« War and how to stop it » : l’ambivalence des combats dans The Once and Future King

DOI : 10.54563/bdba.675

p. 265-278

Texte

Si la légende arthurienne a suscité depuis le xiie siècle des dizaines de réécritures et d’adaptations diverses, peu d’œuvres semblent avoir aujourd’hui une influence comparable à celle de T.H. White. Entre 1938 et 1977, l’auteur britannique publie son roman en cinq tomes The Once and Future King, inspiré des récits médiévaux, dans lequel il retrace l’ascension puis le déclin du roi Arthur. Le roman développe de longues réflexions sur les notions de pouvoir, de justice et de guerre, perçues à travers la formation du jeune souverain. La trame narrative insiste sur la représentation psychologique d’Arthur, qui apprend tout au long de sa vie et cherche à concilier au sein de son royaume les enjeux de la force armée et de la raison. The Once and Future King apparaît en ce sens comme un roman paradoxal, s’appuyant sur une image glorifiée de la guerre pour mieux la dénoncer. White décrit ainsi le thème central de son œuvre : « War and how to stop it1 » – la guerre et comment y mettre un terme. Dès l’enfance d’Arthur, celui-ci est confronté à des joutes, des duels et des affrontements guerriers, qui forgent par un effet de contraste sa politique future axée sur la paix. Deux approches complémentaires apparaissent : la représentation de la violence humaine d’une part – « War » –, et d’autre part sa dénonciation constante – « how to stop it ». L’exemple arthurien présente la guerre comme un compromis nécessaire à la mise en place d’un système plus éclairé et moins meurtrier. The Once and Future King s’appuie sur la description des conflits, sous toutes leurs formes, pour en tirer une réflexion générale en écho au contexte de la Seconde Guerre mondiale. La situation de guerre vécue par T.H. White altère ainsi la portée du récit et pousse l’auteur à faire du roi Arthur le chantre de la paix et de la civilisation.

Comme pour de nombreux artistes du xxe siècle, l’œuvre de White reste longuement marquée par l’empreinte de la guerre, et ce alors même que l’auteur n’a été confronté qu’indirectement au conflit international2. Toutefois, le thème guerrier semble imprégner The Once and Future King bien avant l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale. En effet, la période médiévale, durant laquelle se situe le roman de White, est largement associée aux conflits et à la violence. Les récits arthuriens laissent apparaître une immense majorité de personnages de combattants – chevaliers ou rois –, dont l’existence littéraire est dominée par les joutes, les tournois et autres affrontements. Le thème guerrier semble donc inhérent à la légende du roi Arthur. La relecture qu’en propose T.H. White dès 1938 n’échappe pas à la tradition littéraire et artistique. Dans le premier tome, The Sword in the Stone, l’auteur donne à voir l’enfance du futur souverain, ponctuée d’aventures et de transformations merveilleuses grâce à l’intervention d’un sorcier excentrique nommé Merlyn3. L’enchanteur, seul conscient – avec le lecteur – de la destinée royale du jeune Arthur, cherche à éduquer ce dernier et à le former subtilement à son futur rôle de souverain éclairé. Dès son plus jeune âge, Arthur est donc confronté à des duels et à des affrontements guerriers, lesquels tracent déjà les contours de sa politique future.

Le contexte guerrier apparaît d’abord par la mise en place d’un cadre féodal. Arthur est décrit comme un orphelin recueilli par le Seigneur Ector, et élevé aux côtés du fils de ce dernier, Kay. Cette structure familiale entièrement masculine reproduit une logique féodale : le château est placé sous la domination d’Ector, Kay se forme pour devenir chevalier tandis que le jeune Arthur n’a pour seule ambition que de devenir l’écuyer de son frère de lait4. L’enseignement proposé par Merlyn vient alors bouleverser cette organisation en valorisant Arthur. L’enchanteur est le partisan d’un savoir empirique et met ses pouvoirs magiques au service de la formation du jeune héros : il métamorphose notamment Arthur en de nombreux animaux afin de lui faire découvrir le monde sous différents points de vue et de lui permettre de découvrir des organisations politiques et sociales variées. Chaque groupe animalier devient ainsi le symbole d’un type de gouvernement humain – le régime totalitaire et belligérant des fourmis, la liberté anarchiste des oies sauvages, etc. Sans qu’Arthur en ait conscience, ces aventures impliquent chaque fois une leçon sur la guerre et le pouvoir. Les oiseaux de proie suivent par exemple une hiérarchie militaire qui familiarise le héros avec l’obéissance et les contraintes spartiates5. Par l’intermédiaire d’illustrations animalières, et donc de façon détournée, Arthur acquiert une éducation martiale et amorce une réflexion sur la guerre et ses conséquences.

