1. Introduction
Avoir l’objectif de construire dans les villes de demain un environnement favorisant la qualité de vie et la participation sociale impose de s’intéresser à la question du logement, notamment sous l’angle de la détermination des besoins. L’enjeu est de répondre aux besoins de tous pour que la ville devienne véritablement inclusive.
Le thème des difficultés liées au logement, à la fois source et reflet de l’exclusion sociale, renvoie en premier lieu au problème, encore trop actuel et sous-estimé, des personnes confrontées à l’absence de domicile, à la vétusté de leur logement et/ou à son sous-dimensionnement par rapport au nombre d’occupants1. Lorsqu’il ne s’agit pas de pointer ces cas extrêmes, les difficultés résident dans le choix du logement et de sa localisation, autrement appelé « choix résidentiel » et défini comme un choix individuel à réaliser sous diverses contraintes (Madoré, Pihan, 2003 ; Authier et al., 2010) : on choisit un logement selon ses moyens financiers, en essayant d’optimiser les temps de trajet domicile-travail, la proximité de la famille ou des amis, la présence d’établissements scolaires, en tenant compte des moyens de transports à disposition et selon ses goûts en termes d’environnement et de voisinage, le résultat étant un compromis plus ou moins satisfaisant.
Au-delà des difficultés que pose l’exercice de ce choix dans des situations de grande précarité, nous abordons ici une question très peu explorée, celle de l’accès au logement des personnes ayant un ou des handicaps. Que se passe-t-il lorsqu’on est une personne handicapée, devant faire face à des contraintes spécifiques en termes d’accessibilité des transports, de type de logement et d’environnement de vie ? Quelles sont les contraintes particulières qui pèsent sur ce choix ? Quel est le poids de la question de l’accès au transport, fondamental pour assurer une pleine participation sociale dans les arbitrages individuels concernant le logement ? Comment arrive-t-on à des compromis acceptables ? Interroger l’accès au logement des personnes handicapées est l’occasion, dans cet article, d’interroger la ville durable. Dans quelle mesure les contraintes révélées définissent-elles le degré de durabilité – sous l’angle de l’inclusivité – de la ville d’aujourd’hui, et ouvrent-elles des pistes d’action ?
Nous apportons ici un éclairage sur les contraintes du choix résidentiel pour les personnes handicapées dans la ville à partir des résultats d’une étude exploratoire que nous avons menée sur cette question dans la communauté urbaine lyonnaise. Notre approche du choix résidentiel s’appuie sur les travaux pluridisciplinaires sur le sujet (Cornuel, 2010 ; Grafmeyer, 2010 ; Berger, 2010), considérant ce choix comme un ensemble d’arbitrages entre différentes ressources : spatiale, économique, sociale et familiale (Authier et al., 2010). Notre approche des situations de handicap s’appuie sur le modèle québécois de Patrick Fougeyrollas (Fougeyrollas, 2010), qui oppose situation de handicap et pleine participation sociale et souligne le caractère multifactoriel du handicap : c’est l’interaction entre l’ensemble des facteurs agissant à l’échelle d’un individu – facteurs personnels, environnementaux ou sociaux – qui permet à cet individu la plus ou moins bonne réalisation de ses habitudes de vie et qui produit, pour lui, une situation de handicap, ou bien à l’inverse une pleine participation sociale, ces deux concepts se situant aux deux extrémités d’une même échelle. Le grand avantage de l’approche par l’identification des facteurs producteurs de situations de handicap est qu’elle ouvre la possibilité d’envisager la réduction du handicap puisque celui-ci ne dépend pas seulement de l’état fonctionnel de l’individu mais aussi d’autres facteurs sur lesquels il est possible d’agir. Et cette approche est générique, puisqu’elle s’applique potentiellement à n’importe quel individu, susceptible de se retrouver en situation de handicap sous l’influence de différents facteurs dans un environnement donné.
2. La ville pour tous : un objectif de durabilité à l’agenda politique qui questionne les approches de recherche
2.1. Un enjeu de politique publique
L’objectif de la ville durable est aujourd’hui indissociable des préoccupations de solidarité, de lutte contre les inégalités et les exclusions. Les objectifs de développement durable de l’ONU de 2016 soulignent en effet l’importance de l’identification et de la réduction des inégalités, qu’elles soient sociales, spatiales ou d’accès aux ressources. La déclaration de Quito prône les « villes pour tous »2 avec des objectifs d’équité, d’accessibilité et de qualité de vie, et invite à porter une attention particulière à la lutte contre les discriminations de toutes natures, notamment envers les personnes handicapées.
