Géoarchéologie entre zones littorales et systèmes continentaux (Mer du Nord – Manche, Nord de la France)

  • Geoarchaeology between coastal and continental zones (Northern Sea – English Channel, Northern France)

DOI : 10.54563/asgn.1123

p. 73-74

Index

Mots-clés

paléoenvironnement, littoral, plaine alluviale, base de données géoarchéologique, Nord de la France

Keywords

palaeoenvironment, coastal zone, alluvial plain, geoarchaeological database, Northern France

Plan

Texte

I. — Introduction

L'archéologie se nourrit d'une documentation variée, faite d'artefacts et d'écofacts pour partie potentiellement issus du milieu naturel. La géoarchéologie propose une reconstitution du paysage dans lequel évoluaient les populations humaines. Elle permet également de mieux appréhender les traces d'activités humaines, participant à une meilleure évaluation et compréhension des sites. Ainsi, les interactions possibles entre l'homme et son milieu sont mieux définies, avec des investigations adaptées aux différentes périodes culturelles traitées. Pour y parvenir, ces études volontairement interdisciplinaires s'appuient sur des informations aussi bien archéologiques et géologiques, que géomorphologiques ou écologiques, avec une approche croisée des données.

II. — Contexte

Le Nord de la France est un territoire varié du point de vue géomorphologique, avec une succession d'estrans sableux, baies, caps, dunes, estuaires, marais maritimes, fleuves, vallées et versants. Ces paysages sont bordés par la Mer du Nord et la Manche, reliées par le détroit du Pas de Calais, avec une double exposition vers le nord et l'ouest. La focalisation des études paléoenvironnementales récentes autour de cette zone fait écho à la qualité et au potentiel d'information disponible : les faciès sédimentaires sont bien préservés tandis que la multiplication des sites archéologiques toutes périodes culturelles confondues permet de compléter finement les données purement géologiques et de prendre la mesure des interactions entre l'occupation du territoire et son évolution environnementale. Ces nouvelles recherches s'inscrivent dans la ligne directrice de travaux menés ces dernières années sur le littoral (plaine maritime flamande, Boulonnais et sud-Boulonnais) (par ex. Gandouin, 2003 ; Meurisse-Fort, 2009), tout en élargissant la zone d'étude au domaine fluviatile. Cet élargissement s'inscrit dans une logique de continuité, puisque les systèmes fluviaux sont à l'interface entre la zone littorale profondément mouvante à l'Holocène et la zone continentale de prime abord plus stable mais néanmoins dynamique (colluvions, pédogenèse, aménagements…). C'est cette complexité microtopographique que nous cherchons désormais à modéliser, tant elle s'avère primordiale pour la compréhension des implantations anthropiques et des aménagements associés.

Les travaux présentés se concentrent sur les systèmes littoraux et fluviaux de la Mer du Nord et de la Manche à l'Holocène (Mésolithique – Bas Moyen Âge). Dans ce contexte, les études s'étendent prioritairement depuis la plaine maritime flamande jusqu'au nord du bassin-versant de l'Authie. Néanmoins, des corrélations ponctuelles sont également posées avec les zones internes où les modifications paysagères des plaines alluviales (Aa, Canche) sont en cours d'étude. Le but est de caractériser des liens éventuels entre l'intérieur des terres et le littoral et de parfaire les méthodologies employées (Bruniaux, 2014 ; Masse et al., 2011, 2012, 2014 ; Masse & Meurisse-Fort, 2013).

