Vous travaillez à l’agence d’urbanisme de l’aire métropolitaine lyonnaise. Pouvez-vous préciser quelle est votre mission ?
Je suis directrice, en charge de l’innovation et des réseaux de compétences. Avec les équipes d’étude, je cherche notamment à développer, stabiliser, organiser nos relations avec la sphère scientifique et les réseaux d’expertises spécialisées dans des domaines connexes à l’urbanisme. Nous nous intéressons également aux modalités de dialogue avec les habitants. C’est un sujet sur lequel je travaille plus spécifiquement depuis de nombreuses années. Ceci m’a conduit en 2015 à être particulièrement active dans la préparation de la 36e rencontre de la FNAU1, intitulée « L’individu créateur de ville »2.
En quoi l’irruption de l’environnement à tous les niveaux des politiques publiques est-elle selon vous un facteur d’innovation ?
Dans un contexte où les enjeux environnementaux, énergétiques et socio-économiques se font de plus en plus pressants, de nombreuses collectivités locales cherchent à renouveler leurs modes de faire. Il apparaît en effet clairement que les politiques publiques, notamment environnementales, ne pourront porter leurs fruits sans l’implication de tous les acteurs locaux, y compris les particuliers.
Pour autant, les « changements de comportements » qui paraîtraient nécessaires ne se décrètent pas. La puissance publique n’a plus ni la légitimité, ni les moyens de poser les termes d’un « contrat social ». L’actualité quotidienne, locale et nationale, montre la capacité de nos concitoyens à rejeter, parfois violemment, certaines décisions ou certains projets. L’affirmation de nouvelles revendications, l’apparition de collectifs éphémères, la multiplication d’initiatives « en dehors » des systèmes décisionnels traditionnels questionnent les décideurs.
Parallèlement, la mondialisation, les incertitudes, les inégalités sociales et économiques génèrent des phénomènes de repli sur soi inquiétants.
Si l’expertise scientifique et technique reste indispensable aux yeux de tous, elle ne suffit plus à justifier, à elle seule, la décision publique. Arguer de l’intérêt général ne suffit pas non plus. Les politiques publiques construites et argumentées sur la base d’un intérêt général prédéterminé et d’une expertise technicoscientifique opaque semblent aujourd’hui de plus en plus discutables et discutées.
Face à ces multiples défis, l’action publique locale cherche de façon croissante à mobiliser, à impliquer les acteurs du territoire, jusqu’aux particuliers. Les formats d’assemblées dites « citoyennes », mais néanmoins institutionnalisées, se multiplient : conseil citoyens, conseils de développement, de quartier, de jeunes, d’ainés, etc. Les opérations de concertation se déploient aussi progressivement au-delà du cadre légal.
Force est de constater cependant aujourd’hui que ces formes de dialogues descendants, le plus souvent organisés autour de propositions préformatées par des experts, ne suffisent pas à mobiliser l’engagement des individus dans l’action, vers l’adoption de comportements plus « soutenables » pour la collectivité et souvent pour leur propre santé.
Cet enjeu interroge en profondeur les finalités et les processus d’élaboration des politiques urbaines et territoriales qui visent encore souvent aujourd’hui à faire « pour » les habitants, en répondant fonctionnellement aux besoins des populations. La concertation permet alors d’ajuster les solutions conçues par les experts techniques aux attentes et aux demandes des riverains ou des usagers les plus directement concernés.
Néanmoins, dès lors que l’enjeu consiste à « impliquer » les acteurs (économiques ou particuliers) dans la mise en œuvre des politiques publiques, il convient de passer du « faire pour » au « faire avec ».
Ceci impose d’envisager autrement la place de l’habitant dans la production de la ville (grande ou petite) : ne plus le considérer comme le récepteur/consommateur passif d’une offre de service, mais bien comme l’auteur d’actions et de choix multiples qui contribue à façonner son environnement.
Cette inversion du regard relève d’un véritable changement de paradigme. Elle ouvre à la fois de nouvelles perspectives et de nouveaux défis. En cela, les questions environnementales, qui invitent à l’implication de tous et à l’engagement de chacun dans l’action, peuvent être génératrices d’innovation.
Comment l’individu s’impose-t-il au cœur des politiques urbaines ?