Si l’intégration de l’enjeu de la ville inclusive dans ces objectifs de durabilité est relativement récente, le droit des personnes handicapées à une pleine participation sociale est énoncé depuis plus longtemps. Pour ce qui est des textes les plus récents concernant le handicap, la Convention des Nations Unies relative aux Droits des Personnes Handicapées (CNUDPH) date de 2006, et l’Union européenne a édicté en 2010 sa stratégie 2010-2020 en faveur des personnes handicapées. Ce droit a également été réaffirmé avec la loi française du 11 février 2005 pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Cette loi, qui s’appuie sur une définition du handicap prenant en compte l’influence de l’environnement sur la génération des situations de handicap3 – par opposition au modèle médical ne prenant en compte que les déficiences et les limitations fonctionnelles – impose l’accessibilité pour tous, aussi bien de la scolarité, de l’emploi, que du cadre bâti, des transports et des nouvelles technologies.
Pour autant, même si ces droits des personnes handicapées ont été réaffirmés, dans une perspective de plus en plus égalitaire et avec des pistes très concrètes pour les faire respecter, basées notamment sur la transformation de l’environnement, l’analyse de la réalité montre qu’il reste encore du chemin à faire. De nombreux facteurs environnementaux ou sociétaux contribuent encore à produire des situations de handicap pour ce qui est de l’accès à la ville dans toutes ses dimensions, et la compréhension de la manière dont ces facteurs se combinent pour produire ces situations est un enjeu pour rendre la ville du futur plus inclusive.
2.2. Des enjeux d’accessibilité : la ville inclusive est une ville accessible aux deux sens du terme
La ville ne deviendra inclusive que si elle est ouverte à tous et permet à tous une pleine participation sociale, c’est-à-dire à condition qu’elle permette à tous non seulement de trouver un toit pour se loger mais aussi un plein accès à ses ressources de tous ordres, y compris celles nécessitant des déplacements. Ville inclusive et mobilité inclusive sont donc indissociables.
D’un point de vue épistémologique, interroger le caractère inclusif de la ville durable suppose ainsi de questionner la mobilité selon deux prismes, celui de l’accès au territoire questionnant ainsi les formes urbaines et les inégalités spatiales propices à des inégalités de déplacement, et celui de l’accessibilité vue par la communauté des acteurs du handicap, concept ne désignant anciennement que l’accessibilité physique des lieux et des véhicules de transport, élargi ensuite à l’ensemble de la chaîne de déplacement (y compris l’accessibilité aux informations) puis au cadre de vie tout entier, en intégrant tous les éléments susceptibles de constituer des barrières de toutes natures pour la participation sociale (cf. la définition de l’accessibilité élaborée à la suite de la parution de la loi sur le handicap de février 2005 par un comité interministériel4).
Les deux acceptions de l’accessibilité – l’accessibilité géographique à un lieu et l’accessibilité qui permet aux personnes handicapées autonomie et participation sociale – questionnent des échelles différentes : macro et micro concernant la chaîne de déplacement. Ces acceptions sont rarement l’objet d’une réflexion commune. Ainsi, les recherches sur l’accessibilité au territoire incluent rarement les personnes handicapées. De même, les recherches dans le domaine du handicap incluent rarement la dimension géographique de l’accessibilité, centrant leurs préoccupations sur la réduction ou la suppression des difficultés de déplacement des personnes handicapées dans leur environnement. Dans ces cas, l’accessibilité au cadre bâti, à la voirie, l’aménagement des espaces publics et des systèmes de transports sont étudiés sans que la question du territoire atteint/atteignable ne soit directement posée.
L’étude sur laquelle repose cet article concilie ces deux approches et illustre les apports de l’interdisciplinarité pour aborder la question de la ville inclusive pour les personnes handicapées.
2.3. Un enjeu de transversalité des politiques : les liens entre politique de transport, politique urbaine et préférences des personnes handicapées en termes de choix résidentiel
Au-delà de la nécessité de produire des connaissances sur les besoins des personnes handicapées en termes de logement en ville (adaptation intérieure et localisation), ce sont bien les liens entre localisation du logement, lieu central s’il en est de rayonnement dans l’espace, et accès au transport, qui sont à questionner. En outre, explorer la question de l’impact de la localisation résidentielle sur l’accès aux transports fournit aussi un éclairage sur les liens existants entre politique de transport, politique urbaine durable et préférences des personnes handicapées en termes de choix résidentiel (Caubel, 2006). Si l’enjeu de transversalité des politiques est affirmé, sa mise en pratique reste un chantier à mener. Elle pose des questions telles que : en quoi la diffusion du tramway dans les espaces urbains et les aménagements urbains dans l’agglomération lyonnaise peut-elle participer à une réorientation, non seulement des choix résidentiels des personnes à mobilité réduite, mais aussi des principes de localisation des foyers pour personnes handicapées ? En poursuivant des objectifs environnementaux ou de durabilité, les nouveaux aménagements urbains offrent également les aménités et les conditions d’accessibilité désirées par les personnes handicapées, notamment les personnes avec un handicap moteur, mais répondent également à des besoins tels que l’accès à des espaces de nature, à un ensemble de proximités, et à la valorisation des modes doux de déplacement. Ils ouvrent sur la question de la recherche du nouvel archétype de la ville, qui n’est plus tout à fait une ville en mêlant aspirations du milieu rural et concentration de l’offre de services du milieu urbain, mais une réponse à un ensemble d’aspirations.
