1. Introduction
La maladie respiratoire est souvent multifactorielle et doit être située dans son contexte environnemental (Poitevin, 2013). On sait depuis des décennies que les facteurs environnementaux atmosphériques peuvent exacerber ou déclencher des symptômes respiratoires (ATS, 1995 ; EPA, 2008 ; D’Amato et al., 2015 ; CLA, 2017). Parmi les facteurs environnementaux présentant un risque sanitaire, figurent la pollution anthropique associée à l’ozone troposphérique, les particules fines, le dioxyde de soufre et le monoxyde de carbone (CLA, 2017). Bien que de nombreux auteurs en Europe (Peltre, 1998 ; Laaidi et al., 2002 ; Abou Chakra et al., 2010 ; D’Amato et al., 2015) ou au Japon (Ishizaki et al., 1987 ; Okuyama et al., 2007) aient noté l’importance de la synergie lorsque la « pollution » biologique (notamment le pollen allergénique) et la pollution anthropique sont combinées, les études sur ce sujet demeurent très rares au Canada. Le sujet mérite donc davantage d’attention. Selon plusieurs recherches en France (Abou Chakra et al., 2010 ; Poitevin, 2013 ; Sénéchal et al., 2015), les polluants anthropiques (notamment l’ozone ainsi que les particules de pollution s’échappant des moteurs Diesel) ont un effet adjuvant augmentant l’inflammation bronchique et les allergies respiratoires. Au Japon, Ishizaki et al. (1987) ont montré que pour une même quantité de pollen dans l’air, la proximité de voies à grande circulation bordées de cèdres accentue la réaction allergène par rapport à des endroits où des forêts de cèdres sont présentes mais où le trafic automobile est moindre. Par ailleurs, des souris exposées aux « particules de Diesel » développent davantage de manifestations d’asthme allergique (Guarnieri et Balmes, 2014). Chez l’être humain, on a pu quantifier le risque d’allergie respiratoire en termes de pollution atmosphérique chez les enfants de Californie (Parker et al., 2009). Ainsi, pour chaque augmentation de 10 ppbv d’ozone, la probabilité d’allergie augmente de 20 %. De même, pour 10 µg/m3 d’augmentation de particules fines, le risque augmente de 16 %. Le tableau 1 résume les impacts biologiques des polluants les plus reconnus et du pollen sur la santé respiratoire. Au niveau biologique, les polluants induisent une diminution des fonctions pulmonaires, une inflammation et des dommages aux cellules épithéliales bronchiques incluant des microlésions exacerbant l’impact sur la maladie respiratoire, permettant aux aérosols biologiques, notamment le pollen et les macromolécules allergéniques, de pénétrer plus facilement dans l’organisme (Gervais, 1994 ; Abou Chakra et al., 2010 et références incluses ; D’Amato et al., 2015). Notons au passage que la France reconnaît maintenant les aérosols biologiques allergéniques (pollution biologique) comme étant également une menace pour la santé au même titre que la pollution anthropique (Légifrance, 2010), ce qui n’est pas le cas au Canada ou ailleurs en Amérique. Un des aéroallergènes les plus problématiques est le pollen de bouleau, qui peut conduire à une hospitalisation sévère pour asthme au printemps au Canada (Dales et al., 2008). Guérin (1993) identifie d’ailleurs le pollen de bouleau (Betula spp. ) comme un puissant allergène et le plus anémophile, puisqu’il peut être transporté sur de grandes distances (~ 1000 km) par le vent et la turbulence (Sofiev et al., 2006). C’est aussi le pollen d’espèces arborescentes le plus abondant dans l’air au Canada d’après les mesures effectuées (Dr. Paul Comtois, comm. pers.). Finalement, non seulement le pollen de bouleau peut libérer des allergènes puissants dans l’atmosphère, tels que Bet v1, v2 et v4, qui sont reconnus comme posant un risque pour les asthmatiques (Schäppi et al., 1997), mais également un mélange de substances pro-inflammatoires connu sous le nom de PALMS (Pollen-Associated Lipid Mediators) et d’adénosine (Traidl-Hoffmann et al., 2003) pouvant même affecter les sujets non-atopiques.
La pollution (anthropique ou biologique) n’est pas le seul facteur affectant la maladie respiratoire. De nombreux autres paramètres influencent, tels que la prédisposition génétique, le tabagisme, l’alimentation et certaines conditions socio-économiques (voir ATS, 1995 ; von Mutius, 2000 ; D’Amato et al., 2015 ; CLA, 2017). L’un des plus grands défis de cette analyse est de contrôler les facteurs de confusion pour éliminer les biais et de faire ressortir les véritables relations de cause à effet. Par exemple, le tabagisme, dont la prévalence varie géographiquement, est un facteur de confusion important dans l’analyse spatio-temporelle des facteurs environnementaux (Crighton et al., 2012). Le type d’environnement (rural ou urbain) est aussi important. D’ailleurs, Von Mutius (2000) ainsi que Kilpeläinen et al. (2002) soutiennent que le fait de vivre en milieu rural offre une certaine « protection » contre les maladies respiratoires comme l’asthme allergique, parce que les jeunes entrent en contact avec des allergènes tôt dans leur vie, de sorte que leur système immunitaire est « entraîné » dès le plus jeune âge à la vie à la ferme (hypothèse hygiéniste).
Tableau 1. Description non exhaustive de différents types de polluants anthropiques et biologiques et leur impact sur la santé respiratoire. Note. I : inflammation respiratoire, B : bronchite, BC : bronchoconstriction, HB : hyperréactivité bronchique, R : rhinite allergique, A : asthme, SO : stress oxydatif augmenté, BPCO : bronchopneumopathie chronique obstructive (Ref. ; S7 : Schäppi et al., 1997 ; D8 : Duchateau, 1998 ; B9 : Broeckaert et al., 1999 ; P2 : Portejoie et al., 2002 ; TH3 : Traidl-Hoffmann et al., 2003 ; L5 : Lacroix, 2005 ; O7 : Okuyama et al., 2007 ; M8 : Morgenstein et al., 2008 ; P9 : Pascal, 2009 ; PA9 : Parker et al., 2009 ; AC10 : Abou Chakra, 2010 ; L11 : Laaidi et al., 2011 ; T11 : Thibaudon et al., 2011 ; DW13 : de Weger et al., 2013 ; GM14 : Guarnieri et Balmes, 2014 ; C15 : Chassard et al., 2015 ; DA15 ; D’Amato et al., 2015).
Non-exhaustive description of different types of atmospheric biological and anthropic pollutants and impact on respiratory health. Note. I: respiratory inflammation, B: bronchitis, BC: bronchoconstriction, HB: bronchial hyperreactiveness, R: allergic rhinitis, A: asthma, SO: enhanced oxidative stress, COPD: chronic obstructive pulmonary disease.
