Nasalisation régressive en picard et en français : preuves phonétiques des différences phonologiques

DOI : 10.54563/bdba.752

p. 27-52

Plan

Texte

Je tiens à remercier en particulier Julie Francoeur et Julie Auger pour leur aide avec les révisions de cet article. Toute erreur qui persiste est celle de l’auteur. Cette recherche a été soutenue par une subvention Doctoral Dissertation Research (#1360758) de la National Science Foundation.

Introduction

Une des principales différences phonologiques entre le français et le picard, souvent citée dans les ouvrages scientifiques et longtemps représentée dans l’orthographe picarde, réside dans les processus de nasalisation régressive (ou l’absence d’un tel processus). Les dialectes du picard se caractérisent par l’assimilation de certaines voyelles devant une consonne nasale. En particulier, ce processus s’appliquerait aux voyelles /a, e, o/ en picard du Vimeu, soit la variété documentée dans cette étude, selon les travaux de Vasseur (1963/1998, 1996). Par contre, dans la description courante du français standard international, aucun processus de nasalisation ne s’applique. Puisque les deux langues emploient un contraste oral-nasal dans les voyelles moyennes et ouvertes, il s’ensuit que le picard est neutralisateur à cet égard (jusqu’à un certain point), tandis que le français préserve entièrement ce contraste.

Certains facteurs compliquent cette description. D’abord, la nasalité vocalique s’avère particulièrement difficile à percevoir dans des contextes nasaux (Beddor & Krakow 1999) ; de plus, le timbre et la durée vocaliques peuvent influencer sa perception, comme nous le verrons. Bien que ces constatations ne remettent pas forcément en cause toute description impressionniste, quand la précision nous importe le plus, il est idéal de corroborer de tels propos avec des données instrumentales et/ou acoustiques. Cela est d’autant plus important quand la description en question est tellement datée que le parler en question aurait pu évoluer de manière significative. À ma connaissance, jusqu’ici le picard n’a pas été sujet d’une étude phonétique sur la nasalité, d’où le besoin de documenter cette question de plus près.

En revanche, un grand nombre d’études phonétiques ont examiné la nasalité dans la langue française, ce qui nous amène à notre seconde complexité. Bien qu’on présume que cette langue préserve son contraste oral-nasal, plusieurs études trouvent des taux significatifs de nasalisation sur les voyelles fermées en position pré-nasale (Basset et al. 2001, Delvaux et al. 2008), et cela même au-delà de 50% nasalité (Rochet & Rochet 1991, Spears 2006). Il n’y a pas de consensus concernant le statut de ce processus comme phonétique ou phonologique. Mais si ce dernier s’avère plausible, son existence pourrait mener à un changement du profil phonologique du français, comme nous l’expliquons plus loin. En outre, ces données ouvrent la question de savoir si un tel processus s’est développé en picard.

Cet article présente une expérience sur la base phonétique de cette différence phonologique entre le français et le picard du Vimeu (désormais « le picard », sauf indication contraire). En particulier, nous examinerons le rapport entre le taux de nasalisation régressive et le timbre vocalique à la lumière de divers facteurs qui peuvent influencer la coarticulation nasale1. Afin de tester différentes possibilités, un groupe de bilingues picard-français et deux groupes de monolingues français (l’un provenant de la Picardie, l’autre de l’extérieur) ont participé à une tâche de lecture dans un nasomètre, un appareil phonétique qui permet l’enregistrement séparé mais simultané des canaux oral et nasal. Tous les participants ont enregistré une liste d’expressions françaises, et les bilingues ont aussi enregistré une liste picarde de structure identique. Dix mesures d’énergie acoustique également espacées ont été extraites de chaque canal pour calculer un score global de nasalité pour les voyelles nasales contrastives de ces deux langues, de même que pour les voyelles orales en positions orales et pré-nasales (nombre total de voyelles = 4 601 en français, 2 308 en picard).

Considérant et le pourcentage de nasalité, et la cohérence interne des groupes, cet article tire des conclusions sur les tendances communes aux groupes comme divisés a priori. À savoir, cette étude conclut que seules les voyelles /a, e/ subissent la nasalisation régressive en picard, tandis que seul /i/ la subit en français. Des tests supplémentaires pourraient confirmer ces tendances comme phonologiques, auquel cas la description phonologique de ces langues (ou de ces dialectes, au moins) nécessiterait une révision. Spécifiquement, la neutralisation en picard serait bien confirmée mais de manière partielle (en raison du manque de nasalisation de /o/), et la nasalisation en français s’appliquerait vraiment, mais seulement dans un créneau précis.

En plus de modifier notre description empirique de ces langues, ces tendances pourraient contribuer aussi à combler une lacune dans la théorie phonologique à propos des voyelles nasales. D’abord, ces résultats suggèrent que les voyelles nasales arrondies sont plus marquées que les voyelles nasales écartées, en accord avec des phénomènes vocaliques généraux. Deuxièmement, une hiérarchie d’aperture (ou de sonorité) vocalique pourrait être établie pour expliquer les résultats. Dans une telle hiérarchie, les voyelles fermées nasales seraient (parmi) les plus marquées, puis les voyelles moyennes et ouvertes. Ces deux paramètres prédisent en partie les voyelles qui participent à la nasalisation en picard. Pour expliquer le français, cependant, il faut évoquer en plus une pression d’anti-neutralisation afin de bloquer la nasalisation de /a, e/ en particulier.

Le présent article est structuré comme suit : la section 2 décrit l’arrière-plan phonotactique et le corpus de recherche sur lequel l’étude est basée. En particulier, la section 2.1 fournit un bref résumé des études phonologiques et (si pertinent) phonétiques sur la nasalité en français et en picard. La section 2.2 résume les forces phonétiques derrière la nasalité vocalique avec une attention particulière à son rapport avec le timbre vocalique (surtout l’aperture). La section 3 présente la méthodologie de l’expérience et ensuite les résultats dans la section 4. Nous présentons d’abord les résultats par pourcentage moyen (par combinaison de groupe et de langue) et puis en examinant particulièrement la variation à l’intérieur des groupes. La discussion en §5 traduit ces résultats en processus phonologiques et discute brièvement de leurs conséquences potentielles pour les grammaires des langues française et picarde et pour la théorie phonologique. Cette section comprend aussi une brève discussion d’orientations possibles pour de futurs travaux. Enfin, la section 6 conclut l’article avec un résumé.