La première métamorphose vécue par le jeune Arthur met déjà en évidence la prépondérance des conflits dans l’environnement du personnage. À sa demande, Arthur est transformé en perche et est plongé dans les douves entourant le château où il réside. Ce choix n’est pas anodin, comme l’explique le jeune garçon à son tuteur : « “I think I should like to be a perch”, he said. “They are braver than the silly roach, and not quite so slaughterous as the pike are6.” » Dès cette première aventure magique, Arthur cherche à se rapprocher de l’idéal chevaleresque qui le fascine. Il se tourne vers un animal courageux, dont les écailles argentées rappellent d’ailleurs l’armure étincelante des chevaliers. Dans The Sword in the Stone, le héros, comme le jeune Perceval dans Le Conte du Graal, se caractérise ainsi par une attirance pour la chevalerie, un milieu qu’il pense inaccessible à cause de son statut d’orphelin. T.H. White lui-même semble partager cette fascination esthétique pour la guerre et les combattants, comme il le note dans son journal en 1942 : « War has its wonderfully beautiful side, a side which melts one’s heart […]. I cry very easily at glories7 ». La guerre exalte la bravoure, la camaraderie et le dépassement de soi, et permet en ce sens d’élever les êtres humains. Néanmoins, l’auteur nuance tout de suite son propos : « But this does not make war good or sensible8 ». Il faudra à son personnage, le futur roi Arthur, plus de temps pour pouvoir effectuer une telle distanciation. Tout est fait par White pour qu’Arthur, tout comme le jeune lecteur, ne puisse s’identifier aux conseils totalitaires du roi des poissons, le terrible Mr. P., et ne puisse donc cautionner son discours sur le pouvoir absolu de la force physique : « Power of the body decides everything in the end, and only Might is Right9. » Pourtant, plusieurs aventures similaires seront nécessaires à Arthur pour dépasser sa vision romantique de la guerre et des chevaliers. The Sword in the Stone, considéré comme un roman pour enfants, traduit ainsi la lente formation du jeune héros, qui doit apprendre à se détacher de sa fascination pour les armures rutilantes afin de prendre en compte les violentes conséquences de tout conflit armé.

Au regard émerveillé du jeune Arthur sur la bravoure des chevaliers répond le pacifisme agacé de Merlyn, figure de sage non libéré de ses passions10. Un équilibre apparaît alors entre la vision romantique de la guerre, d’abord incarnée par Arthur, et la démarche civilisatrice de l’enchanteur vieux de plusieurs siècles, qui espère la paix tout en étant résolu à laisser son jeune élève réfléchir par lui-même et trouver ses propres solutions. Merlyn peine cependant à dissimuler sa colère lorsqu’Arthur rêve de devenir chevalier : « A lot of brainless unicorns swaggering about and calling themselves educated just because they can push each other off a horse with a bit of stick ! It makes me sick11. » L’image apparemment équilibrée de la chevalerie dans The Sword in the Stone naît de l’opposition radicale entre l’admiration du jeune garçon et l’aversion de l’enchanteur.

Pour Arthur, le chevalier correspond à une image édulcorée, loin de la violence des combats : les affrontements rêvés sont marqués par l’élégance et la magnanimité, et ne peuvent bien entendu aboutir qu’à de grandes victoires. Le combat est perçu dans ses extrémités, et non dans sa réalité. Arthur n’imagine jamais le choc des lances rompues et les blessures sanglantes, mais se contente de songer à l’honneur de la victoire. Les duels auxquels rêve le jeune héros n’ont d’ailleurs aucun motif réel : comme dans les romans médiévaux, Arthur se voit en défenseur d’un lieu plus symbolique que stratégique – un puits, un gué –, barrant le passage aux autres chevaliers afin de se mesurer à eux. Dans son esprit, le combat ne peut être réel puisqu’il est gagné d’avance.

