Introduction
Cet article est complémentaire de celui qui est paru en 2021 dans les annales de la S.G.N. « Les singularités géologiques de la Sicile ».
La Sicile est replacée dans son cadre paléogéographique entre l’Atlantique central et le bassin d’Hérodote situé à l’est de la mer ionienne actuelle (au nord de l’Egypte). Nous souhaitons attirer l’attention sur :
- l’appartenance de la Sicile à la Néotéthys ;
- l’importance du changement paléogéographique qui s’opère à l’Oligocène par la mise en place du sillon numidien ;
- l’importance des décrochements liés au déplacement de la plaque africaine sur plusieurs centaines de kilomètres ;
- la jeunesse de la tectonique qui a structuré l’île et perdure sous nos yeux par l’actuelle subduction ionienne active au niveau de l’arc siculo-calabrais.
Rappel des reconstitutions palinspastiques replaçant la sicile dans son cadre néotéthysien
Nous adoptons la zonéographie ancienne définie en Sicile avec rides et sillons, à savoir en partant des zones externes en contact avec l’Afrique : les zones de Sciacca (plateforme externe) ; sillon de Cammarata-Campofiorito ; ride à séries condensées de Vicari ; sillon océanique de Sclafani et la plateforme interne panormide.
L’assimilation pour leurs faciès des séries bétiques (Subbétique- Pénibétique) aux séries externes de Sicile (Cammarata - Vicari) impose la présence d’un arc mésozoïque, probablement éphémère, au contact de la plaque ibérique (fig. 1a) et disparaissant lors de la subduction bétique vers le sud (fig. 1b). Cet arc aurait été généré lors d’un grand décrochement sénestre amorcé dès le Mésozoïque entre les plaques ibérique et africaine.
Le schéma palinspastique (fig. 1) résume les reconstitutions évoquées en 2021 entre le Mésozoïque et le Pliocène. L’ouverture océanique W-E dans le domaine d’Alboran doit se produire au Trias supérieur en faisant référence au Trias alpin signalé dans le Bétique interne et les Alpujarides (Paquet, 1969). Le Permien marin n’a été caractérisé qu’en Tunisie et en Sicile où son faciès rappelle d’ailleurs étrangement le Permien marin connu dans la Paléotéthys.
La figure 1 résume les changements paléogéographiques survenant lors des principales phases orogéniques :
- la phase bétique (Paléogène fig. 1b). Après l’ouverture de la Néotéthys au Trias supérieur (?)-Jurassique inférieur, au sein du bloc d’Alboran (fig. 1a) on assiste à la subduction bétique vers le sud (fig. 1b) qui provoque la fermeture de la Néotéthys (marge active en décrochement senestre) dont la conséquence est un changement paléogéographique important. Cette phase à subduction S, SE et E dont l’âge correspond à celui de la phase alpino-apenninique affecte le bloc d’Alboran mais également celui de la Sila. Elle se met en place au Crétacé supérieur-Eocène initiant peut-être l’ouverture à l’Eocène supérieur ? -Oligocène inférieur, du bassin provençal triangulaire (sphénochasme de Gênes). Une question se pose relativement à l’ouverture de l’ensemble du bassin algéro-provençal. S’agit-il d’un bassin d’arrière-arc en relation avec la subduction apenninique éocène vers l’E ou d’une mer marginale en rapport avec l’arc maghrébo-calabrais (Oligocène supérieur- Aquitanien inférieur) en subduction vers le NW (fig. 1c) ou même d’un bassin d’arrière-arc évoluant en mer marginale. Seule la connaissance précise de l’âge des premiers sédiments déposés dans le bassin permettrait de trancher. Un âge oligocène est actuellement retenu pour les premiers sédiments et si l’on ajoute que les émissions volcaniques dans les rifts sardes voisins sont oligo-miocènes (-30 à -14 Ma) on est conduit à admettre que le bassin provençal s’est principalement développé lors de la phase oligocène-miocène inférieur, phase d’ailleurs dénommée sardo-baléares. Le sillon des flyschs maghrébins demeure au sud du bloc AlKaPeCam mais vers le nord-est on assiste à une importante modification paléogéographique avec la transgression des « Argille Scagliose » sur la plateforme panormide. C’est la jonction entre la téthys ligure et la néotéthys à partir de l’Albo-Cénomanien. Un questionnement demeure néanmoins concernant la plateforme panormide, passe-t-elle latéralement vers le N à la plateforme apenninique ? est-elle bordée d’une ride cimmérienne ? Quelle est la nature du socle panormide anté-triasique ? autant d’inconnues qui demeurent.
