le pourcentage de perception de l’odeur atteint ou dépasse 10 %, c’est-à-dire que l’odeur identifiable est observée au cours d’au moins six des 60 observations. Ainsi, si les 10 % sont atteints en un point sur un tour, cela compte pour 1 sur les 26 passages par ce point au cours de l’année d’étude.
La méthode ayant pour but de vérifier l’impact odorant dans un environnement, les observateurs doivent noter toutes les 10 secondes si l’air est odorant ou pas et, en cas d’odeur, s’il s’agit d’une odeur connue (usine X ou installation Y) ou si cela est lié à un mélange ou encore à une autre odeur inconnue. Cet aspect qualitatif présente un intérêt lorsque les jurés distinguent parfaitement les odeurs X et Y, car cela permet ensuite de bien comprendre la proportion d’impacts en fonction de l’origine de l’odeur. Une approche plus détaillée de cette norme a été publiée par Guillot et al. (2012). Il convient de remarquer que dans certains cas particuliers, l’étude peut être ramenée à 6 mois (en couvrant les changements saisonniers), permettant ainsi de disposer de 52 données par cellule au lieu de 104.
La partie 2 décrit la méthode du panache, qui consiste à mesurer l’étendue d’un panache odorant pour une condition météorologique. Cette opération se fait soit de manière statique avec des jurés qui se positionnent sur des perpendiculaires à la direction du vent depuis la source odorante étudiée, soit de manière dynamique en se déplaçant en zigzag de façon à rentrer puis à sortir dans la zone du panache odorant. Cette méthode permet d’avoir des éléments rapidement et pour un coût nettement plus abordable. Elle nécessite néanmoins l’installation d’une station météo au niveau de la source pour vérifier notamment les conditions de vent (vitesse, direction, variation de la direction) pendant les heures de mesure. Les jurés qui interviennent dans l’environnement sont sélectionnés comme pour l’olfactométrie (sensibilité dite normale vis-à-vis du n-butanol) et sur la capacité à distinguer l’odeur étudiée (reconnaissance de l’odeur). Cette nouvelle méthode permettra de cartographier la présence d’odeurs sous certaines conditions météorologiques, ce qui sera un réel complément par rapport aux observations de terrain faites actuellement sans une approche aussi rationnelle.
Il convient de prendre en compte que les normes NF EN 16841-1 et NF EN 16841-2 ne couvrent pas :
-
la mesure de l’intensité des odeurs ambiantes ;
-
la mesure de la qualité hédonique (caractère plaisant ou pas) des odeurs ambiantes ;
-
la mesure de l’exposition aux odeurs dans l’air ambiant sur une période plus longue dans une zone d’évaluation ;
-
le calcul du débit d’émission estimé de la source à partir d’une évaluation du panache en utilisant une modélisation de dispersion inverse.
La dispersion inverse ne faisant pas partie de la méthode normalisée, il est toutefois possible d’utiliser les données de terrain pour faire une estimation du rejet par dispersion inverse. Cette approche est donc fortement liée au modèle de dispersion utilisé et, par conséquent, les incertitudes associées à cette modélisation doivent être clairement affichées si cette approche est utilisée.
3. La mesure instrumentale des odeurs (des composés odorants)
Enfin, depuis 2015, un nouveau groupe de travail européen (WG41) a pour objectif de proposer un texte sur les appareils permettant de mesurer les composés odorants. Les techniques de mesure ciblées ne sont donc pas les mesures sensorielles avec le nez humain mais toutes celles qui peuvent fournir des informations sur les composés à l’origine de l’odeur. Cela concerne donc les capteurs spécifiques ; les assemblages de capteurs du type nez électronique ; les méthodes sélectives permettant de repérer des composés de nature odorante. La distinction entre odeurs et composés odorants reste établie, mais comme l’olfactométrie ou la mesure de terrain à l’aide de jurés ne peut avoir qu’un caractère ponctuel, les méthodes permettant de suivre des concentrations en composés odorants de manière permanente sont nécessaires pour assurer la traçabilité de la qualité de certaines atmosphères.