Mener ces réflexions sur la ville, c’est permettre de comprendre les contraintes du choix résidentiel pour les personnes handicapées, pour pouvoir rendre les villes de demain plus inclusives.
3. Objectifs et méthodologie de l’étude menée sur le choix résidentiel des personnes handicapées
Si l’analyse des déterminants des choix résidentiels a fait l’objet de nombreux travaux en population générale (Homocianu, 2009 ; Andan et al. 1999 ; Debrand, Taffin, 2005), il n’existe pas de travaux de recherche visant à analyser les modalités du choix résidentiel des personnes handicapées et à comprendre dans quelle mesure ce choix est contraint. Ces questions ont très peu été traitées, hormis pour le cas des personnes résidant en institution, exploré notamment par N. Rapegno (Rapegno, Ravaud, 2017).
L’objectif de cette étude a donc été de déterminer en quoi la question du choix résidentiel pouvait se poser de manière particulière pour les personnes handicapées, quels sont les facteurs et les contraintes pesant sur leurs choix et les compromis qu’elles doivent réaliser, en évaluant le poids des différentes contraintes et en analysant la manière dont les personnes handicapées composent avec ces contraintes. Le projet a cherché à couvrir aussi bien les situations liées aux handicaps moteurs que celles moins connues liées aux autres types de handicap – sensoriels, psychiques, mentaux ou cognitifs – permettant ainsi d’aller au-delà des travaux médicaux ou d’ingénierie sur les adaptations intérieures nécessaires aux personnes ayant un handicap moteur.
Cette étude a fait l’objet d’un travail de postdoctorat d’un an (Raton, 2014 ; Alauzet, Raton, 2015), financé via l’axe « Mobilités et inégalités » du PST Rhône-Alpes et effectué à l’Ifsttar (laboratoire TS2-Lescot). La méthode choisie a été l’investigation de terrain, avec pour objectif de recueillir des éléments de nature qualitative sur la question du choix résidentiel des personnes handicapées, auprès de tous les types de personnes susceptibles d’être concernées par cette problématique : les personnes handicapées, mais aussi les associations d’aide et de défense des droits des personnes handicapées, les intervenants sociaux, les services d’aide au logement, les bailleurs sociaux. Le terrain d’enquête a été le territoire du Grand Lyon.
La population visée était celle des personnes handicapées, pour tout type de handicap, tout type d’origine de ce handicap – de naissance ou survenu par maladie ou accident – ainsi que différents types d’âge, de situation de famille et de situation professionnelle, pour diversifier les profils. Les critères d’éligibilité étaient : avoir 18 ans ou plus, vivre dans une commune du Grand Lyon et avoir eu une expérience de choix résidentiel hors institutions.
Une grille d’entretien a été conçue pour recueillir des témoignages d’expériences de choix résidentiel (passées, présentes ou futures) ainsi que de pratiques de déplacement à partir du logement. Elle comprenait le recueil des caractéristiques des différents logements occupés, les critères mis en avant pour les choisir et si ces critères avaient pu être respectés au final. Les participants étaient également invités à comparer leurs différents logements, en termes de localisation, selon l’évolution de leur handicap, leur niveau de revenu, le bail associé au logement et l’accessibilité aux transports qu’il permettait. Cette grille a fait l’objet d’une adaptation pour les entretiens menés avec les personnes ayant un handicap mental ou psychique.
Les participants ont été cooptés avec l’aide d’associations d’aide et de défense des droits des personnes handicapées, puis au sein des cercles de connaissance des personnes interrogées. Les personnes ayant un handicap mental ou psychique ont été interviewées sur leur lieu de travail – un ESAT géré par l’ADAPEI du Rhône – en accord avec les responsables de cet établissement.
Des entretiens visant à recueillir les expériences et avis d’acteurs susceptibles d’être concernés par cette problématique ont été réalisés au préalable et en parallèle des entretiens menés avec les personnes handicapées. Ils ont été menés dans 20 associations de défense des droits des personnes handicapées (ou services d’aide) ainsi que 5 associations ou services en charge de questions liées au logement.