- la phase sardo-baléares (Oligocène supérieur - Aquitanien inférieur) provoque un changement paléogéographique majeur accompagnant le sphénochasme de Gênes ; elle génère l’arc maghrébo-calabrais à subduction N et NW (fig. 1c) ; elle voit l’installation du sillon numidien à cheval sur le domaine ligure, le Panormide et la zone de Sclafani (néothétys). Le bassin d’arrière-arc est représenté par le Numidien interne à substratum ligure. On assiste au décollement et à la mise en place de la nappe panormide à la suite de laquelle apparait l’importante décharge détritique des grès du flysch numidien. Rappelons que cette phase voit également le développement du bassin algéro-provençal avec étirement de la croûte et formation d’une mer marginale. Entre l’Oligocène et le Plio-Quaternaire se développe une marge active coulissante dextre qui incorpore un nombre croissant d’unités de plus en plus complexes.
- la phase maghrébo-sicilienne (Miocène moyen - fig. 1d) généralisée sur l’ensemble du domaine méditerranéen. Elle se caractérise par d’importants phénomènes tectono-sédimentaires avec nappes gravitaires, klippes sédimentaires, en relation avec la subduction vers le N de la plaque africaine et vers l’W de la plaque apulo-adriatique. L’avant-fosse centro-sicilienne présente un talus de progradation tectono-sédimentaire. Cette phase présente un léger décalage dans le temps d’Ouest en Est (Broquet et al., 1966).
- la phase tyrrhénienne (Pliocène à Pleistocène - fig. 1d en rouge) conduit aux contours actuels de la méditerranée occidentale avec mise en place de l’arc siculo-calabrais. A l’E de celui-ci la zonéographie au sein de la mer ionienne (néotéthys) n’a pas été figurée, seules les études océanographiques pourront fournir des détails. La ride méditerranéenne, le mont sous-marin Eratosthène au S de Chypre pourraient-ils correspondre au Panormide et le bassin d’Hérodote à la zone de Sclafani ?
En résumé, si on se réfère à la figure 1, on constate que la néotéthys se ferme progressivement d’W en E. Après la phase bético-apenninique crétacée-éocène (subduction vers le S - SE et E) puis la phase sardo-baléares oligocène supérieur-aquitanien à subduction N et NW qui voit une importante modification paléogéographique avec l’installation du sillon numidien (arrière-arc à substratum ligure et avant-arc néotéthysien : zone de Sclafani) et la formation de l’arc maghrébo-calabrais. La phase tyrrhénienne (Miocène supérieur-Pliocène à Pleistocène) voit l’installation de l’arc siculo-calabrais après un déplacement estimé à 450 km (décrochement dextre) et l’ouverture du bassin d’arrière-arc tyrrhénien (bassin de Vavilov et Marsili). Ceci conduit à considérer l’océan ionien, actuellement en position d’avant-arc, comme l’héritier de la néotéthys ouverte au Trias supérieur - Jurassique inférieur. Peut-être faudrait-il dire qu’il s’agit de la branche méridionale de la néotéthys qui peut comporter d’autres dépendances s’insinuant entre les lanières microcontinentales turques, helléniques et dinariques vers l’E mais également au S du microcontinent maghrébin (zone des flyschs externes maghrébins). Dans ce schéma palinspastique nous n’avons pas représenté les contours du bassin messinien pour lesquels nous renvoyons à l’article de Mascle et al. (2019), de même, pour ne pas surcharger les figures nous n’avons pas indiqué les contours des mers épicontinentales. Seuls demeurent en domaine profond le bassin d’arrière-arc tyrrhénien et le bassin marginal algéro-provençal.
