1. Introduction
Les études épidémiologiques et toxicologiques ainsi que les évaluations de risques ou d’impacts sanitaires sont, dans la grande majorité des cas, réalisées pour une substance donnée ou pour un facteur de risque environnemental donné, avec les erreurs, les approximations et les incertitudes intrinsèques à ces méthodes. Pourtant, les populations sont exposées à des agents physiques, chimiques ou biologiques multiples, issus de sources multiples. Ces agents entraînent des effets multiples, indépendants, synergiques, voire antagonistes. Ils agissent localement ou au niveau systémique, sur des organes cibles multiples, selon des voies d’exposition multiples, de manière aiguë ou chronique, consécutive ou simultanée.
Les effets de ces expositions multiples sont l’objet d’une préoccupation croissante ; pourtant, les études (et par conséquent les données) s’y intéressant sont encore rares, en particulier en raison de la grande complexité associée à cette multiplicité d’agents, de sources, d’effets et d’expositions.
Dans la littérature, cette multiplicité est désignée, selon le contexte, par les termes de multiexposition, coexposition, mélange, cocktail ou encore combinaison, sans qu’il y ait de réel consensus sur la définition de ces différents termes.
Le terme « mélange » fait quant à lui référence à un mélange de substances chimiques. C’est le cas, par exemple, de la pollution atmosphérique. Le terme « expositions multiples » est utilisé pour désigner de façon générique l’ensemble de ces cas d’exposition à plusieurs facteurs.
Les publications portant sur le bruit emploient fréquemment le terme « multiexposition » pour désigner l’exposition à plusieurs sources (de bruit) différentes, puis le terme « coexposition » pour désigner l’exposition simultanée au bruit et à d’autres facteurs de risque sanitaires tels que des substances chimiques ou encore la température. Cette dernière définition est ainsi utilisée dans le présent article puisque nous parlerons de coexposition au bruit et à la pollution atmosphérique.
Il est établi que le trafic routier est la principale source de nuisances et de pollution environnementales2 en ville, principal responsable de la pollution atmosphérique (émissions de gaz d’échappements, usure des pneus, revêtements routiers et plaquettes de frein) et du bruit (motorisation et frottement du véhicule sur la route) . La population urbaine représente plus de la moitié de la population mondiale, 78 % de la population des pays développés, 86 % de la population française . Au vu de ces chiffres, il n’est pas surprenant que la pollution atmosphérique et le bruit soient les deux principaux facteurs de risques environnementaux et les deux principaux responsables de la charge de morbidité environnementale en Europe .
Il est également reconnu que le bruit et la pollution atmosphérique sont des facteurs de risque de maladie cardio-vasculaire (Ostro, 2004 ; WHO, 2011). Les risques associés à ces deux facteurs considérés individuellement sont relativement faibles (dans ses calculs d’Environmental Burden of Disease, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a retenu des valeurs de risque relatif inférieures à 1,5 ([0,6-1,5] pour une augmentation de 10 µg/m3 de PM10) (Ostro, 2004 ; WHO, 2011). Mais, à l’échelle des populations qui y sont exposées simultanément, durant leur vie entière, ils posent un problème de santé publique de premier plan, d’autant plus que les maladies cardio-vasculaires sont la première cause de mortalité dans le monde, provoquant 17,3 millions de décès chaque année (WHO, 2011). Une perte d’espérance de vie de 1,8 à 3,1 années pour les personnes vivant dans les villes les plus polluées des États-Unis a été estimée, les effets cardio-vasculaires y représentant une forte majorité des excès de cas de mortalité et de morbidité (Pope, 2000).
Les effets sanitaires de l’exposition à la pollution atmosphérique ou au bruit sont étudiés séparément depuis plus d’un demi-siècle (Brook, Rajagopalan et al., 2010 ; Babisch, 2011), mais la réflexion sur leurs effets conjoints, en particulier sur les maladies cardio-vasculaires, ne date que du début des années 2000. Elle est issue du constat suivant : le trafic routier étant source à la fois de pollution et de bruit, ces deux facteurs ayant des effets cardio-vasculaires, il est probable que le bruit puisse agir comme un facteur de confusion dans les études sur les associations entre la pollution atmosphérique et les maladies cardio-vasculaires, et inversement. Pourtant, jusqu’à récemment, la coexposition à l’autre facteur n’était pas prise en compte dans les études portant sur les effets sanitaires de la pollution atmosphérique ou du bruit.