Dans la première partie de The Once and Future King, la tâche de Merlyn consiste alors à réinvestir cette esthétique rêvée des combats de leur dimension concrète. Arthur doit être confronté aux conséquences brutales de la guerre afin d’en percevoir le caractère néfaste. En effet, ce n’est que lorsque le jeune héros est témoin de la violence infligée à un chevalier qu’il apprécie que sa prise de conscience débute véritablement. À sa demande, Merlyn le transporte par magie pour assister au duel entre le roi Pellinore, un ami rencontré quelques chapitres auparavant, et le seigneur Grummore Grummursum12. Cet affrontement prend d’ailleurs tous les signes d’une guerre, réduite à deux seuls combattants : « Sir Grummore Grummursum was cantering up the clearing in full panoply of war13. » Pour Arthur, qui ne peut contenir son excitation, les premiers échanges entre les deux chevaliers sont les prémices d’un spectacle grandiose : « “They’re off !” cried the Wart, holding his breath with excitement14 ». Aux yeux du jeune héros, l’image romantique des braves chevaliers est ici à son paroxysme. Toutefois, face à la violence de l’affrontement, cette fois perçu dans sa totalité et dans toute sa brutalité, Arthur se ravise, passant de la fascination au regret coupable : « “Oh, dear !” exclaimed the Wart, feeling ashamed that his blood-thirstiness had been responsible for making these two knights joust before him15 ». La description du combat permet de mettre en scène une évolution psychologique du futur souverain face à la notion de conflit. Loin d’être un simple divertissement, la guerre implique de véritables conséquences matérielles et humaines, qui ne peuvent qu’être désastreuses. L’enseignement de Merlyn laisse ici apparaître l’importance d’une implication personnelle : ce n’est qu’en craignant pour la vie de son ami Pellinore que le jeune héros remet en question son goût pour les duels. Lorsque le combat n’est plus perçu comme une image éthérée et s’applique à la réalité familière du héros, ses conséquences brutales jaillissent et brisent le voile des illusions.

Pourtant, le jeune Arthur, qui n’est pas encore couronné ni même informé de sa destinée royale, peut vite retomber dans sa fascination pour l’esthétique épique des affrontements de chevaliers. White souligne bien, dans son dernier tome The Book of Merlyn, la nécessité du temps pour intégrer d’éventuels changements d’attitude16 : il faudra à Arthur plusieurs années et de nombreuses expériences, tant militaires que magiques, pour délaisser complètement cette vision romantique de la chevalerie, jugée inappropriée et toutefois parfois partagée par White lui-même. Une fois sacré roi à la fin de The Sword in the Stone, Arthur tente d’unifier le royaume et de gouverner selon les préceptes acquis tout au long de son éducation magique. Menant désormais des troupes au combat, il retrouve des réflexes de spectateur, percevant la guerre comme un spectacle fascinant. Suite à une victoire contre le roi Lot d’Orcanie, Arthur discute avec Merlyn, et s’exclame avec satisfaction : « I must say it is nice to be a king. It was a splendid battle17 ». L’enchanteur, entre deux accès de colère face à ce qu’il considère comme un comportement stupide, tâche alors de faire comprendre à son royal élève l’indécence de ses propos. Lorsqu’il interroge Arthur sur ses pertes humaines lors de cette bataille, ce dernier prend conscience du décalage tragique entre la légèreté de ses paroles et les conséquences humaines du conflit : « “Well,” he said. “It was not fun, then. I had not thought18” ». De nouveau, Merlyn doit rappeler à Arthur la réalité de la guerre afin d’en repousser l’image idéalisée. Le roi et ses chevaliers, bien protégés sous leurs lourdes armures, tendent à percevoir les conflits comme de simples sports de combat, où l’intérêt n’est que de surpasser son adversaire. Alors que plus de sept cents hommes ont perdu la vie lors de l’affrontement entre les troupes d’Arthur et celles de Lot, aucun chevalier n’a été blessé – sauf l’un d’eux qui s’est brisé la jambe en tombant de cheval, précise amèrement Merlyn19. L’enseignement reçu par le souverain n’est donc pas achevé, et la vision romantique de la guerre ressurgit encore ponctuellement tout au long de l’œuvre.

Loin de l’image idyllique des chevaliers arthuriens proposée par les sources médiévales, et entretenue dans une certaine mesure par le xixe siècle, White livre par l’intermédiaire de Merlyn une critique de la force armée incarnée par ces personnages. L’enchanteur reprend une nouvelle fois sa fonction de tuteur auprès d’Arthur :

What is this chivalry, anyway? It simply means being rich enough to have a castle and a suit of armour, and then, when you have them, you make the Saxon people do what you like […]. All the barons can slice the poor people about as much as they want, and it is a day’s work to hurt each other, and the result is that the country is devastated. Might is Right, that’s the motto […]. But look at the country. Look at the barns burnt, and dead men’s legs sticking out of ponds, and horses with swelled bellies by the roadside, and mills falling down, and money buried, and nobody daring to walk abroad with gold or ornaments on their clothes. That is chivalry nowadays. That is the Uther Pendragon touch. And then you talk about a battle being fun20 !

