1. Introduction
Les dispositifs de prélèvement des émissions surfaciques ont pour objectif de mesurer les flux émis vers l’atmosphère, que les sources odorantes soient liquides ou solides. Dans cet article, seules les sources passives sont considérées. En effet, lorsqu’une source a déjà un flux (bassin d’aération, déchets ventilés…), la couverture d’une zone à l’aide d’un dispositif (hotte de prélèvement/sampling hood) permet de canaliser les émissions de la zone couverte et ainsi de prélever comme dans une veine gazeuse. Pour ces sources, les dispositifs utilisés sont semblables, même si la zone couverte peut être différente.
En matière de source passive, de nombreux pays ont développé des approches basées principalement sur deux types de dispositifs :
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les chambres à flux ou chambres à renouvellement (ou encore chambre d’isolation) ont la particularité d’utiliser des flux faibles. Elles ne doivent, en théorie, pas perturber la source, mais les mouvements d’air à l’intérieur de telles chambres sont très complexes et, par conséquent, elles permettent plutôt de créer un pseudo-équilibre entre les phases, ce qui permet de comparer des sources. Des utilisations de ces chambres sont décrites, et il est possible de citer quelques exemples (Lee et Zhang, 2008 ; Suza et al., 2012 ; Parker et al. ,2013) ;
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les systèmes dynamiques, du type tunnel à vent, ont pour vocation de simuler des conditions plus réelles d’émissions en balayant la surface avec une vitesse de vent contrôlée. Seules les faibles vitesses vont conduire à un flux laminaire, tandis que l’augmentation de cette vitesse se traduira par un régime turbulent à l’intérieur du tunnel à vent (la limite entre ces deux situations étant également liée à la géométrie du dispositif). Les tunnels à vent ont fait l’objet de différents travaux (Hales et al., 2015 ; Capelli et al., 2009 ; Leyris et al., 2005).
À titre d’exemple, les États-Unis utilisent un dispositif de chambre à flux (Chambre EPA : Environmental Protection Agency) et l’Allemagne utilise depuis quelques années un dispositif dynamique (VDI 3880, 2011). La chambre type EPA est utilisée dans de nombreux pays et par certaines équipes françaises, alors que des pays comme l’Australie ont fait de nombreux développements sur les tunnels à vent. Indépendamment du dispositif, il faut considérer que 3 principaux facteurs vont influencer l’émission dans le dispositif :
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le flux d’air (chambre à flux) ou flux, qui se traduit par la vitesse de balayage dans une chambre à flux ;
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la température de la source et la température de l’air de balayage ;
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la pression à l’intérieur du dispositif.
Ces paramètres conditionnent les équilibres et donc les transferts. Le flux est assez facilement ajustable, mais la température ne peut être que mesurée et la pression vérifiée afin d’être à pression atmosphérique (une surpression limite les émissions,et une dépression accroît le transfert). D’autres facteurs peuvent avoir un impact (humidité de l’air de balayage…), ce qui indique que ce prélèvement reste délicat.
Les relations entre le balayage de l’air et l’émission dépendent du dispositif, et cela laisse supposer des estimations différentes des taux d’émission en fonction des dispositifs (Hudson et Akoyo, 2008).
2. Matériels et méthodes
2. 1. Le site d’étude et ses sources
Le site d’étude était une plate-forme de compostage dans la moitié Nord de la France, pour laquelle les andains et les lixiviats permettaient d’étudier solides et liquides, comme l’illustrent les figures 1 et 2. Les opérations se sont déroulées sur 2 journées en début du mois d’octobre (détail des prélèvements au cours des journées au paragraphe 2.3) sous des conditions météorologiques avec un ciel couvert et de rares averses. Les variations de température au cours de la journée sont restées limitées.
Figure 1. Source solide composée d’andains avec zonage des lieux de prélèvement appropriés (après vérification de l’homogénéité par l’INERIS).
Figure 2. Source liquide correspondant au bassin de retenue des lixiviats de la plate-forme.
Liquid source corresponding to the leachate retention basin of the platform.