Arrière-plan

La nasalité en français et en picard

Un sous-ensemble des voyelles du français et du picard se distingue au niveau de la nasalité ; en particulier, les voyelles /a, e, o/ ont des homologues nasaux robustement attestés. Selon le dialecte, une quatrième voyelle nasale, dont l’homologue est /œ/ ou /ø/, existe toujours, mais sa distribution dans les deux langues est depuis longtemps marginale. En outre, dans plusieurs dialectes du français, une convergence de cette voyelle vers la voyelle écartée est quasiment complète. La transcription traditionnelle de ces quatre voyelles en français est /ɑ̃, ɛ̃, ɔ̃, œ̃/, et tandis que Vasseur (1996) emploie /ã, ẽ, õ, œ̃/ dans la transcription du picard du Vimeu, il ne remarque pas de différences de prononciation du français à cet égard. Même si c’était le cas, ce qui importe est non seulement que les voyelles nasales soient fonctionnellement identiques d’une langue à l’autre en termes de traits, mais que ces voyelles aient aussi chacune un homologue oral dont la seule différence phonologique réside dans le trait [nasal]2. Toute autre information ou règle phonétique serait extérieure, voire invisible à la phonologie.

Dans la description normative du français, seules les voyelles orales peuvent apparaître devant une consonne nasale tautomorphémique. Dans certains cas, l’affixation peut mener à une séquence de voyelle nasale + consonne nasale, comme dans [ɑ̃+neʒe] enneiger. Autrement, les deux types de voyelles apparaissent dans les syllabes ouvertes ainsi que les syllabes fermées par une consonne orale. Il est à noter que les consonnes nasales sont interdites en position de coda sauf à la fin d’un mot3. Enfin, des paires d’alternances morphologiquement reliées entre voyelle nasale et voyelle orale + consonne nasale (désormais ‘Vn’ et ‘VN’, respectivement) ont souvent lieu en français, surtout dans certains adjectifs et paradigmes verbaux. Ces paires se distinguent principalement au niveau de la nasalité, mais à certaines occasions, l’aperture peut aussi différer entre les deux quand il s’agit d’une voyelle fermée dans la forme VN (p. ex. [fɛ̃] fin ~ [fin] fine).

La distribution et le comportement particulier des voyelles orales et nasales ont amené les phonologues au consensus qu’en français, les voyelles nasales correspondent à deux genres de représentations sous-jacentes (Tranel 1992, Brousseau & Nikiema 2001). En absence d’alternances au niveau de la nasalité, même en participation avec une alternance Ø ~ C (comme dans grand ~ grande), on est plutôt d’accord que la voyelle est simplement nasale dans la phonologie. Cependant, en présence d’une alternance avec une séquence VN, la théorie dominante est que la représentation sous-jacente se compose d’une suite de voyelle orale (dont le timbre est déduit à partir de la forme VN) et un trait [nasal] flottant.

La grande majorité des nombreuses études expérimentales portant sur la nasalité en français confirment que le contraste oral-nasal est maintenu, du moins en partie. La coarticulation sur les voyelles moyennes et ouvertes est typiquement faible ou négligeable (Rochet & Rochet 1991, Spears 2006, Delvaux et al. 2008). À l’exception des études de Clumeck (1976) et de Montagu (2007), une hiérarchie discutable existe où les voyelles moyennes sont légèrement plus nasales que les voyelles ouvertes, bien qu’aucune voyelle des deux groupes ne dépasse typiquement un seuil de 30% de nasalité. Cependant, une contradiction possible à la description traditionnelle du français est que les voyelles fermées démontrent un taux élevé de nasalité, souvent le plus élevé de toutes les voyelles, parfois même au-delà des 50% de nasales (Rochet & Rochet 1991, Spears 2006). Toutes les études qui tiennent compte de la différence entre la nasalisation régressive et progressive concluent que celle-ci s’applique dans une mesure plus importante, avec les mêmes tendances au niveau de l’aperture vocalique (les voyelles fermées > moyennes > ouvertes). Ce type de nasalisation dépasse la portée de cet article, mais comme la présente expérience a recueilli en même temps des données le ciblant, nous pourrons un jour examiner si une telle hiérarchie caractérise aussi le picard.

Les ‘voyelles nasales’ du picard du Vimeu telles que décrites par Vasseur (1996) ont pratiquement la même distribution, c’est-à-dire qu’elles se trouvent devant des consonnes orales (dans des syllabes fermées et ouvertes) et en fin de mot. Comme en français, les consonnes nasales n’apparaissent pas non plus en position de coda. Vasseur fait cependant une distinction supplémentaire dans la catégorie des ‘voyelles demi-nasales’ [ã, ẽ, õ]. Bien qu’il n’explique pas la raison derrière cette catégorisation, nous pouvons déduire leurs fonctions phonologiques à partir de leurs distributions grâce à sa transcription qui différencie les deux types. En particulier, les voyelles demi-nasales ne se trouvent que devant des consonnes nasales, comme en français indépendamment de la syllabation. Quelques exceptions rares existent dans le dictionnaire (Vasseur 1963/1998) où une voyelle demi-nasale apparaît devant une consonne orale (p. ex. la dernière voyelle de [iɲorẽs] ‘ignorance’). Une autre exception assez régulière se trouve dans certaines paires adjectivales, où une forme masculine qui se termine par une voyelle nasale correspond à une forme féminine qui se termine par une suite de voyelle nasale + consonne nasale, p. ex. [kuzẽ] ~ [kuzẽn] ‘cousin ~ cousine’. Enfin, la nasalisation de plosives voisées qui suivent une voyelle nasale (p. ex. /ɡãb/ → [ɡãm] ‘jambe’) complique un peu cette généralisation.

Dans l’ensemble, ces tendances suggèrent premièrement un processus de nasalisation régressive qui s’applique à /a, e, o/ devant les consonnes nasales, tandis que toutes les autres voyelles demeureraient orales (cf. José & Auger 2004). À ma connaissance, aucun ouvrage (phonétique ou impressionniste) ne documente un processus de nasalisation des voyelles fermées dans les dialectes du picard. Une deuxième différence potentielle entre le français et le picard provient du manque d’alternances de nasalité dans ce dernier. Comme c’est ce type d’alternances qui a motivé les représentations sous-jacentes au trait [nasal] flottant, il se peut que seules les voyelles nasales existent au niveau sous-jacent en picard. Cette question dépend, certes, de l’analyse des restrictions sur les codas nasales – et en français et en picard.

Aspects phonétiques

La nasalité (générale et vocalique plus spécifiquement) a fait l’objet de nombreuses études dans plusieurs sous-domaines phonétiques. Cette section examine les travaux pertinents à la relation entre la nasalité et le timbre vocalique (en particulier l’aperture). Nous nous intéressons avant tout aux facteurs qui peuvent motiver ou, au contraire, décourager le couplage nasal sur une voyelle donnée.

