1. Quelques considérations sur inégalités environnementales, inégalités sociales de santé et pollution atmosphérique
Les effets de la pollution atmosphérique sur la santé des populations sont de mieux en mieux documentés (Dominici, Daniels et al., 2002 ; Bell, Dominici et al., 2005 ; Anderson, Thundiyil et al. 2012). Cependant, ces effets sont loin d’être distribués équitablement au sein des différents sous-groupes d’une population. De nombreuses études ont pu mettre en évidence l’existence d’un gradient socio-économique en lien avec l’exposition à la pollution atmosphérique et ses effets. Ce phénomène est souvent lié soit à la notion d’inégalités environnementales (O’Neill, Jerrett et al., 2003 ; Forastiere, Stafoggia et al., 2007 ; Cruickshank, Bains et al., 2016) soit à la notion d’injustice environnementale (Morello-Frosch, Pastor et al., 2001 ; Mitchell and Dorling, 2003 ; Mohai, Pellow et al., 2009). Bien que les notions d’inégalité environnementale et d’injustice environnementale soient parfois utilisées sans distinction, des différences existent pourtant entre ces deux notions. Le concept de justice est normatif, dans la mesure où il implique des jugements de valeur qui peuvent varier selon le contexte géographique et/ou historique. En parallèle, la notion d’égalité (au sens mathématique du terme) renvoie plutôt à des mesures empiriques qui peuvent se comparer entre différents endroits et à différentes périodes. Dans cet article, la notion d’inégalité sera utilisée, mais il est important de garder à l’esprit les distinctions sémantiques existantes à ce sujet, car elles ont une implication concrète vis-à-vis de la formulation de politiques publiques (Clark, Millet et al., 2014 ; Marshall, Swor et al., 2014).
2. Survol de la littérature internationale et française au sujet des inégalités environnementales en lien avec la pollution atmosphérique
Dans la littérature portant sur les inégalités environnementales en lien avec une exposition aux polluants atmosphériques, il existe deux phénomènes, non exclusifs, qui ont été mis en évidence : i) les inégalités en termes d’exposition et ii) les inégalités en termes de vulnérabilité (ou de susceptibilité). Plusieurs revues de littérature ont été consacrées à ce sujet (Deguen, Zmirou-Navier, 2010 ; Hajat, Hsia et al., 2015 ; Rodriguez-Villamizar, Berney et al., 2016).
Premièrement, les populations socio-économiquement défavorisées seraient exposées à des concentrations de polluants atmosphériques plus élevées. Par exemple, plusieurs études à travers le monde ont montré que les populations vivant dans des quartiers plus défavorisés étaient exposées à des niveaux plus importants de particules (PM10 ou PM2,5) (Su, Larson et al., 2010 ; Bell and Ebisu, 2012) ou de NO2 (représentant souvent l’exposition aux émissions liées au trafic urbain) (Clark, Millet et al., 2014). Toutefois, quelques études ont mis en évidence que, parfois, le gradient social était inversé vis-à-vis de l’exposition à certains polluants atmosphériques en milieu urbain comme l’ozone, que ce soit en Amérique du Nord (Gray, Edwards et al., 2013) ou en Europe (Deguen, Zmirou-Navier, 2010), dans la mesure où les populations vivant dans les quartiers les plus favorisés pouvaient être plus exposées. Ces différences tiennent à l’histoire, à la topographie et à la sociologie propres à chaque zone, mais l’objectif de l’article n’est pas de détailler ces aspects.
Deuxièmement, il a été également mis en évidence que les populations défavorisées étaient plus vulnérables aux effets sanitaires de la pollution atmosphérique que des populations favorisées. Autrement dit, si deux populations sont exposées aux mêmes niveaux de pollution, alors la population la plus défavorisée sera davantage impactée par cette exposition en lien avec une accumulation d’autres déterminants sociaux de la santé (Bell, Dominici, 2008). Ce phénomène fait référence à la notion d’hétérogénéité de l’effet en épidémiologie, dans la mesure où l’augmentation d’une unité de concentration (e.g. µg/m3) de PM2,5, par exemple, sera associée à une augmentation de risque d’un évènement sanitaire donné plus importante dans un groupe comparativement à un autre groupe.