On observe une valorisation croissante de l’échelle individuelle, qui s’exprime dans les discours politiques par une tendance à vouloir se rapprocher des problématiques quotidiennes et du « vécu » des habitants et usagers. On voit ainsi apparaître dans les discours et les stratégies locales les thèmes de la qualité de vie, du bien-être, voire du bonheur individuel.
La figure de l’individu comme totalité, aux contours bien délimités et étanches, d’un individu entier, stable et constant, tend à s’effacer. Elle laisse place à la vision d’un individu en interaction constante avec son environnement physique, culturel et social. C’est grâce à la rencontre de l’autre, des autres, à la multiplication des expériences, que l’individu du 3e millénaire se construit, se singularise et s’accomplit. Lié à son histoire culturelle et personnelle, son environnement, ses intentions et ses projections du futur, cet individu adapte ses actes, ses choix et ses exigences selon le contexte et la situation. Il ne s’oppose pas au collectif, il invente plutôt de nouvelles formes d’actions qui s’affranchissent des cadres normés.Parallèlement, la société actuelle valorise largement l’individu et son « pouvoir d’agir », sans pour autant faire de lui un individualiste égoïste.
La figure de cet individu actif, initiateur de projets, interroge largement les modes de faire politiques et techniques, traditionnellement ancrés dans la vision d’une institution publique souveraine et la production d’un intérêt général tout puissant, supposé garantir l’égalité entre les citoyens et la cohésion du corps social.
Dès lors que les politiques publiques visent à fait face aux transitions multiples auxquelles les territoires sont confrontés, elles doivent nécessairement reconsidérer leur posture et leur suprématie. La puissance publique n’apparaît plus seule actrice dans la mise en œuvre de ses politiques. Dans ce regard sur un futur incertain parsemé d’embûches, d’aléas, de catastrophes, l’individu devient actif, partie prenante de la résilience du territoire, potentiellement de son attractivité.
Comment se situent les travaux d’une agence d’urbanisme face à ces transformations ?
Aujourd’hui, le « participatif » est de mise, parfois de façon désordonnée, et parfois de façon factice. Les freins à la prise en compte réelle des avis exprimés restent grands. Des démarches dites « innovantes » se multiplient mais, souvent qualifiées « d’exploratoires », elles restent isolées et peu lisibles.
C’est pourquoi nous avons, avec la FNAU, l’IMU3 et l’EUL4, entrepris de repérer ces expériences. Leur mise en perspective scientifique a été coordonnée par Chris Younes5 et Guillaume Faburel6. L’ouvrage, intitulé Vers un urbanisme collaboratif, propose ainsi quelques clés de lecture sur les innovations émergentes.On peut les rassembler autour de trois grands axes qui peuvent coexister, s’influencer et s’enrichir mutuellement.
Le premier axe concerne les modalités de construction de la connaissance et les acteurs considérés comme légitimes pour produire cette connaissance.
Le deuxième axe repère les expériences de coconstruction de projets ou politiques publiques.
Le dernier axe souligne des déplacements dans le positionnement de l’action publique et de son articulation avec l’action privée.
Quelles sont les nouveautés en matière de construction des connaissances ?
Assembler les connaissances pratiques et les aspirations des habitants, usagers et acteurs socio-économiques des territoires devient un enjeu majeur. Il ne s’agit plus seulement de les recueillir pour nourrir l’analyse des experts, mais de les mettre en vue pour qu’émergent les intérêts de chacun, en même temps que les conditions d’une construction collective d’horizons communs.
De ce fait, l’éventail des connaissances considérées comme utiles pour réfléchir au devenir des territoires ne cesse de s’élargir. Cet élargissement est largement accompagné par le potentiel des nouvelles technologies. Les Big Data s’ouvrent comme un Eldorado aux spécialistes de l’analyse de données. Pour peu que l’on parvienne à les croiser entre elles – ce qui est loin d’être aisé – l’accumulation de données toujours plus nombreuses, précises et variées sur les pratiques individuelles n’est évidemment pas sans intérêt.
Cette avalanche de données numériques génère des espoirs légitimes en matière d’analyse des usages et des usagers, bien qu’associée à la crainte toute aussi légitime d’une exploitation invasive pour l’individu.
