Les zones à faibles émissions, ou Low Emission Zones (LEZ), sont des dispositifs de restriction de la circulation mis en œuvre pour agir contre la pollution de l’air (plus spécifiquement contre les particules fines) liée au trafic routier. Il s’agit d’interdire la circulation des véhicules les plus émetteurs de polluants atmosphériques, c’est-à-dire les plus anciens. Initiées en 1996 par trois villes suédoises, elles ont commencé à être généralisées en Europe en 2007 pour atteindre le nombre de 227 en septembre 2017 à travers douze pays. La Zone à Circulation Restreinte (ZCR) de Paris, mise en œuvre en septembre 2015, est un exemple français. Cette mesure en faveur de la qualité de l’air peut soulever la question de son acceptabilité sociale, de par la cible (les véhicules anciens qui peuvent être possédés à la fois par des particuliers et des entreprises) et l’objet (l’interdiction de circuler). Aussi, au-delà des seuls aspects techniques de mise en œuvre d’une telle mesure (efficacité du scénario choisi vis-à-vis de la qualité de l’air, dispositif de contrôle, emplacement des panneaux de signalisation…), les villes doivent également travailler les aspects « accompagnement » et « information » pour en augmenter la faisabilité économique et sociale, comme le montre la revue bibliographique entreprise depuis 2009 par l’ADEME5.
1. Les modalités prévues pour accompagner ce dispositif
La plupart des pays européens ayant mis en œuvre des low emissions zones ont prévu un accompagnement technique et/ou financier. Les stratégies temporelles peuvent différer d’un pays à l’autre : soit l’accompagnement se fait en amont du démarrage du dispositif et s’arrête peu de temps après (cas de Londres), soit l’accompagnement débute en même temps que la restriction et se poursuit pendant une durée déterminée mais d’au moins un an (cas de l’Allemagne). À noter que ce choix stratégique peut être lié aux conditions de communication. Ainsi, Londres n’a pas poursuivi son aide au retrofit6 au-delà du début de la LEZ, car la communication sur ce dispositif avait été entamée plusieurs années auparavant, et il a été considéré que les entreprises impactées avaient eu le temps de prendre leurs dispositions (la première phase de la LEZ ne concernait que les poids lourds). L’accompagnement financier dédié aux particuliers et aux entreprises est, à notre connaissance, issu de dispositifs nationaux, pilotés par l’État, ou régionaux (exemples : en Allemagne, prime à la casse nationale et réduction d’impôt pour l’achat d’un filtre à particules homologué ; en Italie, aide régionale pour le retrofit et prime à la casse pour les ménages à faibles revenus). Certaines initiatives peuvent cependant venir d’acteurs du secteur économique privé, tels qu’une banque allemande qui a proposé des prêts à taux bon marché pour aider les entreprises à acheter des poids lourds répondant aux meilleures normes Euro alors disponibles. Le taux d’emprunt était de 1,5 % sans remboursement requis pendant les deux premières années, soit un gain représentant entre 25 et 50 % du surcoût d’un véhicule répondant à la dernière norme Euro par rapport à un véhicule de la norme antérieure. En France, certains constructeurs automobile ont fait des offres de location longue durée ou de reprises de véhicules interdits à la circulation à Paris. Dès la mise en place de sa ZCR, la ville de Paris a apporté des subventions pour des alternatives au véhicule individuel thermique (aide à l’acquisition d’un vélo à assistance électrique, par exemple) ou pour l’acquisition de véhicules à carburation alternative (par exemple, pour les professionnels : aides pour le GNV). L’État français a également déployé des aides financières nationales comme, par exemple, l’aide à l’achat d’un véhicule électrique. Même si elles n’apportent généralement pas directement d’aides financières, les collectivités peuvent être à l’origine d’un accompagnement pour les usagers qui ne peuvent plus circuler. Ainsi, en Allemagne, certaines mairies ont mis en place un service téléphonique pour répondre aux questions des usagers et ont proposé des dérogations temporaires (jusqu’à 18 mois) pour les particuliers et entreprises faisant face à des difficultés ne leur permettant pas de s’adapter immédiatement aux prescriptions de la LEZ.
2. Les LEZ, dispositif intégré dans un plan global pour l’amélioration de la qualité de l’air
Dans la majorité des cas, la mise en place d’une low emission zone n’est pas une action isolée et fait partie d’un plan d’action plus global pour améliorer la qualité de l’air, ce plan pouvant être uniquement centré sur le trafic routier ou aborder différents secteurs d’activité à l’origine de polluants atmosphériques.
Ainsi, aux Pays-Bas, la plupart des villes ayant mis en place une LEZ qui ne concernait au début que les poids lourds, ont également travaillé le sujet de la logistique urbaine pour mettre en évidence qu’elles ne faisaient pas qu’« interdire » mais allaient également vers des solutions favorisant le transport de marchandises moins polluant, telles que la mise en place de plates-formes de logistique urbaine.