Polluants |
Type de pollution |
Impact sur la santé respiratoire |
Impact chez les patients atopiques |
Synergie pollen-polluant |
Ozone |
Photochimique |
I, HB, A, BPCO (Réf. L5 ; B9 ; P9 ; AC10 ; GM14), R (réf. AC10) |
Augmente la sensibilisation au pollen (réf. L5) |
Adjuvant dans la réaction allergique (réf. L5 ; D8 ; PA9 ; AC10) |
Dioxyde d’azote |
Photochimique (trafic) |
A, I, HB, BPCO (réf. L5 ; P9 ; AC10) |
Idem (réf. L5) |
Rôle adjuvant en combinaison avec d’autres polluants (réf. GM14) |
Dioxyde de soufre |
Anthropique (industrie lourde) |
BC (réf. L5 ; P9 ; AC10 ; GM14) |
Pas de lien évident (réf. PA9) |
|
Particules fines (notamment le diésel et les hydrocarbures aromatiques polycycliques) |
Anthropique (trafic et industrie) |
I, HB, SO, BPCO (réf. L5 ; P9 ; GM14), A (réf. GM14) |
Augmente la sensibilisation au pollen (réf. L5 ; M8) |
Diésel absorbe les allergènes, i.e. adjuvant dans la réaction allergique (réf. O7 ; PA9 ; GB14) |
Ammoniac |
Agricole |
A, BC (réf. P2) |
Pas de lien évident |
Absorbé par le pollen |
Pollen |
Biologique |
R, I (réf. AC10) |
PALMS affecte même les sujets non atopiques (réf. TH3). Le pollen peut absorber certains gaz le rendant plus dangereux (réf. C15) |
Polluen (agrégat de pollen+polluant), (réf. L5 ; O7 ; D8 ; L11) |
Allergènes (diamètre inférieur à 10 microns) |
Biologique |
R, A (réf. AC10, T11) |
Après la pluie, le nombre d’allergènes augmente énormément (réf. S7) favorisant l’asthme |
Allergène+polluant plus dangereux (réf. L11 ; T11) notamment en présence de pluie et orages (réf. DA15) |
Le but de l’étude présentée ici est d’aider à caractériser les variations géographiques et les patrons spatiaux du risque pour la santé respiratoire (qui sont mal connus au Québec) et à identifier les points chauds (régions problématiques) où la santé respiratoire est affectée davantage par les pollutions anthropique et biologique (notamment le pollen de bouleau), et leur synergie.
2. Matériel et méthodes
La province de Québec (PQ) est la région d’étude, située dans l’est du Canada. La figure 1 montre les régions administratives de la province qui incluent quatre grandes zones urbaines : 1) Montréal (région 06), Laval (13), Montérégie (banlieues de la rive sud de Montréal, région 16) et la région de la Capitale Nationale qui comprend la ville de Québec et les zones rurales environnantes (région 03). Le tableau 2 donne les caractéristiques de chacune des régions1.
Tableau 2. Description des régions administratives de la province de Québec.
Description of the administrative regions of the province of Quebec.
Région ID |
Nom de la région |
Acronyme |
Population* (milliers) |
Densité de population* (/km2) |
Pyramide d’âge* (% 0-14/15-64/65+) |
Facteur d’ajustement de l’âge** |
Prévalence ( %) du tabagisme |
Type de sol |
01 |
Bas St-Laurent |
BSL |
201.2 |
9.1 |
14.2/65.6/20.2 |
1.054 |
29.4 |
RA/RF |
02 |
Saguenay-Lac St-Jean |
SLJ |
277.2 |
2.9 |
15.0/67.2/17.8 |
1.006 |
32.3 |
RI/RF |
03 |
Capitale Nationale |
CN |
710.9 |
38.9 |
14.2/68.2/17.6 |
0.975 |
27.8 |
U |
04/17 |
Mauricie/Centre-du- Québec |
MAU |
501.2 |
7.5 |
13.7/65.8/20.6 |
1.049 |
30.9 |
RI/RF |
05 |
Estrie |
EST |
313.6 |
31.2 |
15.9/66.4/17.7 |
1.031 |
29.6 |
RF |
06 |
Montréal |
MTL |
1915.6 |
3935.7 |
15.2/69.4/15.4 |
0.939 |
26.9 |
U |
07 |
Outaouais |
OUT |
373.9 |
12.5 |
17.1/69.8/13.1 |
0.928 |
39.3 |
RF |
08 |
Abitibi-Témiscamingue |
ABT |
146.7 |
2.6 |
17.1/67.8/15.1 |
0.989 |
32.0 |
RI/RF |
09 |
Côte Nord |
CTN |
95.6 |
0.4 |
16.8/68.5/14.7 |
0.965 |
35.8 |
RE |
10 |
Nord-du-QC |
NDQ |
44.0 |
0.1 |
27.6/65.9/6.5 |
1.048 |
34.9 |
RE |
11 |
Gaspésie-Iles-de-la-Madeleine |
GIM |
94.5 |
4.60 |
13.0/65.9/21.2 |
1.048 |
32.7 |
RE |
12 |
Chaudière-App. |
CHAU |
418.7 |
27.8 |
16.2/66.8/17.0 |
1.020 |
26.3 |
RA |
13 |
Laval |
LAV |
417.3 |
1696.4 |
17.1/68.4/14.5 |
0.997 |
27.7 |
U |
14 |
Lanaudière |
LAN |
488.9 |
39.7 |
17.2/68.3/14.5 |
0.972 |
33.3 |
RI/RA |
15 |
Laurentides |
LAU |
580.0 |
28.5 |
17.0/68.3/14.7 |
0.972 |
31.1 |
RF |
16 |
Montérégie |
MON |
1499.2 |
134.9 |
17.0/67.9/15.1 |
0.986 |
29.0 |
RA |
Un moyen efficace de contrôler les facteurs de confusion consiste à effectuer une stratification appropriée des données (Kestenbaum, 2009). Ainsi, l’analyse présentée ici est faite sur une saison à la fois (i.e. ici au niveau du trimestre du printemps) afin de filtrer les facteurs de confusion liés aux changements saisonniers influençant les facteurs environnementaux et la maladie respiratoire, et dont le risque s’applique à d’autres saisons (pollen allergène de Poaceae et spores fongiques en été, virus hivernal de la grippe, etc.). De plus, des ajustements ont été apportés pour corriger la différence de pyramide des âges entre les régions (puisque les maladies respiratoires sont souvent liées à l’âge) et aussi pour le niveau de tabagisme d’une région donnée, ces deux facteurs pouvant affecter l’analyse de la variabilité spatiale de la prévalence des comptes d’épreuve respiratoire (PÉR par la suite). Le style de vie relié au statut socio-économique est un facteur important selon Von Mutius (2000) mais plutôt controversé, et de l’influence duquel il est difficile de tenir compte (Pascal, 2009). Par ailleurs, on considère ici que l’accès aux soins de santé ne varie pas d’une région à l’autre de façon significative, étant donné que le régime universel de l’Assurance-maladie du Québec garantit l’accès aux soins quels que soient la région, l’âge ou le statut socio-économique dans la province de Québec.