2. 2. Les dispositifs de prélèvement en vue de la mesure de la concentration d’odeurs
Chaque équipe participante a utilisé ses propres chambres ainsi que ses propres systèmes de prélèvement (caisson poumon) : des sacs destinés à l’analyse olfactométrique et aux analyses physico-chimiques. Les sacs (en Nalophan) étaient fournis par les laboratoires retenus pour l’analyse olfactométrique en raison de leur accréditation COFRAC. Un laboratoire a eu en charge les analyses des échantillons gazeux prélevés sur les lixiviats, l’autre les échantillons gazeux prélevés à partir du compost. Les sacs ont été remplis par chacune des équipes, selon le protocole défini pour l’essai (même temps de démarrage pour le remplissage du sac Nalophan et consigne de remplir en 10 min environ). Les analyses olfactométriques ont été réalisées conformément à la norme EN 13725.
Les sacs ont ensuite été « codés » par l’INERIS pour que la société réalisant l’analyse olfactométrique ne puisse identifier un sac et faire une relation avec un dispositif de prélèvement. Les différents systèmes de prélèvement sont présentés dans les figures 3 et 4. Il convient de noter que quelques chambres sont utilisables sur les deux types de source (avec addition de flotteurs pour la source liquide. Les dispositifs peuvent être classés en fonction des débits de balayage (flux faibles et flux forts).
Figure 3. Les dispositifs de prélèvement pour source solide (flux élevé pour dispositifs 1 à 5 ; flux faible pour dispositifs 6 à 8).
Figure 4. Les dispositifs de prélèvement pour source liquide (flux élevé pour dispositifs 1 à 6 ; flux faible pour dispositifs 7 à 9).
Sampling devices for liquid sources (high flow for devices 1 to 6; low flow for devices 7 to 9).
2. 3. Période de prélèvement
Chaque source a fait l’objet de 3 prélèvements distincts, comme cela est décrit dans le tableau 1. Afin de représenter une éventuelle évolution au cours de la journée, les trois prélèvements par source ont été réalisés le matin, à midi et au cours de l’après-midi.
Chronologie des prélèvements |
Source solide |
Source liquide |
Jour 1 : 10h |
S1 |
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Jour 1 : 12h |
S2 |
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Jour 1 : 16h |
L1 |
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Jour 2 : 10h |
L2 |
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Jour 2 : 12h |
L3 |
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Jour 2 : 15h |
S3 |
Tableau 1. Répartition des prélèvements au cours des journées.
Distribution of sampling periods.
En complément des mesures olfactométriques, des analyses physico-chimiques ont été réalisées par l’INERIS. Les hydrocarbures totaux (HCT) ont été mesurés à l’aide d’un appareil JUM109L de chez Clean Air ; l’ammoniac (NH3) a été pour sa part analysé par un appareil Omnisens, et enfin les composés soufrés réduits (TRS) ont été mesurés avec des analyseurs de chez Environnement S.A, spécifiques des composés soufrés : analyseurs modèles AF21M et AF22M.
Ces mesures ont été réalisées pour deux des trois séries de prélèvement (séries 1 et 3). Les analyseurs spécifiques cités étaient placés dans le camion laboratoire de l’INERIS, présent sur le site lors de cette étude. Les concentrations ont également été converties en débit d’émission par polluant sur le même mode de calcul qu’entre concentration d’odeur et débit d’odeur.
3. Résultats et discussion
3. 1. Source solide
Les différents résultats obtenus pour la source solide sont représentés par les figures 5 à 7. Les débits sont donnés à la fois en échelle classique et en échelle logarithmique. Pour rappel, les chambres 1 à 5 sont des chambres dynamiques, tandis que les chambres 6 à 8 sont les chambres à flux faibles. Il convient de noter que, parmi les chambres dynamiques, les flux de balayage sont assez différents.
Figure 5. Débits d’émission (échelle normale et échelle log) et concentrations en ammoniac en fonction des chambres.
Emission rates (normal scale and log scale) and ammonia concentrations depending on the chambers.
Les résultats de la figure 5 montrent que les concentrations en ammoniac sont toujours supérieures pour la série 1 (conditions d’émissions vraisemblablement plus fortes) que pour la série 3. Les concentrations varient globalement d’un facteur 1 à 5, même si les chambres et leur utilisation diffèrent. Par contre, les écarts augmentent lorsque le débit est calculé, ce qui démontre que le dispositif et son mode d’utilisation ont un impact important sur le résultat.
Figure 6. Débits d’émission (échelle normale et échelle log) et concentrations en hydrocarbures totaux en fonction des chambres.
Emission rates (normal scale and log scale) and total hydrocarbon concentrations depending on the chambers.