La Low emission zone de Berlin fait partie d’un plan pour la qualité de l’air qui comporte plusieurs actions liées au transport : réduction du trafic, favoriser l’usage de carburants alternatifs…
Le maire de Londres a débloqué un fonds de 5 millions de livres sur la période 2011-2013 permettant à l’opérateur de transports en commun, Transport for London7, de mettre en œuvre un programme de mesures locales innovantes dont l’objectif était de diminuer les émissions et les concentrations en particules PM10 sur trois zones du centre londonien. Ainsi, les bus des lignes traversant les zones prioritaires définies ont pu être équipés en filtres à particules et des actions ont été mises en œuvre sur les transports en entreprises (trajets des employés, livraison) dans ces zones.
Les villes et leurs opérateurs s’attachent également à être exemplaires : Berlin s’est fixée des critères d’émissions de polluants atmosphériques pour sa flotte de véhicules, plus strictes que ceux de la low emission zone, tandis que Transport for London, dans le cadre de la future Ultra low emission zone, s’est engagé à rendre « zéro émission à l’échappement » ses 300 bus à un étage et « hybrides » ses 3 000 bus à impériale (bus à deux étages), allant ainsi plus loin que les prescriptions de cette future zone où seuls les poids lourd Euro VI pourront circuler à partir d’avril 2019.
3. Des études sociologiques interrogent l’acceptabilité de ce dispositif
Ces retours d’expérience entrent en résonnance avec les conclusions des différentes études sociologiques réalisées par Plaine Commune, Grenoble-Alpes-Métropole et Clermont-Communauté entre 2011 et 2013, lors de leurs études de faisabilité8 de Zones d’Actions Prioritaires pour l’Air9 (ZAPA). En effet, parmi ces résultats, on note que les habitants craignent de ne pas être suffisamment accompagnés par la collectivité, tant sur le plan économique (demande de baisser le coût des transports en commun, par exemple) que pratique (avoir accès à des informations sur les transports en commun, amélioration du réseau de transport en commun). Les aides financières sont vues comme un moyen de remédier à une injustice sociale liée à l’interdiction de circulation et donc comme un moyen de redistribution auprès des ménages les plus pauvres. À noter que ces études ont montré que l’aide à l’achat d’un véhicule neuf n’était pas la mesure d’accompagnement la plus plébiscitée (souvent la question des transports en commun avait plus d’importance, tant en terme de prix que de qualité de l’offre et du réseau). Ce résultat se retrouve également dans le projet AZAP (Acceptabilité des Zones d’Action Prioritaire pour l’amélioration de la qualité de l’air) (Philipps-Bertin et al., 2015), qui montre que l’acceptabilité de la ZAPA est accrue pour les personnes concernées par l’interdiction de circulation lorsque les mesures d’accompagnement concernent les transports en commun (gratuité pendant deux ans, préférée à la prime à la casse). Les études sociologiques réalisées par les trois collectivités françaises citées plus haut montrent également que les usagers (habitants, salariés et entreprises) sont également fortement en attente d’information et de communication.
La brochure d’information sur les Low emission zones, rédigée dans le cadre du projet européen Clean Air10, indique que la communication doit être la première étape d’un projet de Low emission zone. Selon les auteurs, cette communication doit porter sur l’objectif de la LEZ, ses bénéfices pour les citoyens et les alternatives à l’utilisation d’un véhicule non autorisé à circuler. Concernant les bénéfices de la LEZ, il est à noter que différentes publications mentionnent la nécessité d’expliquer quels sont les enjeux de la qualité de l’air, quels bénéfices sanitaires peuvent être retirés d’une amélioration de la qualité de l’air. Le socio-politologue Erwan Lecœur mentionnait au moment des ZAPA que l’histoire de la pollution de l’air (story-telling) était tout aussi importante que les recherches de solutions techniques, car la population a besoin d’avoir une réponse à sa question « Pourquoi la ZAPA aujourd’hui ? ». Un des résultats du projet AZAP (IFSTTAR, 2015) est que l’opposition à la mesure peut être liée à l’absence de connaissance des conséquences négatives de la pollution de l’air. Ces individus opposés à la mesure sont généralement ceux qui perçoivent le moins les effets de la pollution atmosphérique, s’en préoccupent le moins et sont les moins actifs en termes d’écocomportement (tri des déchets, achat de produits portant un éco-label…). Une des conclusions d’AZAP est que l’acceptabilité est d’autant plus positive que les bénéfices sanitaires sont grands.
Les études sociologiques de Plaine Commune, Grenoble-Alpes-Métropole et Clermont-Communauté mettent également en évidence ce besoin de la population d’avoir des informations sur la mesure, et ce avant le début effectif de la restriction de la circulation.
