La qualité de l’air et le climat représentent des défis qui s’imposent avec une réelle urgence aux agendas politiques. L’accord de Paris, signé en 2015, repose sur le volontariat. Suscitant une réelle dynamique planétaire, il a acté l’implication des parties prenantes, en particulier des régions et des villes, dans la mise en œuvre des transformations liées au changement climatique, dans un contexte où la seule mobilisation des États ne permet pas de faire face aux enjeux. D’un autre côté, la France est sous le coup d’un double contentieux avec la Commission européenne en matière de pollution de l’air, en raison de dépassements des normes pour les PM10 et le dioxyde d’azote. Bruxelles a identifié 19 zones dans lesquelles la France doit se conformer aux niveaux réglementaires et mettre en place des plans d’action répondant aux ambitions de la directive. Pour éviter les pénalités, l’État français a présenté de nouvelles « feuilles de route » s’appliquant aux territoires concernés par le dépassement des seuils1. Les injonctions de l’État n’apparaissent pas suffisantes pour que les collectivités engagent, à travers des initiatives innovantes, les transformations nécessaires pour conduire la transition énergétique en agissant à la fois sur le climat et sur la qualité de l’air. La synergie entre ces défis ne s’en impose pas moins, car les polluants de l’atmosphère et les gaz à effet de serre possèdent des points communs importants. Certains polluants comme l’ozone et les particules (appelés short lived climate forcers) ont des effets sur le climat, en dépit de leur durée de vie plus courte que celle des GES, qui peuvent persister plusieurs décennies dans l’atmosphère. En outre, l’ensemble de ces gaz est principalement issu de phénomènes de combustion, dont la réduction est bénéfique à de nombreux points de vue. Les villes qui, dans le monde, sont les principales émettrices de gaz à effet de serre et de polluants sont aussi les lieux dans lesquels il est possible d’intégrer, non sans difficultés dans le cas des structures urbaines européennes chargées d’histoire, toutes les politiques concernant l’air et le climat à travers la prise en compte de nombreux secteurs de la vie urbaine : l’aménagement du territoire, la rénovation des logements, l’énergie, la santé et l’amélioration des transports publics. Les domaines de la qualité de l’air, de l’énergie et du climat, construits selon des logiques distinctes et constituant des secteurs d’intervention historiquement indépendants, doivent dorénavant, en France, aux termes de la Loi de Transition Énergétique et pour la Croissance Verte (LTECV), faire l’objet d’une démarche de planification conjointe à travers l’élaboration des Plans Climat-Air-Énergie Territoriaux2 (PCAET), qui viennent remplacer les Plans Climat Énergie Territoire (PCET) instaurés en 2010 par la loi Grenelle 23. La volonté de traiter dans un document de planification unique la maîtrise du climat et la pollution atmosphérique apparaît pleinement justifiée, ces enjeux se rejoignant notamment sur les aspects énergétiques et sanitaires4. Ils comportent cependant également des écueils, dans la mesure où certaines actions favorables à la réduction des gaz à effet de serre ne sont pas forcément bénéfiques en matière de réduction de pollution atmosphérique, et inversement. Pour être efficaces, ils doivent s’intégrer dans une stratégie d’appréhension globale des enjeux environnementaux, au-delà des préconisations inscrites dans un document de planification souvent ignoré des habitants.
Notre analyse porte sur l’agglomération lyonnaise (59 communes comptant 1 281 971 habitants), devenue métropole le 1er janvier 2015. Cet article questionne les conditions de réussite d’une démarche globale air-énergie-climat en prêtant une attention particulière à l’intégration des enjeux sanitaires liés à ces politiques. Le futur PCAET devra, comme indiqué précédemment, intégrer des enjeux environnementaux et sanitaires et articuler des politiques liées aux transports, à l’énergie, à l’habitat, à l’urbanisme. Ce défi est aussi celui de l’intégration de nombreux acteurs impliqués dans cette démarche. L’agglomération lyonnaise est particulièrement active dans l’échange de ses expérimentations au sein de réseaux qui se sont organisés à différents niveaux depuis les années 1990. Elle doit aussi se conformer aux engagements de l’État qui a défini pour l’agglomération lyonnaise une « feuille de route »5 destinée à améliorer la qualité de l’air.
Après avoir détaillé les différentes trajectoires de la prise en compte de la qualité de l’air et du changement climatique qui ont mené à leur articulation dans les politiques publiques locales lyonnaises, nous nous intéresserons, dans une seconde partie, à l’action urbaine intégrée autour du triptyque air/climat/énergie pour évoquer certaines des difficultés qui restent à surmonter. Nous verrons ensuite comment, du point de vue des habitants, la santé et le bien-être deviennent des éléments essentiels à la construction d’une ville durable, bien au-delà de la gestion des risques sanitaires et de la conformité à des outils institutionnels.
1. Les politiques locales de l’air et du climat : des trajectoires indépendantes, pourtant convergentes
La pollution atmosphérique est devenue, à Lyon, un sujet d’intervention municipale au titre des compétences sanitaires dès le début du XXe siècle, relayé ensuite par des politiques intercommunales menées par la communauté urbaine de Lyon (Courly), créée en 1969, devenue le Grand Lyon en 1993, puis la métropole de Lyon en 2015. La prise en compte du changement climatique est beaucoup plus récente (début des années 2000), elle fait suite aux démarches d’écologie urbaine puis de développement durable engagées dans les années 1990.