Bien que la relation entre l’activité vélique et la nasalité ne soit pas unilatérale (p. ex. Bell-Berti 1993), le voile est l’articulateur principalement responsable de la réalisation de la nasalité, à l’aide du muscle levator palatini (p. ex. Bell-Berti 1973). Le voile est en position abaissée au repos (p. ex. Vaissière 1988) afin de permettre à l’air d’entrer et de sortir par les narines lors de la respiration, et il gère l’aperture et l’aire du port vélopharyngal (désormais PV) (p. ex. Bell-Berti & Krakow 1991, Dalston & Seaver 1990) par sa montée et son abaissement. En particulier, sa montée est un geste actif, et la clôture subséquente du PV est nécessaire pour la réalisation des segments oraux. Les consonnes nasales, en contraste, requièrent non seulement que le PV soit ouvert mais aussi que la sortie d’air vers la cavité buccale soit bloquée. Comme le voile lui-même est un articulateur assez léthargique et imprécis (Bell-Berti 1993) qui requiert environ 250 ms pour fermer le PV, il est quasiment inévitable qu’il y ait une diffusion de nasalité sur un segment oral dans la présence d’un segment oral. Le taux de nasalité, cependant, variera d’une langue à une autre.

Entre deux extrêmes, les voyelles nasal(isé)es se réalisent dans un système bifurqué des cavités orale et nasales, avec une complexe interaction entre les deux canaux. De manière aérodynamique, le flux d’air nasal est une fonction de l’aire du PV jusqu’à un certain point (Warren et al. 1987). En particulier, des études ont trouvé que ce flux est élevé pour les voyelles fermées (de même que pour le niveau de pression des sons nasals) grâce à leur taux élevé de constriction orale (Hajek & Maeda 2000). Il est donc probable que ces voyelles sont plus (facilement) nasalisées de ce point de vue (Clarke & Mackiewicz-Krassowska 1977, Rochet & Rochet 1991).

L’articulation des voyelles nasales est plus simple mais toujours pas indépendante de facteurs externes. Dans des études expérimentales, la hauteur inhérente du voile s’avère souvent proportionnelle à l’aperture vocalique, soit le plus élevé pour les voyelles fermées, plus bas chez les voyelles moyennes et encore plus bas chez les voyelles ouvertes (p. ex. Henderson 1984)4. Dans ce cas, le voile aurait moins de distance à parcourir lors de la nasalisation d’une voyelle ouverte : ce qui a amené des chercheurs à les classer comme les plus faciles à nasaliser, surtout dans les analyses diachroniques du développement des voyelles nasales contrastives en français (p. ex. La Chaussée 1974, Chen & Wang 1975).

Que ce soit le cas ou non, les phénomènes aérodynamiques discutés plus tôt contredisent déjà une telle analyse. En outre, la position vélique déjà abaissée des voyelles ouvertes peut en effet interagir avec le seuil oral-nasal. D’abord, les voyelles ouvertes orales démontrent parfois des traces de nasalité. Par exemple, plusieurs études ont trouvé que le voile s’abaisse de façon uniforme en anglais américain pour les voyelles ouvertes en contextes oraux (Bell-Berti 1973, Clumeck 1976), quoique, comme dans l’exemple de la hauteur intrinsèque du voile, ces tendances puissent ne pas être universelles (cf. Shosted 2005, p. 61 pour une discussion). De plus, les voyelles ouvertes sont perçues comme plus nasales que d’autres même quand elles sont complètement orales (Lintz & Sherman 1961). De la même façon, dans l’expérience perceptuelle de Maeda (1993), des participants ont dû évaluer la nasalité de voyelles ouvertes et fermées synthétisées à six différents degrés de couplage nasal. D’une part, les voyelles ouvertes ont été perçues comme plus nasales avec aucun couplage nasal, mais d’autre part, celles-ci ont requis un couplage presque quatre fois plus intense que les voyelles fermées dès l’application de la nasalité afin d’être suffisamment perçues comme nasales.

En termes acoustiques, les fosses nasales ont leur propre structure formantique, ce qui aboutit à un produit beaucoup plus complexe que la somme de ses parties quand couplées avec une configuration orale indépendante. À savoir, les formants et les anti-formants des fosses nasales déplacent et/ou affaiblissent ceux de la cavité buccale, entre autres conséquences acoustiques (cf. Delvaux 2012, p. 130 pour un résumé). Des configurations orales différentes donnent des résultats différents ; c’est-à-dire les effets des (anti-)formants des fosses nasales sur un formant donné dépendent de la structure originale de la voyelle de départ, et ce même en fonction de l’aire du PV (Maeda 1993). Généralement, dans les voyelles fermées, un formant nasal (ou plusieurs) est inséré entre le F1 et F2, tandis que le couplage nasal mène à un affaiblissement à différents degrés du F1 et/ou du F2 chez les voyelles non-fermées. Ces déplacements et ajouts formantiques créent un phénomène de perception de centralisation, par lequel les voyelles nasales fermées peuvent être perçues comme plus ouvertes que leurs homologues orales et l’effet inverse pour les voyelles ouvertes (perçues comme plus fermées).

Des études de modélisation démontrent que le couplage nasal, similairement aux niveaux de pression des sons nasaux mentionnés plus haut, s’effectue sur les voyelles fermées avec plus de certitude que sur d’autres, pour n’importe quelle aire du PV donnée (p. ex. House & Stevens 1956). Ce rapport se manifeste également dans la perception ; comme nous l’avons indiqué plus tôt, les voyelles fermées sont plus facilement et plus rapidement perçues comme nasales pour un degré de couplage (non-zéro) donné (Maeda 1993). Cependant, ces résultats modélisent des voyelles de durées égales. La nasalité vocalique est mieux perçue sur des voyelles longues dans des études expérimentales (p. ex. Whalen & Beddor 1986) et elle est plus souvent attestée dans les études typologiques (p. ex. Hajek 1997). Étant donné que les voyelles ouvertes sont habituellement les plus longues dans la parole naturelle, de même que dans les notions de la durée inhérente et de la sonorité (Lehiste 1970, Laver 1994, Parker 2002), nous pouvons déduire en toute probabilité que ce paramètre, plutôt que d’autres, peut en effet favoriser les voyelles nasales ouvertes.