En Sicile, Lentini et al. (2006) nomment Ionides les séries qui affleurent dans les Sicani et les Madonies. C’est l’équivalent de ce que nous qualifions de série néotéthysienne. Une différence paléogéographique majeure sépare les deux modèles. Pour Lentini et al. (2006) le bassin ionien « s’ouvre au Permo-Trias dans la plaque adriatique entre les blocs apulien et apennin » c’est à dire selon une direction sensiblement N-S (et non E-W) ce qui impose un arc paléogéographique ancien et permanent avec reconstitution de la zonéographie définie par Ogniben (1960).
Généralités géodynamiques
Les plaques lithosphériques en présence
Depuis Dewey et al. (1973) les plaques majeures universellement reconnues sont les plaques africaine et eurasiatique. S’y ajoutent la plaque ibérique et la plaque adriatico-apulienne qui poinçonne le secteur alpin et se trouve subductée vers l’Ouest au niveau des Apennins. La plaque ibérique se séparerait de l’Europe au niveau de la faille nord-pyrénéenne à partir du Tithonique-Néocomien. Ceci est encore contesté (Canérot, 2016) mais ce qui parait acquis c’est depuis le Tithonique, la rotation anti-horaire de l’Ibérie par rapport à l’Europe (>500 km, Olivet, 1996 - fig. 2).
Cette rotation concerne également l’Afrique (>1 000 km) et en conséquence la limite Ibérie - Afrique. Il faut ajouter plusieurs microplaques difficiles à cerner (les microcratons de Glangeaud) et qui correspondent aux microcontinents maghrébin et d’Alboran et au bloc Sardo-baléares. Le rôle de ces microplaques est important et souvent sous-estimé. Pour les périodes anciennes il n’est pas facile de connaître les limites exactes des plaques et microplaques sans l’appui des séismes de magnitude supérieure à 5. Dans le cadre de cet article il ne semble pas nécessaire d’entrer plus dans le détail. Nous ne traiterons pas ici du bloc anatolien vers l’E (Turquie) pincé entre l’Eurasie et l’Afrique-Arabie et subissant des déplacements latéraux guidés par des failles rhegmatiques E et N anatoliennes. Le fonctionnement de ce bloc est évocateur et comparable à celui qui a dû exister entre l’Oligocène et le Pliocène au N de la Sicile. Il serait d’ailleurs intéressant d’étudier la cinématique de ce bloc anatolien c’est à dire son évolution géométrique au cours du temps1.
A propos de la Sicile on peut reprendre une vieille idée et dire que les chaines méditerranéennes résultent pour l’essentiel de l’affrontement des deux plaques majeures avec sur les bordures occidentale et orientale des complications dues à des microplaques. La convergence de la plaque africaine vers l’Europe s’opérerait entre 120 et 83 millions d’années avec des vitesses de convergence variables mais plus importantes au Crétacé supérieur et à l’Eocène-Oligocène (Rosenbaum et al., 2002).
En conclusion, si la théorie des plaques fournit un guide précieux pour l’élaboration des recherches, elle ne répond pas à toutes les hypothèses formulées par les données de terrain, en particulier sur le rôle joué par des microplaques dont l’extension et le mouvement sont difficiles à cerner ; de même pour les grands décrochements. Si le guide de recherche est très utile il ne faut cependant pas se laisser enfermer dans des schémas souvent trop simples et provisoires. Ceci incite à persévérer dans le travail indispensable sur le terrain.