1.1. La qualité de l’air à Lyon, une préoccupation ancienne
La question de la qualité de l’air se cristallise, à Lyon, avec les préoccupations du bureau municipal d’hygiène créé en 1891, sur la pollution, d’origine très majoritairement industrielle, ayant été identifiée par les médecins, fortement représentés dans les équipes municipales, comme un problème de santé publique majeur bien que ne reposant sur aucune investigation scientifique. La pollution était fortement visible avec les fumées mais aussi la formation d’un véritable smog qui, les jours de brouillard, rendait la circulation très difficile. Au conseil municipal de Lyon, il y eut régulièrement des interpellations d’élus qui voulaient s’attaquer à cette question pour des raisons de santé (ou d’image !) tout en respectant un développement industriel, gage de prospérité. Des courriers du directeur du bureau municipal d’hygiène, datant des années 19006, demandent au maire l’arrêt des industries les jours de brouillard en raison de la toxicité de l’air. Cependant, ce n’est qu’en 1960 que débute la mesure de la pollution, indispensable pour établir des repères permettant une appréhension sur des bases communes à tous les industriels, avec la création du comité régional de l’Association pour la Prévention de la Pollution Atmosphérique (APPA). Lors de la première campagne de mesure, en 1961, malgré des concentrations de 772 μg/m3 de dioxyde de soufre (SO2) et de 776 μg/m3 de poussières relevées au poste des Brotteaux, les ingénieurs concluent : « les taux de pollution, tant en ce qui concerne les poussières que l’acidité forte et l’oxyde de carbone, n’atteignent pas, pour Lyon et Villeurbanne, un seuil véritablement alarmant. Ils paraissent encore au-dessous de ceux observés à Paris » (Dumarchey, 1962). Les relations entre les niveaux de pollution élevés et des pathologies spécifiques n’étaient pas alors quantifiées en France, à la différence d’autres pays comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne, où elles l’ont été dès les années 1950 (Schrenk et al., 1948 ; Pemberton et Goldberg, 1954 ; Fairbairn et Reid, 1958 ; Daly, 1959). En France, il a fallu attendre les résultats du programme APHEA (Air Pollution and Health: a European Approach, en place en 1991) (Katsouyanni et al., 1995), auquel avaient participé les services de l’écologie urbaine de Lyon, pour commencer à évaluer précisément les effets nocifs de la pollution qui, auparavant, étaient affirmés par l’autorité médicale mais sans preuves locales tangibles.
Sous l’impulsion du ministère de l’Environnement, le réseau de mesure lyonnais COPARLY (COmité pour le contrôle de la Pollution Atmosphérique dans le Rhône et la région LYonnaise) a été créé en 1979, les progrès de la métrologie permettant de collecter des données en continu. Ce réseau, dans lequel l’État était très impliqué, a réuni les trois organismes de mesure lyonnais : celui géré par EDF, celui d’APORA (association des entreprises de Rhône-Alpes pour l’environnement industriel) et celui de l’APPA, qui sera annexé en 1993. Puis, en 2007, les différentes associations de surveillance de la qualité de l’air de la région se regroupent pour former Air Rhône-Alpes qui deviendra Atmo Auvergne-Rhône-Alpes, en 2016. En plus de 50 ans (1960-2018), la métrologie et la surveillance ont beaucoup évolué, les mesures ont été complétées par des modèles qui permettent de spatialiser les concentrations de polluants dans l’air à une échelle très fine. Ainsi, les outils mis à la disposition des institutions se sont multipliés et affinés, mais les politiques locales n’ont pas toujours su trouver la cohérence et l’utilité de tous les instruments mis à leur disposition.
Lyon fait partie du Programme de Surveillance Air et Santé, suivi par 9 villes françaises (PSAS 9) depuis 20 ans et mené par l’Institut National de Veille Sanitaire (INVS)7. Ce programme a montré qu’une exposition prolongée aux polluants atmosphériques peut entraîner des maladies pulmonaires et cardio-vasculaires ainsi que des décès prématurés, évalués à 424 entre 2001 et 2002 pour l’agglomération de Lyon, selon Girard et Jusot (2006). Si les causes à l’origine des pathologies sont multiples (cumul d’exposition air intérieur et extérieur, sensibilité des personnes exposées), l’effet des particules fines constitue un enjeu sanitaire majeur. En effet, rester en deçà d’un niveau de concentration moyen de PM2,5 de 10 µg/m3 permettrait statistiquement, selon les résultats de ce même programme, un gain d’espérance de vie moyen de 5,7 mois. Pour renouer avec une tradition de santé publique et afin d’inscrire la qualité de l’air dans un horizon à moyen et long terme, la métropole de Lyon a adopté les recommandations de l’OMS et affiche la réduction du « nombre de décès et de maladies dus à des substances chimiques dangereuses et à la pollution et à la contamination de l’air, de l’eau et du sol »8 comme objectif global à atteindre en 2030.
Dans les années 1970, la pollution urbaine était largement assimilée à la pollution industrielle, tandis que l’automobile en ville était favorisée par des choix d’infrastructures très lourds, telle la création d’une autoroute traversant l’agglomération selon un axe nord-sud. La pollution industrielle, corsetée par des normes et surveillée par l’État, mais aussi sous l’effet de la désindustrialisation, de la production d’électricité nucléaire et de la concentration des industries polluantes dans le couloir de la chimie, a beaucoup diminué, en dépit d’épisodes olfactifs récurrents et difficiles à supporter. Cependant, la collectivité9 a toujours eu le souci de valoriser les entreprises tout en les exhortant à limiter leurs effluents.
Les choix en faveur de la voiture sont progressivement reconsidérés et, depuis 1997, les Plans de Déplacements Urbains (PDU) lyonnais successifs10 ont largement assuré la promotion des transports en commun. Toutefois la restriction de la mobilité motorisée au sein de l’agglomération peine à susciter l’adhésion des communes périphériques, plus dépendantes de l’automobile.
