Les Treis Moz de Guillaume le Clerc de Normandie

DOI : 10.54563/bdba.951

p. 245-270

Plan

Dédicace

À Christian Förstel, Conservateur à la Bibliothèque nationale de France, et à ses parents, Karl et Françoise, en témoignage d’affection.

Texte

Les Treis Moz, dernière œuvre de Guillaume le Clerc de Normandie1 (datée entre 1227 et 1238), n’est accessible, aujourd’hui, que grâce à deux édi­tions de la seconde moitié du xixe siècle : une première partielle2, réalisée par E. Martin, dans Le Besant de Dieu von Guillaume le Clerc de Normandie und seine sämmtlichen Werke, Halle, Buchhandlung des Waisenhauses, 1869, pp. XXIX-XXXVII, une seconde, complète, par R. Reinsch, Les Treis Moz, dans Zeitschrift für romanische Philologie, t. III, 1879, pp. 225a-231b. E. Martin a, en outre, proposé quelques corrections à l’édition de R. Reinsch, dans « Textkritisches. Zu Guillaume le Clerc de Normandie », dans Zeitschrift für romanische Philologie, t. IV, 1880, p. 863. Ces deux transcriptions, si sérieuses soient-elles, portent l’empreinte de leur temps et, ne répondant plus aux exigences ac­tuelles, demandent à être révisées et modernisées : erreurs de lecture à corriger, pro­blèmes de métrique, ponctuation et coupe des mots à revoir, accents à placer… Il n’est donc pas inutile de présenter une nouvelle édition de ce Dit, en octosyllabes aux rimes accouplées, à partir de l’unique codex qui le conserve : le ma­nuscrit français 19525 de la Bibliothèque nationale de France (anc. 2560). Celui-ci a appartenu aupa­ravant à la grande abbaye parisienne de Saint-Germain-des-Prés qui avait, au xviie siècle, rassemblé des manuscrits de provenances très variées. Il y portait la cote 1856. Le nom d’un propriétaire antérieur, Philippes Delportes, figure sur le recto du premier folio. D’après les armoiries peintes qui ac­compagnent ce nom, il s’agirait du poète (1546-1606), célèbre en son temps et possesseur d’une très belle bibliothèque. Après la mort de son protecteur Henri III, en 1589, il s’était retiré à l’abbaye de Bonport (diocèse d’Évreux) où il mourut.

On date ce petit in-quarto, consacré à des textes en vers ou en prose d’ins­piration pieuse (vies de saints et sermons, quelques-uns sont en latin), de la fin du xiiie siècle ou du début du xive siècle. Il comporte, sous une reliure en veau, 240 folios de parchemin (225 x 155 mm), copiés en général sur deux colonnes, exceptionnel­lement sur trois, à raison de 32 lignes par page. Deux mains au moins l’ont transcrit avec beaucoup de soin. Outre des textes bien connus, comme les Vies de saint Laurent, de saint Alexis, de sainte Marguerite par Wace, le sermon en sixains Grant mal fist Adam, il renferme les œuvres suivantes de Guillaume le Clerc : les Vies de sainte Marie-Madeleine, de Tobie, Les Joies de Notre-Dame, le Besant de Dieu et les Trois Mots (n°19), fos 125 r°-129 r°4. Une lettre de deux lignes de haut aurait dû introduire ce dernier texte, écrit d’une seule main, et d’autres lettres de même dimension étaient attendues pour marquer les étapes jugées importantes par le scribe ou son modèle, mais elles n’ont pas été mises par le rubricateur. Ces intentions ont cependant été res­pectées dans la nouvelle édition que nous proposons de ce Dit : nous observons, dans ce cas, un plus grand interligne et un alinéa. La lettre omise est, à chaque alinéa, restituée entre crochets.

Ce manuscrit, qui possède en commun avec le codex Egerton 2710 de la British Library à Londres cinq compositions sur les dix que ce dernier comporte, aurait, d’après P. Meyer5, été exécuté en Angleterre. Pour sa part, P. Paris6 le consi­dère comme un manuscrit anglo-normand.