Au terme de la période de recueil, 57 personnes handicapées ont été interviewées, dont 6 personnes ayant un handicap visuel, 8 personnes ayant un handicap auditif, 15 personnes ayant un handicap moteur, 16 personnes ayant un handicap mental et 12 personnes un handicap psychique (au total 28 personnes au sein de l’ESAT). Les entretiens duraient environ 2 heures (1 heure pour les entretiens menés dans l’ESAT) et étaient enregistrés, avec l’accord des personnes interviewées.
Deux associations ont été particulièrement impliquées dans le volet « enquête de terrain » : l’APF délégation du Rhône et l’ADAPEI du Rhône. Elles ont fait le lien avec les personnes volontaires pour transmettre leurs témoignages et ont accepté le principe d’organisation de restitutions des connaissances et de discussions au sein de leurs structures.
4. Une ville attractive pas partout inclusive mais qui commence à le devenir
Les résultats de cette étude montrent que la ville (ici le territoire du Grand Lyon) ne couvre pas les besoins de toute sa population. L’analyse du processus de choix résidentiel révèle en effet des difficultés propres à certains handicaps qui relativisent jusqu’à la notion même de choix. Et ces besoins à couvrir, qui relèvent à la fois de besoins spécifiques en termes de localisation du logement dans la ville, en termes d’accès aux transports, mais aussi de préférences et de besoins internes au logement, interrogent, lorsqu’ils ne sont pas satisfaits, la manière dont les villes d’aujourd’hui sont conçues.
4.1. Un processus décisionnel complexe qui peut poser des difficultés
Pour tout un chacun, choisir son logement est un acte important et complexe. Authier, Bonvalet et Lévy définissent ce choix comme le résultat « d’arbitrages complexes qui engagent différentes dimensions de l’existence et de la vie sociale des individus et des ménages » (Authier et al., 2010). Choisir son logement relève tout à la fois de la sphère privée et de la sphère publique. De même, les conséquences du choix du logement ont un impact sur la qualité de vie du ménage ou de l’individu, mais sont à envisager également en termes plus large de répartition de l’habitat sur un territoire, d’aménagement de l’espace, d’appropriation de l’espace par les personnes en mobilité résidentielle.
L’arbitrage, défini comme « un ensemble de contraintes qui pèsent sur les ménages et limitent leurs marges de décision et d’action », impose d’aménager des priorités, d’adapter les mécanismes décisionnels, d’ajuster les aspirations initiales à l’univers des possibles. Si la notion de compromis paraît évidente lorsqu’on évoque la question du choix du logement, le cheminement circulaire et répété entre les aspirations, les contraintes et les réalités du marché immobilier n’est pas toujours conscientisé (processus représenté dans la figure 1). Il constitue dans la plupart des cas un exercice intellectuel qui suppose qu’en cas d’insatisfaction de ses besoins, un compromis soit effectué et la boucle relancée. Ce cheminement, dans sa complexité et ses détails, a été au cœur de notre enquête, ce qui a permis de déceler trois prérequis aux arbitrages, peu intégrés dans la littérature, mais essentiels à la compréhension des difficultés rencontrées dans le processus de choix résidentiel pour les personnes handicapées.
Figure 1. Le processus décisionnel appliqué au logement et les étapes préexistantes aux arbitrages.
The decision-making process applied to housing and the pre-existing steps in arbitrations.
Source : d’après Authier et al., 2010 ; Raton, 2014.
Le premier prérequis consiste à évaluer ses propres besoins et envies concernant le logement. Cette étape suppose une part d’introspection. Aspirations, valeurs et référents culturels sont ainsi mobilisés. Or, pour certains répondants, ce mécanisme d’introspection, de réflexion sur ses propres besoins et envies présente des difficultés. Si les personnes ayant un handicap mental ou psychique sont particulièrement concernées par cette difficulté d’expression de préférences personnelles intervenant dans le choix du logement, nos enquêtes montrent que les personnes qui ont eu un parcours institutionnel en établissement médico-social avant l’âge adulte sont également concernées, et ce, quel que soit le handicap. Elles expriment difficilement leurs préférences, rencontrent des difficultés à effectuer des choix ou affirment n’y être pas habituées.