Les impacts sanitaires de la coexposition au bruit, à la pollution atmosphérique et aux produits chimiques suscitent l’intérêt croissant de plusieurs organes de la Commission européenne, en particulier dans le cadre du septième programme-cadre pour la recherche et le développement technologique, qui s’étend de 2007 à 2013 (CORDIS, service communautaire d’information sur la recherche et le développement). En janvier 2007, un workshop réunissant des experts de douze pays européens et des États-Unis a été organisé en Italie à l’initiative de plusieurs organes de la Commission européenne, en collaboration avec l’OMS, sur le thème des coexpositions environnementales bruit, polluants atmosphériques et produits chimiques (2007). L’objectif était de faire un état des lieux des connaissances scientifiques des effets de la coexposition au bruit et à d’autres agents (en particulier la pollution atmosphérique et la pollution de l’air intérieur), d’identifier les besoins en termes de recherche et de donner des recommandations de gestion à la Communauté européenne. Lors de ce workshop, les effets cardio-vasculaires du bruit et de la pollution atmosphérique, en particulier liés à l’exposition au trafic routier, ont été largement abordés. Les risques de confusion évoqués ci-dessus ont été soulevés, ainsi que la difficulté qui en découle, à savoir celle de dissocier les effets du bruit de ceux de la pollution atmosphérique dans les études où la population est soumise à cette coexposition (ce qui représente une grande partie de la population urbaine). Le nombre restreint d’études sur cette coexposition a également été souligné, ainsi que le fait que les études sur les effets du bruit ou de la pollution ignorent bien souvent les effets de l’autre facteur. Certaines études récentes ont relevé la confusion potentielle sans toutefois tenter d’ajuster leurs résultats . Les aspects méthodologiques liés à la prise en compte de l’exposition aux deux facteurs ont aussi été abordés (Pierik, De Kluizenaar et al., 2007). Le besoin de nouvelles études épidémiologiques conçues dans l’objectif de dissocier les effets du bruit de ceux de la pollution, ainsi que la nécessité d’une meilleure compréhension des mécanismes d’action de ces deux facteurs environnementaux sur le système cardio-vasculaire sont à souligner.
Méthode
Afin de procéder à un état des lieux des connaissances sur les impacts sanitaires liés à la coexposition au bruit et à la pollution atmosphérique, une revue systématique de la littérature a été réalisée. Trente-sept articles originaux et quatre synthèses ont ainsi été analysés.
2. Résultats : effets cardio-vasculaires du bruit et de la pollution atmosphérique
2.1. Les effets du bruit
Les liens entre exposition au bruit et maladies cardio-vasculaires sont étudiés depuis plusieurs dizaines d’années, et suffisamment de données ont été accumulées pour que la « force de la preuve »3 permette de conclure à l’existence d’un lien de causalité entre l’exposition au bruit et certaines pathologies cardio-vasculaires. Des mécanismes biologiques plausibles ont été identifiés et, malgré les incertitudes, les associations mises à jour par les nombreuses études épidémiologiques sont cohérentes et des méta-analyses ont permis d’établir des courbes exposition-réponse (Babisch, 2011 ; Davies et Kamp, 2012 ; WHO, 2011).
L’exposition à long terme au bruit des avions peut également être liée à des effets métaboliques, en particulier l’augmentation du tour de taille (Eriksson, Hilding et al., 2014).
Le bruit atteint prioritairement l’aire cérébrale auditive, mais il semblerait qu’il affecte également le système nerveux autonome et le système endocrinien, directement par promiscuité et indirectement par un mécanisme de stress. Cette chaîne de réactions affecte l’homéostasie de l’organisme, favorisant le développement de désordres tels que l’hypertension, l’artériosclérose et les maladies ischémiques, en particulier l’infarctus du myocarde (Babisch, 2011 ; Münzel, Sørensen et al., 2017).
Le bruit, dans certaines conditions, peut devenir un facteur de stress émotionnel pour l’organisme. La nuit, en perturbant le sommeil, et par conséquence la synchronisation des différents rythmes biologiques qui jouent un rôle important dans les phénomènes d’adaptation, le bruit peut devenir un facteur de stress chronobiologique4. Des études en laboratoire ont montré des changements dans la circulation sanguine, la pression artérielle et la fréquence cardiaque en réaction à des stimuli sonores, ainsi que les augmentations dans la libération d’hormones de stress, l’adrénaline, la noradrénaline et le cortisol (Maschke et Hecht, 2007).