L’objectif du travail est donc clairement de proposer une norme pour les dispositifs de mesure en continu des composés odorants. Cette mesure en continue est impossible avec le nez humain, qui peut être utilisé ponctuellement dans les deux normes citées précédemment. Il faut donc, par la mesure et à l’aide d’appareils et d’instruments, détecter les composés (odorants) qui, s’ils étaient perçus par le nez humain, induiraient une odeur. Cela confirme le point crucial qui est de pouvoir établir des relations entre composition chimique et odeur. Cela reste un objectif ambitieux compte tenu de la différence des performances entre le nez humain et les systèmes actuellement sur le marché, même si de nombreux développements sont en cours. Ces systèmes n’ont pas toujours la sensibilité et encore moins la spécificité du nez humain vis-à-vis de nombreuses molécules. En effet, le système olfactif humain repose sur de nombreux gènes codants pour des récepteurs, et il existe au moins 400 types de récepteurs olfactifs qui envoient leurs signaux permettant un traitement de cet ensemble de données par le cerveau. Les systèmes instrumentaux de mesure restent moins performants à ce jour et, par conséquent, ne peuvent donner qu’une indication avec une précision moindre que le nez humain.
La mise en place de correspondances (validation) entre la mesure instrumentale et l’odeur doit également faire face au fait que les instruments comme les capteurs peuvent réagir à la fois à des molécules odorantes et à des molécules non odorantes. De plus, des facteurs comme l’humidité et la température peuvent avoir un impact important sur la mesure instrumentale. Enfin, il faut avoir un système mathématique performant pour combiner les informations fournies par les instruments comme dans le cas des systèmes multicapteurs (nez électroniques).
Le groupe de travail est composé de 4 sous-groupes, afin de mieux répartir le travail entre les experts.
Ces sous-groupes sont les suivants :
-
spécificités minimales pour la mesure instrumentale des odeurs ;
-
validation d’une relation entre mesure par l’instrument et l’odeur ;
-
termes et définitions ;
-
description et revue de la portée des technologies appropriées.
Cette mesure instrumentale des odeurs (composés odorants) pourra s’appliquer à :
-
l’air ambiant ;
-
l’air intérieur ;
-
l’émission ;
-
la vérification des performances de procédés de désodorisation.
Par contre, cette nouvelle norme ne fournira pas :
-
la mesure de la concentration d’odeur en ouE/m3 (mesure effectuée par olfactométrie selon la norme EN 13725) ;
-
une mesure du caractère hédonique (odeur plaisante ou déplaisante) ;
-
une évaluation directe de la nuisance.
Conclusion
Il y a donc plusieurs méthodes normalisées pour appréhender les odeurs près d’une source ou dans l’environnement. Ces approches sensorielles basées sur le nez humain ne peuvent pas permettre un suivi en continu. L’odorat étant une caractéristique humaine (et plus largement animale), ce sens peut être utilisé comme un système de mesure avec les précautions apportées par les approches normatives et en utilisant le nez humain à son niveau de limite de détection (absence/présence d’une odeur). Si une forte intensité d’odeur est perçue et, a fortiori, si elle est désagréable et fréquente, cela est susceptible d’induire des plaintes pour cause de nuisance. Cet aspect nuisance n’entre pas dans le cadre des normes de mesures, car cela implique la prise en compte de facteurs psychologiques (appréciation ou pas de l’odeur), ce qui est plus difficile de traduire dans une méthodologie. En outre, les limites acceptables en termes d’intensité ne sont pas retranscrites dans les normes, car cela fait partie de la législation, qui peut être définie au niveau national ou régional. Il ne faut donc pas confondre les méthodes de mesure qui doivent être rigoureuses (en particulier avec la variabilité d’une mesure sensorielle) et les recommandations ou réglementations qui peuvent s’appliquer en matière de mauvaises odeurs.