La beauté abstraite de la guerre est mise à mal par la description acerbe de ses conséquences. White prend ses distances avec le modèle médiéval de Thomas Malory, dont il tire la matière de The Once and Future King. Alors que, dans Le Morte Darthur (1485), Malory loue avec nostalgie une chevalerie en train de disparaître, White remet en question cette vision idéalisée de la guerre en la confrontant à sa face cachée, faite du sang des combattants et de la souffrance collective. Merlyn ne mentionne pas uniquement les victimes du conflit, dont les membres épars jonchent un sol ensanglanté, mais également les conséquences matérielles impliquant de gros efforts de reconstruction personnelle et collective, ainsi que le sentiment de peur constante pour les survivants.

Pourtant, White choisit bien de rédiger un roman mettant en scène la chevalerie arthurienne, dans lequel les combats auront nécessairement une place majeure21. La vision romantique du jeune Arthur, largement présente, n’est pas tant dénoncée qu’elle est nuancée par une maturité et une prise de conscience. Si l’admiration de l’auteur pour les chevaliers semble se teinter négativement, c’est d’abord par un effet de correspondance avec le contexte vécu – et subi – dans les années 1940. White passe les années de guerre en Irlande, où il rédige et corrige son manuscrit arthurien. Comme les populations de l’arrière, il prend toutefois conscience de l’horreur du conflit et du chaos dans lequel la guerre plonge le monde. La Seconde Guerre mondiale envahit alors progressivement l’œuvre de White, en particulier dans le message qu’il tient sur la violence caractéristique de l’espèce humaine. Kurth Sprague insiste sur cette ombre pesant de plus en plus sur la rédaction de l’œuvre :

Now that he was approaching the last pages of [The Once and Future King], he realized that he was about to be bereaved. What would intrude upon his consciousness was what already intruded […] : the inescapable awareness of the war, the knowledge of the suffering and deprivation of his fellow Englishmen, and the knowledge that he was too old to serve, and, in any case, was not needed22.

Les passages que White ajoute tardivement à The Sword in the Stone, notamment les chapitres consacrés aux fourmis et aux oies sauvages, initialement prévus pour le dernier tome, soulignent cette évolution de sa pensée : The Once and Future King, d’abord roman pour enfants sur la jeunesse merveilleuse du roi Arthur, se transforme en interrogation sur les enjeux et les conséquences de la guerre. Cet assombrissement des thématiques du roman s’accompagne d’une large réflexion sur une violence apparemment atemporelle.

La guerre devient le symptôme de troubles plus profonds de l’espèce humaine. Chez White, cette explosion des conflits sans cesse renouvelés provoque une attitude de rejet, traduisant une certaine antipathie pour ses semblables. « He’d decided he hated people23 », note Helen Macdonald. White n’aboutit qu’à des conclusions générales, qui englobent tous les êtres humains en tant qu’espèce, comme il peut décrire différentes espèces animales dans The Sword in the Stone. Alors qu’il aspire à la liberté naturelle des oies sauvages, il s’afflige en constatant que son espèce a plus en commun avec les fourmis fascistes. Il remarque dans son journal : « The fact of the matter is that I think the whole human race is mad, evil and contemptible24. » Pour White, la solution face à une espèce décidée à s’entretuer est peut-être l’isolement et la mise en place d’une réflexion philosophique et politique dans l’espoir d’atténuer les futurs conflits. The Once and Future King apparaît en ce sens comme le rêve nostalgique d’une chevalerie glorieuse, dont l’auteur s’éveillerait progressivement à cause des bruits intrusifs de la réalité. Si le cadre médiéval demeure dans la narration, son image idyllique se dissipe toutefois face au contexte guerrier des années 1940 : la guerre bien réelle du xxe siècle vient rompre la représentation guerrière du Moyen Âge arthurien.

Dans le roman, cette réflexion se traduit en démarches politiques menées par Arthur afin de faire cesser les conflits qui rongent son royaume. Le second tome de l’œuvre, The Queen of Air and Darkness, décrit la volonté du souverain de réconcilier le goût de son temps pour les affrontements guerriers et la nécessité d’instaurer une ère de paix pour garantir la prospérité de ses sujets. Ce compromis se résume à la maxime « Might for Right25 », qui désigne l’exercice d’une force armée au service du maintien d’un ordre juste et bon. Le goût des seigneurs et des chevaliers pour la violence est donc mis au service d’une cause commune, afin d’unifier les objectifs et donc les actions dans le royaume. Dans un premier temps, « Might for Right » correspond à l’application d’une violence maîtrisée et raisonnée. L’histoire d’Arthur, souverain guerrier et philosophe, devient dès lors une tentative d’exemplum face aux conflits cycliques qui affectent l’espèce humaine. Par ses efforts constants d’unification, le personnage d’Arthur pose les bases de solutions concrètes apportées à la question récurrente des guerres.