4. Communication et informations : différents exemples
La communication sur la LEZ de Lisbonne pendant les deux premières phases s’est faite à travers un slogan contenant quatre items pour « plus de Lisbonne » : moins de pollution, plus d’oxygène, mieux respirer et vivre plus à Lisbonne. Le choix a été fait d’avoir des messages positifs associant la LEZ à une amélioration de la qualité de l’air, plutôt qu’une idée négative liée à une interdiction. Pour la troisième phase, le slogan a été changé pour casser la routine et être encore plus positif : « Lisbonne, une bonne ville à respirer ». Des tracts ont été distribués par la police municipale et la faculté des sciences et technologies de l’université nouvelle de Lisbonne un mois avant le début de cette troisième phase. Ils portaient sur le but de la LEZ et plus précisément sur l’objectif d’amélioration de la qualité de l’air. Le jour du lancement de la troisième phase, une conférence de presse de la police municipale et de la ville a été retransmise à la télévision et à la radio.
L’exemple de Londres est à ce titre parlant. En effet, alors que la LEZ a débuté en février 2008, la communication a commencé dès 2003, avec des phases de consultation du public dans le cadre de la réalisation de l’étude de faisabilité. Par la suite, différentes informations ont été communiquées via des brochures ou des sites Internet. À chaque étape de la LEZ (renforcement des critères d’accès et/ou inclusion de nouveaux types de véhicules dans le dispositif), une information a été faite généralement un an avant. Les différents supports ont été traduits en plusieurs langues étrangères. Alors que l’Ultra low emission zone ne devrait commencer qu’en 2019, Transport for London a, dès 2016, publié des brochures à destination du grand public et des professionnels pour les interpeler sur ce sujet et les inciter à vérifier la conformité de leur véhicule. Un site Internet permet également de tester son véhicule et ainsi savoir s’il pourra ou non circuler dans l’Ultra low emission zone.
C’est également ce qu’a proposé la ville d’Anvers (Belgique) avant le démarrage de sa LEZ. Via un site Internet dédié à la LEZ, l’usager pouvait, avant la restriction de circulation, tester son véhicule mais également obtenir des informations pratiques sur le dispositif et ses objectifs. Les habitants ont reçu des brochures d’informations. Des affiches ont été installées dans la rue pour informer.
On retrouve cet affichage dans la rue dans plusieurs villes allemandes. En Allemagne, des brochures sont également élaborées et certaines traduites en langues étrangères pour répondre aux questions des touristes. Outre les versions imprimées sur papier, ces supports d’information sont également téléchargeables sur différents sites Internet, dont ceux des villes concernées, et depuis peu, il est possible de télécharger une application pour téléphone portable qui donne tous les renseignements utiles pour savoir comment circuler dans la Low emission zone.
De son côté, la commission européenne finance le site Internet http://www.urbanaccessregulations.eu/, qui recense les différentes restrictions de circulations en Europe (dont les low emission zones). Il permet ainsi de répondre à une forte demande des professionnels du transport qui peuvent être amenés à traverser plusieurs pays mettant en œuvre de tels dispositifs. Ces professionnels du transport souhaitent également avoir un horizon temporel des restrictions de circulation, c’est-à-dire connaître à l’avance le calendrier de mise en œuvre si, par exemple, il est prévu dès le départ une progression dans les restrictions de circulation (comme cela a été le cas à Londres ou est actuellement le cas à Paris).
Il est à noter que la communication n’est pas réservée aux seuls porteurs du projet.
Les opposants à la LEZ mettent également en œuvre des dispositifs de communication. Ainsi, les opposants à la future Ultra low emission zone de Londres ont utilisé les réseaux sociaux pour dénoncer ce dispositif et mettre en ligne une pétition pour défendre le droit de circuler avec une vieille voiture. En Allemagne, alors que les vignettes à apposer sur le pare-brise du véhicule pour identifier à quelle classe d’émission il appartient sont rouges, jaunes et vertes, il est possible d’acheter sur Internet une vignette noire ou bleue, non homologuée, pour manifester son opposition à la LEZ ou le fait que son véhicule n’est pas autorisé à circuler car très ancien (les voitures particulières antérieures à Euro 1 sans filtre à particules ne peuvent pas avoir de vignette).
Les différents retours d’expériences des villes européennes ayant mis en place des low emission zones ainsi que les travaux réalisés par les collectivités françaises et les chercheurs français montrent que l’acceptabilité d’une restriction de circulation peut être augmentée en prévoyant suffisamment à l’avance des mesures d’accompagnement et de communication. Les alternatives au véhicule particulier, les bénéfices sanitaires, les informations pratiques sont autant de paramètres à étudier et à programmer dans le cycle de préparation et d’opération d’une low emission zone. Grand public et entreprises sont en attente sur ces différents points et ont besoin d’avoir une visibilité sur le long terme pour s’adapter à des changements qui, de prime abord, peuvent leur paraître brutaux.