Figure 1. Les effets du bruit sur la santé, dont les maladies cardio-vasculaires.
The noise effects on cardiovascular diseases.
Source : d’après OMS, 2017 ; Pershagen 2017.
2.2. Les effets de la pollution atmosphérique
De la même manière, les études épidémiologiques conduites depuis plus d’un demi-siècle sur ce sujet ont montré que l’exposition à la pollution atmosphérique est associée à l’apparition de pathologies cardio-vasculaires. Ce sont essentiellement les particules, notamment fines (PM2.5) et ultrafines (UFP), qui sont responsables de ces effets. L’exposition, aussi bien à long terme qu’à court terme, à la pollution atmosphérique est associée à la mortalité cardio-vasculaire. La mortalité associée à une élévation ponctuelle de la concentration de particules est bien une réelle augmentation de mortalité, et non pas uniquement une anticipation de mortalité de quelques jours. Les particules sont également incriminées dans la survenue de maladies ischémiques, l’arythmie, l’athérosclérose, l’hypertension (Brook, Franklin et al., 2004, Pope, 2007).
Figure 2. Les effets de la pollution atmosphérique sur les maladies cardio-vasculaires.
The air pollution effects on cardiovascular diseases.
Source : Brook, Franklin et al., 2004.
En traversant l’épithélium pulmonaire et en passant dans la circulation sanguine, les particules auraient un effet direct sur le système cardio-vasculaire et le sang. En interagissant avec les récepteurs pulmonaires, elles perturberaient le système nerveux autonome, ce qui pourrait contribuer à l’instabilité de la plaque vasculaire ou provoquer une arythmie cardiaque (Münzel, Sørensen et al., 2017). Ces effets expliqueraient la rapidité des réponses cardio-vasculaires observées (telles que l’infarctus du myocarde). Les particules ont également des effets indirects chroniques via le processus inflammatoire initié par l’inhalation de particules dans les poumons. Ce processus peut avoir des effets sur la coagulation du sang, ce qui peut favoriser la formation de thromboses et promouvoir les événements ischémiques. Il peut également être à l’origine d’un stress oxydatif, conséquence de la formation de radicaux libres (Brook, Franklin et al., 2004 ; Maschke et Hecht, 2007). L’un des effets du stress oxydatif est la stimulation de la sécrétion de cortisol. Tout comme ceux du bruit, les mécanismes d’action des particules sur le système cardio-vasculaire ne sont encore que partiellement connus.
3. Des mécanismes et/ou effets communs ?
Naturellement, l’organisme a des mécanismes internes lui permettant de faire face et de s’adapter aux diverses agressions extérieures. Le stress résulte d’un dérèglement de ces mécanismes d’adaptation. Il devient alors difficile à l’organisme de faire face à ces agressions par des réponses adaptées. C’est le cas lorsque les mécanismes d’adaptation sont surmenés. La notion de stress est polysémique et implique une multitude de processus, de mécanismes physiologiques et psychologiques. Le stress joue un rôle de premier plan dans la pathogenèse des maladies chroniques, en particulier des maladies cardio-vasculaires.
Le bruit, en provoquant un stress émotionnel et un stress chronobiologique, et les particules, en provoquant un stress oxydatif, peuvent contribuer à un surmenage des mécanismes de régulation du stress, et contribuer ainsi à la survenue ou l’aggravation de pathologies cardio-vasculaires.
Il est probable qu’un organisme exposé à la fois au bruit et à la pollution atmosphérique sollicitera d’autant plus ses capacités de régulation, avec par conséquent un risque plus important de dérégulation du mécanisme de régulation du stress. De ce point de vue, les effets de ces deux expositions semblent être cumulatifs.
Des études sur le passage des particules fines dans le sang ont conclu que cela pourrait être une explication des effets cardio-vasculaires de la pollution. Mais les mécanismes associés et ce qui pourrait les faciliter demeurent mal connus (Nemmar, Hoet et al., 2002 ; Meiring, Borm et al., 2005 ; Elder et Oberdorster, 2006). Certains auteurs ont émis l’hypothèse que le stress pourrait favoriser le passage des particules dans le sang, renforçant ainsi leur effet néfaste sur le système cardio-vasculaire. De ce point de vue, ces auteurs suggèrent que les effets des expositions au bruit et à la pollution pourraient être synergiques (Maschke et Hecht, 2007).