Méthodologie

Participants

Trois groupes de participants ont été recrutés par référencement et au travers des réseaux sociaux : deux groupes de monolingues francophones (5 locuteurs chacun) et un groupe de bilingues picard-français (10 locuteurs), pour un total de 20 locuteurs. Dans le cadre de cette étude, nous étendons le terme ‘monolinguisme’ pour ne pas exclure les locuteurs du français qui avaient peut-être appris une langue étrangère (sauf le picard) à l’école, mais qui n’auraient acquis aucune autre langue dans un milieu familial et qui n’utilisent que le français sur une base quotidienne et personnelle. Tous les participants ont rempli un questionnaire concernant leurs compétence et usage langagiers, en plus de leurs renseignements personnels standard, afin de décider de leur admissibilité.

Le premier groupe de monolingues (âge moyen : 45,6 ans) provenait des alentours de la ville de Brest et a servi de groupe contrôle. Non seulement ce groupe est éloigné de l’influence du picard mais il représente aussi une variété métropolitaine du français dans une zone de la Bretagne non-bretonnante (Le Berre 1975). On pourrait donc s’attendre à ce que l’influence d’une langue régionale autochtone y soit mineure, voire inexistante. Bien qu’il existe peu d’études sur le parler de Brest en particulier, il y a des raisons de croire qu’il n’est ni particulièrement marqué ni stigmatisé (cf. Poncet 2013, par exemple). Enfin, bien qu’on remarque que la nasalité se propage parfois sur les plosives (et voisées et sourdes) en position de coda dans cette variété (Le Berre 1975), un tel processus (plus restreint) existe en picard, tel que discuté ci-dessus. On n’a jusqu’ici documenté aucun processus de nasalisation vocalique dans cette variété.

Les deux autres groupes provenaient pour la plupart du Vimeu, une région naturelle de France en Picardie près de la Somme (le fleuve). Le nombre d’études existantes sur le picard du Vimeu et la vigueur de sa communauté ‘picardisante’ ont motivé le choix de cette région. Le groupe de monolingues (âge moyen : 51,4 ans) provenait de la ville d’Abbeville et de ses alentours, et le groupe de bilingues picard-français (âge moyen : 66,2 ans) généralement de la région de la Somme. Seuls deux participants de ce dernier groupe sont nés à l’extérieur de la Somme : l’un dans un village normand avoisinant (PH) et l’autre à Paris (PC). À l’exception de PF, qui habitait dans le Nord – Pas-de-Calais (la région voisine au nord), tous les participants bilingues habitaient dans la Somme.

Tous les participants bilingues ont répondu à un questionnaire supplémentaire portant sur leur acquisition et leur usage du picard. Ils ont tous affirmé qu’ils ont appris le picard dans un milieu familial, en plus, pour certains, de le parler avec des voisins et amis. Sept sur dix ont déclaré l’avoir acquis dès l’enfance, tandis que deux participants (PA et PJ) l’ont acquis vers l’âge de 15 ans et un dernier (PD) vers 30 ans. Le questionnaire comportait aussi des questions sur le(s) contexte(s) d’usage, ce qui variait fortement d’un locuteur à un autre, et sur la fréquence d’usage, qui était en moyenne de plusieurs heures par semaine, sinon par jour. Pour une répartition détaillée de tous les participants et de leurs réponses au questionnaire, voir §4.3.2 de Dow (2014)5.

Stimuli

Une liste d’expressions à trois mots (article défini + nom + adjectif) a été créée pour chacune des deux langues. Chaque expression contient une voyelle cible et un son ou une combinaison de sons spécifique qui constitue un environnement. Pour les besoins du présent article, les cibles se trouvent dans la dernière syllabe du nom, et l’environnement comprend la consonne finale du nom et/ou le segment initial de l’adjectif. Ce qui suit est une brève discussion illustrée de la structure de ces expressions. Dans la conception initiale des environnements, l’étude voulait tenir compte de quelques facteurs possibles qui se sont avérés peu concluants en fin de compte (cf. Dow 2014, §4.2 pour une discussion). Comme ces choix influencent le nombre de types présents, cette section décrira leur structure, bien que certains types aient été regroupés dans l’analyse en raison de leurs comportements semblables.

Comme le français et le picard possèdent un inventaire vocalique essentiellement identique, les voyelles cibles étaient les mêmes pour les deux variétés, c’est-à-dire 7 voyelles orales (/a, e, ø, o, i, y, u/)6 et 4 voyelles nasales (/ã, ẽ, õ, ø̃/). Les bases de référence orales contiennent des séquences d’une voyelle orale en fin de nom suivie d’un adjectif commençant par un segment oral (soit une autre voyelle orale, soit la consonne /s/). Les bases de référence nasales contiennent les quatre voyelles nasales contrastives, elles aussi en fin de nom, suivies d’un adjectif commençant par un des trois segments (une voyelle orale, la consonne /s/ ou une consonne nasale). Enfin, dans les combinaisons ‘nasalisées’, une consonne nasale se trouve en fin de nom directement après la voyelle cible, suivie d’adjectifs commençant par les trois mêmes segments que pour les voyelles nasales (V, s ou N). Le tableau (1) résume ces combinaisons et les abréviations générales désormais utilisées. Chaque illustration contient une voyelle ouverte du français.

Tableau 1.

Tableau 1.

Illustration des types, voyelle ouverte (français)
NB : ‘Vn’ = voyelle nasale contrastive et ‘#’ = frontière de mot.

Ce système a rendu 53 types en français et 50 en picard7, à cause du manque de séquences finales /uN/ dans ce dernier.

Procédure et instrumentation

Les enregistrements ont été faits dans un endroit calme, généralement le domicile du participant8, à l’aide d’un nasomètre de Glottal Enterprises (NAS-1 SEP Clinic) connecté à un ordinateur portable. Cet appareil tenu à la main consiste en deux microphones également espacés et d’une plaque (de trois tailles possibles) qui sépare les deux et qui isole le signal nasal du signal oral quand elle est tenue à l’horizontale entre la bouche et le nez. Ceci permet l’enregistrement séparé mais simultané des deux signaux. Les enregistrements ont été faits dans Praat à une fréquence d’échantillonnage de 44,1 kHz en stéréo, où chaque microphone correspondait à un canal (gauche ou droit).