Les folios, auxquels nous nous intéressons, sont transcrits de la même main que les précédents et les suivants, consacrés à l’œuvre de Guillaume le Clerc. L’écriture gothique, qui les recouvre, est remarquable par la très grande régularité des caractères bien calibrés, la séparation nette des mots et l’absence de ratures7. Elle ne présente pas de difficultés de lecture : le u et le n, le c et le t sont bien distincts, ainsi que le s, toujours de forme longue (la forme basse est réservée à la majuscule), et le f dont la petite barre est assez visible. Le d tournant est constant, et le r droit s’arrondit uniquement après o. Le i est parfois surmonté d’une petite barre verticale, légèrement inclinée sur la droite, pour éviter la confusion avec les jambages de certaines lettres qui le suivent ou le précèdent, notamment m, n (aíme, míe, plaín, paín) ou u (suí, uít, nuít). On le trouve également à l’initiale (íorz) et dans certains monosyllabes après a () ou c (), mais cet usage n’a rien de systématique. Les signes de ponctuation sont relativement rares à l’intérieur des vers. On voit quelquefois apparaître un point, voire deux, pour séparer les éléments d’une énumération, d’un binôme synonymique (4, 46, 107, 117, 189, 252) ou pour marquer une coupe forte (59, 66, 90, 243, 251, 277, 501…). Dans d’autres cas, il ne semble pas prendre une valeur particulière (184…). Quant aux fins de vers, elles sont parfois soulignées par un point surmonté d’une sorte de virgule •͝ (32, 33, 79, 96, 98, 102, 116…) qui équivaut, le plus souvent, à une ponctuation faible. Cette manière de procéder est facilement en usage dans les manuscrits insulaires, de même que le trait hori­zontal un peu ondulé, placé entre deux points ∻ pour noter est, et la propension à utiliser les lettres suscrites, a (tauaille = travaille 337 ; gant = grant, une seule forme pleine 383 ; qant = quant, jamais développé), i ( = qui 12, 30, 87; mes = primes 121, 277), o (p = trop 2). Quelques signes, si ténus soient-ils, qui viennent appuyer les indications d’origine fournies par nos prédé­cesseurs ! Les autres abréviations, à vrai dire d’un usage limité, sont conformes aux habitudes de l’époque où a été réalisée la copie : contractions (Jh’u = Jhesu 178, 199 ; mlt = mult, cinq fois contre sept formes pleines ; n͝re 389, 484) ; trait horizontal, au-dessus d’une voyelle, représentant m ou n (fême 137, averºt 316) ou, très fréquemment sur la consonne , équivalant à ue, q’ étant rare (27, 49, 159). Un p peut être également surmonté d’un tilde p` que l’on rend par ur dans le monosyllabe pur (neuf prépositions sont présentes sous cette forme développée contre un seul por 234) mais par or dans le polysyllabe p`veon 384, d’après les formes pleines porveon, porveer, porveance. Surmonté d’un r arrondi p2, il a été transcrit pre, p2mier = premier 116, tandis que celui dont la haste est coupée obliquement d’un trait a été noté par (508, pfunt = parfunt 177) ou per (pdre = perdre 508, pnez = pernez 495). Les petits signes 9 en exposant après consonne ont été rendus par us (v9 = vus 208, pl9 = plus 497, sum9 = su­mus 382), et la sorte d’apostrophe placée après un t par er (t’rienes = terrïenes 371). Dans notre édition, toutes les abréviations ont été résolues et indiquées en italique. En respectant les mêmes règles, quatre vers latins ont été reproduits, en caractères gras, après le vers 488, à l’endroit où ils avaient été insérés dans le texte.

Notre édition se veut la plus fidèle possible au manuscrit de base dont nous avons soigneusement conservé toutes les graphies. Nous avons notamment gardé c’ employé pour s’ (258, 426, 431), une des particularités des copistes insulaires, quoique les dialectes de l’Est ne l’ignorent pas totalement. Nous n’avons jamais cherché à harmoniser l’orthographe des rimes, cette préoccupation ne sem­blant pas être celle du poète. Aussi les rimes, veé 147 : savoree 148, ainzné 189 : forsenee 190, areste 25 : fest 26, ont-elles été préservées. Beaucoup de circonspection étant de mise, nous avons limité les interventions, qui n’ont d’autre garant que notre appréciation, à la rectification de bévues lexicales ou grammaticales : ainsi beste a été substitué à bele 216, mal à mult 236, se à que 264 et li à les 3148. Nous avons remplacé un présent de l’indicatif est par un futur ert 378, ce temps nous paraissant s’imposer. Au vers 335, nous avons substitué à la troisième personne du singulier, defent, la personne correspondante au pluriel, defendent, plus satisfaisante pour la morphosyntaxe (même si un accord avec le sujet le plus proche peut être envisagé) et surtout pour le mètre. Seul le vers 317 a nécessité une retouche plus importante, celle de eschaicier en esclarcier, que G. Paris (art. cité, p. 627) avait proposée, et qui fut reprise par TL, III, 915. Toutes ces rectifications sont consignées dans l’apparat critique à côté de quelques observations concernant la copie dans le manuscrit.