Ces nouveaux outils facilitent notamment le travail d’enquête et de recueil d’information auprès des usagers. Les processus de « science participative », qui en appellent aux internautes pour cumuler de la donnée et faire remonter de l’information, s’étendent à la sphère urbaine. Les outils web, les cartographies ou inventaires participatifs font aujourd’hui partie de l’outillage de l’urbaniste et du géographe.
Le numérique offre de nouveaux potentiels mais n’a-t-il pas lui aussi ses limites ? Repérez-vous d’autres moteurs d’innovation ?
Effectivement, malgré l’effet « participatif », l’information recueillie par ces outillages reste préformatée et organisée par les experts en charge de les exploiter. À Amiens, par exemple, l’agence d’urbanisme a réalisé une grande enquête par voie numérique auprès des étudiants. Elle confirme l’apport majeur d’une masse considérable d’informations permettant d’orienter l’action publique, mais souligne la nécessité, pour une prochaine opération, d’organiser un échange aval avec les étudiants pour assurer l’analyse collaborative et l’appropriation collective de l’ensemble des parties prenantes7.
Pour entendre ce qui motive les pratiques des usagers, pour aller à la rencontre du territoire tel qu’il est vécu ou perçu par les habitants – et déceler éventuellement les leviers d’un changement de regard et d’attitude face aux enjeux environnementaux notamment –, les conditions d’une expression plus libre doivent être déployées, l’échange direct devient nécessaire. On retrouve alors la traditionnelle enquête ouverte, mais aussi de multiples formes de dialogue (ateliers, marches urbaines, etc.).
Emergent de ce fait des écarts, voire des contradictions, entre une connaissance technico-scientifique souvent qualifiée « d’objective », et une connaissance issue de l’expérience vécue, à la fois pratique et culturelle, souvent qualifiée de « subjective ».
La difficulté à interfacer ces deux catégories d’analyse n’est pas d’ordre technique ou méthodologique. Multiplier les regards d’acteurs différents est un processus aussi « scientifique » que de cumuler des statistiques. Ceci impose néanmoins d’accepter de réinterroger les cadres de pensée professionnels, et également les critères de la décision. Ainsi, l’agence de Saint-Nazaire a conduit une série d’entretiens ouverts avec des habitants du périurbain pour mieux cerner leurs modes de vie. Progressivement, les analyses, les regards des experts et des élus sur le territoire ont été réinterrogés, voire déconstruits, par ceux qui le vivent au quotidien8.
L’exercice consistant à interfacer les connaissances issues de l’analyse technique et celles issues de la pratique est révélateur du poids relatif et de la crédibilité accordée aux différentes catégories d’analyse, tout en rendant visible et explicite la place consentie aux acteurs qui la produisent.
Plus qu’une affaire de données, il s’agit de savoir qui on écoute, qui est considéré comme légitime pour s’exprimer sur le territoire et son devenir.
Écouter les paroles qui remontent du terrain (qu’il s’agisse d’habitants ou de chefs d’entreprises) non comme des revendications, mais comme l’expression d’un vécu et d’une vision du territoire, revient déjà à reconnaître une légitimité à cette autre source de connaissance. Cela constitue en soi un moteur d’innovation majeur.
Comment passer du cumul des regards singuliers à une vision collective ?
Même en quantité limitée, la diversification des points de vue et des espoirs laisse émerger des problématiques inattendues souvent transversales.Si les experts techniques et les décideurs acceptent de ne pas détenir l’exclusivité du savoir, une recherche d’articulation entre les approches devient envisageable.
Certaines démarches visent ainsi la coconstruction (plus ou moins élargie) d’un récit commun. Cela permet de cerner des objectifs partagés et d’orienter les actions, à la fois publiques et privées. Le conseil de développement du Pays Basque, qui rassemble depuis vingt ans 130 organismes issus de la société civile, donne ainsi à celle-ci une vraie place dans la gouvernance du territoire. Doté d’une capacité d’expression collective et de dialogue avec des élus demandeurs de ses travaux, il participe, selon son secrétaire, Jean-Michel Larrasquet, d’une gouvernance apaisée, participative et constructive9.