Le bruit et la pollution ont tous deux des effets sur la paroi des artères, la tension artérielle, les maladies ischémiques, la coagulation et la composition sanguine. Ils stimulent tous deux la sécrétion de certaines hormones de stress dont le cortisol. Mais les effets de la coexposition à ces deux facteurs ne sont pas connus. Les connaissances actuelles ne permettent pas de déterminer s’il y a ou non interaction entre les effets. Il est possible que certains chemins d’action soient liés entre eux, contribuant ainsi à la même maladie (comme l’athérosclérose) et que, d’un point de vue biologique, les effets du bruit et de la pollution soient liés et interagissent.
Les sporadiques hypothèses qui ont été émises restent à confirmer (ou à infirmer).
Au sujet des effets de l’exposition simultanée à plusieurs facteurs de risque, la communauté scientifique s’accorde sur l’existence de deux mécanismes distincts : l’interaction et la non-interaction. Il y a non-interaction lorsque les effets d’un mélange toxique ou d’une coexposition correspondent à l’addition des effets de chaque facteur pris séparément. Dans les autres cas, il y a interaction. Il en résulte alors : * Un effet supérieur (synergisme) : - cosynergie lorsque les deux substances ou facteurs sont nocifs ; - potentialisation lorsque l’un des deux est nocif ; - coalisme lorsqu’aucun des deux n’est nocif. * Ou un effet moindre comparé à celui que l’on attendait sur la base de l’additivité simple, on parle alors d’antagonisme. |
Encadré 1. Les concepts d’interaction et de non-interaction.
Interaction and non-interaction concepts.
4. Les études épidémiologiques sur cette coexposition
Les premières réflexions sur la possible existence de biais entre les effets du bruit et de la pollution atmosphérique dans les études épidémiologiques datent du début des années 2000. Mais il semble que, jusqu’en 2007, aucune des études sur les effets de l’un de ces facteurs sur les maladies cardio-vasculaires n’ait pris cette confusion en compte dans ses calculs. Seuls quelques auteurs l’ont évoquée, sans chercher à ajuster les résultats en conséquence (Beelen, Hoek et al., 2009 ; Deltell et al., 2011 ; Sørensen, Andersen et al., 2012).
Les études épidémiologiques sur les effets cardio-vasculaires de l’un des deux facteurs de risque ayant ajusté leurs résultats sur l’autre facteur restent rares. Les premières à l’avoir fait datent de 2007. Les recherches bibliographiques ont permis de recueillir moins d’une quarantaine d’études sur le bruit ayant pris la pollution atmosphérique en compte, et vice versa (de Kluizenaar, Gansevoort et al., 2007 ; Beelen, Hoek et al., 2009 ; Selander, Nilsson et al., 2009 ; Huss, Spoerri et al., 2010 ; Fuks, Moebus et al., 2011 ; Dratva, Phuleria et al., 2012 ; Gan, Davies et al., 2012 ; Sørensen, Andersen et al., 2012). Certaines ont publié des résultats en termes de risque par rapport au niveau d’exposition à la pollution et au bruit à la fois (Selander, Nilsson et al., 2009 ; Gan, Davies et al., 2012). D’autres se sont penchées sur la corrélation spatiale entre bruit et pollution atmosphérique (Allen, Davies et al., 2009 ; Davies, Vlaanderen et al., 2009 ; Foraster, Deltell et al., 2011). La majorité des études consultées se base sur la mesure et/ou la modélisation des facteurs de risque considérés (bruit et pollution de l’air), mais quelques-unes ont également utilisé des questionnaires sur le ressenti (stress, gêne), en lien avec la fréquence du trafic routier (Pitchika, Hampel et al., 2017).
4.1. Corrélation spatiale entre bruit et pollution atmosphérique
Depuis le début des années 2000, quelques études épidémiologiques ont estimé le degré de corrélation spatiale entre la pollution atmosphérique et le bruit, mesurés ou évalués. Les résultats sont disparates : des corrélations aussi bien faibles (r < 0.3) qu’élevées (r > 0.8) ont été rapportées (Allen, Davies et al., 2009). Toutefois, la majeure partie des études semble indiquer une corrélation spatiale plutôt modérée, et les résultats sont difficilement comparables, certaines études s’étant focalisées sur les oxydes d’azote (Sørensen, Andersen et al., 2012), tandis que d’autres s’intéressaient à la pollution particulaire (PM10, PM2.5) (Dratva, Phuleria et al., 2012), ou au black carbon (Beelen, Hoek et al., 2009). Les indicateurs et niveaux de bruit considérés sont également disparates (Gan, Davies et al., 2012 ; Foraster, Deltell et al., 2011).