La difficulté majeure pour nous concernait la métrique, les vers, octosyllabiques dans l’ensemble, oscillant parfois entre 7 et 9 syllabes, ce qui, par ailleurs, n’est pas surprenant compte tenu de l’origine du manuscrit : cette tolérance semble évidente dans de nombreux poèmes. Fallait-il rétablir uniformément la mesure octosyllabique ? Était-il préférable de laisser les vers en l’état en précisant dans l’apparat critique (-1) ou (+1) ou encore de proposer dans l’intro­duction une liste des corrections qui pourraient se faire et que R. Reinsch a faites ? Après maintes hésitations, nous avons opté pour un modus vivendi et nous nous sommes permis de faire quelques légères interventions qui n’étaient en rien des corrections, mais de simples orientations, car il est impossible d’avoir des certitudes sur la manière de prononcer et de compter de beaucoup de poètes et de scribes. Pour atteindre cet objectif tout en sauvegardant la lisibilité nous avons fait appel à certains signes typographiques destinés à aider le lecteur : ainsi peut-il facilement redonner sa juste mesure à tout vers considéré comme irrégulier. Conformément à l’usage, les crochets carrés indiquent une voyelle finale (com[e] 330, 366, hom[e] 501, 503, mei[e] 289, qu[e] 167…) ou intérieure (der[a]ain 123, 300), une syllabe (préfixe [re] 353) ou un monosyllabe ([ci] 440, [il] 282, [ja] 98, [jeo] 210, [bien] 209…) qu’il faudrait intégrer dans un vers pour en rétablir l’équilibre, tandis que la parenthèse encadre tout élément qui doit être retranché dans le même but, soit une voyelle, intérieure ou non, or(e) 303, uncor(e) 43, verr(e)aiement 125 (avec un e non étymologique), soit, à deux reprises, un monosyllabe, (il) 156, (se) 266. Le e svarabhaktique, introduit entre consonne et r, familier aux scribes anglo-normands, ne compte jamais dans la mesure du vers, à condition toutefois que ce dernier soit octosyllabique. Il a donc été pourvu du même signe : av(e)runt 316, 435, respond(e)rai 277. Quant au e en hiatus devant voyelle, il garde le plus souvent son statut syllabique, porveer 461, eüst 228, veü 214, vesteüre 90 (rimant avec mesure), sauf, par exemple, dans s(e)eir 27. Cette technique permet, à peu de frais et sans défigurer le texte, d’attirer l’attention du lecteur sur les hypo- et hypermétries. Nous n’avons cependant pas fait usage des parenthèses pour les e de de, jesqe, que et se, qu’ils soient ou non comptés dans la mesure du vers, de nombreux scribes insulaires ne marquant pas l’élision de cette voyelle devant une initiale vocalique. Quelques exceptions concernant que, graphié qu, alors qu’il devrait être lu que (21, 196, 213, 384) ont été signalées. Nous avons aussi laissé si il 58, si (latin sic) occupant la place d’un se (latin si) qui peut s’élider. Quant à jeo, il se présente toujours sous cette forme même si, une fois, il équivaut à j’ 207, alors que ceo devant est ou estre peut être réduit à c (293, 405, 491) tout en gardant sa valeur pleine : nous n’avons pas manqué de le faire observer. La pratique constante des enclises (al, au, del, el, es, jeol, nel, une seule dérogation ne le 262), toutes se trouvant dans des octosyllabes, n’appelle pas de remarques particulières, si ce n’est qu’elles seraient une preuve d’ancienneté.

En ce qui concerne les trémas, les accents, nous nous sommes conformée aux indications formulées dans Romania, t. LIII, 1926, pp. 243-249. Nous avons fait usage des trémas à l’intérieur ou à la fin des mots pour noter la diérèse quand la métrique l’imposait (seürement 48, confessïon 334, terrïenes 371, veïst 421, aparceü 213). La tendance à réduire les hiatus reste très limitée, même si la graphie est parfois trompeuse (derain 123, 161, 300, 424 doit être lu deraain, et raindre 467 raaindre). À deux reprises, un hiatus en fin de polysyllabe placé devant un monosyllabe commençant par une voyelle (310, 468) a été signalé. En­fin la majuscule a été utilisée avec beaucoup de parcimonie pour des mots comme orgoil, luxure qui sont tantôt des abstractions, tantôt des personnages allégo­riques, sans que la distinction soit bien tranchée entre les deux catégories. L’ensemble a été ponctué selon l’usage moderne.