Le second consiste à évaluer les contraintes qui pèsent sur l’individu ou le ménage. Elles sont d’ordre économique mais aussi social, géographique, ou résultent, comme dans le cadre de cette étude, d’une déficience. Ainsi, évaluer ses contraintes, c’est faire émerger et hiérarchiser les impératifs à respecter : part du revenu à consacrer au paiement du loyer, agencement du logement en fonction des capacités fonctionnelles, localisation du logement par rapport aux aménités urbaines (écoles, commerces ou emploi). La présence d’un handicap constitue au sein de cette étape une particularité par rapport aux études sur le choix résidentiel en population générale. Estimer ses possibilités suppose des compétences de gestion de ses comptes et de réalisation des démarches administratives. Suivant la nature du handicap et le degré d’invalidité ou la présence de troubles cognitifs, cette étape peut comporter des difficultés.
Le dernier prérequis consiste à connaître l’offre existante en matière de logement et la solliciter. Cette étape nécessite la connaissance d’informations préalables sur le marché et les offres répondant aux besoins. L’ensemble des 57 personnes interviewées se plaint d’un manque d’informations sur les logements qui seraient adaptés à leurs besoins dans le Grand Lyon.
Chacun de ces trois prérequis est susceptible de constituer une difficulté pour les personnes interviewées, ce qui a des conséquences fortes sur la réalisation des arbitrages et plus largement sur le choix résidentiel lui-même.
Enfin, Il ressort nettement des entretiens que le processus d’arbitrage des personnes handicapées est jalonné par le recours à un aidant. L’implication de cet aidant varie selon l’individu et son niveau d’autonomie pour mener les étapes du choix, mais on observe, selon le handicap, des tendances et des degrés variables de recours, résumés dans la figure 2. Ainsi les personnes ayant un handicap auditif ont recours à un aidant particulièrement pour passer des appels téléphoniques, répondre aux annonces immobilières et faire des visites, tandis que les personnes ayant un handicap moteur ou visuel ont plus recours à de l’aide pour la recherche et l’accès aux informations, les déplacements, les visites et le déménagement. Les personnes ayant un handicap mental ou psychique ont besoin d’un aidant non seulement pour ces étapes, mais également pour formuler des préférences, estimer leurs besoins en termes de logement et de localisation, estimer la part du revenu à consacrer au loyer et réaliser les démarches administratives et financières. La nécessité de recourir à un aidant pour retranscrire un besoin augmente le risque d’insatisfaction. Plus l’implication de l’aidant est importante et plus ce risque est élevé. Ceci est particulièrement vrai pour les personnes ayant un handicap mental ou psychique, ce qui révèle toute l’importance d’un accompagnement de qualité lors de chacune des étapes.
Figure 2. Recours à un aidant à des degrés variables suivant les individus et selon le handicap.
Use of a caregiver to varying degrees depending on individuals and disability.
Source : Raton, 2014.
4.2. Des préférences d’aménagement du logement qui varient selon le type de handicap
Contrairement à une idée répandue, l’adaptation du bâti au handicap ne concerne pas que le handicap moteur. Les usagers de fauteuils roulants ont droit à un logement accessible au sens du code de la construction et de l’habitation, ce qui inclut à la fois le cheminement intérieur, l’accessibilité de la porte d’entrée du logement et les aménagements spécifiques, comme la salle de bains, la cuisine, le garage. Mais c’est l’ensemble des personnes handicapées qui a droit à un logement adapté. Un logement est dit adapté « lorsqu’il y a adéquation entre les capacités de la personne handicapée et les caractéristiques du logement pour que la personne puisse y vivre en toute autonomie » (MEDTL, 2011).
Nous avons pu constater que le besoin d’aménagement existe bien pour tous les types de handicap, de manière plus ou moins importante et avec plus ou moins de conséquences sur la taille du marché immobilier qui peut être sollicité lors du choix résidentiel.
Figure 3. Synthèse des préférences en termes d’adaptation intérieure.
Summary of interior adaptation preferences.
Source : Raton, 2014.
Nous faisons sur la figure 3 la synthèse des critères de choix de logements évoqués par les personnes enquêtées. Notons que celles-ci ont des handicaps variés et des capacités variées à remplir seules les tâches du quotidien comme cuisiner, se laver, effectuer des démarches administratives, faire le ménage ou communiquer. Pour ces raisons, faire émerger des besoins d’équipements intérieurs ou d’agencement du logement rassemblant un ensemble de détails, de désirs et des besoins variés, qui ne sont applicables qu’au niveau individuel, peut sembler très complexe. Au cours des entretiens, on a pu observer que, pour un même handicap, on retrouve des préférences communes.