Les sillons à fond océanique
Etant donné la très importante tectonique tangentielle et l’empilement des nappes, les observations sont très lacunaires et limitées. Les croûtes océaniques ou très amincies sont admises dans la zone ligure (Apennins) et la zone maghrébine où des ophiolites ont été reconnues. Pour les zones de Sclafani - Lagonegro - Ali les ophiolites n’ont pas été caractérisées. On peut néanmoins citer hypothétiquement la série Mulhacen dans le domaine bétique (Puga, 1977) et la nature océanique du bassin ionien dont la croûte serait mince (<10 km-Tugend et al., 2019). Retenons que la plus grande partie de la lithosphère océanique mésozoÏque a disparu par subduction.
Les ouvertures océaniques
Au XXIe siècle les recherches pétrolières ont permis une exploration nouvelle et plus poussée de la mer ionienne comme en attestent de nombreuses publications parues depuis l’an 2000. Un article de Tugend et al. (2019) fait le point sur ces ouvertures entre l’Atlantique et le bassin d’Hérodote (mer ionienne).
- Atlantique central : vers 200 Ma (Sinémurien - Labails et al., 2010).
- Dans les domaines sud et nord maghrébin on note au Trias supérieur des faciès marins dans le Rif interne et le Bétique interne avec au sein des Alpujarrides, de rares affleurements de Trias alpin calcaire (Paquet, 1969). Il est difficile de situer la zone d’ouverture au sein du bloc d’Alboran. Si l’on se réfère aux ophiolites de Mulhacen (Puga, 1977), il semble possible que la fracture se situe dans les Nevado - Filabrides. Selon Puga (1990) il pourrait s’agir d’un point triple (confluence des rifts ligurien - bétique et maghrébin). Il est difficile d’orienter ce rift étant donné les rotations subies par les blocs concernés, néanmoins selon Sanz de Galdeano (1997) cette orientation serait préférentiellement E - W avec une possibilité SW - NE. Etant donné sa connexion à l’Atlantique central, l’orientation E - W correspondrait à ce que nous avons nommé océan nord-maghrébin ou néotéthys et l’orientation SW - NE pourrait correspondre à l’arcature mésozoïque.
- En Sicile, entre 1965 et 1968 nous avons reconnu l’individualisation de la paléogéographie à partir du Carixien (190,8 à 186 Ma ; individualisation des zones de Cammarata - Vicari - Sclafani…) et l’émission de laves basiques au Dogger signalées par Fabiani dès 1926 à Vicari. Ces émissions volcaniques ont été localisées dans le Bajocien (zone à Stephanoceras humphrisianum - 167 à 176 Ma et signalées dans les zones de Cammarata, Vicari et Sclafani (Broquet, 1968 p. 94). Rappelons que dans la série renversée et écaillée d’Ali (Truillet, 1968) le Pliensbachien supérieur (185 à 187 Ma) a été individualisé avec des indices permettant de supposer que la série pourrait se développer entre le Jurassique inférieur et le Jurassique supérieur et même peut-être atteindre le Valanginien (Somma et al., 2013). Ceci est en accord avec l’âge de la série de Sclafani et confirme nos reconstitutions paléogéographiques (Broquet, 2007, 2016).
- Mascle (1979, p. 100) situe les prémices de l’ouverture au Trias supérieur (individualisation des premières zones de faciès avec « du Sud au Nord la zone de Sciacca, plateforme récifale, le bassin de Campofiorito qui se boucle vers l’Ouest, le seuil récifal de Vicari et le bassin de Sclafani ».
- Le bassin ionien serait tapissé d’une mince croûte océanique d’âge jurassique (Tugend et al., 2019) et l’ouverture se produirait de 195 Ma (Sinémurien supérieur) à 175 Ma (Aalénien), c’est à dire du tardif Jurassique inférieur au Jurassique moyen après une phase de rifting du Trias tardif au Jurassique inférieur. Ceci est en bonne correspondance avec l’Atlantique central (Tugend et al., 2019).