[T]reis Moz, qui me sont enchargez, [f° 125b]
Dont jeo me sui trop atargiez
Que jeo nes ai dit e mustrez
E descoverz e entamez, 4
Vus dirrai, se vus plest entendre,
E l’essample est bone a aprendre.
Mustré m’a l’evesqe Alisandre,
Qui, autant com(e) la salemandre 8
Aime le feu et la chalor,
Aime curteisie et valor,
Que treis choses el siecle sont,
Qui a home mult grant mal font 12
E le chacent de sa meson,
Qu’il ne puet en nule seson
Maindre a ese ne demorer :
A force l’en covient aler. [f° 125c]
Ces treis choses dire vus dei,
Se vus volez atendre a mei.
Fumee est la premiere chose
Qui est en sa meson enclose 20
Si qu[e] ele n’en puet eissir :
Ceo est anui a [la] suffrir.
L’autre chose si est degot :
Car tuz jorz degote partut, 24
Toz jorz degote sanz areste
De la cuverture e del fest,
Que cil n’i puet ester ne s(e)eir
Ne repos en nul liu aveir. 28
Le tierce chose vus dei dire,
Qui li est a mult grant martire :
Car ceo est la male moillier
Que il ne puet mie chastïer 32
De mesdire ne de mesfaire.
Ceo li fait mult grant contraire,
Qui ces treis en son ostel a,
Ja mes a ese n’i serra. 36
Pur le mendre enemi des treis
Covendra il, s[e] il fust reis,
Par enui sa meson guerpir
E aillors aler e foïr. 40
De ces treis choses que jeo di,
Que jeo vus ai nomees ci,
N’avez uncor(e) fors que l’escorse,
Meis or entendez a la force : 44
La fumee, qui l’ome chace
De sa meson e de sa place,
Ceo est la fumee de orgoil.
Seürement dire vus voil [f° 125d]
Que Deus ne hiet nule rien tant
Qu’home ou orgoil est habitant.
Ne puet od Damnedeu durer
Li bel angle qui tant fu cler : 52
Si tost com il s’en orgoilli,
De la haute glorie chaï.
Qui de cest[e] fumee est plain,
Sachiez, il n’a mie del pain 56
Qui est apelé pain de vie ;
E si il ne l’a, il ne vit mie,
Ainz moert ici e la morra
Ou nus aider ne li porra. 60
E quele est la degoteüre
Qui par nuit e par jor li dure ?
Certes, ceo est la cuveitise
Qui tuz jorz l’esprent e atise 64
De plus aveir, de plus conquere
Richesces e honors en terre.
Cest degot est mult ennuios :
Car ja mes li fin coveitos 68
N’avra certes si grant plenté
Que il n’ait de plus volenté ;
Com il plus a e plus desire.
Cest degot le puet bien ocire, 72
Si fait il, certes il l’ocit,
Car en paine e en dolor vit.
Seürement dire vos os :
Ja mes ne sera a repos. 76
Quant rien suffire ne li puet,
Par reson mendïer l’estuet.
E qui est si male moillier
Qu’il ne puet mie chastïer ? [f° 126a]
Ceo est sa char, nel dotez mie ;
Il n’a plus mortel enemie
Quant la fumee d’orgoil fume
E la coveitise l’alume, 84
Qui tuz jorz au quer li degote.
La char est fameilose e glote,
Qui velt trestuz ses buens aveir :
Ele velt, ceo savez de veir, 88
Mangier e beivre ultre mesure,
Mol lit e mole vesteüre
E puis tuz les autres deliz.
Malement est home bailliz, 92
Par cele amor que jeo vus dei,
Qui ces treis choses a en sei ;
De sa meson l’estuet fuïr,
Certes il le covient eissir 96
De la compainie Jesu.
Home, qui si a [ja] vescu,
Morra tuz jorz en languissant,
Toz jorz languira en morant, 100
Ja mes ne porra parmorir ;
Ja ne porra a fin venir
Sa misere ne sa dolor ;
Durablement dura son plor. 104