Pour les personnes interviewées présentant un handicap moteur, les besoins décrits sont de trois ordres : pouvoir circuler aisément dans le logement, du logement à la voirie et bénéficier d’aménagements intérieurs qui favorisent l’autonomie – en phase avec les définitions du logement adapté et du logement accessible présentées plus haut. L’abaissement des plans de travail, des fenêtres, sont de bons exemples. Le logement doit posséder un ascenseur ou se situer au rez-de-chaussée. Il doit être spacieux, non seulement pour permettre la circulation d’un fauteuil roulant mais aussi pour accueillir les personnes amenées à s’y rendre pour effectuer des soins à domicile, ainsi que les appareillages et équipements encombrants. Le logement doit enfin être le premier maillon de la chaîne de déplacement, offrir un accès aisé, rapide et attenant à la voirie, à un ascenseur ou à un garage. Les portes électriques sont également des éléments essentiels qui garantissent une bonne circulation. Le logement doit bénéficier d’une salle de bains adaptée ou adaptable, et la présence de domotique dans le logement est considérée comme un plus appréciable.
Les logements configurés en espaces ouverts, grands et lumineux, sont très appréciés des personnes malvoyantes ou malentendantes interviewées. Luminosité et taille du logement sont perçues comme devant se conjuguer parce que c’est cet ensemble qui va faciliter les déplacements intérieurs. La préférence pour les étages supérieurs est ainsi une composante logique des préférences exprimées précédemment, car cela permet de limiter le vis-à-vis et ainsi de maximiser l’entrée de lumière, mais cela apporte aussi une limitation des bruits de la rue, un sentiment de tranquillité lié à l’absence de visibilité du voisinage et une meilleure visibilité sur la ville. Ainsi, de la même façon que le besoin de luminosité et la taille du logement sont liés, le besoin de luminosité et le bénéfice d’une vue agréable sont exposés ensemble dans les entretiens. Dans le cas des personnes ayant un handicap auditif, la maximisation de la luminosité dans l’appartement répond à un besoin de confort de communication. Il permet, par exemple, de lire plus facilement sur les lèvres, de percevoir l’ensemble du logement en un coup d’œil. Pour cette raison, les espaces ouverts, comme les cuisines à l’américaine, sont particulièrement appréciés. Satisfaire ces critères de luminosité et d’ouverture amène un confort de communication et permet de réduire le sentiment d’exclusion souvent ressenti par les personnes malentendantes. Il permet aussi de rassurer, la vue sur tout le logement permettant de compenser la perte auditive, elle constitue un système d’alerte. Afin de maximiser la luminosité, des aménagements sont effectués, comme par exemple découper les portes du logement ou les ôter. Ces aménagements relativement faciles à réaliser permettent de maximiser les ouvertures et sont entrepris de manière très courante par les répondants.
Les personnes interviewées ayant un handicap mental ou psychique n’évoquent pas d’aménagement spécifique effectué à l’arrivée dans le logement. C’est davantage la taille du logement qui cristallise les éléments de langage. Elle peut aggraver le sentiment de solitude s’il est trop grand ou, au contraire, renforcer le sentiment d’oppression/d’enfermement s’il est trop petit. Le besoin est exprimé en termes de taille adaptée au nombre de personnes vivant dans le logement. Le critère de taille n’est pas exprimé seul mais associé au sentiment de sécurité que peut offrir le logement. Dans ce cas, l’épaisseur des cloisons semble un critère important. Entendre les voisins peut être anxiogène, alors même qu’un logement trop bien insonorisé ne laissant entrer aucun bruit peut lui aussi renforcer le sentiment de solitude et d’enfermement. L’aménagement du logement doit permettre de limiter les angoisses. Les sentiments d’insécurité et de solitude ont été régulièrement décrits comme ayant pu affecter le bien-être dans le parcours résidentiel. L’arrivée d’un portail clôturant la résidence est, par exemple, vécue comme un soulagement par plusieurs répondants.
Les besoins exprimés rejoignent des besoins universels puisqu’ils facilitent la vie de chacun et offrent du confort. Mais ce simple constat peut être de nature à engendrer des raccourcis. Si, pour la population générale, luminosité et espaces ouverts, par exemple, sont des critères de confort qui s’ils ne sont pas satisfaits n’engendrent pas de complication particulière, ils sont pour les personnes handicapées des facteurs essentiels pour limiter les difficultés du handicap et permettre les tâches de la vie quotidienne en autonomie. Par ailleurs, les critères évoqués (logement traversant, lumineux et spacieux) peuvent relever de besoins haut de gamme qui sont les plus chers sur le marché immobilier, ce qui ajoute pour les personnes handicapées une difficulté supplémentaire pour trouver un logement adapté à leurs besoins.