III. — Méthodologie

Les études géoarchéologiques sont réparties autour de trois approches complémentaires : la géologie, la pédologie et la paléoécologie. Les études stratigraphiques fines (coupes, sondages, tranchées et fouilles archéologiques, carottages) sont complétées par des datations (14C, OSL, mobilier archéologique) pour fournir un cadre chronostratigraphique argumenté et fiable. Celui-ci est ensuite étayé par un ensemble raisonné d'études paléoenvironnementales (paléobotanique, archéozoologie, micromorphologie et phosphates). Ces informations préférentiellement issues d'opérations archéologiques sont également combinées à des données géomatiques ou à d'autres travaux de recherche (BRGM, données géotechniques et historiques, mémoires universitaires). Ainsi, les facteurs qui ont modelé le paysage, qu'ils soient naturels ou anthropiques, sont directement intégrés dans les reconstitutions proposées. Une impulsion supplémentaire a été donnée grâce au développement de deux bases de données (« géologique » et « géoarchéologique »). Celles-ci viennent notamment compléter deux bases archéologiques en cours d'évolution : la Carte archéologique nationale gérée par le Service Régional de l'Archéologie et le Système d'Information Archéologique développé par le Centre départemental d'Archéologie du Pas-de-Calais (CDA62). La base de données géologique a été initiée dès 2010 à partir d'études concentrées autour de la Canche. Le but est de faciliter les restitutions cartographiques paléoenvironnementales en posant les limites spatiales et temporelles des différentes formations superficielles inventoriées. Les données (Banque du Sous-Sol - BSS du BRGM, études universitaires, opérations d'archéologie préventive du CDA62, sondages géotechniques) ont d'abord été synthétisées dans un tableur puis combinées à des outils SIG libres (SQLite, Qgis) pour permettre l'exploitation cartographique des informations (Bruniaux, 2014 ; Marcucci & Meurisse-Fort, 2010).

IV. — Résultats

Les études géoarchéologiques menées contribuent à poser les bases d'un système chronostratigraphique argumenté, continuellement amendé grâce aux opérations archéologiques notamment préventives. L'évolution paléoenvironnementale séquencée proposée intègre non seulement les variations eustatiques mais aussi les fluctuations climatiques (notamment les tempêtes) et les interactions anthropiques potentielles (Meurisse-Fort, 2009 ; Meurisse-Fort & Philippe, 2012). Des corrélations interrégionales élargies à la Mer du Nord et à la Manche favorisent aussi l'incorporation des données nouvelles dans le cadre nord-ouest européen. L'étude conjointe de ces données souligne déjà le lien indéniable existant entre l'évolution littorale et la dynamique d'occupation des sites. De nombreux points restent néanmoins à préciser tels que l'impact de la géomorphologie, les taux de compaction des sédiments ou des strates organiques (par ex. Griffiths et al., 2015) ou même les pourcentages d'érosion. Concernant les relations Homme–milieu, les interactions commencent à se matérialiser même si les relations de cause à effet demeurent complexes et difficiles à établir (Meurisse-Fort & Philippe, 2012 ; Meurisse-Fort, sous presse). L'analyse croisée des données s'est donc poursuivie, matérialisée notamment par la création de bases de données communes. Principalement testée pour les bassins-versants de la Canche (Bruniaux, 2014 ; Marcucci & Meurisse-Fort, 2010) et de la Liane (Meurisse-Fort & Bruniaux, 2014), elle continue aujourd'hui d'être alimentée en fonction des opérations réalisées. Cette base vise à référencer l'ensemble des sondages géologiques effectués sur le territoire du Pas-de-Calais et ses alentours, tout opérateur, institution et discipline confondus (archéologie, géologie, géotechnique). Elle comprend une table sondages et une table niveaux. La table sondages reprend, outre la localisation du sondage (géoréférencement, coordonnées en Lambert 93, commune…), des informations sur l'auteur du sondage, l'année de réalisation, la fiabilité des données et bien évidemment les identifiants des sondages et leurs correspondances (identifiant unique attribué pour chaque sondage, idsd). Les sondages non fiables ou non utilisables sont ainsi éliminés de la chaîne de traitement. La table niveaux permet d'individualiser toutes les unités stratigraphiques relevées dans un sondage (niveaux), représentées chacune par une ligne. Chaque ligne contient des informations sur l'environnement de dépôt, la période géologique de formation et les altitudes du toit et de la base de l'unité. Un identifiant unique est attribué à chaque ligne-niveau (idnx) et tous les niveaux sont associés à leur sondage grâce à son identifiant unique (idsd). L'essentiel des données traitées est issu de la BSS du BRGM, ce qui a permis de commencer à recenser les informations disponibles sur un secteur relativement large (BRGM- Infoterre, 2014). Cependant, les informations recueillies se sont avérées lacunaires, tant en termes stratigraphiques qu'en termes chronologiques. En effet, même si certains sondages permettent d'avoir une idée un peu plus précise des formations superficielles, l'absence de datation directe des unités identifiées rend toute corrélation fiable quasiment impossible en l'état. Le recensement de ces données permet néanmoins de poser, a minima, les bases d'une reconstitution du toit du substrat.