Le premier Plan de Prévention de l’Atmosphère11 (PPA) lyonnais est rédigé en 2005 sous l’autorité des services de l’État. Il prévoit des actions visant à ramener les concentrations en polluants à des niveaux inférieurs aux valeurs limites12. Conçu comme un outil de maîtrise des polluants, le PPA doit dorénavant intégrer dans ses préconisations la question de la fourniture d’énergie13. Une révision du PPA de Lyon s’est imposée en 2014, car des dépassements des valeurs limites ont régulièrement été constatés sur le territoire pendant la période 2007-2010. En 2015, la métropole de Lyon a été retenue aux côtés de 20 autres collectivités par l’appel à projets « Villes respirables en 5 ans14 », qui s’adressait prioritairement aux territoires situés dans une zone couverte par un PPA en France. La mise en œuvre d’une Zone à Circulation Restreinte (ZCR) dans un périmètre à définir est une obligation à laquelle les villes bénéficiant du label doivent souscrire15, à l’image des 232 low emission zones existant dans 12 pays d’Europe en septembre 2017 (Pouponneau, 2018). Cette labellisation a contraint la métropole de Lyon à s’engager à mettre en place ou à préfigurer une ZCR16 et à mettre en œuvre a minima deux actions complémentaires dans le domaine des transports et de la mobilité, de l’industrie, de l’agriculture, du logement, dans l’innovation de la mesure ou dans la planification urbaine. En renforçant les actions du PPA révisé, la métropole de Lyon a initié son « plan oxygène » en juin 2016. Ces nouvelles ambitions devraient permettre, d’ici 2020, d’activer les leviers les plus efficaces pour réduire rapidement les émissions de polluants atmosphériques.
Malgré une amélioration de la qualité de l’air à Lyon depuis les années 199017, le territoire connaît régulièrement des dépassements des seuils réglementaires en moyenne annuelle pour les dioxydes d’azote (NO2) et les particules fines (PM10), en particulier aux abords des axes routiers majeurs et en cœur d’agglomération. La législation fixe des valeurs limites d’exposition concernant à la fois la concentration annuelle (par exemple, la valeur limite des PM10 est de 40 µg/m³), et la concentration journalière (pour les PM10, il s’agit de 50 µg/m³). Cette dernière valeur ne doit pas être dépassée plus de 35 fois au cours d’une même année civile. Le respect de ces valeurs s’appuie sur la sensibilisation des habitants et sur la pertinence des actions proposées, comme, par exemple, la circulation alternée (instaurée à Lyon pendant trois jours en janvier 2017) ou à la réduction de la vitesse de conduite lors des pics de pollution. On constate la très grande difficulté des dispositifs normatifs et réglementaires à entraîner des changements de comportements en dépit des efforts de communication mis en œuvre (Buhler, 2015).
1.2. La mobilisation concernant le climat autour de l’élaboration du PCET
La réflexion sur le climat a été amorcée en 2004 au sein de la communauté urbaine du Grand Lyon et des structures associées (agence d’urbanisme, agence locale de l’énergie), donnant lieu à la préparation du Plan Climat Énergie Territoire (PCET), qui a été voté par la CU du Grand Lyon en février 2012. Même si les communes, par obligation ou de leur propre chef, ont développé des démarches pouvant se traduire par des plans climat communaux, l’institution intercommunale est restée moteur sur les questions climat-énergie, a fortiori avec le passage à la métropole en 2015 qui confère à cette dernière une compétence importante dans le domaine de l’énergie. Ainsi, durant ces 15 dernières années, à l’instar de nombreuses villes et territoires dans le monde et dans le cadre d’un cadrage réglementaire et normatif qui s’est affirmé en France durant cette même période, le climat s’est imposé comme un « nouvel objet » de l’action lyonnaise (Rocher, 2013a). Or cette affirmation des enjeux climat-énergie s’est appuyée sur des politiques urbaines préexistantes, à travers des filiations particulières avec certains secteurs, au premier titre desquels la qualité de l’air.
En effet, une des premières nécessités advenant avec la préoccupation climatique a été de renseigner le problème, c’est-à-dire de quantifier les émissions territoriales de gaz à effet de serre. Si la méthode « bilan carbone » s’est rapidement imposée comme l’outil consacré, il s’agissait, pour mener à bien ces exercices, de disposer de données. En l’absence de « données climat » ad hoc, les premiers exercices préfigurant le diagnostic du plan climat lyonnais, croisant des estimations des consommations énergétiques et des émissions de gaz à effet de serre, ont été confiés au COPARLY. Ce dernier a mobilisé les cadastres des émissions des polluants atmosphériques issus de la combustion pour estimer les consommations d’énergie sur la période 2000-2006, tandis que les émissions de dioxyde de carbone ont fait l’objet d’un suivi à partir de 2005 (Grand Lyon, 2009). À cet inventaire effectué à l’échelle du territoire s’est ajoutée une évaluation des émissions internes du Grand Lyon à travers un bilan carbone collectivités sur le patrimoine et les services urbains (eau, propreté, voirie) de la collectivité et de ses principaux délégataires, ainsi qu’un audit énergétique global du patrimoine du Grand Lyon, tous deux réalisés par des bureaux d’étude.
Ces éléments de mesure, restitués dans le diagnostic publié en 2009, ont permis d’élaborer un plan d’action, qualifié de « partenarial », en vertu d’une stratégie reposant sur la mobilisation des acteurs économiques du territoire, réunis à partir de 2011 au sein des conférences énergie climat. Si la politique climatique est tournée vers une implication des acteurs économiques locaux, la mobilisation sur ces questions s’inscrit dans une volonté politique de l’agglomération d’être présente et active dans les réseaux de villes internationaux. Signe de ce positionnement à l’échelle internationale, la communauté urbaine et la ville de Lyon adhèrent en 2008 à la Convention des maires sur le climat. Concomitamment à l’élaboration du plan climat, le Grand Lyon travaille à la prise en charge de l’énergie au niveau communautaire, qui va prendre de l’ampleur avec la création de la métropole au 1er janvier 2015. En effet, la loi MAPTAM18 confère aux métropoles la pleine compétence dans le domaine de la distribution de l’énergie (électricité et gaz) et de la gestion des réseaux de chaleur. Le Schéma Directeur des Énergies (SDE) constitue un exercice inédit de planification énergétique à l’échelle métropolitaine. Son adoption sera associée à la révision du PCET en 2018, qui deviendra alors PCAET.