- En conclusion, les données entre l’Atlantique central, la Sicile et le bassin d’Hérodote semblent s’accorder sur une ouverture généralisée vers — 200 à — 190 Ma avec des prémices au Trias supérieur. Il faut cependant rappeler qu’en Sicile une première ouverture a eu lieu au Permien qui semble avoir avorté mais qui pourrait être mise en correspondance avec les données fournies dans le bassin d’Hérodote par Granot (2016) même si l’âge invoqué de 340 Ma paraît trop ancien.
- On peut signaler que des recherches pétrolières ont lieu dans le bassin du Levant à l’ouest des côtes libanaises et israéliennes et à l’est du bassin d’Hérodote (Ducros et al., 2020). La genèse des roches mères de pétrole crétacées (Campanien) a été mise en relation avec la présence de courants d’upwelling. C’est comparable à ce qui a été observé au Maroc dans la région de Timhadit (Broquet, 1980) sur la marge atlantique avec un léger décalage dans le temps (Campanien - Maestrichtien).
Subduction
C’est le point le plus original de la théorie des plaques. Dans les années 1960 on parlait de sous-charriages sans imaginer l’ampleur des subductions qui ont modifié la façon de traiter de l’importance des recouvrements et de la disparition en profondeur d’une grande partie de la lithosphère générée au niveau des dorsales. Ainsi sont disparues beaucoup d’ophiolites et donc de preuves d’océanisation.
Dans le domaine apenninique une grande part de la lithosphère océanique mésozoïque a été subductée durant la phase alpine entre le Crétacé supérieur et l’Eocène moyen.
Dans le cas de la Méditerranée occidentale il faut citer la subduction bétique vers le Sud au Paléogène, finie- lutétienne, vers -37 à – 45 Ma (Puga et al., 2002 ; Chalouan et Michard, 2004 ; Durand-Delga, 2006). Vient ensuite la subduction de l’Afrique vers le Nord aussi appelée subduction maghrébine lors des phases sardo-baléares et maghrébo-sicilienne. De ces doubles subductions vers le sud et vers le nord résulte la chaine AlKaPeCam à double déversement.
Le phénomène d’avant-fosse généralisé sur le pourtour méditerranéen au Miocène (- 14 Ma, Broquet et al., 1966) n’est pas, semble-t-il, signalé dans la mer ionienne à l’E de la Sicile minorant peut-être les effets de la subduction miocène dans ce secteur.
Les failles reghmatiques
Il s’agit de failles de socle à jeu normal ou décrochant très important. On peut citer la faille transméditerranéenne (transformante ?) sensiblement E-W qui doit marquer la limite entre la plaque Ibérique et la plaque Afrique. Sa position est difficile à situer avec précision. Cet accident avait été placé (Bouillin et al., 1987) au Nord du Cap Bougaroun (Petite Kabylie) et au Sud de l’Andalousie (Espagne) selon une direction sensiblement W-E. Au N de la Sicile il s’agit de la faille Ustica-Eoliennes qui doit se prolonger jusqu’en Turquie où elle est toujours active, Syrie etc… Elle concerne, entre autres, les péridotites sous-continentales de Beni Bousera (Rif interne) et Ronda (Bétique interne) qui constituent le substratum des zones internes rifaine et bétique. Cette faille joue en décrochement senestre (Bouillin et al., 1987) du Jurassique supérieur au Crétacé inférieur (Rosenbaum et al., 2002). On connait son importance en Sicile où elle joue en décrochement dextre lors de la phase tyrrhénienne (ligne Ustica - Eoliennes, Broquet 2021).
Il faut citer également en Tunisie orientale la faille N-S dont on peut rappeler la définition due à Burollet (1956) :
« Cassure de socle instable depuis le Jurassique et évoluant en grandes failles aux dernières phases de plissement. Cette instabilité permanente se traduit par de fortes réductions d’épaisseurs, des soulèvements fréquents, de nombreuses discordances. Au rôle paléogéographique s’est ajouté un effet butoir contre lequel se sont heurtés les plis atlasiques d’axe SW-NE ».