4.3. Des besoins spécifiques en termes de localisation dans la ville
Si la ville concentre les aménités et les équipements, elle ne constitue pas un ensemble homogène. La localisation du logement dans l’ensemble urbain, point à partir duquel s’effectuent de nombreux déplacements, peut selon les cas conforter ou remettre en question l’intérêt même d’habiter en ville. Des travaux du CETE ont ainsi montré les disparités spatiales d’accès au territoire lyonnais suivant les horaires, jours et lieux desservis par les transports en commun (Richard et al., 2014). Ces travaux, en illustrant par exemple la différenciation des temps d’accès au quartier d’affaires de la Part Dieu depuis l’ensemble du territoire lyonnais, témoignent des inégalités générales d’accès aux fonctions urbaines (Ferrari, Berlingerio, Calabrese et al., 2014). Ces inégalités sont encore plus prégnantes pour les personnes à mobilité réduite, puisque lorsqu’on ajoute au modèle les contraintes les concernant – vitesse de marche, distance de marche, accessibilité physique aux lignes (impossibilité d’accès aux quais) –, on constate que le territoire accessible en transport en commun est encore plus réduit. Ainsi, pour une personne handicapée n’ayant pas accès à la voiture (contraintes économiques et /ou liées au handicap), la localisation du logement en dehors de l’empreinte spatiale des transports en communs peut être source, comme en milieu rural, d’isolement et d’inégalités d’accès aux aménités essentielles du quotidien, comme l’accès aux commerces, à l’emploi, aux loisirs. Les préférences exprimées dans notre étude font ressortir le besoin prioritaire de la proximité d’un transport en commun, celle des lieux centraux (activités, emplois, pôles d’échanges), celle de la famille, des amis et des aidants, et enfin, l’accessibilité des commerces de proximité. La localisation du logement doit permettre à la fois les déplacements en autonomie dans le quartier et les déplacements dans l’ensemble de la ville. La proximité des transports en commun est un critère prioritaire pour l’ensemble des répondants, même pour ceux qui possèdent le permis et une voiture, mais il faut aussi qu’ils soient utilisables (Alauzet, Sanchez, Velche, 2010). Suivant la nature du handicap, le type de transport préféré ou évité peut varier (figure 4). Les personnes avec un handicap moteur privilégient la localisation à proximité du tramway ou d’un pôle d’échange, mais excluent le métro lyonnais, notamment pour des questions de franchissement de quais. Pour l’ensemble des répondants ayant un handicap moteur, le tramway est la préférence. Accessible, confortable et offrant une vue sur la ville, il est le seul moyen de transport qui ne limite pas leurs déplacements, il peut être emprunté sans accompagnement et n’augmente pas trop les temps de trajet.
Les personnes ayant un handicap visuel préfèrent éviter la proximité des grands carrefours, anxiogènes et difficiles à franchir (Sanders, Bournot, Lelièvre et al., 2005 ; Baltenneck, 2010). Enfin, la proximité des pôles d’échange est à éviter pour les personnes avec un handicap mental ou psychique (Mackett, 2017).
Figure 4. Le critère de proximité des transports : synthèse des préférences suivant la nature du handicap.
Transport proximity criterion: summary of preferences according to the nature of the handicap.
Source : Raton, 2014.
Les préférences varient aussi pour le choix du quartier de résidence (figure 5). Si la présence de commerces de proximité est plébiscitée par tous (à condition qu’ils soient accessibles, pour les personnes ayant un handicap moteur), les personnes ayant un handicap mental ou psychique recherchent un quartier sécurisant, sans trop de nuisances sonores, ni isolé, ni trop dense, ainsi que la forte proximité de la famille et des aidants (quelques km tout au plus), tandis que les personnes ayant un handicap visuel mettent en avant le besoin d’avenues ni trop larges ni trop étroites, sans trop de nuisances sonores (en plus de ne pas être à proximité de grands carrefours difficilement lisibles pour elles). Enfin, les personnes avec un handicap moteur ont tendance à privilégier les quartiers nouvellement réhabilités avec voirie, ERP, logements neufs et commerces, accessibles, confirmant ainsi les liens entre besoins d’aménagement intérieurs et accessibilité du logement identifiés précédemment.
Figure5. Synthèse des caractéristiques appréciées dans un quartier de résidence, selon la nature du handicap.
Synthesis of appreciated characteristics in a residential area, according to the nature of disability.
Source : Raton, 2014.