Allen, Davies et al. (2009), Davies, Vlaanderen et al. (2009), Foraster, Deltell et al. (2011) ont étudié la corrélation spatiale entre bruit et pollution atmosphérique générés par le trafic routier afin de tenter d’évaluer :
-
le potentiel de confusion ;
-
la possibilité d’utiliser l’exposition au trafic routier comme indicateur de cette coexposition ;
-
la possibilité de dissocier les effets de ces deux facteurs dans les futures études épidémiologiques.
Ces études ont mis en évidence que de nombreux paramètres influencent le niveau de corrélation spatiale entre le bruit et la pollution atmosphérique, tels que les caractéristiques :
-
des véhicules et du carburant ;
-
des axes de circulation (nombre de voies, présence d’intersection) ;
-
de l’urbanisme (hauteur des immeubles, densité des constructions).
Cette corrélation varie aussi en fonction des conditions météorologiques et du type de polluant considéré. Les NOx et les particules, par exemple, n’ayant pas la même dispersion spatiale.
Cette variété de déterminants permet d’expliquer la disparité des résultats entre les différentes études et met en évidence la difficulté de les comparer, ainsi que celle de conclure quant à la possible utilisation de l’exposition au trafic en tant qu’indicateur de la coexposition au bruit et à la pollution, ainsi que la complexité liée à ces études.
Ces études mettent également en évidence la nécessité de traiter les facteurs de confusion et l’importance de la conception des études sur les effets du bruit ou de la pollution atmosphérique.
La corrélation spatiale modérée du bruit et de la pollution a pour conséquence, d’une part, l’existence d’une confusion possible entre les effets de ces deux facteurs et, d’autre part, la possibilité de dissocier leurs effets dans des études épidémiologiques grâce à une conception adaptée. Une forte corrélation rendrait difficile la dissociation des effets et poserait la question de l’utilisation de l’un des deux facteurs (ou de l’exposition au trafic) comme marqueur de l’exposition commune.
Davies et Kamp (2012) suggèrent que des conceptions disparates ou inadaptées pourraient en partie expliquer l’hétérogénéité des résultats des études. Plusieurs auteurs insistent sur le besoin d’amélioration des protocoles afin de prendre en compte les variables contextuelles de manière appropriée et de pouvoir caractériser de façon dissociée les effets du bruit et de la pollution, ou encore d’évaluer leurs potentiels effets synergiques (Brook, Franklin et al., 2004 ; Allen et Adar, 2011 ; Babisch, 2011 ; Oftedal, Nafstad et al., 2011).
Même si elle a été peu soulevée dans ces études, la différence de corrélation spatiale entre pollution atmosphérique et bruit selon le polluant considéré est à noter. Dans leur étude, Gan et al. (2012) ont mis en évidence une corrélation r = 0,14 entre le bruit et les PM2.5 ; r = 0,33 pour NO2 ; r = 0,39 pour NO et r = 0,44 pour le black carbon.
4.2. Les effets de l’ajustement sur le bruit ou la pollution
Dans une étude sur les effets du bruit du trafic routier sur l’hypertension, De Kluizenaar et al. (2007) mettent en évidence que l’ajustement sur le niveau d’exposition aux particules (PM10) ne diminue pas la force de l’association (Odds Ratio, OR) entre bruit et hypertension. Au contraire, l’OR passe de 1,24 (intervalle de confiance IC à 95 % : 1,08-1,42) par tranche de 10 dB d’exposition avant ajustement à 1,27 (IC à 95 % : 1,08-1,49) après ajustement sur les variables démographiques et sur l’état de santé, et à 1,39 (IC à 95 % : 1,08-1,77) après ajustement sur les PM10. Les auteurs en concluent que l’ajustement renforce l’association entre bruit et hypertension, et que les effets du bruit sur l’hypertension ne peuvent pas être expliqués par une association entre bruit et pollution. Toutefois, ces conclusions reposent sur ces trois seules valeurs significatives.
Beelen et al. (2009) ont étudié l’effet du black carbon (un composé de la pollution atmosphérique), du bruit et de l’exposition au trafic routier sur la mortalité cardio-vasculaire. Ils notent que l’association entre les concentrations de black carbon et la mortalité cardio-vasculaire ne diminue que de 1 % lorsqu’elle est ajustée par rapport au bruit et au niveau d’exposition au trafic routier. À l’inverse, l’ajustement sur la pollution et l’exposition au trafic routier rend l’association entre le bruit et la mortalité cardio-vasculaire non significative. Là encore, le manque de significativité de la plupart des résultats, sur une cohorte de plus de 120 000 personnes, rend les conclusions fragiles. On peut également s’interroger sur la pertinence de l’ajustement par rapport à l’intensité du trafic routier, alors que celui-ci est une cause majeure du bruit et de la pollution. Un tel ajustement risque de fausser les résultats.