Le PCAET présente l’intérêt d’imposer une cohérence entre les enjeux de l’air, de l’énergie et du climat, qui, selon G. Sainteny (2015), est loin d’avoir toujours existé en France. Selon une lecture institutionnelle de la préfiguration du PCAET, ce dernier résulterait de l’ajout au PCET d’actions issues du plan oxygène, essentiellement dans le domaine de la mobilité, mais aussi du chauffage et de l’innovation numérique. En dépit de la filiation originelle liée à l’accès aux données et à la maîtrise des émissions, la question énergie-climat et celle de pollution atmosphérique sont prises en charge relativement indépendamment l’une de l’autre en termes de planification, même si les mesures apportant des améliorations relatives à des polluants communs sont bien identifiées (figure 1).
Figure 1. Les principales étapes de la politique de Lyon autour de la pollution atmosphérique, du changement climatique et de l’énergie.
The main stages of Lyon’s policy on air pollution, climate change and energy.
Source : C. Aschan-Leygonie.
1.3. Produire et articuler les données air/climat/énergie
C’est aussi en termes de mise en cohérence des outils de mesure, originellement constitués spécifiquement à chacun des domaines de l’air et du climat, que se joue l’articulation entre ces enjeux. Leur rapprochement atteste d’une volonté de mutualisation et de mise en cohérence des données et des indicateurs, afin d’accompagner les démarches de planification menées par les collectivités locales. Ces observatoires permettent d’objectiver les efforts accomplis vers la maîtrise de la pollution de l’air et du climat puisque, pour répondre aux injonctions européennes concernant le déficit de résultats obtenus, l’évaluation des actions entreprises devient essentielle, tout en sachant que les bénéfices obtenus en matière de santé ou de qualité de vie échappent aux indicateurs quantitatifs sur lesquels s’appuient les actions classiques des observatoires.
Atmo Auvergne-Rhône-Alpes (Atmo AuRA) est l’observatoire agréé par le ministère de la Transition écologique et solidaire, dédié à la surveillance et l’information sur la qualité de l’air en Auvergne-Rhône-Alpes. C’est une association de type « loi 1901 » qui, au-delà de son rôle d’information, s’inscrit aussi dans des ensembles discursifs plus larges, traduisant une volonté de mobilisation des populations (Rumpala, 2004). L’objectif est d’informer celles-ci de façon à activer une prise de conscience, à les convaincre de l’importance de la qualité de l’air et in fine à participer au changement de leurs comportements, notamment en matière de mobilité et de chauffage résidentiel. Depuis 2017, Atmo AuRA met à disposition une application permettant de connaître le niveau de pollution journalière de la métropole, ainsi que dans l’ensemble de la région, qui permet d’identifier les lieux préservés et anticiper la pollution en choisissant, pour les déplacements à pied ou à vélo, l’itinéraire le moins pollué19. L’observatoire, à travers sa captothèque20 encourage le déploiement de mesures citoyennes (cf. ci-dessous) nécessaires pour conforter aux yeux de l’opinion la crédibilité de l’expertise publique parfois mise en cause par différents lobby, comme le souligne E. Fournier, président d’Atmo AuRA21.
L’Observatoire Régional de l’Énergie et des Gaz à Effet de Serre (OREGES), créé en 2002 par la région Rhône-Alpes et étendu à l’Auvergne en 2017, œuvre à mettre à la disposition du grand public, des collectivités et des acteurs du monde de l’énergie, un ensemble d’indicateurs territoriaux et sectoriels relatifs aux émissions de gaz à effet de serre et aux consommations énergétiques. Copiloté par l’État et la région Auvergne-Rhône-Alpes, son financement est assuré par la région et l’ADEME. Ses travaux sont portés par une structure technique composée de deux opérateurs : Rhône-Alpes Énergie Environnement (RAEE) depuis 2002, rejoint par Atmo AuRA en 2009. En 2016, les trois opérateurs constituant l’Observatoire Régional des Effets du Changement Climatique (ORECC) et l’OREGES (RAEE, Atmo AuRA et le CEREMA22, rejoints par Météo France) ont répondu à l’appel de la région et de l’État à harmoniser les observatoires climat-air-énergie en proposant la constitution d’un GIS (Groupement d’Intérêt Scientifique), structure permettant des rapprochements sans constituer de nouvelle personnalité morale et juridique. Celui-ci visera notamment à apporter une aide aux collectivités devant réaliser ou réviser des PCAET. En réponse à la nécessité de faire converger les bénéfices climatiques avec ceux escomptés pour la qualité de l’air, les différents observatoires ont tendance à collaborer de plus en plus étroitement, voire même à se rapprocher institutionnellement. D’envergure régionale (selon la loi Notre, la région est « chef de file » dans le domaine de la qualité de l’air, du climat et de l’énergie), ils constituent une ressource majeure pour l’ensemble des collectivités, notamment urbaines.
L’Observatoire Régional de la Santé (ORS) a en charge le suivi d’un certain nombre d’indicateurs sanitaires, mais le bénéfice de l’ensemble des mesures préventives, adoptées au sein des Plans Régionaux Santé-Environnement23 (PRSE), est plus difficile à évaluer. Les Études d’Impact Sanitaire (EIS), outils d’intervention au sein de politiques de proximité (Anvizino, 2018), ne peuvent apporter des résultats tangibles immédiats. C’est ainsi que, dans le cadre de la ville durable, les outils de planification et les préconisations établis à partir d’une situation ex ante ne sont pas suffisants pour rendre compte de la satisfaction des habitants et de l’amélioration de « l’habiter », qui dépendent de la mise en œuvre d’une stratégie plus globale.