Si la capacité de la ville d’aujourd’hui à répondre aux besoins des personnes handicapées est encore loin d’être suffisante, des pistes de progrès sont d’ores et déjà à l’œuvre, notamment en lien avec les démarches entreprises dans le cadre des politiques de développement durable. En effet, les préférences exprimées par les personnes handicapées que nous avons interviewées mettent en évidence la cohérence de leurs besoins avec les propositions en phase avec les objectifs de développement durable, comme le développement d’espaces boisés ou herbacés (idéals pour les chiens guides et les besoins de calme identifiés), les habitats peu énergivores (en lien avec les revenus des personnes handicapées souvent faibles), les modes doux de déplacement (répondant au besoin de grande proximité familiale, à l’anxiété générée par l’usage des transport et aux difficultés de déplacement rencontrées par certains répondants) ou encore le développement des écoquartiers (Goret, Maitre, 2015). Pour satisfaire les besoins de déplacement, le quartier doit disposer d’une voirie et de commerces accessibles ainsi que d’un accès à un transport en commun utilisable, ce que tendent à proposer les nouveaux projets urbains, bien que variés dans leurs formes et leurs réalisations.
4.4. La ville qui concentre les aménités comme pôle attractif pour les personnes handicapées
Au-delà des préférences en termes de localisation dans la ville, l’enquête a permis de saisir les perceptions qu’ont les personnes handicapées du milieu urbain, notamment celles ayant vécu en milieu rural. La ville se révèle très attractive pour les personnes handicapées en quête d’autonomie. Par autonomie, nous entendons le droit et/ou la capacité qu’un individu a de mener sa vie comme il l’entend5. En termes de choix de localisation dans la ville, la question de l’accès aux transports s’est révélée centrale dans les entretiens : être autonome, c’est pouvoir se déplacer seul où on le souhaite, il est le critère prioritaire de choix du logement, même s’il est soumis à arbitrages. Cette question est plus nette encore pour le choix entre milieu urbain et rural. La ville offre des services de transport, de santé, de commerce et de loisirs qui garantissent une plus grande indépendance, une palette plus large de possibilités, parmi lesquelles la probabilité de trouver l’offre adaptée à ses besoins. Si une partie des répondants a connu et apprécié la vie en milieu rural, nombreux sont ceux qui considèrent cette vie comme un luxe qu’ils ne peuvent pas se permettre. Les transports y sont trop chers, les déplacements plus longs, l’isolement potentiellement plus fort.
5. Conclusion
Dans cet article, nous avons tenté d’apporter une contribution à la réflexion à mener pour rendre les villes de demain plus inclusives. Notre éclairage porte sur deux aspects. Le premier est la mise en lumière des besoins des personnes handicapées concernant l’accès au logement pour leur garantir une pleine participation sociale, cet éclairage permettant de souligner les manques de la ville d’aujourd’hui et de fournir des pistes pour la rendre plus inclusive. Le second aspect est une illustration de la nécessité d’adopter des approches pluridisciplinaires pour aborder ce type de question, puisque nous avons allié ici une approche géographique avec une entrée par les territoires à une approche sociologique centrée sur la compréhension des situations individuelles, pour aborder les questions d’accessibilité à et de la ville.
Les personnes handicapées doivent faire face à des contraintes fortes pesant sur le choix résidentiel. En plus de celles liées au handicap, elles doivent faire face à des contraintes dont la liste est classique (sociales, géographiques, économiques) mais la déclinaison particulière. Du point de vue social, elles doivent en effet faire face aux inégalités et à la discrimination, ainsi qu’à des difficultés récurrentes d’accès aux informations cruciales pour la recherche de logement, d’autant plus accentuées qu’elles peuvent avoir des possibilités plus limitées de solliciter un réseau de connaissance. Du point de vue géographique, les besoins de proximité des diverses ressources sont spécifiques, tandis qu’il existe une contrainte forte liée à la localisation des logements adaptés. Enfin, d’un point de vue économique, la question des revenus, souvent faibles pour les personnes handicapées, est une contrainte forte. Et ces contraintes sont d’autant plus fortes qu’elles s’additionnent.
La ville de demain sera inclusive pour les personnes handicapées si elle leur permet le plus possible de vivre une vie sans entraves. Cela implique la possibilité d’habiter dans des logements adaptés à leurs handicaps aussi bien dans leurs configurations intérieures que du point de vue de leur accès (entrée/sorties du logement et des parties communes), une configuration du quartier de vie permettant des cheminements aisés et un accès à des commerces de proximité aisé, des modes de transports accessibles dans l’environnement proche.
S’ils sont décrits ici comme répondant aux besoins des personnes handicapées, ces prérequis pour une vie facilitée dans la ville sont aussi ceux de tous et ils s’inscrivent dans une démarche de conception universelle. Ils sont également en phase avec les démarches de conception de la ville associées aux objectifs de durabilité, avec des projets tels que les écoquartiers ou les quartiers mixtes et centraux, mêlant offre de loisirs, espace naturel, mode de circulation doux, offre de service commercial de proximité. Ce constat invite à une fertilisation croisée des démarches d’inclusion et d’aménagement, dans le cadre de travaux interdisciplinaires.