Selander et al. (2009), dans une étude sur les effets de l’exposition à long terme au bruit du trafic routier sur l’infarctus du myocarde, ont ajusté les résultats sur la concentration en NO2. D’après Sørensen et al. , cette étude montrerait que le bruit augmenterait le risque d’infarctus, même après ajustement. Malheureusement, l’étude ne présente pas les résultats bruts, et les auteurs n’ont pas donné suite à notre demande d’accès à ces résultats. Seuls les odds ratios après ajustement sont présentés, mais aucune des valeurs n’est significative. Les auteurs concluent que leurs résultats suggèrent que le bruit et la pollution atmosphérique auraient des effets indépendants sur les risques d’infarctus du myocarde. Ils notent toutefois un manque de puissance de l’étude lié à la forte corrélation spatiale entre les deux facteurs.
Roswall et al. (2017) se sont également intéressés aux effets combinés du bruit et du NO2 sur la survenue d’infarctus du myocarde sur 50 744 Danois inclus dans la cohorte « Diet, Cancer and Health ». Le bruit du trafic routier et le NO2 étaient individuellement associés à un risque d’infarctus du myocarde.
Dans les modèles ajustés respectivement sur l’exposition au NO2 et au bruit, seul l’effet du bruit était associé à une augmentation du risque. L’analyse combinée des deux expositions montrait le risque le plus élevé lorsque les deux expositions étaient présentes simultanément (Roswall et al. 2017).
Dans une étude sur les effets du bruit du trafic aérien sur la mortalité par infarctus du myocarde, au sein d’une cohorte de 4,6 millions de personnes, Huss et al. (2010) concluent que l’association entre bruit aérien et mortalité par infarctus ne diminue pas après ajustement sur la concentration en particules (PM10) ou la distance à une route importante. Dans cette étude, seuls les risques calculés pour des personnes exposées depuis plus de 15 ans à des niveaux de bruit (supérieurs à 60 dBA) ou à des intensités de trafic importants sont significatifs. Ces risques augmentent après ajustement sur la pollution. D’après Gan et al. (2012), ces résultats suggèrent que les expositions au bruit et à la pollution sont des facteurs de risque indépendants de la mortalité par infarctus.
Gan et al. (2012) ont étudié, dans une cohorte de plus de 440 000 personnes, le lien entre bruit du trafic routier et mortalité par maladie coronarienne, en ajustant sur les niveaux de particules fines (PM2.5), de NO2 et de black carbon :
-
des associations significatives ont été trouvées pour les niveaux de bruit les plus importants (supérieurs à 70 dBA) ;
-
l’ajustement sur les PM2.5 et le NO2 a peu d’influence (passage de RR de 1,30 (IC à 95 % : 1,12-1,51) à 1,28 (IC à 95 % : 1,10-1,50)) ;
-
l’ajustement sur le black carbon en a plus (RR = 1,22 (IC à 95 % : 1,04-1,43)) ;
-
l’ajustement sur la pollution (PM2.5, NO2 et black carbon) fait baisser de 8 % le risque de maladie pour les expositions à des niveaux de bruit élevés.
Les auteurs concluent à une indépendance des effets du bruit et de la pollution, sans préciser si les différences entre les RR intermédiaires sont significatives.
Dans l’étude de Fuks et al. sur les effets de l’exposition long terme aux particules et au bruit sur la pression artérielle, l’ajustement sur le bruit n’a que peu d’effet sur l’association entre pollution particulaire et pression artérielle. Mais aucun des risques calculés dans cette étude, avant ou après ajustement, n’est significatif. Dratva et al., lors de leur étude sur l’impact du bruit sur la pression artérielle, ont conclu également que l’ajustement a peu d’influence sur les résultats, mais une fois encore sur des résultats non significatifs (Dratva, 2012).
Sørensen et al. (2012) ont étudié les effets du bruit sur l’incidence de l’infarctus du myocarde. L’ajustement sur le niveau de NO2 fait passer le risque relatif de 1,10 (IC à 95 % : 1,03-1,19) à 1,12 (IC à 95 % : 1,02-1,22). Cette modification est qualifiée de faible par les auteurs. Ce qui, ici encore, suggère aux auteurs une indépendance des effets du bruit et de la pollution.