Cette ambivalence dans la représentation des conflits reprend en partie la pensée de White lui-même, insistant sans cesse pour prendre part aux efforts de guerre, mais n’y parvenant jamais, et préférant finalement le calme de sa retraite irlandaise. Même s’il perçoit la souffrance de ses semblables, il demeure soumis à une certaine crainte vis-à-vis de l’espèce humaine, qu’il souhaiterait donc aider sans trop approcher. Kurth Sprague résume ainsi le dilemme de l’auteur :

White’s instinct was to join the armed forces. On the other hand, those virtues had long since been overlaid, if not supplanted, by a general liking for a liberal kind of socialism, which dictated that the only benefit of war was to manufacturers of arms and explosives […]. Further, White found the idea of war hateful, barbaric, and senseless26.

Ne pouvant s’impliquer physiquement dans un conflit qu’il juge « stupid and horrible27 », White voit dans le mythe arthurien qu’il est en train de reconstruire une possibilité d’expérimentation, afin d’appliquer ses théories en germe sur la notion de guerre. Plutôt qu’un roi conquérant, son Arthur sera un souverain philosophe, mettant la force armée de chevaliers légendaires au service d’une construction commune : l’exemplum de The Once and Future King offrira ainsi des solutions pour permettre aux êtres humains de ne plus sombrer dans des conflits meurtriers.

Dès lors, la représentation de la guerre médiévale devient nécessaire pour souligner les implications universelles et atemporelles de tout conflit armé. Ce n’est que par la description de la violence guerrière que White peut, par un effet de contraste, mettre en évidence le rôle pacificateur et civilisateur du roi Arthur. Malgré la distance que l’auteur souhaite marquer entre son œuvre romanesque et la poésie arthurienne d’Alfred Tennyson, les deux auteurs développent la même image d’un Arthur champion de la civilisation, n’employant jamais le combat comme une fin, mais toujours comme un moyen au service de la paix. La chevalerie arthurienne devient le symbole d’une volonté de dépassement de la violence. Dès le couronnement d’Arthur, ce règne naissant est perçu comme un espoir pour les sujets du royaume, comme le souligne White : « They were sick of the anarchy which had been their portion under Uther Pendragon : sick of overlords and feudal giants, of knights who did what they pleased, of racial discrimination, and of the rule of Might as Right28 ». Le jeune souverain n’est pas tant reconnu comme un guerrier que comme un héros apte à mettre un terme à la loi du plus fort, notamment en vigueur sous le règne de son père Uther Pendragon.

Dans un premier temps, Arthur doit alors imposer son autorité aux seigneurs récalcitrants du royaume, et ce malgré sa légitimité à la fois héréditaire et divine – par l’extraction de l’épée Excalibur de l’enclume. De façon paradoxale, le règne civilisateur d’Arthur débute par des guerres internes, visant à unifier le territoire. Si la violence guerrière est toujours présente au cœur du royaume arthurien, elle apparaît de façon détournée. Le second tome de The Once and Future King, intitulé après de longs travaux de réécriture The Queen of Air and Darkness, détourne ainsi la narration : à la suite de la jeunesse d’Arthur, décrite dans The Sword in the Stone, ce second tome est consacré à l’enfance des garçons du clan Orkney, jeunes neveux d’Arthur et futurs chevaliers de la Table ronde. Le récit de cette enfance collective est entrecoupé de parenthèses revenant au roi, et à ses guerres pour imposer son autorité sur l’ensemble du royaume. Les conflits ne sont donc pas décrits, mais évoqués ponctuellement pour souligner l’évolution d’Arthur, de jeune roi contesté à chef de guerre admiré. L’image des combats est partiellement repoussée au profit d’une réflexion sur l’intérêt et les conséquences de ces affrontements. La violence guerrière n’est plus représentée pour elle-même, ou pour son caractère « divertissant » – comme pouvait le penser le jeune Arthur dans The Sword in the Stone –, mais pour son impact humain, politique et philosophique. Tout comme son personnage principal, The Once and Future King gagne peu à peu en maturité. L’accès d’Arthur à un statut de chef de guerre est nuancé par le discours pacifiste de Merlyn, afin d’équilibrer la représentation de la guerre. Dès The Queen of Air and Darkness et jusqu’au troisième tome, The Ill-Made Knight, les combats des chevaliers apparaissent comme un mal nécessaire à la reconstruction du royaume. De nouveau, cette perspective semble faire écho à l’opinion plus générale de T.H. White sur la Seconde Guerre mondiale. Comme le rappelle Helen Macdonald, « he believed that war, when it came, would bring waste and murder and the ruin of civilisation, but that war would be worthwhile if we could emerge from the ruins with wisdom29 ». La première partie de The Once and Future King illustre cette hésitation philosophique, reconnaissant la violence inhumaine de la guerre tout en admettant d’éventuelles conséquences positives sur le long terme.