V. — Perspectives

Les fondations d'une base de données géoarchéologique ont été posées depuis 2012 au CDA62, venant compléter d'autres travaux menés sur ce secteur d'étude. Son évolution, en partenariat désormais avec différentes institutions et opérateurs archéologiques, favorisera l'interdisciplinarité. Les travaux de recherche proposés conjointement mettent l'accent sur deux thématiques spécifiques, mêlant étroitement données archéologiques et paléoenvironnementales : l'évolution holocène du littoral et des systèmes fluviaux associés ainsi que l'étude des ressources naturelles disponibles.

Remerciements. — Les résultats présentés sont la synthèse de travaux menés notamment au CDA62 mais également dans le cadre de divers projets de recherche dont les PCR Quentovic et Boulogne Antique. Je tiens donc à remercier M. Marcucci, J.-R. Morreale, A. Masse, J.-L. Marcy, E. Panloups, L. Verslype, I. Leroy, A. Trentesaux, E. Armynot du Châtelet, E. Gandouin, B. Van Vliet-Lanoë, D. Cense-Bacquet, G. Bruniaux, A. Demon, O. Blamangin et toutes les équipes qui ont contribué à ces travaux.

Bibliographie

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MASSE A. & MEURISSE-FORT M. (2013). — Zone d'expansion de crues de l'Aa, Seninghem (Pas-de-Calais), « Prés de Bayenghem ». Rapport final d'opération, diagnostic. Centre départemental d'Archéologie du Pas-de-Calais, Arras : 50 p.

MASSE A., MEURISSE-FORT M., AGOSTINI H. & WILLOT J.-M. (2014). — Zone d'expansion de crues de l'Aa, Saint-Martin-d'Hardinghem, « barrage Legrand ». Rapport final d'opération, diagnostic. Centre départemental d'Archéologie du Pas-de-Calais, Arras : 114 p.

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MEURISSE-FORT M. & PHILIPPE M. (2012). — Environnement et navigation maritime en Manche-Mer du Nord : une longue histoire. In : LEHOËRFF A., BOURGEOIS J., CLARK P. & TALON M. eds, Par-delà l'Horizon, Sociétés en Manche et Mer du Nord il y a 3 500 ans (Catalogue d'exposition, projet européen Interreg IVa). Somogy éditions d'Art, Paris : 16-21.

Citer cet article

Référence papier

Murielle Meurisse-Fort, « Géoarchéologie entre zones littorales et systèmes continentaux (Mer du Nord – Manche, Nord de la France) », Annales de la Société Géologique du Nord, 22 | 2015, 73-74.

Référence électronique

Murielle Meurisse-Fort, « Géoarchéologie entre zones littorales et systèmes continentaux (Mer du Nord – Manche, Nord de la France) », Annales de la Société Géologique du Nord [En ligne], 22 | 2015, mis en ligne le 14 juin 2022, consulté le 15 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/annales-sgn/1123

Auteur

Murielle Meurisse-Fort

Centre départemental d’Archéologie du Pas-de-Calais, Conseil départemental du Pas-de-Calais, Hôtel du Département, rue Ferdinand Buisson, 62018 Arras cedex 9 ; Meurisse.fort.murielle@pasdecalais.fr

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