2. La conduite de l’action urbaine, entre bénéfices conjoints et points de vigilance
Une vision intégrée air/climat/énergie est en voie de s’imposer dans les exercices de planification urbaine menés à l’échelle métropolitaine. Il n’en demeure pas moins que les politiques à mener dans l’optique d’une ville décarbonée et saine sont extrêmement complexes, car elles concernent tous les secteurs de la vie urbaine. Dans cette partie, nous examinons certaines mesures, projets et décisions qui fondent l’intervention urbaine, au regard de l’articulation entre les bénéfices attendus du point de vue du climat et de la qualité de l’air, mais aussi les contradictions qui peuvent se présenter, sur les plans sanitaire et/ou environnemental. Les mesures engagées se déclinent de prime abord dans les domaines de la mobilité ou de l’habitat. D’autres aspects, tels que la régulation de la chaleur en ville et l’attention portée à la santé environnementale, se trouvent également au croisement des enjeux air/climat/énergie. Ces nouvelles orientations supposent des innovations24 concernant les domaines de l’énergie ou la mobilité, à l’instar de l’application « optimod, Lyon » (Coldefy, 2016). La mise en cohérence des enjeux air/énergie/climat intervient dans un contexte de modification des périmètres de l’action urbaine et des responsabilités des métropoles, dotées d’une compétence nouvelle, celle de l’énergie, et de nouvelles possibilités d’intervention dans le domaine de la santé (notamment à travers le secteur social, qui relevait auparavant du département).
2.1. Transports et mobilité : une grande marge de progrès pour des bénéfices conjoints
La mise en place d’une zone à circulation restreinte est un des chantiers en cours en matière de transport dans l’agglomération lyonnaise, où ce dispositif est baptisé « Zone de Faible Émission » (ZFE), afin de minimiser la connotation coercitive du terme ZCR. Les caractéristiques de cette zone ne sont pas encore définies, pas plus que les catégories de véhicules concernées. Une autre décision majeure – décision ministérielle25 intégrée au Plan Oxygène de la Métropole – est intervenue en matière de transport routier : il s’agit du déclassement des autoroutes A6 et A7entre Limonest-Dardilly et Pierre-Bénite et l’interdiction du transit des poids lourds sous le tunnel de Fourvière. Ces restrictions apportées à la mobilité motorisée ont pour corollaire le développement de la mobilité active. Le plan oxygène prévoit d’encourager le recours à des modes alternatifs au véhicule individuel, en favorisant différentes solutions telles que l’autopartage, le covoiturage, le vélo ou autres modes doux, dans la suite du PDU et du plan climat de 2011, fixant l’objectif d’atteindre 8 % de part modale du vélo en 2030. La marche à pied et l’utilisation du vélo pour des trajets courts présentent un bénéfice sanitaire mis en évidence par Corinne Praznoscy (2013), qui estime que pour la grande majorité des villes, à l’exception de celles connaissant des niveaux de particules spécialement élevés, le bénéfice physique obtenu par la mobilité active est supérieur aux effets négatifs induits par la pollution de l’air inhalée lors de cette activité.
2.2. Le recours au bois-énergie pour le chauffage : des bénéfices « climatiques », mais un impact « atmosphérique »
Cette source d’énergie, outre le fait qu’elle permet de valoriser une ressource locale, est bénéfique pour le climat dans la mesure où le CO2 émis au moment de la combustion du bois correspond à celui piégé par l’arbre lors de sa croissance, de telle sorte que le bilan du bois énergie est considéré comme neutre en termes de GES. Le recours à la biomasse pour le chauffage domestique, encouragé à travers le soutien à la filière bois énergie, soulève plusieurs points de vigilance, en particulier quant à la qualité du bois utilisé et au mode de combustion. En effet, la combustion du bois émet des particules : elle représente un quart des émissions de PM10 de la métropole lyonnaise et un tiers des émissions de PM2.5.
L’ADEME a réalisé, à la demande de la métropole de Lyon, une enquête sur les pratiques et les usages du bois énergie individuel et du brûlage des déchets verts (métropole de Lyon, 201626). Les résultats montrent que 8 % des habitants de l’ensemble de la métropole de Lyon se chauffent au bois (principalement comme chauffage d’appoint ou d’agrément), ce taux atteignant 35 % dans l’habitat individuel. L’impact du chauffage au bois sur la qualité de l’air intérieur est reconnu (30 % des répondants), mais seulement 18 % jugent l’impact sur l’air extérieur élevé à très élevé, et ils sont 50 % à l’estimer plutôt faible à très faible. Associé à un ensemble de pratiques et de valeurs27, l’argument économique est important, dans la mesure où le bois est souvent utilisé comme combustible par les familles modestes, lesquelles sont significativement plus nombreuses à posséder un équipement non performant. La mise en place d’incitations financières visant le changement des appareils de chauffage (et éventuellement des pratiques) est une réponse à l’accompagnement de la promotion du bois énergie domestique.
Mobilisé dans des infrastructures collectives, le bois énergie présente une distribution sensiblement différente des avantages (en termes d’émission de GES) et des risques (en termes de pollution atmosphérique urbaine). La prise en charge des réseaux de chaleur, encouragée par une évolution de la réglementation, représente pour les collectivités un vecteur de diversification énergétique. À Lyon, la reconfiguration à l’échelle intercommunale du service de chauffage urbain est un volet majeur de la politique énergie-climat, motivée par des préoccupations écologiques ainsi que par le souci de la précarité énergétique (Rocher, 2013b). Le recours massif à l’énergie bois ainsi qu’à l’énergie de récupération industrielle vient en complément de la récupération ancienne de chaleur issue de l’incinération des déchets. La rénovation de plusieurs chaudières de l’agglomération, encouragée par un programme de financement de l’ADEME, a permis d’augmenter la part de la biomasse dans la consommation énergétique. Le contrôle des émissions atmosphériques de ces équipements est effectué au titre des ICPE (Installation Classée pour la Protection de l’Environnement), et leur fonctionnement encadré par des restrictions liées à la qualité de l’air. Ainsi, en cas d’épisodes de pollution, l’alimentation de certaines chaudières doit être momentanément basculée sur une autre source d’énergie (gaz ou fioul).
Les dispositifs relatifs au chauffage, qu’il soit individuel ou collectif, s’inscrivent dans une tendance au (ré)investissement des villes et des collectivités sur les questions énergétiques, permise par une redéfinition des compétences allant dans ce sens. Outre la mise en balance des impacts en termes de climat ou de qualité de l’air, particulièrement prégnante dans le cas du bois-énergie, les mesures touchant à l’accès à l’énergie de manière générale soulèvent des enjeux en termes de justice sociale et du choix des bénéficiaires de l’argent public, dans un contexte où la précarité énergétique est reconnue comme un risque social directement lié aux conditions d’habitat.