À Caen, la démarche « Sol… contre tous ? » s’organise quant à elle autour de la problématique de la gestion des ressources. De nombreux évènements se sont succédé (rencontres, ateliers, diagnostics partagés, expositions collectives…) pour toucher, sensibiliser et faire travailler ensemble de plus en plus d’acteurs. Cette action de deux années a permis en Normandie une vaste action de sensibilisation qui perdure encore aujourd’hui. Cette problématique novatrice a fait émerger l’idée que le sol représente l’un des biens communs les plus précieux d’un territoire, au même titre que l’air ou l’eau10.
Ces dispositifs mettent en vue les responsabilités individuelles et collectives des parties prenantes dans la coconstruction d’un « bien commun ». À travers le débat et le dialogue, ces démarches de coconstruction reconfigurent le rôle et les responsabilités des parties prenantes, recomposent à la fois les visions, les savoirs et les actions.
Au-delà de la construction des connaissances et d’un récit commun, qu’en est-il de l’implication des habitants dans la construction du projet ?
Certains dispositifs d’élaboration de projets urbains ou de politiques publiques dépassent la coconstruction des connaissances pour tendre vers une coconstruction du projet lui-même.
Plus difficiles à mettre en œuvre qu’il n’y paraît, ces processus restent assez rares. Ils nécessitent un déplacement du positionnement des experts « sachants », d’une part, mais aussi des moyens d’animation dont le financement n’est pas toujours au rendez-vous11. L’implication des publics visés dans ces processus est par ailleurs parfois décevante. Les riverains et usagers semblent davantage concernés par la résolution à court terme des problèmes concrets qu’ils rencontrent au quotidien que par la participation à des débats sur des politiques ou projets de long terme.
De fait, on observe ces dernières années une tendance à solliciter la participation des habitants non plus autour de la conception du projet mais dans la production concrète de l’espace. On voit ainsi des habitants invités à planter des arbres, créer des jardins potagers, collaborer parfois à la construction du mobilier urbain. Ces opérations ne sont pas systématiquement impulsées par l’institution publique. Elles sont parfois le fruit d’initiatives dites « habitantes », associatives, voire militantes, comme certains projets d’habitat participatif, par exemple.
À travers cet engagement « par le faire », l’individu développe sa capacité à agir avec et sur son propre environnement. Sortir de chez soi pour participer à une expérience collective lui apporte la reconnaissance des autres participants et développe ses capacités d’actions, le sentiment d’augmenter son « pouvoir d’agir ».C’est à travers ce type d’expérience collective que l’individu d’aujourd’hui accède à une plus grande réalisation de soi, à un sentiment accru de bien-être.
L’expérience dépasse ici largement la concertation. Les habitants sont impliqués concrètement, physiquement, dans la construction de leur environnement urbain. De cet engagement par le geste naît l’apprentissage des végétaux plantés, de la terre, l’expérience d’une relation de réciprocité entre soi, le monde végétal et le monde social.
La ville de Saint-Fons, dans la métropole de Lyon, témoigne d’une longue expérience du dialogue avec les habitants. Après avoir testé de nombreuses méthodes de participation, elle invite aujourd’hui les habitants à coconstruire directement dans l’espace public des aménagements temporaires répondant à leurs besoins et leurs envies pour préfigurer les usages des espaces publics à créer ou à requalifier.
Ici encore, c’est l’action qui génère la connaissance, contrairement au paradigme de la modernité, dans lequel sont ancrées l’expertise technicoscientifique et la décision publique, qui impose de savoir pour décider et agir de façon rationnelle.
Justement, l’individu émancipé, qui prend des initiatives, ne remet-il pas en cause le rôle de la puissance publique ?
Si la multiplication des initiatives collectives a pu surprendre, voire décontenancer la puissance publique, c’est de moins en moins le cas aujourd’hui.
Consciente de ses limites, elle apprend à rechercher les synergies et à construire les outils de la complémentarité. À Toulouse, par exemple, la collectivité tente de créer une charte pour que les associations de jardins partagés trouvent des facilités à s’installer dans la trame verte, contribuant ainsi à la protéger contre la pression urbaine12.
Ce n’est plus seulement le positionnement des expertises qui se déplace, mais celui de la puissance publique locale elle-même. La diminution drastique de ses moyens financiers l’oblige à modifier considérablement les modalités de production de la ville, des services publics, et de gestion des ressources. D’ordonnatrice, elle devient coordonnatrice.