C’est dans cette ambivalence que se situe la première politique mise en place par le roi Arthur : « Might for Right » – la force au service de ce qui est bon et juste. Plutôt que de laisser appliquer la loi du plus fort, « Might is Right », Arthur décide d’employer le goût de ses chevaliers pour les combats, et de le mettre au service de l’instauration de la paix. Par la création de la Table ronde, conçue comme un nouvel ordre de chevalerie, Arthur souhaite faire des seigneurs du royaume des gardiens de la paix. La fascination des chevaliers pour la violence est ainsi détournée et canalisée au profit d’un projet politique et social commun. Néanmoins, ce principe de déviation de la violence ne constitue qu’une solution temporaire. Malgré les efforts répétés du souverain, la Table ronde constitue toujours une exaltation de la violence. Par conséquent, le rêve politique d’Arthur ne peut qu’aboutir à un échec, car il s’agit toujours de faire appel à la force comme garant. La logique « Might for Right » ouvre sur une aporie. Comment employer la guerre pour mettre un terme à la guerre ? White met en évidence ce paradoxe dans les deux derniers tomes, The Candle in the Wind et The Book of Merlyn – ce dernier étant publié de façon posthume en 1977, sans avoir été retravaillé comme l’auteur l’aurait souhaité. La fin de The Once and Future King apparaît autant comme une mise en scène d’une guerre tragique que comme une tragédie sur la guerre. En juin 1941, White décrit ainsi son œuvre à son ami David Garnett :

The last book, number five, is, I hope, the crown of the whole. The epic theme is War and how to stop it [...] and number five solves the problem. You see, the Round Table was an anti-Hitler measure. It began by trying to control Might-as-Right in individuals, by harnessing it to worldly ends : then, in the Grail, it tried to harness it to spiritual ends : then, in Book 4, The Candle in the Wind [sic], it recognises that Might-as-Right must be quashed altogether, instead of harnessed, and Arthur turns over to abstract justice – he invents « Law » (out of Canon, Roman & Customary) and is prepared to sacrifice both Lancelot & Guenever to the ideal. This works, so far as Might in the individual is concerned, but, no sooner has he got it settled like that, than Might in the congeries, collective Might, War, pops up behind him. All his life he was trying to dam a flood which broke out in new places. This book brings him face to face with the final theme, and ends with him broken30.

White reprend les différentes étapes de la politique arthurienne vis-à-vis de la guerre : la force armée est mise au service du bien commun ; puis d’une quête spirituelle ; le roi instaure une justice égalitaire. Pourtant, la guerre, sous la forme de conflits individuels ou de violences communes, ressurgit sans cesse.

Alors même que l’œuvre de White est consacrée au roi Arthur et à un passé légendaire, The Once and Future King devient le témoignage d’une guerre bien réelle. L’influence du contexte guerrier sur la vie de White, et donc sur la rédaction de son roman, transforme le récit arthurien en une réflexion générale et atemporelle sur la violence des êtres humains. De fait, White, n’ayant pas combattu pendant la Seconde Guerre mondiale, voit dans la rédaction de son œuvre une contribution à l’effort de guerre. Malgré ses démarches pour s’investir directement auprès des forces alliées, il précise dans son journal :

The human brain can be unmade so quickly, and it takes so long to make a book out of the brain, that I must at the same time begin to write in order that when the whiff of murder comes stealing something may be left behind31.

C’est justement en réaction contre cette inaptitude à prendre part au conflit que White fait prendre à The Once and Future King une résonance plus large : il ne s’agit plus simplement de retracer la légende du roi Arthur, mais de voir en quoi cette légende médiévale peut éclairer la situation contemporaine. Kurth Sprague remarque :

By a curious twist of fate, the tortured chronicler of knightly valor was to be prevented from taking part in the greater wholesale warfare the world had ever known. Indeed, one feels that this repudiation of his talents contributed in no little measure to White’s developed view that the epic of Arthur was anti-war in its theme32.