2.3. L’habitat : concilier la rénovation énergétique avec la qualité de l’air intérieur
Dans le domaine de l’habitat, la rénovation thermique des logements dans les parcs publics et privés est prévue par la LTECV, au moyen notamment de plates-formes d’accompagnement régionales. Les secteurs de l’habitat résidentiel et du tertiaire présentent une marge importante de réduction des GES, puisque, en 2013, ils contribuaient respectivement à 24 et 18 % de la consommation finale d’énergie responsable des émissions de gaz à effet de serre de la métropole (OREGES, 2016). À Lyon, le dispositif Écoréno’v a été lancé pour la période 2015-2020. Doté d’un budget de 30 millions d’euros, sa mise en œuvre a été confiée à l’Agence Locale de l’Énergie et du Climat (ALEC) de la métropole de Lyon, qui assure une mission d’information et d’accompagnement des propriétaires et des copropriétés. Les propriétaires qui s’engagent dans une rénovation globale et performante de leur logement peuvent bénéficier d’une aide financière28 assujettie à un bouquet de travaux et à des dispositions techniques (intégrer la ventilation, interdire la climatisation). À partir de 2018, le cahier des charges prévoit l’utilisation de matériaux bio-sourcés et, si possible, le raccordement à un réseau de chaleur. Ce programme a permis la rénovation de 1 700 logements depuis 2015 (sociaux et privés), tout en soutenant l’emploi dans le secteur du BTP, ce qui est cependant très en deçà des objectifs du plan climat selon lequel il faudrait rénover 16 000 logements par an pour atteindre une réduction de 20 % de GES dans le secteur de l’habitat. Même si les résultats obtenus ne sont, pour l’instant, pas à l’échelle des enjeux, la dynamique est enclenchée, et les résultats obtenus en termes d’économies d’énergie et en gain sur le confort pourront motiver de nouveaux bénéficiaires, moyennant un accompagnement des habitants29.
Pour concilier la baisse des émissions de GES avec les impératifs de la qualité de l’air, il est important que les économies d’énergie ne se traduisent pas par la détérioration de la qualité de l’air intérieur ou de celle du confort thermique. Les efforts effectués pour isoler les maisons et économiser l’énergie doivent être accompagnés par une vigilance particulière portée sur la qualité de la ventilation. Celle-ci est souvent le maillon faible du dispositif de rénovation car peu portée par les différents corps de métiers qui la considèrent parfois comme une source de consommation d’énergie supplémentaire difficile à comptabiliser dans les normes contraintes de la RT2012. L’amélioration de l’isolation peut, d’autre part, avoir des effets pervers du point de vue de la consommation énergétique : c’est « l’effet rebond », selon lequel les économies réalisées sont annulées par une amélioration du confort thermique. Pourtant, le confort thermique se pose aussi en termes sanitaires, notamment pour les habitants les plus démunis. Plusieurs études montrent les effets sanitaires négatifs induits par une température intérieure trop basse, ainsi que les risques entraînés par un regroupement de la famille dans un espace restreint mais chauffé l’hiver ou climatisé l’été (Ezratty, 2009, 2013). Enfin, l’attention à la qualité de l’air intérieur se porte aussi sur les bâtiments qui reçoivent du public, notamment les crèches et les écoles. Celles-ci font l’objet d’une attention toute particulière, dans la mesure où de nombreuses études font état du lien entre les niveaux de pollution et le développement de l’enfant. C’est d’ailleurs le fait que les enfants soient particulièrement sensibles à une qualité de l’air dégradée30 qui motive la sensibilisation des parents à la santé environnementale, à travers, par exemple, des conseillers médicaux en environnement intérieur. Par ailleurs, la qualité de l’air intérieur n’est pas prise en compte par les documents de planification, que ce soit le plan climat ou le plan oxygène, alors que, comme le souligne le PRSE, l’amélioration de la santé liée à la qualité de l’air extérieur ne peut être envisagée indépendamment de l’air intérieur.
2.4. Confort urbain et santé : enjeux et réponses de l’urbanisme face aux îlots de chaleur
Les Îlots de Chaleur Urbains (ICU) sont l’objet d’une préoccupation croissante dans les espaces urbains dont la sensibilité aux épisodes caniculaires est reconnue. Les températures nocturnes relevées dans les centres-villes affichent un excédent de 4 voire même 5 degrés par rapport aux périphéries voisines. Or ce sont précisément les fortes chaleurs nocturnes qui contrarient le repos de l’organisme et sont les plus dommageables pour la santé. La canicule de 2003 a montré que les excès de mortalité se trouvaient au centre des villes et dans les logements mal isolés et situés dans les étages supérieurs. Ces constats encouragent les travaux d’isolation (à condition qu’ils intègrent la protection de la chaleur estivale), mais interrogent la forte densification. Par ailleurs, un champ de recherche en pleine évolution tend à montrer que l’ICU pourrait contribuer à une certaine dégradation de la qualité de l’air par l’augmentation de la concentration de certains polluants comme l’ozone notamment (Youshikado et Tsuchida, 1996 ; Sarrat et al., 2006 ; Lai et Cheng, 2009 ; Ryu et al., 2013, Fallman et al., 2016), tout en soulignant la complexité de ces phénomènes. L’augmentation de la chaleur urbaine laisse donc envisager des niveaux d’ozone plus élevés en ville (Colette, 2015). Alors qu’il est attendu un renforcement des phénomènes d’ICU (Estrada et al., 2017) sous l’effet combiné du réchauffement global de l’atmosphère et de la densification du bâti, l’attention se tourne vers la morphologie urbaine, tout en questionnant la capacité des choix d’urbanisme à infléchir ou à se protéger de ces effets de surchauffe.