La figure 1 ci-dessous représente un exemple hypothétique dans lequel on peut observer l’augmentation linéaire du risque d’hospitalisation en fonction du niveau d’exposition journalier aux PM2,5 pour deux groupes : i) les personnes vivant dans un quartier pauvre et ii) les personnes vivant dans un quartier riche. On peut notamment observer que le risque d’hospitalisation augmente en fonction du niveau d’exposition aux PM2,5 chez les deux groupes, mais que cette augmentation est plus importante au sein des quartiers pauvres. Par exemple, pour une augmentation de 10 µg/m3 de PM2,5, il y aura une augmentation d’approximativement 5 cas d’hospitalisations chez les quartiers pauvres et 3 cas chez les quartiers riches.
Figure 1. Relation entre la concentration en PM2,5 et le risque d’hospitalisation, selon la richesse du quartier de résidence.
Relationship between PM2,5 and hospital admission risk according to the neighborhood-level income.
En France, plusieurs études ont pu montrer que des inégalités d’expositions à la pollution atmosphérique en milieu urbain en fonction du niveau socio-économique existent (Laurent, Bard et al., 2007 ; Deguen, Lalloue et al., 2010 ; Benmarhnia, Oulhote et al., 2014 ; Padilla, Kihal-Talantikite et al., 2014 ; Deguen, Petit et al., 2015). Des études ont aussi montré que les communes les plus pauvres étaient exposées à des émissions industrielles plus importantes, comme celles liées aux incinérateurs (Schwarz, Benmarhnia et al., 2015). En parallèle, il a été mis en évidence dans de nombreux contextes en France que des inégalités en termes de vulnérabilité existaient, et ce pour plusieurs évènements sanitaires, comme l’infarctus du myocarde (Deguen, Lalloue et al., 2010), ou encore vis-à-vis d’une mortalité prématurée (Laurent, Bard et al., 2007).
La mise en évidence de ces inégalités environnementales est particulièrement fondamentale dans la mesure où ces dernières vont se manifester sous la forme d’inégalités de santé. Il est ainsi important de considérer ces deux phénomènes ainsi que leurs interactions dans la formulation de politiques publiques visant à réduire les niveaux de polluants atmosphériques, principalement dans les milieux urbains.
3. Équité et politiques publiques de lutte contre la pollution atmosphérique en milieu urbain
De nombreuses politiques publiques visant à réduire les concentrations de différents polluants atmosphériques en milieu urbain ont été mises en place dans les deux dernières décennies. Ces interventions peuvent être classifiées selon leur niveau d’action, qu’il soit vis-à-vis de la réglementation au niveau des sources d’émissions, de la réduction des niveaux d’émissions elle-même, de la répartition spatiale des concentrations ou de la réduction de l’exposition des populations, par exemple (Henschel, Atkinson et al., 2012 ; Giles, Barn et al., 2015).
Plusieurs études se sont intéressées à l’évaluation des effets de ce type de politique publique sur la santé des populations (voir l’article de Segala et Duchesne et l’article de Host et Duchesne de ce numéro). Cependant, la distribution des bénéfices potentiels de ce type de politique publique en fonction de différentes populations ou territoires est beaucoup moins documentée.
Cet aspect fait référence à la notion d’équité en santé. Il est important de préciser qu’il existe une grande diversité dans les définitions de la notion d’équité en santé, et de telles implications ont été amplement discutées dans la littérature. Ici nous adoptons une définition de l’équité en santé qui fait référence à la distribution des bénéfices des politiques publiques. Nous définissons l’équité des effets d’une intervention en fonction de l’identification d’une hétérogénéité dans les bénéfices potentiels entre différents sous-groupes ou territoires d’une population. Une intervention sera ainsi considérée comme équitable si les bénéfices sont plus importants au sein des sous-groupes ou territoires, qui seront soit : i) plus exposés, ou ii) plus vulnérables aux effets de la pollution ou iii) les deux à la fois.
L’équité en santé est largement identifiée comme un objectif auquel les politiques et activités de santé publique doivent répondre en priorité. Pourtant, très peu d’études se sont penchées précisément sur la question de la distribution des bénéfices potentiels des interventions de lutte contre la pollution atmosphérique. Dans une revue systématique publiée en 2014 (Benmarhnia, Rey et al., 2014), sur 54 études recensées qui visaient à évaluer les effets de différentes interventions de lutte contre la pollution atmosphérique, seulement 8 ont évalué l’équité dans les bénéfices des interventions évaluées. De plus, les conclusions étaient peu concluantes pour la plupart de ces 8 études, dans la mesure où certaines études montraient une réduction des inégalités de santé, alors que d’autres non. De plus, ces études étaient très diverses en termes de type d’interventions, de population d’étude et de méthodologies employées. Enfin, il a pu être mis en évidence de nombreux problèmes méthodologiques au sein de ces études. Depuis, quelques études (Mitchell, Norman et al., 2015 ; Flacke, Schüle et al., 2016) ont été publiées, qui incluent l’évaluation de l’équité dans les bénéfices des interventions de lutte contre la pollution atmosphérique, mais le constat général demeure le même. Ainsi, il est raisonnable de conclure qu’il est difficile aujourd’hui de statuer sur le caractère équitable de ce type d’interventions. Pourtant, étant donné le rôle potentiellement important des inégalités environnementales en lien avec la pollution atmosphérique vis-à-vis des inégalités sociales de santé, la prise en compte de cet aspect apparaît essentielle dans le futur.