Après que les participants ont répondu au(x) questionnaire(s) pertinent(s), l’examinateur a demandé s’ils avaient récemment attrapé un rhume, s’ils souffraient d’allergies ou d’autre malaise qui puisse empêcher leur prononciation habituelle. L’examinateur a ensuite sélectionné la taille de plaque appropriée et donné une brève formation sur le bon usage du nasomètre. Afin d’enregistrer trois répétitions de chaque liste pertinente, la liste française a été randomisée à chaque fois pour chaque participant, et de même pour la liste picarde si le participant était bilingue. Les locuteurs bilingues ont enregistré les trois répétitions d’une langue avant de passer à l’autre. L’ordre des langues a été équilibré parmi les participants bilingues. Les expressions ont été présentées au participant dans un fichier Excel, et ceux-ci ont géré eux-mêmes la vitesse du défilement.

Mesures

Chaque voyelle cible a été isolée à la main et, comme les signaux oral et nasal correspondaient à chacun des deux canaux stéréo, des mesures d’énergie ont été prises à 10 intervalles également espacés dans chaque canal. Ces mesures ont été ensuite normalisées pour chaque locuteur, à l’intérieur de chaque répétition (et langue, pour les bilingues) pour chaque canal, en divisant chaque chiffre par l’écart type de son ensemble9. Par exemple, pour un locuteur donné, la normalisation des mesures d’énergie du canal oral de sa première répétition de la liste française a été faite, puis le même processus pour le canal nasal, et ainsi de suite.

Dans le but de représenter un pourcentage global de nasalité pour chaque voyelle, cette étude utilise un nouveau calcul créé dans Dow (2014) qui s’appelle le ‘Differential Energy Ratio’ (DER, Ratio d’énergie différentielle). D’abord, ce calcul soustrait l’énergie de l’énergie orale à chaque point mesuré pour obtenir son énergie différentielle. Ensuite, la voyelle est divisée en phases orale et nasale (si pertinent) en séparant les valeurs positives et négatives, respectivement. Un point dont l’énergie différentielle est positive appartient à la phase orale, et celui où cette énergie est négative, à la phase nasale. Le seuil entre ces deux phases est donc le point où l’énergie différentielle est zéro (en raison de l’égalité des deux énergies). Ensuite, les valeurs de chaque phase sont additionnées pour trouver l’aire de chaque phase. (La valeur absolue de l’aire nasale entrera dans la formule.) Le DER modélise enfin le ratio entre l’aire nasale et le total des deux aires, multiplié par 100 pour obtenir un pourcentage.

Le DER est en corrélation avec d’autres formules basées sur un ratio, comme celle utilisée dans Rochet et Rochet (1991), une autre étude nasométrique. Cependant, le DER modélise mieux des changements rapides d’énergie, selon Dow (2016a). Grâce à certains phénomènes aérodynamiques et acoustiques déjà évoqués, l’énergie nasale peut croître beaucoup plus vite dans les voyelles fermées que dans d’autres voyelles. En effet, l’énergie nasale croît en moyenne deux fois plus vite dans les voyelles fermées en position pré-nasale des présentes données (Dow 2016a). Parce que le DER modélise l’intensité du couplage nasal en fonction du temps (en comparaison avec une simple mesure de la durée de la phase nasale), cette mesure peut être considérée comme plus précise si tous les timbres vocaliques sont assujettis aux mêmes critères.

Résultats

Éléments préliminaires

Comme Dow (2014) a trouvé que le choix d’environnement (c.-à-d. entre _#V, _#s et _#N) ne fait pas de différence significative, l’analyse fait la moyenne des pourcentages DER au niveau de la voyelle cible. Par souci de concision, les moyennes individuelles ne sont pas présentées dans cet article ; l’analyse se fera au niveau du groupe. On peut trouver les données individuelles et une discussion à ce sujet dans §5.2 de Dow (2014), mais le paragraphe qui suit fournit quelques détails essentiels.

En général, les moyennes des participants d’un groupe donné étaient essentiellement similaires, à l’exception des voyelles nasales contrastives dans les données picardes de certains locuteurs bilingues. Un locuteur (PA) démontre des taux de nasalité systématiquement plus bas que la moyenne sur toutes les voyelles de cette catégorie. Deux autres locuteurs (PG et PH) démontrent des taux plus bas que la majorité sur quelques-unes de ces voyelles. Comme les voyelles nasales françaises de ces mêmes locuteurs démontraient des taux normaux de nasalité (c’est-à-dire environ 100% nasales), il ne peut s’agir de cas d’hyponasalité. Il reste toujours à explorer quelle peut être la cause de ces tendances, de même qu’à déterminer s’il existe une interaction avec la nasalisation régressive. Il semblerait à première vue que des taux anormaux sur les voyelles nasales contrastives (relativement au groupe) n’impliquent pas des taux anormaux sur les voyelles orales en position pré-nasale. Les données de ces locuteurs ne sont finalement pas exclues, mais il faut noter qu’elles abaissent les moyennes dans certains cas.

Un dernier élément qu’il convient de noter est le fait que certains facteurs ont contribué à des taux de nasalité parfois anormalement élevés sur les voyelles fermées (surtout /i/) dans des contextes oraux. Ces voyelles ont été examinées individuellement, et il semblerait que la lénition vocalique en est majoritairement la cause. En particulier, l’énergie nasale de ces voyelles apparaît négligeable, tandis que leur énergie orale est souvent erratique à cause du dévoisement, de l’abréviation ou du bruit fricatif. Il est à noter que ces voyelles sont aberrantes quel que soit le calcul effectué (le DER ou un ratio d’énergie plus traditionnel).

Résultats des groupes

Le tableau (2) fournit le DER moyen et l’écart type des segments de contrôle, c.-à-d. les voyelles orales en contexte oral et les voyelles nasales contrastives. En général, le pourcentage de nasalité est proche de zéro pour toutes les voyelles orales, à l’exception de /i/ pour tous les groupes et de /ø/ pour les monolingues de Brest. Ces taux, bien qu’inattendus, ne dépassent pas 16,5%. En revanche, les voyelles nasales démontrent en général des taux de nasalité très élevés, de 80% à 100%, à l’exception curieuse de la voyelle /œ̃/, qui comporte un taux d’énergie nasale de seulement 53,7% à 74% en français. La raison pour laquelle cette dernière voyelle nasale se distingue des autres n’est pas claire, ni dans quelle mesure elle est prononcée comme arrondie ou pas (et par qui). Malheureusement, ces questions dépassent la portée de cet article, mais une étude acoustique formantique pourrait peut-être répondre à ces questions et à d’autres. Au total, nous pouvons affirmer en connaissance de cause que les voyelles censées être orales sont principalement orales en contextes oraux, et les voyelles nasales sont largement nasales.

Tableau 2.

Tableau 2.