La ville dense, souhaitée notamment du point de vue de la limitation des GES, n’est pas sans inconvénients sur le plan sanitaire (Roué Le Gall et al., 2014), notamment lorsqu’elle est composée de rues « canyons », mal ventilées, qui piègent les polluants en plus de la chaleur. La poursuite de la densification prévue dans le SCOT, adopté en 2001 afin d’inverser une tendance à l’étalement urbain et à la consommation d’espace, a été réaffirmée en 201731 et inscrite au futur PLUH (Plan Local d’Urbanisme et de l’Habitat) de la métropole de Lyon. Le défi est de maîtriser, voire de réduire, l’îlot de chaleur tout en maintenant une certaine densification. Les principales solutions envisagées sont la réduction de la consommation d’énergie en ville et la création d’îlots de fraîcheur par la plantation de végétation et le développement de l’agriculture urbaine. Ces démarches nécessitent des précautions sanitaires32, puisque les eaux stagnantes et certains végétaux peuvent attirer les vecteurs nuisibles et les rongeurs, tandis que le choix des essences des arbres peut favoriser ou réduire les allergies aux pollens. L’ensemble des réflexions et des actions à mener sur ces questions est l’objet d’une fiche du PRSE233 et d’une réflexion en cours dans le cadre de l’élaboration du PRSE3. Mais au-delà de réponses ponctuelles, les considérations de santé publique ne sont que très partiellement prises en compte dans les documents de planification urbaine et les projets d’aménagement (Carmichael, 2012), bien que la mise en place de stratégies locales d’adaptation au changement climatique contribue à faire évoluer ces questions. C’est ainsi que la ville cumule le risque sanitaire lié aux variations thermiques (canicules et froids intenses) avec celui lié aux émissions et à la mauvaise dispersion des gaz toxiques.
La diminution des combustibles fossiles, de l’usage de la voiture, l’amélioration de l’habitat apportent un double bénéfice environnemental difficile à mettre en œuvre dans le cadre de politiques encore trop sectorisées et d’une décentralisation encore mal assumée (Roussel, 2018). Il est difficile d’intégrer dans des prescriptions nationales les transformations de la ville et de sa gouvernance qui prennent en compte le confort et la santé de ses habitants. La santé environnementale suppose une action de proximité, car l’application de normes sanitaires générales ne peut assurer le bien-être d’habitants vivant dans des contextes très différents. Il semblerait que la compétence sociale, récemment acquise par la métropole, soit laissée au niveau communal, dans l’objectif de rester, à l’image des EIS réalisées, proche des préoccupations quotidiennes des habitants qui ne sont pas toujours en phase avec les grandes orientations d’une politique environnementale qui risquerait de contribuer à augmenter des inégalités.
3. Les habitants, acteurs d’une ville à faible émission
La mise en œuvre et l’efficacité des mesures et politiques engagées au titre de la crise climatique, de la qualité de l’air et de la transition énergétique impliquent d’une manière ou d’une autre les habitants. Ces derniers, souvent désignés comme la clé des problèmes à résoudre, sont invités à « changer leur comportement »34. Pourtant, cette implication ne peut être résumée à une question de pratiques quotidiennes et de choix en termes de mobilité, de chauffage ou de mode de vie. Elle concerne la perception et la connaissance même de ces enjeux (à travers l’implication concrète aux dispositifs de mesure), et le positionnement en tant que citoyen, dans un contexte de forte médiatisation de ces questions par ailleurs objets de confusions.
3.1. La mesure par et pour les habitants
La production des données relatives à la température ou/et à la qualité de l’air évolue sensiblement sous l’effet de la multiplication des dispositifs technologiques qui impliquent directement les individus. Depuis quelques années, des capteurs moins coûteux, plus sensibles et plus sophistiqués pour les gaz et les particules sont disponibles dans le commerce et permettent de facilement collecter des données sur la qualité de l’air. Ces capteurs intéressent certaines collectivités qui équipent déjà des équipements publics (Atmo AuRA, 2017), mais aussi les associations et les citoyens qui souhaitent mieux connaître leur exposition aux polluants.
Dans le cadre du plan oxygène, la métropole de Lyon, en partenariat avec Atmo AuRA et la Caisse des dépôts, a lancé début 2018 une « expérimentation de solutions numériques dédiées à l’amélioration de la qualité de l’air », dans l’idée de « mobiliser le levier numérique comme un élément d’innovation essentiel du développement de la ville intelligente tournée vers les usages et la santé »35. Ces innovations, qui positionnent les habitants dans des rôles de « sentinelles », ou « d’ambassadeurs » des politiques publiques (Rozec et al., 2005 ; Atmo Aura, 2017 ; Projet Ambassad’Air36), présentent des défis majeurs. L’explosion potentielle de données collectées par plusieurs groupes et individus à des fins différentes, avec une précision et une qualité variables, nécessite une réflexion sur l’utilité et la manière d’exploiter ces données (Reis et al., 2015). Ce défi est d’autant plus important que des limites techniques et des dysfonctionnements sont inhérents à ces capteurs disponibles pour le grand public, qui sont encore pour beaucoup au stade de l’expérimentation et de la recherche (Christin, 2016). Par ailleurs, leur capacité à générer des changements de comportements massifs, au-delà d’une attirance pour les gadgets technologiques, reste à évaluer. Certes, l’expérience grenobloise37 montre la possibilité de l’acquisition d’une expertise citoyenne (à condition de bénéficier d’un encadrement fort et de crédits importants) mais ne définit pas une politique publique applicable et accessible à l’ensemble des habitants. En effet, il existe une littérature abondante qui fait état d’un écart entre les niveaux de connaissance et de conscience environnementale et la réalité des comportements, notamment en termes de mobilité, soulignant par là même la relative impuissance des politiques incitatives et informatives à susciter un changement de comportement auprès de publics fortement habitués à l’usage de la voiture (Herrmann et al., 2018). Cette démarche participative témoigne du rôle des habitants en tant qu’acteurs de l’air et du climat, mais quelles sont la perception et la connaissance des citoyens de la qualité de l’air, du changement climatique et des liens entre les deux ?