L’arc siculo-calabrais
La notion d’arc est fondamentale pour la compréhension de la géologie de la Sicile. Comme de nombreux auteurs l’ont remarqué l’arc siculo-calabrais fait face à un espace océanique (la mer ionienne) relique de la néotéthys. Il est compris entre les deux blocs continentaux que sont la plaque apulo-adriatique bordée par l’escarpement apulien et la plaque afrique jalonnée par l’escarpement hybléen après rapprochement entre ces deux blocs continentaux. L’arc est en relation depuis le Tortonien supérieur à une extension de direction N 120E interrompue par deux événements compressifs au Pliocène moyen et au Pleistocène (Moussat et al., 1985). Nous l’avons attribué au Pliocène après transfert dextre d’environ 450 km de l’arc maghrébo-calabrais (Broquet, 2021) vers l’est où il se trouve au contact des plateformes africaine et apulienne. Des données nouvelles acquises par sismique réflexion ont précisé la structure de l’arc. Celui-ci est constitué de deux lobes dépendant de failles lithosphériques (faille ionienne NW-SE et faille de l’Etna NNW-SSE en décrochement dextre, Polonia et al., 2016). Une importante question se pose, la plateforme apulienne constitue-t-elle le prolongement de la plaque Afrique comme de nombreux auteurs en font état (Tugend et al., 2019, Polonia et al., 2016) ce qui justifie d’une séparation entre la méditerranée orientale dénommée Mésogée et la méditerranée occidentale. Si l’on compare la nature géologique des plateformes concernées on s’aperçoit qu’elles présentent de grandes différences dès le Permo-Trias avec 1 000 m de faciès Verrucano en Apulie non reconnu sur la plateforme africaine qui présente des carbonates triasico-liasiques à intercalations volcaniques lesquelles sont intermittentes entre le Trias terminal, le Jurassique moyen, le Crétacé supérieur, le Néogène jusqu’au Pleistocène. De même à propos des séries secondaires qui sont récifales à périrécifales en Apulie principalement au Crétacé avec des bauxites et de possibles analogies avec la plateforme panormide. Il s’agit de deux domaines apulien et africain dont les faciès diffèrent dès le Permo-Trias de telle sorte que l’on ne puisse faire appel à de brusques passages latéraux de faciès pour expliquer leur proche voisinage actuel.
On constate donc que les différences entre les plateformes apulo-adriatique et africaine sont importantes comme l’ont déjà fait remarquer Sartori et al., 1987. On peut ajouter que deux croûtes d’épaisseur normale (Apulie et Afrique) sont séparées par une croûte océanique ancienne, mince, sensiblement E-W dans la zone abyssale ionienne, d’origine néotéthysienne. Les séries apenniniques s’interrompent brutalement au niveau de l’arc siculo-calabrais. L’hiatus qui existe entre les séries apenniniques et les séries siciliennes conforte ce point de vue. Il en est de même à l’ouest où l’hiatus qui sépare les séries du Rif marocain de celles des unités subbétiques et pénibétiques (Ibérie) aboutit à la même conclusion et laisse place à la néotéthys. En fonction de ces données la plateforme apulienne ne peut être considérée comme le promontoire de la plaque africaine.
La notion d’arc fait l’objet de discussions très anciennes qu’il s’agisse de l’arc de Gibraltar ou de celui de Sicile. Durand Delga (2006) a résumé toutes les hypothèses qui concernent le pseudo-arc de Gibraltar qui résulterait essentiellement d’un processus tectonique post-burdigalien sans rejeter une origine possible paléogéographique pré-miocène. Ceci nous parait cohérent quant à l’origine paléogéographique plus ancienne. Elle pourrait correspondre à un arc jurassique éphémère concernant les séries affines aux zones siciliennes externes à la suite de l’ouverture au Trias supérieur de la néotéthys ; de même en Sicile, un arc paléogéographique éphémère a pu exister au Crétacé supérieur lors de la jonction entre l’océan ligure et la néotéthys (Broquet, 2007, 2016) mais dès l’Oligocène se met en place un arc tectonique qui va s’affirmer lors de la phase tyrrhénienne.