D’une manière générale, les auteurs concluent que l’ajustement sur l’un des facteurs de risque a peu d’effet sur le lien entre l’autre facteur et les effets cardio-vasculaires. Mais les données brutes et les résultats des tests statistiques de comparaison entre les RR intermédiaires ne sont pas présentés, ce qui rend une évaluation de la pertinence des résultats difficile. D’autre part, les auteurs donnent peu d’explication sur les conclusions auxquelles ils arrivent, en particulier sur l’indépendance des effets cardio-vasculaires du bruit et de la pollution atmosphérique. Cette conclusion semble fondée sur le peu d’effet des ajustements évoqués ci-dessus et sur les résultats de tests statistiques.
Les auteurs de ces études ont également ajusté leurs résultats sur les facteurs de confusion habituellement pris en compte, tels que l’âge, le sexe, l’indice de masse corporelle, les antécédents médicaux, le tabagisme, le niveau d’étude, le statut socioprofessionnel. À noter toutefois que la liste des facteurs de confusion considérés n’est pas exactement la même pour toutes les études, ce qui rend les comparaisons entre études difficiles.
4.3. Études conjointes de la coexposition
Parmi ces études, certaines ont établi des risques par rapport aux niveaux d’exposition au bruit et à la pollution à la fois : Selander et al. présentent des Odds Ratio (OR) d’infarctus du myocarde par tranche de concentration en NO2 et de niveau de bruit. Aucun des OR présentés n’est significatif pour une population de 3 666 personnes (Selander, Nilsson et al. 2009). D’autre part, le polluant étudié dans cette étude (NO2) n’est pas reconnu pour ses effets cardio-vasculaires, et l’effectif de population considéré ne lui donne pas beaucoup de puissance.
Gan et al. (2012) présentent des Risques Relatifs (RR), non plus de maladie mais de mortalité coronarienne, par quartile d’exposition au black carbon (4 intervalles) et par décile d’exposition au bruit (groupés en 4 intervalles en renforçant les 2 classes centrales) pour une population de 445 868 personnes. Sur les 16 valeurs de RR présentées (correspondant aux 16 intervalles d’exposition bruit/black carbon), il semble y avoir une augmentation du risque avec le niveau de bruit quel que soit le niveau de black carbon. Ces résultats sont cohérents avec les travaux épidémiologiques et toxicologiques publiés sur le black carbon, parfois contradictoires, qui ont quelques difficultés à caractériser les effets sanitaires de ce polluant . Ils évoquent, par ailleurs, des effets indépendants, même si les chiffres ne sont pas significatifs pour la plupart. Cette étude à elle seule ne permet pas de construire de relation dose-réponse, elle ne peut donc pas être exploitée pour des calculs d’impact sanitaire ou de charge attribuable.
5. Discussion
Même si les auteurs de ces différentes études s’accordent sur les tendances, en particulier sur le fait que les effets cardio-vasculaires du bruit et de la pollution seraient indépendants, l’examen de ces études et de leurs données montre qu’il est difficile de tirer des conclusions.
Les difficultés méthodologiques auxquelles se heurtent les études épidémiologiques pour démontrer un lien de causalité entre une exposition et une maladie non spécifique de cette exposition peuvent expliquer en partie le manque de significativité des résultats, ainsi que les difficultés de caractérisation de l’exposition et les effets des nombreux facteurs de confusion.
Les études sur les effets du bruit ou de la pollution sur les maladies cardio-vasculaires peinent souvent à fournir des données significatives. Malgré cela, la plausibilité des mécanismes de physiopathologie, ainsi que la constance et la reproductibilité des résultats des nombreuses études ont permis d’établir un lien entre ces deux facteurs et ces maladies, indépendamment (critères de plausibilité biologique et de constance de l’association de Bradford Hill5) (Tétreault et al. 2013).