[C]es treis vices, que jeo vus cunt,
Honissent ui trestut le mont :
Orgoil, coveitise e luxure,
Qui tant sera amere e dure 108
Aprés ceo que si dolz li semble.
Quant la char a la terre assemble
E la terre a la demonie,
Quant dedenz est ensevelie, [f° 126b]
Si sont tuz ses deliz changiez,
Dont l’alme porte les pecchiez.
Ces treis vices, ceo est la some,
Chasserent hors le premier home 116
De paraïs e del biau lieu
Que il deveit tenir en fieu.
Si tost com ces treis le lacierent,
De sa meson hors le chacierent, 120
Car primes fist que orgoillos
E puis aprés que coveitos
E au der[a]ain que gloton,
Si vus dirrai par quel reson. 124
Orgoillos fu verr(e)aiement,
Quant il passa oltreement
Le comant que Deus li ot fait :
Tut vint d’orgoil icel forfait. 128
D’orgoil li vint quant il cuida,
Par le serpent qui l’afola,
Que il serreit per son Seignor :
Jeo ne sai mie orgoil greinor. 132
Coveitos fu, c’est verité,
Quant il coveita poësté
E richesce plus qu’il n’aveit.
E la fu il gloton reveit, 136
Quant il crut sa femme e sa gole
Qui bien deüst estre saole
Des autres fruiz del biau vergier,
Que Deus li dona a mangier. 140
Des qe la fumee d’orgoil
Li entra el quer e en l’oil,
E le degot de coveitise
Li out la pensee sosprise [f°126c]
E sa male moillier li dist
La glotonie que il fist
Del fruit que li esteit veé,
Qui tant li fu mal savoree, 148
Ou il quida son avantage,
Si fu hors de son heritage.
Donc fu il par orgoil traï
E par coveitise honi 152
E par glotonie chacié
De son païs e de son sié,
De sa meson fu chacié hors.
E de la pome ou (il) fist le mors, 156
Pur cel mors soffri il la mort.
Mult fu icele plaie fort
Qu’en la pome fist sor defens ;
A dolor usa puis son tens. 160
Au der[a]ain l’estut morir,
Aprés la mort l’estut languir
Es peines d’enfer .V. mil anz,
Qui tant sont dures e pesanz. 164
Pur ceo que il fu orgoillos
E pur ceo qu’il fu coveitos
E pur ceo qu[e] il fu gloton,
Fu .V. mil anz en tel prison. 168

[S]eignors, pur Deu, or entendez
E ces treis choses esgardez,
Qui si sont el monde acorsees.
Certes il n’a pas dous pensees 172
Entre .V. cenz, si com jeo cuit,
Ou il n’ait de cest malveis fruit,
E tut le mendre est si nuisant
Des treis, que jeo vois devisant, [f°126d]
Qu’il met l’ome al parfunt de abisme.
Dolz Jhesu, verrai rei hautisme,
Que f[e]ra donc cel las chaitif
Qui, tuz les jorz que il est vif, 180
Maintient ces treis, honore e sert ?
L’eritage del ciel en pert.
Autre chose n’i a a dire,
E ce sont ui plus de cent mire. 184
Seignors, si jeo n’eüsse dit
En un autre livret petit
Que jeo fis au monde despire,
Jeo me restuce por plus dire 188
D’Orgoil e de sa fille ainzné,
Coveitise la forsenee,
E de Luxure la malvese,
La desleiee, la puineise, 192
Qui plus ert amere que suie
Al malveis cors qui ne s’essuie
En cest siecle ne ne se lieve
Tant qu[e] il a la face bleve 196
E que la mort l’a empalie ;
Maint le dolent en sa folie.
Dolz Jhesu Crist, que puet ceo estre ?
De nule merveille terrestre 200
Tant durement ne me merveil
Come de ceo que nul conseil
Ne prent home de ses pecchiez
Jesqe il est de la mort chargiez. 204
Il porreit par conseil garir
E il se let de gré morir.
Une parole, que jeo oï,
Vus entreposerai ici, [f° 127a]
E se vus la [bien] retenez,
Meillors, ceo crei [jeo], en serrez.