Le tableau (3) présente le DER moyen et l’écart type des voyelles orales en contextes pré-nasaux. On peut noter deux similarités entre tous les groupes : d’abord, la nasalité atteint ou dépasse un taux de 50% de nasalité pour /i, y/ dans les quatre groupes. Deuxièmement, /ø/ est relativement oral, jusqu’à un maximum de 30% en picard. Des données sur /u/ ne sont pas disponibles en picard, mais parmi les groupes français, cette voyelle n’atteint 50% de nasalité que chez les monolingues de la Somme. Autrement, sa nasalité se situe aux alentours de 40%. Les autres voyelles révèlent des différences importantes entre le picard et les autres groupes (y inclus le français des bilingues). La voyelle /o/ est nasale à environ 20% en français, contre 47% de nasalité en picard. Parmi les voyelles moyennes, /e/ est la plus nasale en français (entre 21% et 34%), mais elle est beaucoup plus nasale en picard à 70%. Enfin, la différence la plus frappante entre les deux langues se trouve dans la voyelle /a/, qui est nasale de seulement 17% à 27% chez les groupes français mais à 90% en picard.

Tableau 3.

Tableau 3.

Dans les violin-plot des figures (4a-d), on observe la variation intra- et intergroupe dans les voyelles nasalisées de plus près. (NB : /ø/ s’écrit ‘eu’ dans les figures.) Pour chaque voyelle, la hauteur des barres indique la gamme des pourcentages de nasalité observés ; les deux extrémités indiquent les minima et maxima des observations pour une voyelle donnée dans un groupe donné. En même temps, l’épaisseur de la barre indique la densité de probabilité de ces pourcentages. Plus spécifiquement, une section très mince indique qu’on observe très peu de voyelles avec le pourcentage indiqué. En revanche, une section très épaisse indique que la plupart des observations de cette voyelle sont concentrées dans cette section, encore plus notablement si celle-ci est courte.

Les deux figures en (4a, b) illustrent les tendances des groupes monolingues. Les valeurs pour les voyelles moyennes et ouvertes sont principalement concentrées en dessous de 50%. La voyelle /e/ démontre le plus de variations de ces types de voyelles, avec des valeurs qui dépassent 75% dans chaque groupe. Cependant, la concentration la plus élevée se trouve entre 25% et 50% (chez les monolingues de la Somme) et en dessous de 25% chez les monolingues de Brest. La voyelle /i/ est extrêmement nasale dans les deux groupes, tandis que les valeurs de /y, u/ sont assez uniformément distribuées dans l’ensemble du spectre.

En revanche, dans les données françaises des bilingues (présentées en 4c), la distribution des valeurs est en général moins concentrée, et les valeurs maximales des voyelles moyennes et ouvertes sont, même si marginales, plus étendues. Les tendances générales tiennent toujours, par contre. En particulier la distribution des valeurs des voyelles non-fermées est concentrée en dessous de 50%. Les valeurs de la voyelle /i/ sont largement concentrées au-dessus de 75%, et /y, u/ sont encore uniformément distribués. Au mieux, /u/ a une légère concentration en dessous de 50%, et l’inverse pour /y/ (c.-à-d. au-dessus de 50%).

La figure des données picardes des mêmes locuteurs (4d) révèle une image tout à fait différente. La voyelle /a/ est extrêmement nasale, et /e/ a aussi une bonne concentration de valeurs élevées (bien que moins extrême que /a/). Les autres voyelles non-fermées (arrondies) sont concentrées en dessous de 50%. Comme chez les autres groupes, les voyelles /y, u/ ont une distribution assez uniforme, mais contrairement aux données françaises, /i/ a une distribution similaire à celle de ces deux voyelles.

Discussion

Interprétation des résultats

Dans cette section, nous envisageons ces résultats à la lumière de la nasalisation comme un processus phonologique avec deux valeurs possibles (que l’on considère le trait [nasal] comme monovalent ou binaire) : oral ou nasal. Tandis que les voyelles concentrées à un extrême sont faciles à interpréter, celles au milieu requièrent des décisions fondées sur des principes. En particulier, il aura fallu décider comment traduire des données continues en valeurs binaires, de même que reconnaître les conséquences du choix de répartir les participants en groupes préconçus.

Cet article considère le pourcentage de nasalité de même que l’uniformité du groupe dans la définition de ce qui compte comme phonologiquement nasal pour le groupe. Bien qu’un seuil de 50% nasalité semble un critère raisonnable, il n’est peut-être pas suffisant, surtout quand il s’agit d’un groupe de plusieurs personnes. Comme nous l’avons vu, certaines voyelles peuvent être à moitié nasales en moyenne mais avoir des valeurs dispersées pour toute la gamme. Pour cette raison, nous avons considéré l’uniformité telle que reflétée visuellement dans la probabilité des violin-plot. Seules les voyelles qui atteignent le seuil de 50% de nasalité de façon uniforme sont considérées ici comme nasales dans la phonologie commune au groupe. Il se peut très bien que certains locuteurs aient une grammaire idiosyncratique ou constituent un sous-groupe, mais ces questions sont malheureusement en dehors du cadre de cet article. Des tests supplémentaires pourront peut-être établir l’intention phonologique, que ce soit au niveau de l’individu ou du groupe. La prochaine section discute de ces méthodes, avec quelques mises en garde.

D’abord, il est important de noter non seulement que le français des bilingues correspond à celui des monolingues de manière générale (bien que plus variable ici et là) mais aussi que ces mêmes locuteurs maintiennent une distinction claire entre les deux langues pour la plupart des voyelles. En particulier, il est possible de tirer deux conclusions empiriques des présentes données. Premièrement, nous pouvons confirmer la nasalisation de /a, e/ en picard, mais il semblerait que la nasalisation de /o/ soit en processus de disparition. Deuxièmement, les variétés du français documentées ici se comportent de façon similaire aux autres études phonétiques, dans le sens que les voyelles non-fermées démontrent des taux négligeables de nasalité, et les voyelles fermées des taux importants. Cependant, contrairement aux études existantes, cet article présente les résultats de toutes les voyelles fermées individuellement et ne trouve un taux de nasalité suffisant et suffisamment constant que sur /i/. Nous suggérons donc que le français nasalise activement cette voyelle seulement, et que le picard ne nasalise que /a, e/.

Bien qu’il reste toujours à développer une théorie formelle de la marque parmi les voyelles nasales10, les données suggèrent deux paramètres potentiels. Ici, nous considérons la motivation de la nasalisation régressive non seulement en termes de relations relatives mais en même temps violables, mais aussi indépendamment des inventaires vocaliques de ces langues, puisque l’interaction entre les deux dépend largement du cadre analytique employé.