Le taux d’émission du pollen de bouleau (Betula) a été pris comme proxy pour estimer la « pollution biologique » au printemps, car ce dernier est le pollen le plus allergène et le plus abondant parmi toutes les espèces arborescentes (Guérin, 1993). De plus, il est considéré comme un proxy pour le pollen d’autres espèces arborescentes dont les maximums surviennent à peu près à la même période du printemps (environ du 15 avril au 15 juin au Québec), l’abondance du pollen de bouleau quant à lui étant maximum au mois de mai. Toutes les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel SAS®, version 9.2 (procédure STEPWISE ou « pas à pas », GLM (General Linear Model) avec le test de Tukey pour évaluer la signifiance statistique et la procédure CORR pour estimer les corrélations (Pearson). Les données sur la qualité de l’air pour différentes régions du Québec ont été obtenues auprès du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (site web : www.mddlcc.gouv.qc.ca/contenu/index.asp) pour toutes les régions au cours de la période 2005-2014. Les données sur la qualité de l’air sous la forme d’un indice (IQA) prennent en compte l’ozone, les particules fines (PM2.5), le dioxyde d’azote (NO2), le dioxyde de soufre (SO2) et le monoxyde de carbone (CO)2. La première métrique utilisée ici pour évaluer le niveau de pollution anthropique est le pourcentage d’heures où l’indice IQA provincial correspondait à une mauvaise qualité de l’air (PHIQAM par la suite). La deuxième métrique est basée sur l’indice fédéral canadien de la qualité de l’air, connu sous le nom de CAS ou Cote Air-Santé3. Cet indice est calculé selon Stieb et al. (2008) et tient compte uniquement des niveaux d’ozone, de dioxyde d’azote et de particules fines. Nous considérons ici le pourcentage d’heures sur lequel cet indice est supérieur à 3 (dénommé %CAS>3 par la suite) comme seconde métrique pour cette étude. Notez que la valeur de CAS de 3 marque un seuil au-delà duquel la population sensible montre des symptômes. Dans cette étude, la valeur de cette métrique a été obtenue pour chaque région de la province de Québec (PQ) en interpolant spatialement partout au Québec les résultats de la cartographie de la pollution anthropique obtenue dans Robichaud et al. (2016). Finalement, les données météorologiques accessibles au public pour la PQ4 ont été téléchargées pour la période d’étude.
2.1. Indicateur de santé respiratoire
Selon Crighton et al. (2012), qui ont examiné les variations spatiales de l’asthme dans la province de l’Ontario (province voisine du Québec), un indicateur robuste de santé respiratoire devrait représenter plus qu’un type de service sanitaire (i.e., pas uniquement le nombre de visites aux urgences pour asthme, pour réactivité bronchique, infections respiratoires ou autres). Ainsi, une hypothèse ici retenue est que les estimées de prévalence (nombre de cas de services reliés à la santé respiratoire per capita) de comptes d’épreuve respiratoire représentent un indicateur robuste de santé respiratoire. L’Épreuve fonctionnelle Respiratoire (ÉR) est un test que l’on administre dans le contexte de plusieurs maladies respiratoires : asthme, pneumonie, bronchites, apnée du sommeil, BPCO, etc. (RAMQ, Régie de l’Assurance-maladie du Québec, comm. pers., 2010). Le résultat de l’ÉR lui-même n’est pas utilisé ici, mais on calcule plutôt la fréquence à laquelle la population d’une région donnée a recours à l’ÉR. Les comptes de l’ÉR pour différentes régions du Québec sont accessibles sur une base trimestrielle5. Pour chaque région administrative, le compte des épreuves respiratoire est divisé par la population totale (obtenue des recensements de Statistiques Canada, voir 4e colonne du tableau 2) de la région appropriée et est exprimé en pourcentage (PÉR par la suite)6. Dans certaines analyses présentées ci-dessous, les données ont également été rassemblées en trois groupes de régions afin d’affiner les analyses : 1) groupe fortement urbanisé : régions de Montréal, Laval, Montérégie et Capitale Nationale (ci-après MTL, LAV, MON, CN : régions 06, 13, 16 et 03 respectivement sur la figure 1) ; 2) groupe rural industriel : Saguenay Lac St-Jean, Mauricie/Centre du Québec, Lanaudière et Abitibi-Témiscamingue (par la suite SLJ, MAU/CQ, LAN et ABT : régions 02, 04/17, 14 et 08 respectivement) ; et 3) le groupe des régions rurales et/ou éloignées (i.e. toutes les autres régions de la figure 1). Cette classification en trois groupes est basée sur l’idée d’examiner différents cas orthogonaux : 1) régions urbaines fortement peuplées où la pollution anthropique observée est modérée ou élevée (trafic urbain) et où les sources d’émission de pollen de Betula ont été trouvées plus faibles7 ; 2) régions peu soumises à la pollution urbaine mais situées à proximité de grandes régions sources locales de pollen et où les sources de pollution proviennent de l’industrie locale et régionale (pâtes et papiers, fonderies, mines, etc.) ou agricole ; et finalement 3) régions rurales où la pollution urbaine et la population sont plus faibles, mais où la pollution biologique par le pollen de Betula peut être élevée.
2.2. Ajustement pour la variation spatiale de la pyramide d’âge
Un facteur d’ajustement est introduit ici pour tenir compte des variations spatiales de la pyramide des âges qui constitue un facteur de confusion puisque la prévalence de certaines maladies respiratoires comme l’asthme est plus fréquente chez les enfants (de moins de 14 ans) que chez les autres groupes d’âge. D’autre part, d’autres maladies respiratoires (telle que la bronchopneumopathie, BPCO8) augmentent avec l’âge, de sorte que la probabilité la plus élevée de BPCO survient chez les adultes de plus de 65 ans (RAMQ, comm. pers. 2010). Les deux groupes d’âge forment une catégorie dite population sensible aux effets de la pollution. Par conséquent, la proportion de la population sensible (0-14 ou 65 ans et plus) par rapport à la population totale est calculée pour chaque région. En utilisant les données du tableau 2 pour la proportion relative de 3 groupes d’âge (0-14/15-64/65+), i.e. le pourcentage de la population sensible a été obtenu et divisé sur la moyenne provinciale de chaque groupe pour obtenir un facteur de correction ajusté selon l’âge (voir résultats à la 7e colonne du tableau 2).