Les résultats de la figure 6 montrent que les concentrations en hydrocarbures sont toujours plus grandes pour la série 3 que pour la série 1, contrairement au cas de l’ammoniac, ce qui tend à démontrer que l’émission de ces composés ne subit pas les mêmes influences. Les concentrations varient essentiellement en fonction du type de chambre. Les chambres à flux faible concentrent plus les composés, comme le montrent les valeurs de concentration.
Figure 7. Débits d’émission (échelle normale et échelle log) et concentrations en composés soufrés réduits en fonction des chambres.
Emission rates (normal scale and log scale) and concentrations of reduced sulfur compounds depending on the chambers.
Les résultats de la figure 7 montrent que les concentrations en composés soufrés sont environ 1 000 fois inférieures aux concentrations en ammoniac et en hydrocarbures. Les différences de concentration entre séries ne sont pas significativement différentes. Ce caractère non significatif des différences est en partie expliqué par des niveaux de concentrations faibles, pour lesquels les simples variations expérimentales sont susceptibles d’expliquer les différences mesurées. La figure 8 montre que les concentrations en odeurs sont assez répétables pour chaque chambre, puisque les variations entre séries sont limitées. Les écarts entre les types de chambres ne sont pas trop marqués (en général moins d’un facteur 10). Par contre, une fois encore, le calcul des débits d’émission fait fortement augmenter les différences au lieu de les combler. Cet écart s’exprime très nettement entre type de chambre (flux faible du type chambre d’isolation ou flux élevé du type tunnel à vent).
Les écarts entre types de chambres sont connus et recensés (facteur 10 à 100) dans différentes études, mais le programme CODIPESO montre, par cette figure, qu’en fonction du choix du dispositif, le débit d’odeur calculé peut varier d’un facteur supérieur à 100 voire un facteur 1 000. Il est donc évident de considérer à ce jour tout résultat avec la plus grande prudence, car il est difficile de dire quelle est la valeur la plus proche de la réalité.
Figure 8. Débits d’odeur et concentrations en odeurs en fonction des chambres.
Odour flows and odour concentrations depending on the chambers.
Les variations de concentrations d’odeurs sont en partie corrélées avec les émissions d’hydrocarbures et d’ammoniac. Les faibles émissions du compost en composés soufrés ne permettent pas d’afficher un rôle significatif de ces composés dans la tendance des émissions odorantes mesurées.
3. 2. Source liquide
Les différents résultats obtenus pour la source liquide sont représentés par les figures 9 à 11.
Certaines chambres sont identiques en géométrie à celles utilisées sur le solide, et d’autres sont spécifiques.
Figure 9. Débits d’émission (échelle normale et échelle log) et concentrations en ammoniac en fonction des chambres.
Emission rates (normal scale and log scale) and ammonia concentrations depending on the chambers.
Les résultats de la figure 9 montrent que les concentrations en ammoniac sont toujours supérieures pour la série 1 comparativement à la série 3. Les concentrations varient globalement d’un facteur 1 à 10.
Figure 10. Débits d’émission (échelle normale et échelle log) et concentrations en hydrocarbures totaux en fonction des chambres.
Emission rates (normal scale and log scale) and total hydrocarbon concentrations depending on the chambers.
Les résultats de la figure 10 montrent que les concentrations en hydrocarbures sont assez semblables pour les chambres dynamiques (entre séries et entre chambres). Deux des trois chambres à faible flux ont le même comportement, et une diverge, mais cela se trouve corrigé par le débit puisque le débit d’émission en hydrocarbures est assez proche pour les trois chambres à faible flux. Les chambres avec les plus forts flux se retrouvent avec des débits en hydrocarbures très élevés.
Figure 11. Débits d’émission (échelle normale et échelle log) et concentrations en composés soufrés réduits en fonction des chambres.
Emission rates (normal scale and log scale) and concentrations of reduced sulfur compounds depending on the chambers.
Les résultats des débits en composés soufrés montrent une répétabilité entre les deux séries (série 1 et série 3). Les chambres à flux faibles sont assez homogènes et donnent des résultats relativement similaires avec quelques chambres dynamiques, sans confirmer pour autant toutes les tendances observées entre chambres pour les autres polluants chimiques émis par la source liquide. Les concentrations les plus faibles sont observées pour les chambres à flux élevé en raison d’une dilution engendrée par ce débit plus important.
Figure 12. Débits d’odeur et concentrations en odeurs en fonction des chambres.