Les politiques publiques visant à réduire les concentrations de polluants atmosphériques en milieu urbain peuvent permettre de réduire les inégalités environnementales en lien avec la pollution atmosphérique via plusieurs approches. Dans un article publié en 2015 par Cartier et al. (Cartier, Benmarhnia et al., 2015), un modèle logique a été proposé afin de détailler comment une politique publique pouvait intégrer ces enjeux. Dans cet article, sont détaillées les actions sur des facteurs modifiables, qui peuvent permettre ou non de réduire ce type d’inégalités environnementales tout en attirant l’attention sur les conséquences non attendues d’une intervention de ce type sur l’augmentation des inégalités (i.e. exemple BIXI à Montréal, QC).
4. Exemples de considération de l’équité dans la réduction des émissions liées au trafic
Pour illustrer les différentes configurations possibles vis-à-vis de cette notion d’équité dans une politique publique visant à réduire les émissions de polluants atmosphériques, est proposé ci-dessous un exemple vis-à-vis de la réduction des émissions liées au trafic automobile (ici PM2,5) dans une ville hypothétique. Pour simplifier l’exemple, seront considérés deux types de quartiers (i.e. pauvres et riches) avec des populations homogènes au sein de ces quartiers. On considère également pour simplifier que les concentrations de PM2,5 sont similaires sur toute la ville avant la mise en place de l’intervention.
On considère deux types d’approches pour réduire les émissions liées au trafic automobile : i) une approche qui réduit la concentration de manière homogène sur toute la ville ; ii) une approche qui réduit la concentration de manière hétérogène selon les territoires de la ville.
4.1. Réduction homogène des concentrations de PM2,5
Supposons une intervention dans une ville qui réduira les concentrations de PM2,5 de manière parfaitement égale sur tous les territoires de la ville. Cela peut notamment faire référence à une règlementation visant à interdire certains polluants dans l’ensemble de la ville (Jones, Harrison et al., 2012 ; Kuhlbusch, Quass et al., 2013) ou la mise en place d’une limitation du niveau d’émission pour tous les véhicules. Supposons, par exemple, une réduction de 5 µg/m3 de PM2,5 sur tous les territoires. Si l’on reprend la situation présentée en figure 1, cette configuration conduira logiquement à des bénéfices plus importants chez les quartiers les plus pauvres par rapport aux quartiers les plus riches. Dans la figure 2 ci-dessous, cette configuration est illustrée. On voit bien qu’une telle intervention sera plus bénéfique aux quartiers pauvres et sera donc considérée comme équitable, quelle que soit l’ampleur de la réduction ou le niveau de concentration avant l’intervention. Par exemple, pour une réduction de 5µg/m3 de PM2,5, il y aurait une réduction en moyenne de 2,5 cas d’hospitalisations chez les quartiers pauvres et 1,5 cas chez les quartiers riches.
Figure 2. Illustration d’une intervention réduisant les concentrations de PM2,5 de manière homogène.
Representation of an intervention reducing homogenously PM2,5 levels.
4.2. Réduction hétérogène des concentrations de PM2,5
Considérons maintenant une configuration distincte dans laquelle la réduction des concentrations de PM2,5 se fera de manière hétérogène selon les territoires de la ville. Ici, cela pourra faire référence notamment à l’interdiction ou la limitation de circulation sur certains territoires de la ville, comme la mise en place d’une zone de circulation restreinte, par exemple (Jones, Harrison et al., 2012 ; Ellison, Greaves et al., 2013 ; Panteliadis, Strak et al., 2014). Ici, il est nécessaire d’introduire un niveau supplémentaire de complexité, dans la mesure où une restriction de circulation dans un territoire donné pourra conduire à un déplacement de la circulation sur d’autres territoires, tel un processus de compensation.