2.3. Ajustement pour la variabilité spatiale du tabagisme
Un ajustement est également nécessaire pour corriger l’impact de la variation spatiale du niveau de tabagisme sur l’analyse spatiale de la PÉR. Les données disponibles pour la distribution spatiale de la prévalence du tabagisme à travers le Québec (Info-Tabac, 2010) ont été utilisées ici pour minimiser l’impact de ce facteur de confusion. Le tableau 2 (8e colonne) donne la prévalence du tabagisme pour l’ensemble du Québec. Le facteur de correction pour les variations spatiales des différentes régions administratives est obtenu simplement en divisant la prévalence (donnée en %) par la moyenne provinciale (i.e. moyenne sur tout le domaine). Il est intéressant de noter au passage que la prévalence du tabagisme est généralement plus élevée dans les régions rurales que dans les grandes régions urbaines au Québec.
2.4. Modèle pour le taux d’émission pollinique du Betula
Comme aucune cartographie de la concentration de pollen dans l’air n’est disponible à ce moment-ci au Québec pour la période d’étude, une estimation de l’émission pollinique de Betula a été établie et est utilisée comme proxy pour déterminer pour une région ou un secteur donné, 1) si le pollen a une origine locale ou provient du transport à longue distance et 2) évaluer le niveau des concentrations de pollen attendues (bas, moyen ou élevé) dans la région ou secteur donné. Une modélisation cohérente de l’émission du flux de pollen est disponible dans la littérature (Helbig et al., 2004, par la suite H04) et est utilisée ici avec quelques modifications mineures (i.e. modifiée pour le genre Betula (bouleau) et sa distribution géographique correspondant au Québec). Notez que la paramétrisation de H04 a été adoptée par plusieurs auteurs pour simuler numériquement l’émission et la dispersion du pollen (Sofiev et al., 2006 ; Vogel et al., 2008 ; Efstathiou et al., 2011). En utilisant des facteurs météorologiques simples comme intrants (vitesse de vent, température, humidité et vent) et des paramètres physiologiques moyennés (indice foliaire, hauteur de la canopée, etc.), l’ouverture de l’anthère et la libération du pollen peuvent être paramétrées. Les données météorologiques ont été obtenues du Service Météorologique Canadien. La bouffée du flux de pollen (émission pollinique) obéit à l’équation suivante (Siljamo, 2013) :
Émission = Fe(t,i,j) x SA x D(i,j) (1)
où SA est la surface d’une tuile de grille cartographique donnée (une tuile d’environ 100 km2 est utilisée ici) et D est la fraction de végétation de bouleau (fraction 0-1 calculée à partir des données de la figure 1 de Robichaud et Comtois, 2017) et Fe (t, i, j) est le flux d’émission selon H04. Dans ce modèle, le flux d’émission de pollen (Fe) s’écrit :
Fe = ce x Ke x c* x u* (2)
où c* et u* représentent respectivement les valeurs caractéristiques de concentration de pollen (grains/m3) et la vitesse du vent au ras du sol (i.e. vitesse de frottement en m/s), ce un facteur spécifique à la plante (sans dimension) décrivant la probabilité d’émission des étamines. Ce dernier facteur est nul en dehors de la saison pollinique, d’où l’importance de connaître les dates de début et de fin de la saison de pollen (i.e. paramètres phénologiques). Le début de la saison de pollen est souvent une fonction du nombre de degrés-jour ou d’autres variables météorologiques qui prévalent avant le début de la saison (voir Robichaud et Comtois, 2017 pour plus de détails). Finalement, Ke est un interrupteur également sans dimension, mis à zéro si la vitesse de frottement descend en-dessous d’un seuil prédéterminé. Notez que Fe est le flux d’émission résultant, donné en grains/m2/s. En général, toutes autres choses étant égales, plus la turbulence sera élevée, plus u* sera important et plus l’émission pollinique sera intense et vice-versa. Plus de détails apparaissent dans Helbig et al. (2004) quant à la forme de ces termes qui sont paramétrés en fonction des caractéristiques des grains de pollen à l’étude.
3. Résultats
3.1. Cartographie des taux d’émission de pollen
En utilisant la méthodologie présentée ci-dessus (Éqs. 1-2), une cartographie du flux d’émission de pollen de Betula à travers le Québec et tout l’Est du Canada est produite pour la première fois ici (voir figure 2 : flux moyen pour mai 2012). Le secteur des Laurentides (incluant les régions 4, 14, 15 et la partie nord-ouest de la région 3, voir la figure 1 pour la localisation des régions) est la plus importante source de pollen au Québec à l’ouest du fleuve St-Laurent. À l’est, les régions de l’Estrie (5) et de Chaudière-Appalaches (12) constituent également une importante source de pollen de Betula.
Figure 2. Cartographie des émissions de pollen (moyennes pour mai 2012) pour l’Est du Canada. Note : NE = Nouvelle-Angleterre (USA). Les différents chiffres correspondent aux identifiants des régions administratives données au tableau 2.
Map of pollen emissions (average for May 2012) in eastern Canada. Note. NE = New-England (USA). Numbers refer to administrative region ID given in Table 2.
3.2. Cycle saisonnier des comptes d’épreuve respiratoire au Québec (2005-2014)
Les statistiques des comptes enregistrés d’Épreuve Respiratoire (ÉR) ont été compilées sur une période de 10 ans (2005-2014) pour chaque saison à partir des données fournies sur le site web de la RAMQ. L’emphase est mise sur la saison printanière (avril-juin) puisque c’est durant cette période que l’on retrouve l’impact à la fois de la pollution anthropique et du pollen des espèces arborescentes. Les statistiques de ÉR pour les autres saisons sont aussi montrées mais pour des fins de comparaison seulement avec les statistiques printanières. Le cycle saisonnier du nombre de tests d’épreuve respiratoire enregistrés pour Montréal (le plus grand centre urbain au Québec) est montré dans la figure 3A, avec un minimum trimestriel enregistré en été et un maximum au printemps. La différence entre les deux trimestres (printemps et été) est significative au niveau p = 0,07.
Figure 3. Nombre de comptes d’Épreuves Respiratoires (ÉR) enregistrés par saison (2005-2014) pour A) l’île de Montréal, B) pour l’ensemble de la province de Québec. La moyenne est indiquée par un losange, et les rangs centiles 25, 50 et 75 par des lignes horizontales. Les extrémités représentent les valeurs minimum et maximum.