Odour flows and odour concentrations depending on the chambers.
Les résultats de la figure 12 montrent que les concentrations en odeurs sont assez différentes entre les systèmes dynamiques et les systèmes à flux faible. Pour des systèmes à flux faible, les écarts entre chambres peuvent être également importants. Par contre, la répétabilité entre séries est assez bonne et en tout cas acceptable pour ce genre de prélèvement soumis à des variations de l’émission en fonction du temps, de la météo…
Dans le cas de la source liquide, il n’y a pas de corrélation entre odeurs et niveau d’ammoniac mais, par contre, les composés soufrés et les hydrocarbures semblent montrer des évolutions plus semblables.
En théorie, si le système ne perturbe pas trop l’émission, le débit d’odeurs devrait être proche entre les dispositifs. En effet, un faible débit peut entraîner une accumulation et une concentration élevée qui, multipliée par un débit faible, donne un débit d’odeur moyen. Dans le cas contraire, le fort balayage peut diluer l’émission et conduire à une concentration faible, ce qui, avec le débit élevé, devrait également conduire à un débit d’odeur moyen.
Comme cela n’est pas observé, les phénomènes de transfert semblent donc empêcher une interprétation simple. En effet, le faible débit de balayage conduit à des concentrations plus élevées dans la chambre, et cette accumulation peut, pour certains composés, être ensuite une limitation du transfert liquide/gaz. À l’inverse, un fort débit de balayage ne joue pas uniquement sur la dilution de l’émission mais peut faciliter les émissions, en déplaçant les équilibres liquide/gaz au-dessus d’une surface. La figure 13 illustre cette complexité avec quelques chambres.
Figure 13. Débits d’odeur en fonction du flux de balayage de quelques chambres dynamiques.
Odour rates depending on the sweeping flow of few dynamic chambers.
La figure 13 montre bien que, pour la source considérée, les forts débits de balayage influencent fortement la valeur du débit d’odeurs. Cette augmentation n’est aucunement compensée par une dilution de l’émission, qui abaisse généralement les concentrations. Cela semble signifier que le balayage augmente le transfert des composés depuis la source et donc que les composés très volatils sont importants dans la composition de l’odeur globale. En effet, des composés peu volatils ne subiraient pas une influence aussi importante. Afin de ne pas avoir des valeurs de débits d’odeurs qui pourraient être très importantes et totalement dépendantes de la vitesse de balayage, il semble nécessaire de rester dans des valeurs de balayage assez faibles.
4. Conclusion
Cette étude a confirmé la tendance connue, c’est-à-dire que les dispositifs utilisés conditionnent fortement le résultat. Pour la même source, le même instantde prélèvement et une analyse faite dans les mêmes conditions, la variabilité observée montre l’impact du dispositif sur les conditions d’émission. Compte tenu de la diversité des dispositifs, le besoin d’aller vers une uniformisation du prélèvement est donc clairement établi. Les dispositifs de type chambre à flux ou chambre d’isolation ne permettent pas de connaître facilement l’écoulement interne, ce qui oriente préférentiellement vers les dispositifs de type à vent. Par contre, si, en théorie, ces dispositifs pourraient être susceptibles de mieux reproduire des conditions extérieures (balayage d’une surface par le vent), ils doivent être utilisés avec des vitesses de balayage assez faibles. Les forts débits peuvent, d’une part, parfois induire une forte dilution et donc l’absence de résultat et, d’autre part, en cas d’une concentration d’odeur mesurable, fournir des débits d’odeurs très élevés. La version révisée de la norme européenne EN13725 devrait donner des indications pour réaliser les prélèvements surfaciques en limitant la divergence des dispositifs de prélèvement et donc des résultats.
Remerciements
Les auteurs remercient l’ADEME pour le financement de l’étude CODIPESO (Comparaison des Dispositifs de Prélèvement des Émissions Surfaciques Odorantes). Ce projet CODIPESO, piloté par l’INERIS, L’IRSN et l’École des mines d’Alès, a permis de financer les essais et les analyses. Les auteurs remercient également tous les participants au groupe de travail Afnor sur les prélèvements surfaciques, et en particulier les équipes présentes à côté des trois pilotes de l’étude : Aroma, Burgeap, Cemagref (Irstea), Guigues-environnement (EGIS), TOTAL, Véolia (VERI). Enfin, tous les participants remercient le site de compostage, qui a permis un accès dans de bonnes conditions pour cette étude.