3.2. Qualité de l’air, changement climatique : des questions médiatiques et politiques
Les effets sanitaires de la pollution atmosphérique sont clairement perçus par les habitants, comme le montre l’enquête sur la qualité de l’air extérieur urbain menée par l’équipe de recherche UrPolSens38 et Atmo Aura en 2018 auprès d’un panel représentatif de 1 231 habitants de Lyon et Villeurbanne (Herrmann et al., 2018). Entre 78,8 % et 83,2 % des habitants39 se sentent très ou moyennement exposés (et parmi ceux-ci, entre 31,4 % et 36,6 % se sentent très exposés40). Si un effort a été fait ces dernières années dans le domaine de la communication sur la pollution de l’air, la médiatisation se focalise encore trop souvent sur les pics de pollution (Roussel, 2015). En effet, l’enquête UrPolSens montre qu’entre 91,6 % et 94,4 % des résidents de Lyon et Villeurbanne41 estiment qu’il est important d’informer la population sur la qualité de l’air, et entre 77,8 % et 82,2 %42 se déclarent avoir l’impression d’être suffisamment informés sur les pics de pollution, alors qu’entre 29,4 % et 34,6 %43 seulement ont l’impression d’être suffisamment informés sur le niveau de qualité de l’air au quotidien sur leur commune44.
Sujet d’inquiétude, objet d’une communication et d’une information parfois considérées comme inappropriées aux enjeux sanitaires, la pollution atmosphérique donne également lieu à une certaine confusion avec les émissions de GES, comme le montrent des études sur la perception du changement climatique (Boy, 2013, 2014). Les réponses à la question « En quoi consiste, selon vous, l’effet de serre ? » ne mentionnent que pour 13 % d’entre elles l’accumulation du CO2 dans l’atmosphère, 28 % incriminent la « pollution » comme mécanisme causal de l’augmentation de l’effet de serre, 23 % évoquent la couche d’ozone. Le fait que certains polluants soient communs à la qualité de l’air local et au dérèglement du climat, nourrit ces confusions. L’histoire scientifique et médiatique du changement climatique est plus récente que celle de la pollution de l’air, mais elle se caractérise par de fortes controverses, exprimées en termes de « climatoscepticisme » (Zaccaï et al., 2012).
La mobilisation citoyenne sur ces questions suit également des trajectoires distinctes. Les associations et réseaux mobilisés sur la question du climat se déploient à l’échelle nationale et surtout internationale, les rencontres telles que les COP constituant, parallèlement à la négociation, des espaces d’expression et de revendication privilégiés. La pollution atmosphérique en revanche tend à être appropriée par les habitants et à s’imposer comme un enjeu électoral local. Cette appropriation se traduit par un engagement citoyen visant à interpeller les élus sur le sujet. Par exemple, les comités de quartier lyonnais de Vaise et de la Croix-Rousse Saône ont mis en place en 2013 une commission interconseil de quartier « qualité de l’air », dont l’objectif est de saisir les acteurs politiques sur la question de l’exposition des habitants à la pollution de l’air. Les revendications des conseils de quartiers mobilisés sur la question de la qualité de l’air portent sur l’intervention des pouvoirs publics. C’est aussi l’avis des résidents de Lyon et Villeurbanne, qui sont entre 47,2 % et 52,8 %45 à considérer que les pouvoirs publics sont les mieux placés pour agir sur la pollution atmosphérique46 (enquête UrPolSens).
La qualité de l’air se présente clairement comme un sujet d’inquiétude pour les habitants de la métropole de Lyon, tout en faisant l’objet de confusion avec les émissions de GES. Les citoyens, au-delà de la participation active aux mesures, attendent aussi d’être mieux informés et que soient engagées des actions efficaces de la part des autorités compétentes.
Les outils de planification tels que les PCAET peuvent-ils répondre à ces interrogations citoyennes récentes, surtout si elles se défient de la parole publique47 ? Ne serait-il pas pertinent de s’appuyer sur des actions de proximité, à l’image des ambassadeurs de l’air, telles que l’expérience grenobloise Mobicit’air48 le préconise, pour élargir les dynamiques locales aux dimensions d’une politique métropolitaine ?
Conclusion
Le cas de l’agglomération lyonnaise, au-delà de ce qu’il a de spécifique, est illustratif des enjeux auxquels sont confrontées les villes et les collectivités en matière de qualité de l’air, de crise climatique, et de transition énergétique. Il est tout d’abord représentatif d’une planification sectorielle qui, en France, a progressivement pris en compte la transversalité de ces questions, notamment en intégrant l’énergie comme un champ de réponse à la pollution de l’air et aux émissions de GES. Les PCAET, en cours d’élaboration, témoignent de cette approche intégrée, justifiée par le fait qu’une partie des polluants sont communs à la dégradation de la qualité de l’air locale et au climat planétaire. Pour autant, lorsque l’on se penche sur les mesures qui relèvent des compétences locales dans les domaines de l’habitat, des transports, du chauffage, de l’urbanisme…, on prend la mesure de la complexité des réponses et de la difficulté à agir en tenant compte de la multiplicité des impacts et de possibles effets pervers.
Ces sujets, qui bénéficient d’une expertise et d’une connaissance sans précédent, ne sont pas sans soulever des enjeux d’ordre social et démocratique, notamment du fait des situations d’inégalités qui se profilent en termes d’exposition aux polluants, de mobilité, de qualité thermique et sanitaire de l’habitat, de distribution d’aides publiques… Les habitants, de plus en plus impliqués dans la production des données, interpellent les pouvoirs publics sur l’urgence sanitaire, tandis que la qualité de l’information sur ces enjeux sujets à confusion reste d’actualité. L’exigence de résultats concrets, émanant à la fois de l’Europe et des citoyens, suppose la mise en place de protocoles d’évaluation qualitatifs et quantitatifs des actions entreprises. Il s’agit d’aller au-delà de la « communication » issue d’un discours politique dans lequel l’environnement tient une place de plus en plus grande, tandis que la concrétisation de la parole reste difficile.