Number of counts of respiratory tests (2005-2014) recorded for each season for a) the island of Montreal, b) the whole province of Quebec. The average is indicated by a diamond and percentiles 25th, 50th and 75th by horizontal lines. Min/max are also indicated.
Pour l’ensemble de la province de Québec (figure 3B), le cycle saisonnier est similaire à celui de Montréal, bien que la différence entre les saisons des comptes d’ÉR à l’échelle de la province ne soit pas statistiquement significative (p > 0,10). Néanmoins, on peut supposer que la diminution enregistrée des comptes d’ÉR en passant du printemps à l’été (environ 8 % sur la figure 3A et environ 10 % sur la figure 3B) est probablement la signature reliée à la fin de la saison du pollen des arbres (à savoir le pollen de Betula n’est plus présent dans l’air en été). Notons que des cycles saisonniers similaires ont été notés pour le nombre de visites à l’urgence pour asthme à Québec (Lajoie et al., 1994) et pour le nombre d’hospitalisations pour asthme à Montréal (Robichaud, 2018, chap. 5), ce qui supporte l’utilisation du nombre de cas d’ÉR comme indice sanitaire d’une population donnée.
3.3. Variabilité spatiale de la prévalence ajustée des comptes d’épreuve respiratoire au Québec (2005-2014)
Pour mieux comprendre la variabilité spatiale des maladies respiratoires au Québec en fonction de la pollution anthropique et biologique, on examine maintenant les statistiques de prévalence ajustée des occurrences d’ÉR (PÉRA par la suite) pour 16 régions de la PQ pour la période 2005-2014 (figure 4A). On constate que les régions urbaines fortement peuplées (Capitale Nationale, Montréal et Laval, régions 3, 6 et 13) ont tendance à avoir une valeur plus élevée (différence hautement significative, p < 0.0001) de la PÉRA comparativement aux régions rurales ou éloignées (régions 5, 7, 9, 10, 11, 12, 14, 15), ce qui représente un résultat anticipé. Mais certaines régions ont aussi une valeur de la PÉRA relativement élevée bien qu’ayant une urbanisation moindre, mais qui comprennent certaines industries primaires (pâtes et papiers, fonderies, transformation des métaux, etc.) ou agricoles sur leurs territoires respectifs. Ces régions (dites rurales industrielles) incluent la région SLJ (région 2), la Mauricie/Centre du Québec (régions 4 et 17 combinées) et l’Abitibi-Témiscamingue (région 8). On doit signaler ici qu’un facteur de confusion important peut possiblement intervenir pour la région de l’Abitibi (région 8). En effet, la mauvaise qualité de l’air intérieur dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue (ABT), qui affecte la prévalence de la maladie respiratoire, est liée à la grande popularité du poêle à bois dans les résidences (environ 40 % de la population en utilise un, selon Statistiques Canada, et jusqu’au printemps en raison des conditions plus froides enregistrées dans cette région). Dans la figure 4B, les régions sont maintenant classifiées en trois groupes différents, le groupe 1 : urbain ; le groupe 2 : rural avec des industries primaires ou agricoles importantes et des sources d’émissions de pollen locales abondantes ; et le groupe 3 : régions rurales ou éloignées à faible pollution (anthropique et/ou biologique). Selon la figure 4B, le groupe urbain 1 (MTL, LAV, CN) et le groupe industriel rural 2 (SLJ, MAU, ABT) ont tous deux une PÉRA très significativement plus élevée, selon le test de Tukey (p < 0,0001), que les régions rurales/forestières ou agricoles (BSL, OUT, CHA, LAU) ou éloignées (CTN, NDQ, GIM) (i.e. groupe 3). Notez que la différence entre les groupes urbain et rural industriel (groupes 1 et 2) n’est pas statistiquement différente (p > 0,1), ce qui suggère que vivre en milieu rural (mais avec des industries locales) ne diminue pas nécessairement le risque à la santé respiratoire. Cependant, la différence entre les groupes 1, 2 et le groupe 3 est hautement significative (p < 0.0001), i.e. dans le cas de région rurale sans industries polluantes majeures. Les résultats ci-dessus suggèrent que la présence d’une forte industrialisation (générant une pollution anthropique locale) en milieu rural avec, simultanément, à proximité des sources élevées de pollen de Betula (voir figure 2) peut expliquer la forte prévalence inattendue pour le groupe 2 (presque aussi élevée que la prévalence du groupe urbain 1). Ce résultat suggère une coopération biochimique entre le pollen allergène et la pollution anthropique (industrielle et agricole), comme il est discuté plus loin. Notez aussi que les variations de la PÉRA entre les différents groupes de région sont d’environ un facteur 2 (sur la figure 4B). À titre de comparaison, Crighton et al. (2012) ont trouvé un facteur similaire (1,6) dans les variations géographiques de prévalence de l’asthme en Ontario.
Figure 4. Prévalence ajustée (%) des comptes d’ÉR (PÉRA) (2005-2014) pour la province de Québec : A) dans 16 régions administratives, B) dans les 3 groupes (voir le texte pour plus de détails).
Adjusted prevalence (%) of PEFR (2005-2014) for the province of Quebec: A) in 16 administrative regions, B) in 3 groups (see text for more details).
3.4. Analyse combinée de la pollution anthropique et biologique et impact sur la PÉRA
Une analyse de la PÉRA en fonction de la moyenne du Flux d’Émission (FE) de pollen ainsi que de la valeur PHIQAM pour chaque région est montrée à la figure 5. L’analyse statistique a été faite en utilisant la procédure GLM du logiciel SAS® (période du printemps 2012, qui est considérée représentative de la période d’étude 2005-2014) pour obtenir l’ajustement optimal des valeurs de la PÉRA (lignes diagonales croissantes sur la figure). Les résultats suggèrent deux régions différentes du domaine où la PÉRA est 1) élevée (> 0,6) et 2) basse (< 0,6). La figure 5 montre des valeurs de PÉRA supérieures à 0,6 pour 1) les régions fortement urbanisées (triangle), Capitale Nationale, Laval, Montérégie, et Montréal où le pourcentage d’heures d’IQA mauvais (PHAQIM) est plutôt élevé (supérieur à 6 %) ; 2) les régions rurales ou moins urbanisées mais avec des industries de matières premières (points noirs), i.e. régions Abitibi-Témiscamingue, Mauricie/CQ et Lanaudière, où les valeurs de FE et PHIQAM sont toutes deux élevées. D’autre part, lorsque la PÉRA est faible (PÉRA < 0,6), deux sous-groupes apparaissent évidents dans ce domaine sur la figure 5, soit 1) PHIQAM faible mais FE modéré-élevé (20-40), c’est-à-dire les régions LAU, GIM, BSL, OUT et CHA (carrés) ; enfin, 2) les régions éloignées où FE et PHIQAM sont toutes deux faibles (régions CTN et NQ) et où conséquemment la PÉRA est très faible (< 0.2). Les résultats suggèrent que, d’une part, les régions où la valeur de PHIQAM et de FE sont toutes deux faibles ont également une valeur de PÉRA faible, ce qui est consistant avec le fait que peu de pollution biologique ou anthropique entraîne moins de problèmes de santé respiratoire. Inversement, les régions fortement urbanisées (i.e. Montréal, MTL) sont associées à une PÉRA plus élevée (PÉRA > 0,6) tel qu’anticipé. Cependant, si des industries émettrices de pollution anthropique sont présentes dans des régions rurales et où les sources de pollen sont aussi abondantes localement, la PÉRA pourrait aussi être élevée, surtout si le flux pollinique allergénique (calculé par l’Éq. 1) est modéré ou élevé dans la région (e.g. régions ABT, MAU/CQ, LAN, CN). Ceci suggère une synergie entre la pollution anthropique et biologique exacerbant les maladies respiratoires et augmentant la PÉRA.