Bref pour certains les arcs sont paléogéographiques (Lentini, 2006, Tugend et al., 2019, Polonia et al., 2016) pour d’autres (Broquet, Durand Delga) ils sont essentiellement d’origine tectonique. Ceci explique les grandes divergences d’interprétation.
Le microcontinent maghrébin
Si l’on admet que les séries apuliennes et africaines sont différentes et séparées par un espace océanique ; que les arcs (Gibraltar et Sicile) sont d’origine tectonique récente (Miocène à Pliocène) ; qu’il n’y a pas de continuité entre les séries rifaines et subbétiques à l’ouest de même qu’entre les séries siciliennes et apenniniques à l’est on peut déduire la présence d’un océan néotéthysien sensiblement W-E de l’Atlantique central au bassin d’Hérodote et au-delà. Cette conception impose l’existence d’un microcontinent maghrébin (AlKaPeCam) au nord de l’Afrique à partir du Trias supérieur - Jurassique inférieur, entre l’océan sud-maghrébin (zone des flyschs maghrébins) et la néotéthys. Il apparait comme un domaine intermédiaire entre le bloc d’Alboran (Ibérie - Europe) et l’Afrique qu’il devait réunir et dont il se serait séparé à partir du Trias supérieur. Sa marge nord évoluant à partir de la phase bétique en marge active coulissante. L’existence de ce continent maghrébin a déjà été envisagé par Duée (1978) qui proposait de placer l’ensemble péloritain entre « deux marges encadrant et s’appuyant sur un domaine de nature continentale structuré lors de l’orogenèse hercynienne… La marge nord-péloritaine deviendrait active pendant le Crétacé supérieur (série d’Ali) à la suite d’un mécanisme qui pourrait être une subduction se traduisant par des cisaillements crustaux à vergence NNE ». Duée (1969) avait reconnu la phase bétique à vergence N au Capo Calava et à Gioiosa Vecchia (monts Péloritains). Cette excellente hypothèse s’accorde parfaitement avec la présence de la néotéthys matérialisée par les zones de Sclafani - Lagonegro et Ali dont il ne reste que très peu de témoins. La nouveauté consiste à mettre en positionn nord-péloritaine et non sud-péloritaine, les séries de Sclafani et du Panormide en les assimilant aux séries d’Ali et de Stilo (Broquet, 2007, 2016).
La présence de la plateforme panormide transgressive dès le Jurassique supérieur sur le continent maghrébin (série de Stilo) impose une fermeture progressive de l’espace océanique dans ce secteur en relation avec l’amorce de la phase bétique dès le Jurassique supérieur, au niveau de la marge active en subduction vers le S. Sur le socle péloritano-calabrais on distingue une première transgression jurassique du Panormide reposant sur un paléosol non daté (série de Stilo, Bonardi et al., 2004) mais qui peut correspondre au paléokarst jurassique supérieur des Madonies (Broquet, 1968) où à la Contrada Aculeia, le Turonien est transgressif sur un Jurassique supérieur karstifié. On note également une transgression du Crétacé inférieur à Rudistes suivie d’une transgression oligocène en Calabre méridionale (série de Stilo). En bref le microcontinent kabylo-peloritano-calabrais a été émergé pendant de longues périodes correspondant à la fermeture de l’espace océanique ionien (néotéthys) pendant la phase bétique qui se marque dès le Jurassique supérieur jusqu’à l’Oligocène par de brèves incursions marines. Pendant cette période les plateformes panormide et lucanienne ont pu communiquer établissant un pont entre le Sahel africain affecté de failles N-S, au niveau de l’est tunisien, le microcontinent maghrébin et les plateformes précitées. C’est par ce pont que pourraient avoir transité entre le Jurassique supérieur et le Crétacé supérieur les dinosaures gondwaniens dont des traces ont été découvertes sur la plateforme apulienne (Bosellini, 2002).
