La cartographie du phosphore s'est initialement développée (première moitié du XXe siècle) comme une méthode de prospection, utilisée essentiellement dans les pays scandinaves. Cette approche a par la suite été appliquée aux surfaces décapées afin d'étudier l'environnement fonctionnel d'aménagements architecturaux (habitation, grenier, étables) et structuraux (zone de basse cour, zone de pacage, cultures) mis au jour lors de fouilles archéologiques. La concentration en phosphore du sédiment reflétant la hauteur des apports en matières organiques concentrées (excréments, végétaux), en cendres ou en ossements, cet élément a été privilégié comme indice de l'anthropisation d'un sol. Le phosphore est également un élément relativement stable dans le sol, ce qui explique qu'il nous est possible d'identifier des accumulations pouvant dater de plusieurs milliers d'années. L'origine ancienne d'un enrichissement doit évidemment être confirmée par la corrélation entre la répartition de l'accumulation de phosphore et le plan et/ou la stratigraphie archéologique.
Les paramètres à enregistrer, afin de permettre une interprétation valable des résultats d'analyse, lors de l'échantillonnage sont nombreux (Devos et al., 2011). Le comportement du phosphore dans le sol est en effet fortement influencé par la nature du substrat (pH, drainage, capacité d'échange cationique, matière organique, texture, structure), le niveau de bioturbation ainsi que par le degré d'érosion. La campagne de prélèvement doit par conséquent être précédée par une étude pédologique rigoureuse de l'horizon à étudier. Une cartographie du phosphore vise à la différenciation fonctionnelle des espaces au sein des aménagements architecturaux et structuraux ainsi qu'à la détermination des relations fonctionnelles entre les aménagements et leur environnement proche. Ce type d'approche a d'abord été mis en pratique en Belgique, au Luxembourg, en Lorraine, en Ile-de-France, dans le Nord – Pas-de-Calais et en Champagne - Ardenne (Fechner et al., 2011 ; Fechner, 2011). L'étude répétée de bâtiments, d'enclos de formes différentes, de sols d'occupation, de fosses, de structures de combustion, de rejets d'incendie, de fossés et de levées de terre a permis d'y cerner avec précision les facteurs à prendre en considération lors de la réalisation d'une cartographie du phosphore sur un site archéologique. Les données recueillies ont également participé à l'élaboration d'un référentiel permettant l'interprétation des résultats de cartographie du phosphore en terme fonctionnel. Cette méthode à ensuite été affinée et systématisée sur les sites du tracé du Canal Seine-Nord-Europe (CSNE). La multiplication relative des échantillons y a permis le traitement statistique des données et l'interpolation des résultats afin de fournir aux archéologues des données plus pertinentes et plus facilement intelligibles (Broes et al., 2013). Les données obtenues ont été confrontées aux cartographies de la susceptibilité magnétique (Hulin et al., 2013), aux résultats des analyses parasitologiques (Maîcher & Lebailly, 2014), phytolithiques (Chevalier, inédit), micromorphologiques et carpologiques/anthracologiques afin de proposer des hypothèses fonctionnelles pertinentes.
Ces années d'études permettent aujourd'hui de proposer une première hypothèse quant à la logique d'utilisation de ces divers aménagements à différentes périodes, de leur évolution fonctionnelle et de leur adaptation aux conditions pédologiques. Nous pouvons ainsi mentionner les sites néolithiques de Sauchy- Lestrée “le Mont de Trois Pensées” (CSNE) et de Villers-Carbonnel (CSNE), les occupations protohistoriques de Glisy (80), Marquion (59), Eterpigny (80), Haspres (59), Ribemont-sur-Ancre (80), les implantations gallo-romaines de Lesquin (59 : Fig. 1-2), Catigny (80), Allaines (80), Cizancourt (80), Noyon (80), Raillancourt-Sainte-Ole (62) et Nesle-Mesnil-Saint Nicaise (80), et enfin les sites médiévaux de Craywick, Loon-Plage (59), Couloisy (59) et Bierne (59). Ce tour d'horizon nous permet de lister les conditions minimales requises pour l'obtention de résultats pertinents et de présenter les sites ayant livré les données les plus intéressantes. Les études en cours sur les habitats étendus des sites de Marquion (59, protohistoire) et du vicus gallo-romain de Famars (59), aux sols d'occupation (“A”) préservés ou peu arasés sur de larges surfaces, permettent également, de manière exceptionnelle, d'avoir accès aux accumulations de phosphore dans leur horizons d'origine. Il s'agit d'une opportunité nous permettant de corréler les données récoltées sur surfaces décapées arasées (“Bt”) aux résultats dans la surface d'occupations, puis à ceux obtenus sur des habitations ou lieux d'élevages récents. Le grand nombre d'études menées avec succès par l'équipe INRAP du CSNE et de Nord-Picardie est lié à la prise en compte, dès le terrain, des paramètres pédologiques. Cette optimisation des cartographies du phosphore explique l'intégration croissante de ce type d'approche dans l'étude d'un site archéologique. La synthèse des résultats est réalisée dans le cadre d'un projet SIG mis en place avec Y. Créteur de l'INRAP (projet PAS : Fechner et al., 2014). Ce projet est également une plateforme permettant le croisement des données provenant des sciences naturelles (parasitologie, botanique, archéozoologie), des sciences humaines (ethnographie, typologie des bâtiments, textes des auteurs anciens) et de la géophysique (résistivité électrique, susceptibilité magnétique).