Figure 5. Prévalence ajustée (%) des comptes d’ÉR pour le printemps 2012 (PÉRA : lignes diagonales) versus FE (flux d’émission pollinique de Betula, grains/m2/s) et PHIQAM (pourcentage d’heures où l’indice de qualité de l’air était mauvais). Rond noir : site rural industriel ; triangle : site urbain ; carré : site rural.
Adjusted prevalence (%) of counts of ER for Spring 2012 (diagonal lines) versus FE (Betula pollen emission flux, grains/m2/s) and PHIQAM (percentage of hours when the air quality index was poor). Black: rural industrial site, triangle: urban, square: rural.
3.5. Corrélation entre métriques de la qualité de l’air et la PÉRA
Deux métriques (fédérale et provinciale) basées sur des indices de qualité de l’air utilisés au Québec ont été corrélées avec la PÉRA dans les 15 régions à l’étude pour la période 2005-2014. Le tableau 3 montre les résultats de la matrice de corrélation pour l’ensemble de la province de Québec (N ~ 150). Il révèle d’abord que les deux métriques, une basée sur l’IQA québécois (PHIQAM ou pourcentage d’heures où l’IQA était mauvais) et l’autre basée sur la cote fédérale air-santé (%CAS>3) sont assez faiblement corrélées entre elles (R = 0,49, p < 0,0001). Cependant, la variabilité de PHIQAM d’une région à l’autre (période 2005-2014) est, en général, mieux corrélée avec la PÉRA (R = 0,70, p < 0.0001) que ne l’est l’indice fédéral (pourcentage d’heures où CAS est supérieur à 3 ; i.e. R = 0,39, p < 0,0001). À l’opposé, la métrique basée sur la CAS (%CAS> 3) est mieux corrélée (R = 0,70 ; p < 0,0001) avec la population totale d’une région donnée (un proxy pour le degré d’urbanisation) que dans le cas de la métrique PHIQAM (R = 0,34 ; p < 0,0001). Ces résultats suggèrent que la métrique basée sur l’indice fédéral (i.e. %CAS> 3) est plus appropriée uniquement pour les zones fortement peuplées (haut degré d’urbanisation). Ceci peut s’expliquer par le fait que l’indice CAS a été développé justement pour les zones fortement urbanisées donc fortement peuplées (voir Stieb et al., 2008). Par contre, la métrique basée sur l’IQA québécois (PHIQAM) est mieux adaptée dans l’ensemble des régions. Quoi qu’il en soit, dans tous les cas, le fait que le pollen allergénique et sa synergie avec la pollution anthropique ne soient pas inclus dans le calcul traditionnel des indices de qualité de l’air pourrait expliquer le coefficient de détermination avec la PÉRA plutôt modéré dans le meilleur des cas (R = 0,70, i.e. R2 < 0,5 selon le tableau 3).
Tableau 3. Matrice de corrélation de la PÉRA, deux indices de qualité de l’air et la population totale pour les régions de la province de Québec (2005-2014). Toutes les corrélations sont statistiquement fortement significatives (i.e. p < 0,0001, N =150).
Correlation matrix for PERA, two air quality indices and the total population for different regions of the province of Quebec (2005-2014). All correlations are statistically highly significant (i.e. p <0.0001, N =150).
PÉRA |
PHIQAM |
%CAS>3 |
Population |
|
PÉR |
1,0 |
0,70 |
0,39 |
0,21 |
PHIQAM |
1,0 |
0,49 |
0,34 |
|
%CAS>3 |
1,0 |
0,70 |
||
Population |
1,0 |
Tableau 3. Matrice de corrélation de la PÉRA, deux indices de qualité de l’air et la population totale pour les régions de la province de Québec (2005-2014). Toutes les corrélations sont statistiquement fortement significatives (i.e. p < 0,0001, N =150).
Correlation matrix for PERA, two air quality indices and the total population for different regions of the province of Quebec (2005-2014). All correlations are statistically highly significant (i.e. p <0.0001, N =150).
Pour l’année 2012 (où les données FE sont disponibles), lorsque la variable FE (Flux d’Émission de Betula) est ajoutée comme variable supplémentaire, on constate des résultats supérieurs à ceux montrés au tableau 3. Une équation de régression multiple de type « pas à pas » a été obtenue par la procédure STEPWISE (SAS ©) et est montrée à l’Éq. 3. La procédure « pas à pas » consiste à intégrer les variables indépendantes les unes après les autres en fonction de leur contribution au modèle (en éliminant l’information statistiquement redondante). Notez que la variable « population » (un proxy pour le degré d’urbanisation) n’a pas été retenue par la procédure en raison de son plus faible coefficient de corrélation (R =0,34 selon le tableau 3).
PÉRA0.02 = 0,947763 + 0,00698346*FE0.3 + 0,01965*PHIQAM0.2 (3)
Variance expliquée : R2 =0,76 (p < 0,0001)
où FE est le flux de pollen émis (grains/m2/s) moyen dans une région donnée et PHIQAM est déjà défini plus haut. Le coefficient de détermination entre la PÉRA et les costresseurs (pollution anthropique et biologique) passe alors à 0,76 (p < 0,001), ce qui est significativement plus élevé que dans le cas n’incluant pas la pollution biologique. La contribution partielle pour chaque variable est indiquée sous l’Éq. (3). Ainsi FE seul ne contribue à expliquer que 10 % de la variance, et PHIQAM environ 0,66. Mais la contribution des deux facteurs en synergie explique plus des trois quarts de la variance.