Premièrement, les deux langues suggèrent que les voyelles nasales [+arrondi] sont plus marquées que les voyelles [–arrondi]. Ce rapport reste conforme à des phénomènes vocaliques généraux, comme la typologie des voyelles épenthétiques (de Lacy 2006)11. Il reste toujours à voir si ce rapport a une base acoustique. Quoi qu’il en soit, quelques études trouvent que les voyelles nasales sont légèrement arrondies en comparaison avec leurs homologues orales (p. ex. Carignan 2014 et les références citées), vraisemblablement afin d’augmenter la saillance perceptuelle entre les deux catégories. Cependant, l’existence d’un paramètre phonologique ne dépend pas forcément d’une base phonétique, selon sa propre conception de l’interface phonétique-phonologie.

Deuxièmement, il faut considérer une hiérarchie d’aperture vocalique à la lumière de la disparité entre les voyelles fermées et non-fermées, mais deux analyses contradictoires sont, à la limite, possibles. Une option est que la nasalisation de /i/ en français a lieu parce que les voyelles fermées nasales sont les moins marquées. Plusieurs des phénomènes phonétiques évoqués en §2.2 pourraient soutenir cette analyse. Cependant, dans un cadre orienté vers le produit (product-oriented framework) comme la Théorie d’optimalité, il serait difficile de motiver le blocage de /iN/ → [ĩN] en picard. Non seulement cette langue préférerait des sorties plus marquées dans cette analyse, mais ce choix entraîne aussi une neutralisation partielle. En plus, cette analyse irait à l’encontre du problème classique de l’abaissement des voyelles fermées nasales sous-jacentes, tel que témoigné par des paires comme fin [fɛ̃] ~ fine [fin]. Si les voyelles nasales fermées sont moins marquées que les voyelles moyennes, il est inattendu que /in, yn/ se réalisent comme des outputs plus marqués, c’est-à-dire [ɛ̃, (œ̃)].

Figure 4a.

Figure 4a.

Français monolingue (Brest)

Figure 4b.

Figure 4b.

Français monolingue (Somme)

Figure 4c.

Figure 4c.

Français bilingue

Figure 4d.

Figure 4d.

Picard

Si nous adoptons plutôt l’analyse d’une hiérarchie inverse, où les voyelles nasales ouvertes sont les moins marquées (et les voyelles fermées les plus marquées), nous pouvons expliquer le processus évoqué ci-haut de même que le manque de nasalisation des voyelles fermées en picard. Cependant, nous en arrivons à un système où il semblerait que le français ne favorise que l’output le plus marqué (en termes d’aperture). Ceci n’est pas problématique si la portée de la nasalisation est générale, dans le sens qu’elle vise à s’appliquer à n’importe quelle voyelle, mais la langue bloque tout output qui neutralise le contraste oral-nasal. Cette approche nous permet effectivement de créer un créneau étroit où la nasalisation peut s’appliquer grâce à une autre neutralisation. Spécifiquement, l’abaissement observé dans des configurations telles que /fin/ → [fɛ̃] laisse une lacune dans l’inventaire des voyelles nasales à la surface. La neutralisation d’aperture fait en sorte que [ĩ] n’apparaisse jamais en position contrastive. La nasalisation peut donc s’appliquer à /i/ dans les contextes requis, et l’interdiction envers les voyelles nasales arrondies empêche que le processus ne s’étende jusqu’à /y, u/ (malgré l’existence des alternances qui motivent /yn/, comme brun [bʁœ̃] (ou [bʁɛ̃]) ~ brune [bʁyn]).

Prochains travaux

Deux questions importantes à explorer dans de prochains travaux ressortent des résultats : la provenance (ou les provenances) de la variation et la pertinence d’un seuil homogène à tous les timbres vocaliques. Dans l’ensemble, nous reconnaissons que la décision de regrouper les participants dans des groupes préconçus entraîne des conséquences sur l’analyse. Ce qui nous était le plus important dans ce travail était d’ancrer des tendances communes à un ensemble de locuteurs sur un plan sociogéographique. En fournissant des hypothèses concrètes, cette base nous permettra à un moment ultérieur d’explorer davantage la variation dans les données.

Pour la question de la variation, il faut considérer avant tout les voyelles dont les taux de nasalité apparaissent (au niveau du groupe, du moins) uniformes sur l’ensemble du spectre, p. ex. /y, u/. Il Que cette variation se manifeste également chez tous les participants du groupe ou que des sous-groupes se révèlent dans des zones particulières du spectre de nasalité n’est pas tout à fait évident à ce stade. Dans le premier cas, on pourrait postuler un manque de nasalité cible pour une voyelle donnée, ce qui refléterait un manque de processus phonologique, voire même l’existence d’un processus phonétique extra-phonologique. Par contre, les grammaires idiosyncratiques présentes dans le second cas pourraient être indicatives d’un changement en cours chez certains locuteurs. Une analyse statistique approfondie serait utile à cette fin.

Deuxièmement, il se peut que l’application d’un seuil plus « personnalisé » soit plus appropriée à une analyse orientée vers la phonologie – bien sûr au niveau du timbre vocalique mais potentiellement aussi au niveau du locuteur. Cette étude, comme plusieurs autres, traite toutes les voyelles de la même manière, soit en définissant la phase nasale comme la partie où une mesure nasale (ici, d’énergie) dépasse la mesure orale. Mais comme nous l’avons vu, l’aperture peut influencer ce seuil. Du côté articulatoire, les voyelles ouvertes dites orales sont parfois plus nasales, tandis que du côté aérodynamique et/ou acoustique, les voyelles fermées peuvent être plus nasales avec le moindre degré de couplage. Si on regarde les niveaux d’énergie nasale dans chaque voyelle en contextes oraux, il serait peut-être possible de développer un seuil spécifique à chaque timbre vocalique.

Enfin, le rapport entre la nasalité (quelle qu’en soit la mesure) et la durée vocalique pourrait mieux révéler l’intention phonologique. Dans une étude comparative entre l’américain et l’espagnol, Solé (1992) démontre que dans le premier, le pourcentage de la phase nasale demeure constant par rapport à la durée vocalique ; c’est-à-dire, plus la voyelle est longue, plus sa phase nasale le sera aussi. En revanche, en espagnol, la durée de la phase nasale (déjà assez courte sur les voyelles courtes) reste immuable en fonction de la durée vocalique. Elle postule que ce test de rallongement vocalique dans une tâche de lecture à des vitesses variables révèle la nature de la nasalisation. Lorsqu’une voyelle préserve sa nasalité quelle que soit sa durée, le processus sera donc phonologique. Par contre, une durée minime et immuable reflète la coarticulation, en dehors de la phonologie. Une analyse préliminaire du rapport entre la nasalité et la durée en fonction du timbre vocalique dans les présentes données corrobore les grandes conclusions de cet article (Dow 2016b). De plus, tous les locuteurs (sauf un) ont participé à une tâche à la Solé (1992) pendant la collection des données pour cet article.