Peut-on parler de nouvelles formes de gouvernances ? Ou de collaborations ? Faut-il outiller autrement le processus de fabrication de la ville ?
Rechercher les synergies possibles entre l’action publique et privée peut devenir efficace, sur un mode gagnant/gagnant. Cela nécessite souvent de s’extraire des sillons traditionnels pour tisser des interfaces et développer des approches multichamps, associant, par exemple, planification, actions sociales, économiques et juridiques. Les activités de différents acteurs (public, privés, associatifs ou hybrides) peuvent être mises en lien, articulées les unes aux autres pour constituer des chaînes d’action et de production pluridimensionnelles.
Dans certains cas, il s’agit de réels processus collaboratifs. Des outillages relationnels installent le dialogue entre acteurs dans la continuité et dans la confiance. Tel est le cas, par exemple, de la toile industrielle de Dunkerque. Construite et partagée avec les entreprises, elle décrit leurs interdépendances avec l’extérieur et l’ampleur de leur ancrage local, permettant ainsi d’identifier et de comprendre les potentiels du développement territorial et d’anticiper les impacts des changements sur les marchés économiques13.
Ces dispositifs permettent d’observer et de partager en continu les résultats obtenus, d’adapter les cadres, de négocier les objectifs poursuivis, éventuellement de créer des règles nouvelles.
La connaissance, voire l’intelligence collective, se construisent au fil de l’action. Il s’agit d’une nouvelle forme de « gouvernance » des projets et des politiques publiques, aux périmètres variés et variables. Ces dispositifs peuvent inclure des acteurs institutionnels, privés et associatifs. À la micro-échelle, ils peuvent potentiellement inclure les riverains eux-mêmes.
Dans d’autres cas, des chaînes d’actions et de financement se créent, incluant l’action des habitants, sans que les dispositifs de dialogue, notamment sur les finalités poursuivies, ne soient réellement mis en place. On peut s’interroger ainsi sur certaines opérations dites d’urbanisme « transitoire » ou « temporaire ». Dans le cadre de vastes projets de renouvellement urbain, des emprises foncières, de propriété publique ou privée, peuvent rester non investies pendant plusieurs années. Pour éviter la friche, le squat, éventuellement le dépotoir, on y invite les activités associatives, les jardins partagés, les fab’lab, les working’lab, ou toutes sortes de tiers lieux14. Le tout est parfois orchestré par des animateurs experts et plus ou moins rémunérés. Ces opérations contribuent sans aucun doute à développer le pouvoir d’agir des riverains et autres participants. Encore faut-il que la plus-value créée par leurs actions contribue effectivement au final à améliorer leur bien-être et leurs conditions de vie, et non à les exclure d’une ville ou d’un quartier devenu inabordable pour eux.
Vous proposez au final d’inverser le regard ?
Dans tous les cas, on constate que des transformations sont en cours dans les modes de faire, les processus. Dans un contexte de restriction budgétaire, l’action publique se déplace. Elle ne disparaît pas, loin de là. Là où elle ne peut plus prescrire, elle cherche à impliquer, coordonner, impulser. En tant que professionnels de l’urbain, il me semble que nous devons accompagner ces changements. Renouveler nos outillages technologiques et méthodologiques pour favoriser une action multidimensionnelle, favorable pour tous.
Nous pouvons acter aujourd’hui que l’individu est bien entré dans le paysage des acteurs qui « font » la ville. Il convient sans doute de le faire savoir pour consolider des processus qui lui évitent d’être instrumentalisé, et lui permettent de devenir réellement « partie prenante » de la construction du territoire et de son avenir.
L’enjeu consiste à inventer les dispositifs d’ingénierie, de connaissance et de gouvernance, qui donneront à toutes les parties prenantes – acteurs publics, privés et habitants – les moyens d’une négociation équilibrée.
Cette entrée en scène d’un individu actif et créatif, se réalisant en tant qu’être singulier dans l’action collective, ouvre la perspective d’un récit de ville renouvelé, qui raconte autrement le rapport de l’individu à la société, la façon dont les collectifs ont participé et participent toujours à la construction du territoire et de leur milieu de vie.