4. Discussion
Le but premier de cette recherche est d’isoler et d’évaluer l’impact combiné de la pollution anthropique et biologique sur la santé respiratoire et sa variabilité spatiale. Bien que les causes des maladies respiratoires soient probablement multifactorielles, la coopération bio-physico-chimique (synergie) entre pollution anthropique et biologique semble être la clé ici pour mieux comprendre la relation entre facteurs environnementaux atmosphériques et un indicateur de santé respiratoire (PÉRA). Au niveau biologique, cette synergie peut prendre des formes complexes selon la situation. Sous des conditions humides ou polluées, il peut y avoir une rupture par osmose ou par oxydation du pollen d’arbre respectivement libérant de minuscules allergènes (de l’ordre du micron en diamètre ou moins) qui peuvent pénétrer profondément dans l’appareil respiratoire et déclencher des crises d’asthme ou une hyperréactivité bronchique (Laaidi et al., 2002 ; Lacroix, 2005 ; D’Amato et al., 2015). Le pollen de bouleau ne fait pas exception (même si son grain est plutôt dur, voir Puc et al., 2016). De même, sous des conditions météorologiques variées, le pollen de bouleau peut libérer des granules cytoplasmiques contenant de puissants allergènes : Bet v1, v2 et v4 (par exemple, sous des conditions pluvieuses selon Schäppi et al., 1997) et également un mélange appelé PALMS (Pollen-Associated Lipid Mediators), qui sont des substances pro-inflammatoires qui affectent l’appareil respiratoire (Traidl-Hoffmann et al., 2003).
Le milieu urbain représente plutôt une région réceptrice du pollen qui provient du transport à distance moyenne ou longue, alors que le groupe rural/industriel est géographiquement plus près des principales sources polliniques au Québec, et l’exposition au pollen est alors supposée plus élevée tandis que la pollution anthropique est due à des industries primaires (polluant directement émis et non pas de polluants photochimiques souvent présents dans les smogs urbains) ou des sources de pollution agricoles (notamment l’ammoniac). Par ailleurs, il est intéressant de noter que parmi les régions sources les plus importantes pour le pollen de Betula (figure 2), figurent les régions des Laurentides et Chaudière/Appalaches (LAU, région 15 et CHA, région 12). Or celles-ci ont une prévalence relativement faible de la PÉRA (figure 5). Il est suggéré ici qu’il y a peu de synergie polluant anthropique-pollen significative dans ces régions, puisqu’un faible niveau de pollution anthropique y est enregistré9, même si le pollen peut être très élevé, car ces régions sont principalement composées de forêts, de montagnes et de terres agricoles (sans élevage, i.e. pas d’émission d’ammoniac ou autres polluants agricoles). Il a été rapporté au Japon (Okuyama et al., 2007) que le pollen mesuré dans les régions montagneuses est beaucoup moins contaminé par les métaux lourds, les gaz polluants et est moins acide et donc moins nocif pour la santé respiratoire. Cela suggère que le risque pour la santé d’une personne atteinte d’une maladie respiratoire est plus élevé dans une région présentant à la fois des niveaux significatifs de la pollution anthropique et biologique, car une synergie est alors probable, le pollen étant aussi un collecteur de pollution anthropique augmentant la réaction allergique respiratoire ; par exemple, le dioxyde d’azote est fortement absorbé par le pollen (Chassard et al., 2015). Dans les régions où les sources de pollen sont élevées mais où la pollution est faible, il est donc peu probable que cette synergie se produise. De même, dans une région fortement urbanisée mais dont les niveaux de pollen sont plus faibles, le niveau de la PÉRA peut être plus bas qu’anticipé. C’est le cas, par exemple, de la deuxième plus grande ville au Québec, Laval, où les niveaux de pollution sont significatifs mais avec une PÉRA plutôt modérée (valeur d’environ 0,6). Finalement, dans une région éloignée (peu de pollution, peu de pollen, comme la partie extrême nord du Québec), la PÉRA est faible, telle qu’anticipée (voir régions 9 et 10, soit CTN et NQ, figures 4 et 5). Notons que les flux FE plus faibles dans les régions fortement urbanisées (en raison de la faible densité des arbres du taxon Betula) ne signifient pas que le pollen aéroporté ne soit pas une menace, car le pollen de Betula peut souvent être transporté sur de grandes distances et interagir avec la pollution anthropique libérant des allergènes. De fait, à Montréal, de nombreux épisodes de pollen de Betula ont été notés dans ces dernières décennies, mesurés par le site d’observation de l’Université de Montréal (Robichaud et Comtois, 2017). Mais de façon générale, les résultats montrés ici soutiennent que la présence simultanée de pollen abondant et de pollution anthropique est nécessaire pour causer une prévalence plus élevée des maladies respiratoires, ce qui se produit au Québec dans les régions rurales dites industrialisées (e.g. régions MAU/CQ, LAN et ABT10, voir figure 5). L’étude présentée ici supporte donc le concept de « polluen » qui a été introduit dans la littérature (Peltre, 1998 ; Laaidi et al., 2002) pour décrire un aérosol hybride (polluant anthropique + pollen) plus nocif que n’importe lequel des deux costresseurs pris isolément. Buters et al. (2010, 2012) ont documenté des cas où le pouvoir allergisant du pollen présentait une grande variabilité spatio-temporelle, probablement causée, entre autres, par la variabilité des facteurs environnementaux tels que la pollution et la température. Ce résultat est cohérent avec d’autres résultats trouvés dans la littérature traitant de l’interaction pollen-polluant (Behrendt et Becker, 2001 ; Lacroix, 2005 ; Laaidi et al., 2011 ; de Weger et al., 2013 ; D’Amato et al., 2015 ; Sénéchal et al., 2015). Cette grande variabilité spatio-temporelle pourrait mieux s’expliquer avec la synergie de la pollution anthropique comme montré dans la présente étude (i.e. figure 5 et Eq. 4). Fait intéressant, la ville de Québec dans la région de la Capitale Nationale (qui a une pollution modérée et se situe plus près d’importantes sources de pollen) montre une PÉRA aussi élevée que les régions plus fortement urbanisées (MTL, voir les figures 4A et 5). Ceci suggère que l’influence des sources de pollen de Betula en présence d’une pollution anthropique même modeste (dans le cas de la ville de Québec et ses environs) peut avoir un impact aussi significatif sur les personnes souffrant de maladies respiratoires qu’un grand centre urbain comme Montréal. Le rôle combiné joué par la pollution et le pollen explique en grande partie les différences entre les régions dans le cas des maladies respiratoires au printemps (76 % de la variance expliquée de la PÉRA par la combinaison pollen-polluant, voir Eq. 3). Un fait intéressant à noter est que, selon un rapport de l’Institut National de Santé Publique du Québec (INSPQ, 2012), la rhinite allergique ne présente pas autant de variations dans sa prévalence (minimum 11,8 % dans la région de la Côte Nord et maximum de 18,7 % à Laval) que l’indicateur de santé utilisé ici (PÉRA), dont la variation spatiale peut varier jusqu’à un ordre de grandeur d’une région à l’autre (figures 4A, 5). Ceci s’explique par le fait que la rhinite est largement causée par le pollen (INSPQ, 2012), alors que l’indicateur de santé utilisé ici (PÉRA) est davantage multifactoriel et dépend entre autres de la synergie polluant-pollen qui peut varier largement, comme en témoigne l’étude présentée ici. Notons finalement que le choix de l’indicateur de santé utilisé ici est validé par le fait que les corrélations entre PÉRA et les indices de qualité de l’air sont statistiquement significatives et relativement élevées (Éq. 3). De plus, la sensibilité de l’indicateur est évidente en ce qui a trait à la pollution anthropique et biologique (figure 5). L’hypothèse que la PÉRA est un indicateur de santé respiratoire valable semble donc ainsi vérifiée.