Conclusion

Cet article a présenté les résultats d’une expérience phonétique instrumentale sur le picard du Vimeu et sur quelques variétés du français du nord de la France. En mesurant le rapport entre l’énergie orale et nasale à 10 points également espacés d’un corpus de voyelles (en particulier les voyelles orales en position pré-nasale), cette étude a examiné dans quelle mesure ces langues diffèrent au niveau de la nasalisation régressive. Nous avons considéré le pourcentage moyen de nasalité de même que l’uniformité des tendances à l’intérieur des groupes. Au total, cette étude conclut que ce dialecte du picarde nasalise seulement /a, e/ tandis que le français ne nasalise que /i/. Ces résultats ont été traduits en phonologie comme indicatifs d’une part d’un évitement des voyelles nasales arrondies et fermées en picard. D’autre part, nous interprétons les résultats français comme indicatifs d’un évitement des voyelles nasales arrondies, ainsi que d’une pression d’anti-neutralisation du contraste oral-nasal.

Dans nos prochains travaux, le rapport entre la durée et la nasalité vocalique pourrait mieux distinguer la coarticulation (phonétique) de l’assimilation (phonologique). Étant donné l’interaction complexe entre le timbre vocalique et une préférence pour et/ou une facilité de la nasalisation, il est aussi possible que des seuils spécifiques à la voyelle soient plus révélateurs d’un changement intentionnel vers la nasalité. Malgré ces questions, le français des bilingues picard-français ressemble plutôt à celui des groupes monolingues français, tandis que leurs données picardes sont radicalement différentes. Cette expérience démontre donc que les bilingues picard-français maintiennent à ce jour deux systèmes distincts de nasalisation régressive.

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Notes

1 En l’absence de stipulation explicite (p. ex. « un processus phonétique »), cet article emploie le terme ‘coarticulation’ pour référer à un processus purement phonétique et ‘assimilation’ pour un processus phonologique. En plus, l’adjectif ‘nasalisé’ s’utilise dans cet article pour décrire une voyelle originalement orale ayant subi un processus de nasalisation, qu’il soit phonétique ou phonologique. Retour au texte

2 De plus, les études expérimentales démontrent que la réalité des voyelles françaises ne correspond plus à la transcription traditionnelle. De point de vue articulatoire, les quatre voyelles /ɑ̃, ɛ̃, ɔ̃, œ̃/ correspondent plutôt à /ɒ̃, æ̃, õ, ɶ̃/ (Brichler-Labaeye 1970, Zerling 1984, Delvaux à venir) et plutôt à /ɔ̃, æ̃, õ, ʌ̃/ de point de vue acoustique (Lonchamp 1979). Retour au texte

3 On peut trouver un grand nombre d’exceptions qui résultent de l’élision (ou bien la non-réalisation) du schwa, que le mot soit monomorphémique (p. ex. événement) ou polymorphémique (p. ex. câlinerie). Retour au texte

4 Bien que ce rapport soit documenté depuis longtemps (cf. Passavant 1863), il n’est peut-être pas universel. Entre autres, Benguerel et al. (1977) et Amelot et Rossato (2006), tous deux portant sur le français, présentent des résultats légèrement différents. Cette dernière étude démontre que la hauteur intrinsèque peut varier selon la personne, et que l’aperture de la mâchoire pourrait être un meilleur corrélat de la hauteur vélique. Retour au texte

5 Comme ni l’âge (Hoit et al. 1994) ni le sexe (Zajack et al. 1998) n’influencent la nasalisation régressive dans les études existantes, la présente expérience n’a pas cherché à équilibrer ces facteurs. Le groupe de bilingues compte 9 hommes pour une seule femme, soit un reflet du fait que les hommes ont plus souvent tendance à utiliser le picard (Pooley 2003). Retour au texte

6 La distribution entre les voyelles mi-fermées et mi-ouvertes est d’une part inégale dans les deux langues (p. ex. quelles voyelles peuvent se trouver en syllabe ouverte) et d’autre part est légèrement différente d’une langue à l’autre. Cette étude fusionne donc cette distinction, et il s’agit d’une abréviation dans les symboles utilisés. Par exemple, la cible /e/ peut référer à soit /e/, soit /ɛ/, selon le contexte. Retour au texte

7 Ces chiffres comprennent deux autres types de cibles finalement fusionnés qui visaient à explorer une différence possible entre une séquence sous-jacente de /i, y/ + consonne nasale versus cette même suite superficielle provenant de l’ancrage du trait [nasal] flottant au morphème du féminin (p. ex. routine /in/ vs. divine /in + fém./, respectivement). Retour au texte

8 Cet article utilise le générique masculin pour alléger le texte sans discrimination. Retour au texte

9 Ce genre de recentrage a été choisi intentionnellement pour éviter des lectures d’énergie négatives, ce qui serait indésirable pour le calcul effectué. Cette normalisation était avant tout nécessaire pour certains locuteurs bilingues dont l’énergie orale était parfois erratique, souvent à cause d’une voix forte. Pour une discussion plus détaillée, voir §5.1.4 de Dow (2014). Retour au texte

10 Cet axe de recherche présuppose même qu’il existe des forces phonologiques propres aux voyelles nasales – une question qui reste toujours ouverte (cf. Dow 2015). Retour au texte

11 Si, en fait, il s’avère que certains locuteurs ou sous-groupes nasalisent /y/, il faudrait possiblement adopter un paramètre [- antérieur] > [+ antérieur] (où les voyelles nasales antérieures sont moins marquées), ou l’intégrer avec une échelle existante. Encore une fois, ce paramètre serait conforme à des phénomènes généraux. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Michael Dow, « Nasalisation régressive en picard et en français : preuves phonétiques des différences phonologiques », Bien Dire et Bien Aprandre, 32 | 2017, 27-52.

Référence électronique

Michael Dow, « Nasalisation régressive en picard et en français : preuves phonétiques des différences phonologiques », Bien Dire et Bien Aprandre [En ligne], 32 | 2017, mis en ligne le 01 mars 2022, consulté le 19 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/bien-dire-et-bien-aprandre/752

Auteur

Michael Dow

Université de Montréal

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CC-BY-NC-ND