En revanche, le faible nombre d’études ayant étudié ces deux facteurs conjointement et le manque de significativité de leurs résultats ne permettent pas d’invoquer la force de l’évidence pour conclure à l’indépendance des effets. D’autant plus que ces études n’ont pas été conçues pour répondre à la question de la (in)dépendance des effets mais pour isoler les effets de l’un des facteurs et que, d’autre part, elles peuvent difficilement être comparées entre elles :
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les effets cardio-vasculaires étudiés ne sont pas les mêmes d’une étude à l’autre ;
-
les polluants pris en compte sont différents également : les ajustements sont faits par rapport au niveau de NOx, de particules, ou encore de black carbon. Lorsque les NOx sont étudiés, c’est parce qu’ils forment un bon indicateur de la pollution issue du trafic routier. En revanche, il est reconnu que ce sont les particules fines qui sont essentiellement responsables des effets cardio-vasculaires de la pollution . Étant donné que les particules et les NOx ont des modèles de dispersion spatiale différents, se pose alors la question de la validité des résultats issus de l’ajustement sur les NOx ;
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les incertitudes liées aux imprécisions des mesures d’exposition, intrinsèques aux études épidémiologiques, se cumulent. Selon les études, les expositions sont mesurées ou modélisées, le bruit est évalué le jour ou la nuit, sur la façade la plus exposée ou la moins exposée ;
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les facteurs de confusion pris en compte ne sont pas les mêmes d’une étude à l’autre.
On peut également se demander si le faible impact de l’ajustement (par rapport à l’autre facteur) sur la force de l’association entre le bruit ou la pollution et les effets cardio-vasculaires n’est pas lié à une faible corrélation entre ces deux facteurs dans certaines études plutôt qu’à une indépendance de leurs effets (Stansfeld, 2015).
Enfin, Les auteurs ne démontrent pas si les variations de 1 ou 2 %, voire de 8 ou 9 % des RR observés après ajustement sont significatives. Étant donné les faibles valeurs de risque et le manque de significativité, il est difficile de s’attendre à des variations importantes. Les ajustements sur le sexe, l’âge, les antécédents médicaux, la catégorie sociale ou les variables de comportement, qui sont des facteurs de confusion reconnus et majeurs, ont pour effet dans ces études, une baisse de l’ordre de 10 à 20 % des risques relatifs, mais ils ne sont pas tous systématiquement pris en compte.
Le bruit et la pollution atmosphérique sont loin d’être les facteurs de risque prépondérants pour les maladies cardio-vasculaires. D’après l’OMS, ce sont une mauvaise alimentation, un manque d’activité physique, le tabagisme et l’alcool qui sont principalement à incriminer : ces facteurs de risque comportementaux sont responsables d’environ 80 % des maladies coronariennes et cérébrales vasculaires, auxquels il faut ajouter des déterminants héréditaires, économiques, sociaux et culturels .
Ces facteurs de risque, qui sont les principaux responsables des maladies cardio-vasculaires, devraient être considérés dans toute étude épidémiologique qui tente de mettre en évidence les liens entre exposition au bruit et à la pollution atmosphérique et maladies cardio-vasculaires. Ils constituent des facteurs de confusion pour ces études. Leur non-prise en compte ou une prise en compte partielle risque de fausser les associations qui pourraient être faites entre ces expositions et les pathologies cardio-vasculaires. Dans les études décrites ci-dessus, ces facteurs n’ont été que partiellement pris en compte.
6. Conclusion
Les études épidémiologiques sur les maladies cardio-vasculairesayant considéré à la fois les niveaux d’exposition à la pollution atmosphérique et au bruit sont peu nombreuses. Leurs résultats sont disparates et rarement significatifs. Ils ne permettent donc pas d’établir de courbe exposition-réponse des effets cardio-vasculaires du bruit ou de la pollution ajustée par rapport au niveau d’exposition à l’autre facteur.
D’autre part, les données épidémiologiques qui permettraient de faire un calcul rigoureux de charge environnementale attribuable à la coexposition au bruit et à la pollution atmosphérique ne sont, à l’heure actuelle, pas suffisantes.
Enfin, les résultats des études épidémiologiques sont aujourd’hui peu nombreux, rarement reproduits et ne sont pas corroborés par des données physiopathologiques plausibles. Le bruit et la pollution atmosphérique ont des effets communs sur le système cardio-vasculaire, mais leurs mécanismes biologiques d’action sont encore mal connus (Brook, Franklin et al., 2004 ; Babisch, 2011) et certaines hypothèses suggèrent des interactions. Même si d’un point de vue purement épidémiologique et statistique les tendances semblent indiquer que les effets sont indépendants (avec toutes les incertitudes et le manque de significativité décrits ci-dessus), il peut sembler prématuré de conclure à une indépendance des effets, en particulier lorsque la corrélation spatiale entre le bruit et la pollution atmosphérique n’est pas bien caractérisée.