5. Sommaire et conclusion
Dans cette recherche qui relève de la géographie de la santé, des analyses statistiques ont été effectuées afin de mettre en relation les variations spatiales des niveaux de pollution anthropique et biologique et les variations spatiales d’un indicateur de santé respiratoire au Québec durant la saison printanière. L’emphase sur cette saison a été choisie, car le risque de maladies respiratoires estimé dans une région (PÉRA étant utilisé comme un indicateur de santé respiratoire) est plus élevé pendant cette saison dans l’ensemble du Québec, et la combinaison pollen-pollution beaucoup plus probable car le pollen de bouleau (Betula) est très abondant au printemps et également très allergénique. Le contrôle des facteurs de confusion utilisant la méthodologie présentée dans cet article permet d’évaluer le rôle relatif des facteurs environnementaux extérieurs ciblés (pollution anthropique et biologique), leur variation spatio-temporelle et leur relation avec la prévalence des maladies respiratoires dans l’ensemble du Québec. Ces résultats suggèrent un rôle subtil des pollutions anthropique et biologique dans les maladies respiratoires qui semblent plutôt fonctionner l’une avec l’autre, synergie pouvant favoriser la formation de nouvelles particules hybrides (telles que le polluen) plus susceptibles de libérer des allergènes directement dans l’atmosphère et de déclencher l’asthme ou d’exacerber d’autres maladies respiratoires, tel qu’il a été discuté abondamment dans la littérature récente. Par ailleurs, il a été soutenu que vivre en milieu rural est une protection contre l’asthme ou d’autres maladies respiratoires allergiques (von Mutius, 2000 ; Kilpeläinen et al., 2002). Cependant, bien que les résultats présentés ici démontrent que la PÉRA est plus faible en milieu rural pour des régions éloignées des grands centres urbains, cette hypothèse ne tient plus si le degré d’industrialisation est important dans une région rurale donnée où les sources de pollen allergénique sont abondantes, car une combinaison pollen/pollution pourrait alors exacerber la maladie respiratoire (e.g. régions rurales de la Mauricie ou de Lanaudière). Finalement, la consistance des résultats avec la littérature (i.e. importance du pollen, de la pollution et de sa synergie associée au risque de maladie respiratoire) suggère que l’indicateur utilisé comme proxy pour la santé respiratoire d’une population (PÉRA) est un choix valide. Les principales conclusions de cette étude sont :
1) en comparant la baisse de prévalence des cas d’ÉR juste après la fin de la saison pollinique des espèces arborescentes (i.e. chute marquée de la PÉR en passant du trimestre 2 au trimestre 3, figure 3), on déduit que le pollen de Betula semble contribuer à environ au moins 8 % des comptes de PÉR pour Montréal et de 10 % pour l’ensemble de la province (PQ). Un modèle de régression multiple supporte cette observation avec le prédicteur FE (flux pollinique) qui explique environ 10 % de la variance de l’indice sanitaire (prévalence ajustée des cas d’ÉR) ;
2) la PÉRA, au printemps, montre une prévalence significativement plus élevée (p < 0,0001) dans les régions à caractère urbain de la province de Québec (MTL, LAV, MON et CN) et/ou dans les régions rurales industrielles (MAU/CQ, LAN et ABT) comparativement à d’autres régions où la pollution est plus faible même si la quantité de pollen peut parfois être élevée (par exemple, si ces régions comportent des régions sources majeures de pollen de Betula), à titre d’exemple la région des Laurentides (LAU), ce qui suggère que l’effet combiné (synergie) polluant-pollen affecte davantage la santé respiratoire tel qu’il a été démontré ailleurs (notamment en Europe et au Japon) ;
3) la métrique dérivée de l’indice provincial de la qualité de l’air (PHIQAM) est mieux corrélée à la PÉRA que la métrique utilisant l’indice canadien de la qualité de l’air (cote air-santé, CAS, i.e. %CAS>3). Par contre, cette dernière est mieux corrélée à la population totale, i.e. montre une meilleure corrélation dans les régions fortement urbanisées. Par ailleurs, l’exclusion du pollen allergénique et de sa synergie avec la pollution anthropique montre un coefficient de détermination plutôt modéré avec la PÉRA (i.e. R2 < 0,5), en ce qui concerne les indices de qualité de l’air (tableau 3). Cependant, ce coefficient passe à 0,76 (p < 0,0001) lorsque la pollution biologique est incluse (Eq. 3). Par conséquent, les indices actuels de qualité de l’air qui informent le public sur les risques de la pollution anthropique pour la santé de la population sensible (indices IQA ou CAS) devraient à l’avenir intégrer également la pollution biologique (à tout le moins le pollen allergène) pour mieux évaluer le risque total sur la santé respiratoire et l’impact sanitaire collectif.
D’autres études interdisciplinaires sont requises dans le futur pour confirmer les résultats de l’étude présentée ici. Ceci est critique pour informer le public, pour mieux justifier l’allocation des ressources médicales au niveau provincial et pour offrir des explications complémentaires afin de mieux comprendre les déterminants de la maladie respiratoire.
L’auteur tient à remercier Dr. Robert Pampalon (retraité de l’INSPQ) pour quelques discussions utiles reliées à cette recherche. Des remerciements vont également à l’éditeur, Pierre Carrega, pour de judicieux conseils, ainsi qu’aux réviseurs anonymes pour leurs critiques.