En résumé, le microcontinent maghrébin structuré lors de l’orogenèse hercynienne apparaît bordé par deux branches de la néotéthys, une branche sud limitée vers l’est au niveau de l’axe N-S tunisien et une branche nord continue entre l’Atlantique central et le bassin d’Hérodote. Ce microcontinent subissant entre le Crétacé-Eocène et l’Aquitanien deux subductions en sens opposés, d’abord vers le S puis vers le N conduisant à une chaine maghrébine à double déversement. Ceci modifie considérablement l’ancienne reconstitution paléogéographique cylindriste avec un domaine interne d’origine hercynienne continu du Maghreb jusqu’en Calabre septentrionale, ourlé d’une chaine calcaire bordière mésozoïque, avec un océan alpino-apenninique paléotéthysien (zone des flyschs eugéosynclinale ; Liguride et Sicilide), une ride panormide miogéanticlinale, un sillon externe miogéosynclinal - zone de Sclafani puis une plateforme externe africaine. Cette reconstitution inspirée de la théorie des géosynclinaux a été proposée par Ogniben (1960-1969). Elle impose un arc siculo-calabrais paléogéographique. Ce schéma se trouve encore utilisé par la plupart des auteurs travaillant en Sicile en s’opposant aux travaux de l’équipe française qui reconnaissait dès 1963 un flysch interne ligure et un flysch externe par rapport à la ride péloritaine, mais également une non continuité du flysch externe avec contact direct des séries ligures internes reposant sur le Panormide (Broquet, 1968), avec en conséquence un microcontinent maghrébin (Duée, 1978) pour aboutir à l’évolution structurale récente de la Sicile (Broquet et al., 1984). etc…
C’est la connaissance de la très complexe géologie sicilienne qui doit orienter les choix paléogéographiques futurs concernant la Méditerranée occidentale.
Conclusion
Les données acquises sur le terrain en Méditerranée occidentale (Ibérie - Maghreb - Sicile) essentiellement au siècle dernier permettent de confirmer l’existence de l’océan néotéthysien de l’Atlantique central jusqu’au bassin d’Hérodote et au-delà ; peut-être faut-il dire de la branche la plus méridionale de cet océan qui pourrait avoir d’autres dépendances. Cet espace océanique sensiblement E-W, sub-perpendiculaire à l’Atlantique fut successivement et à plusieurs reprises en distension puis en compression avec subductions et décrochements importants comme le révèle la très complexe reconstitution tectonique entre le Trias supérieur et l’époque actuelle. Cet article confirme l’origine néotéthysiennne des séries siciliennes (Madonies et Sicani) en proposant une liaison sensiblement E-W entre l’Atlantique central et le bassin d’Hérodote (Méditerranée orientale).
Après avoir avorté au Permien, l’ouverture néotéthysienne se produirait au Trias supérieur en s’affirmant au Jurassique inférieur (Carixien, -190,8 à -186 Ma) par l’individualisation de toutes les zones de faciès connues en Sicile. Ces résultats sont en bon accord avec les données océanographiques récentes obtenues lors de recherches pétrolières en Méditerranée orientale.
Les points déterminants sont :
- l’existence de faciès différents entre les plateformes apulienne et africaine depuis le Permo-Trias lesquelles sont séparées par un espace océanique à croûte amincie : la néothétys ;
- l’origine tectonique récente et non paléogéographique des arcs de Gibraltar et de Sicile - Calabre.
Remerciements : J’adresse mes remerciements à Joris Mavel pour le traitement informatique des figures.