White trouve une compensation, voire une forme de sublimation, dans la rédaction de son œuvre. La peinture des conflits médiévaux devient un substitut du conflit contemporain, si bien que le décalage temporel et fictionnel offre à l’auteur une plus grande liberté dans la représentation. L’image de la guerre ouvre une pensée narrativisée sur ses raisons, ses motifs et ses conséquences : Arthur applique l’enseignement de Merlyn en cherchant une solution à l’idée même de conflit armé. Ainsi, souhaitant comprendre pourquoi les êtres humains s’affrontent entre eux, White affirme dès janvier 1941 : « My Death of Arthur is going to end up as a treatise on war33 ». The Once and Future King prend une dimension supérieure, en ne se limitant pas à la sphère littéraire mais en cherchant à apporter une réponse à l’absurdité de la guerre. White choisit donc de faire de son roman une priorité, non pas malgré le contexte guerrier, mais justement à cause de celui-ci. Il explique à David Garnett : « Nothing can be reasonable to be done before I have settled the book, which is my reason of being34. »

Dans les dernières pages de The Candle in the Wind, complétées par une longue réflexion dans The Book of Merlyn, White suggère l’importance de l’éducation et de la culture dans cette question des conflits armés : ce n’est qu’en diffusant le savoir et la connaissance que l’espèce humaine, finalement bien peu différente entre l’époque médiévale et le xxe siècle, pourra espérer sortir de ce schéma autodestructeur. La légende arthurienne, perçue au prisme de la Seconde Guerre mondiale, est conçue comme un exemplum – voire comme un miroir aux princes démocratisé et ouvert à tous – visant à transmettre cette réflexion et à éradiquer les guerres. Le travail de l’auteur semble transcender les démarches des combattants, au sens où il contribue à la construction d’une ère meilleure. Pour White, son œuvre littéraire conçue pour l’avenir compense et même surpasse ses efforts avortés pour prendre part au conflit. Le 21 septembre 1939, il note déjà dans son journal : « I can do much better than fight for civilisation : I can make it35. » Le royaume arthurien, dépeint et mis en scène dans The Once and Future King, apparaît comme un modèle de civilisation éclairée, avec ses grandeurs à suivre et ses écueils à éviter. White propose de reforger un exemple glorieux à partir des sources médiévales, afin de servir à ses contemporains ainsi qu’à leurs descendants. Justifiant ainsi sa volonté de poursuivre son œuvre avant de proposer ses services au combat, White explique à David Garnett : « I am hoping desperately that when you have read my last two books you will think that I have helped in the war effort almost as much as you have with the Air War. Or at any rate in the next peace effort36. » En toute logique, la réflexion sur la guerre passée et présente s’ouvre sur un travail pour la paix à venir. Fidèle à son ambivalence habituelle, White « espère désespérément », entre accablement face à la faillibilité des êtres humains et aspiration à un éveil collectif.

Bibliographie

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Garnett David et White T.H., The White/Garnett Letters, Londres, Jonathan Cape, 1968.

Macdonald Helen, H is for Hawk, New York, Grove Press, 2014.

Sprague Kurth, T.H. White’s Troubled Heart: Women in ‘The Once and Future King’, Cambridge, D.S. Brewer, 2007.

Townsend Warner Sylvia, T.H. White: A Biography, Londres, Cape with Chatto and Windus, 1967.

White T.H., England Have my Bones, Londres, Collins, 1936.

The Book of Merlyn, New York, Ace Books, [1977] 1987.

The Once and Future King, New York, Ace Books, [1958] 1996.

Notes

1 David Garnett et T.H. White, The White/Garnett Letters, Londres, Jonathan Cape, 1968, lettre du 08/06/1941 de T.H. White à David Garnett, p. 86. Retour au texte

2 Helen Macdonald suggère de lire The Goshawk (1951) de T.H. White comme une guerre entre l’auteur et l’oiseau de proie, mais aussi et surtout comme une guerre de White sur lui-même. Helen Macdonald, H is for Hawk, New York, Grove Press, 2014, p. 192. Retour au texte

3 Nous reprenons la graphie privilégiée par White. Retour au texte

4 T.H. White, The Once and Future King, t. I, The Sword in the Stone, New York, Ace Books, [1958] 1996, chap. 7. Cette réédition inclut les quatre premiers tomes de The Once and Future King, excluant donc le dernier, The Book of Merlyn : The Sword in the Stone ; The Queen of Air and Darkness ; The Ill-Made Knight et The Candle in the Wind. Retour au texte

5 Ibid., chap. 8. Retour au texte

6 Ibid., chap. 5, p. 41. Retour au texte

7 Entrée de journal de T.H. White du 27/08/1942, citée par Kurth Sprague, T.H. White’s Troubled Heart: Women in ‘The Once and Future King’, Cambridge, D.S. Brewer, 2007, p. 182-183. Retour au texte