Sans processus de compensation, c’est-à-dire que la restriction de circulation se traduit simplement par une réduction pure du trafic sur toute la ville, la situation est relativement simple. Si la zone de circulation restreinte est mise en place dans un quartier riche, alors la réduction de PM2,5 se fera uniquement localement dans ces quartiers-là, et l’intervention sera considérée comme non équitable car elle aura contribué à augmenter les inégalités sociales de santé associées aux émissions liées au trafic automobile. Si la zone de circulation restreinte est mise en place dans un quartier pauvre, alors ce sera la situation inverse, et l’intervention sera considérée comme équitable.
Si des processus de compensation apparaissent suite à la mise en place d’une zone de circulation restreinte via, par exemple, un contournement de cette zone lié au fait qu’en parallèle de la réduction du trafic au sein de la zone d’intervention, on observe une augmentation du trafic dans les territoires l’entourant, la situation sera plus complexe.
Premièrement, si la zone de circulation restreinte est mise en place dans un quartier pauvre et que la compensation s’opère dans un quartier riche, alors le caractère équitable de l’intervention sera établi en fonction de la différence en termes du nombre d’habitants dans les différents quartiers. Par exemple, tel que cela est présenté dans la figure 1, nous avons vu que pour une augmentation de 10 µg/m3 de PM2,5, il y aura une augmentation d’approximativement 5 cas d’hospitalisations chez les quartiers pauvres et 3 cas chez les quartiers riches. Ainsi, si la population entre les deux types de quartiers impactés par l’intervention est égale, alors l’intervention sera plus bénéfique dans l’ensemble, et notamment pour les quartiers les plus pauvres. En effet, il y aura 5 cas évités au sein du quartier pauvre, et 3 cas supplémentaires dans le quartier riche (dû au phénomène de compensation) avec, au total, 2 cas évités sur toute la ville grâce à l’intervention. Par contre, si la population vivant dans le quartier riche est deux fois plus importante que dans le quartier pauvre, alors au total l’intervention contribuera à augmenter le fardeau total lié à l’exposition aux PM2,5 de 1 cas, bien que les inégalités sociales soient réduites.
Deuxièmement, si la zone de circulation restreinte est mise en place dans un quartier riche et que la compensation s’opère dans un quartier pauvre, il y aura systématiquement une augmentation des inégalités sociales de santé en lien avec l’exposition aux PM2,5 due au trafic automobile. De plus, le fardeau global (sur la population totale) sera systématiquement défavorable, à moins que la population dans les quartiers riches soit disproportionnellement plus grande que dans les quartiers pauvres dans lesquels les phénomènes de compensation s’opèrent. Ainsi, dans ce type de configuration, en plus du caractère inéquitable de l’intervention, il sera très probable que l’intervention conduise à une augmentation du fardeau global en lien avec l’exposition aux PM2,5 due au trafic automobile.
Ces exemples, bien que délibérément simplistes, permettent d’illustrer la diversité des configurations possibles lors de la mise en place de ce type d’intervention vis-à-vis de la prise en compte de la notion d’équité, afin d’avoir à l’esprit les enjeux qui y sont associés. Cela permet d’illustrer également la nécessité de prendre en compte les phénomènes de compensation qui peuvent survenir suite à la mise en place d’une intervention de ce type. Par exemple, si l’on considère une intervention visant à réduire la densité du trafic automobile dans un territoire donné, il sera primordial de planifier des mécanismes permettant de considérer cet aspect, via le renforcement ciblé de l’offre de système de transport public, par exemple.
5. Conclusion
Dans cet article, le premier objectif était de décrire la notion d’inégalités environnementales en lien avec la pollution atmosphérique et comment ces dernières peuvent conduire à des inégalités sociales de santé. Un deuxième objectif était d’introduire la notion d’équité vis-à-vis des politiques publiques visant à réduire les concentrations de différents polluants atmosphériques en milieu urbain. Ces interventions ont un potentiel important pour réduire les inégalités sociales de santé étant donné le fardeau sanitaire important lié à la pollution atmosphérique en général et l’ampleur des inégalités (notamment en termes de vulnérabilité) y étant associées. Pourtant, bien que la prise en compte de cette notion soit loin d’être évidente, elle apparaît essentielle. Au travers d’exemples simples, il a été mis en évidence comment des interventions pouvaient augmenter les inégalités sociales de santé si la problématique des inégalités environnementales n’est pas identifiée en amont. Il a même été mis en évidence que, dans certains cas, il est possible, à cause des inégalités de vulnérabilité préexistantes, qu’une intervention conduise à augmenter, en plus des inégalités sociales de santé, le fardeau global en lien avec la pollution atmosphérique, en comparaison à une situation dans laquelle aucune intervention n’est mise en place.