8 Ibid., p. 183. Retour au texte

9 T.H. White, The Once and Future King, t. I, The Sword in the Stone, op. cit., chap. 5, p. 48. Retour au texte

10 Dans son journal de 1942, T.H. White identifie Merlyn à l’étoile Antarès, traditionnellement considérée comme l’opposée de Mars – planète devant son nom au dieu romain de la guerre. Par extension, Merlyn devient un opposant à la guerre. Sur ce sujet, voir l’entrée de journal de White du 06/07/1942, citée par Kurth Sprague, T.H. White’s Troubled Heart, op. cit., p. 169. Retour au texte

11 T.H. White, The Once and Future King, t. I, The Sword in the Stone, op. cit., chap. 7, p. 55. Retour au texte

12 Ibid., chap. 7. Retour au texte

13 Ibid., chap. 7, p. 59. Retour au texte

14 Ibid., chap. 7, p. 61. Retour au texte

15 Ibid., chap. 7, p. 62. Retour au texte

16 T.H. White, The Book of Merlyn, New York, Ace Books, [1977] 1987. Retour au texte

17 T.H. White, The Once and Future King, t. II, The Queen of Air and Darkness, op. cit., chap. 2, p. 225. Retour au texte

18 Ibid., chap. 2, p. 227. Retour au texte

19 Ibid., loc. cit. Retour au texte

20 Ibid., chap. 2, p. 229. Retour au texte

21 Cette paraphrase est employée en opposition au « roman de chevalerie » à proprement parler, puisque The Once and Future King ne se limite pas aux seules problématiques du roman de chevalerie. Retour au texte

22 Kurth Sprague, Top. cit., p. 151. Retour au texte

23 Helen Macdonald, op. cit., p. 43. Retour au texte

24 Entrée de journal de T.H. White, malheureusement non datée, citée par Kurth Sprague, op. cit., p. 67. Dans son texte autobiographique England Have my Bones, il explique : « I am afraid of people, of personal contacts […]. I had to go out to meet the personal contacts in armour: a shell like the protection of the hermit crab […]. Perhaps it is true that the best method of defence is attack. Because I am afraid of things, of being hurt and death, I have to attempt them. This journal is about fear. », T.H. White, England Have my Bones, Londres, Collins, 1936, p. 69-70. Retour au texte

25 T.H. White, The Once and Future King, t. III, The Ill-Made Knight, op. cit., chap. 9, p. 380. Retour au texte

26 Kurth Sprague, op. cit., p. 21-22. Retour au texte

27 Ibid., p. 150. Retour au texte

28 T.H. White, The Once and Future King, t. I, The Sword in the stone, op. cit., chap. 24, p. 211. Retour au texte

29 Helen Macdonald, op. cit., p. 192. Retour au texte

30 David Garnett et T.H. White, op. cit., lettre du 08/06/1941 de T.H. White à David Garnett, p. 86. Retour au texte

31 Sylvia Townsend Warner, T.H. White : A Biography, Londres, Cape with Chatto and Windus, 1967, p. 100. Sur les efforts affichés de White pour se rendre sur le front, voir notamment Kurth Sprague, T.H. White’s Troubled Heart, op. cit., p. 167-170. Retour au texte

32 Kurth Sprague, op. cit., p. 151. Retour au texte

33 David Garnett et T.H. White, op. cit., lettre du 12/01/1941 de T.H. White à David Garnett, p. 80. Retour au texte

34 Ibid., lettre du 16/03/1942 de T.H. White à David Garnett, p. 110. Retour au texte

35 Entrée de journal du 21/09/1939, citée par Elisabeth Brewer, T.H. White’s The Once & Future King, Cambridge, D.S. Brewer, 1993, p. 9. Retour au texte

36 David Garnett et T.H. White, op. cit., datée simplement de 1941, p. 100. Nous soulignons. Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Justine Breton, « « War and how to stop it » : l’ambivalence des combats dans The Once and Future King », Bien Dire et Bien Aprandre, 33 | 2018, 265-278.

Référence électronique

Justine Breton, « « War and how to stop it » : l’ambivalence des combats dans The Once and Future King », Bien Dire et Bien Aprandre [En ligne], 33 | 2018, mis en ligne le 01 mars 2022, consulté le 18 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/bien-dire-et-bien-aprandre/675

Auteur

Justine Breton

CAREF, Université de Picardie-Jules-Verne

Droits d'auteur

CC-BY-NC-ND