Uns home errot par un païs,
Qui esteit gastes e soltis, 212
Tant qu[e] il fu aparceü
De une beste qui l’ot veü,
Qui mult est cruel e salvage.
Cele beste en nostre language 216
Si est apelee unicorne,
Pur ceo qu’el n’a que une corne,
Grant e agüe el front devant,
Dont ele maine orgoil mult grant. 220
Cele beste l’ome chaça,
E li fuianz tant s’avança
Qu’il vit un arbre devant sei.
Cist hom aveit e faim e sei. 224
En cel arbre la [sus] amont
Aveit le plus biau fruit del mont,
Dont bien saoler se peüst,
Ceo li fu vis, se il l’eüst. 228
Cil qui fueit devant la beste,
Desi q’a l’arbre ne s’areste ;
Puis est mult tost amont rampé,
Autrement fust il atrapé. 232
Quant la beste nel pot ataindre,
Si s’aparaille por remaindre ;
Au pié de l’arbre l’a asis.
E cil qui a mal se fu mis, 236
Car de son arbre vit le pié
Trestut environ deschaucié
Si que les racines pareient,
Dont les plusors rotes esteient, [f° 127b]
E celes qui erent entieres,
Rungoent dous bestes mult fieres :
L’une esteit neire et l’autre blanche.
Ne par nuit ne par jor n’estanche 244
Nule de ces dous de rungier
Ne de ces racines mengier.
Pres de l’arbre mains de une teise
Aveit une mult grant falaise 248
Come une quarrere parfonde,
Ou le plus fier dragon del monde
Esteit, e aveit la dedenz
Crapouz, colovres e serpenz. 252
Une trop grant infinité
A celui, qui fu sus monté,
Sembla que cel arbre charreit
Si tost come ele crollereit 256
En cele fosse tut a plain,
E c’il chaeit a l’autre main,
L’unicorne, qui l’atendeit,
Autresi tost le mengereit. 260
Or fu en grant peril cest las,
E sa faim ne le lessa pas,
Qu’i peüst bien resoagier,
Se il osast del fruit mengier, 264
Qui sus sun chief esteit pendant.
Mes se il (se) meüst tant ne quant
Solement demi pié amont,
L’arbre charreit tut en un mont 268
En la fosse, ceo li sembla.
En itel maniere trembla
E s’aventure e son juïse
Atendi en iceste guise. [f° 127c]
Biau seignors, se ore veum
Un tel home, que ferïom ?
Ne li devrïon nus aider
E a nos poeirs conseillier ? 276
Oïl veir, jeo respond(e)rai primes.
Ore aidom donc a nos meïmes
Qui somes en autretel cas !
En trestut le monde n’a pas 280
Un home que issi ne seit.
Pur ceo fust [il] reson e dreit
Que chescun se fust porveü
Ainz que son arbre fust chaü. 284
Jeo sui en l’arbre e vus i estes,
Asis somes de males bestes.
«Or(e) di, Guillaume, biaus amis,
Coment i somes nus assis ?» 288
En mei[e] fei, jeol vus dirai,
Par essample le mosterai.
Le premier jor, que home est né,
Est il en cest arbre monté. 292
L’arbre, c[eo] est le cors de home ;
L’alme del cors, ceo est la some,
Si tost com ele est al cors mise,
Si est de l’unicorne asise. 296
L’unicorne, ceo est la mort,
Que ja mes ne sera si fort
Ne si forment aracinez
Que au der[a]ain ne seit finez 300
Par les dous bestes, que jeo dis,
Qui le pié li rungent tutdis.
Or(e) vus di que ces bestes sont,
Qui tut adés au pié li vont : [f° 127d]
Par fei, c’est le jor e la nuit.
Par la neire beste, ceo cuit,
Si devez vus la nuit entendre
E pur la blanche devez prendre 308
Le jor que chescun jor ajorne :
Car chescun jor fait unë orne
E chescune nuit ensement
Vers le point de son finement. 312
Chescune nuit e chescun jor
Li vont ces dous bestes entor :
Ja de rungier ne fineront
Tant que l’arbre abatu av(e)runt. 316
Quant il prist hui a esclarcier,
Ot mains a vivre qu’il n’ot ier,
E le matin mains en avra.
Ja ceste lune ne faudra 320
Jesqu’il n’i avra mes rascine
Ne contre la mort medicine.
Le sage home entent bien e veit
Quel part son arbre chaïr deit, 324
Si [se] porveit e se porpense
Com il porra aveir defense
Qu’il ne chiece sor le dragon
En la tenebrose prison 328
Qui est plus freide que nul marbre.
Tant dis com[e] il est en l’arbre
E qu’il a rascines entieres,
Fait ov(e)raignes que Deus a chieres, 332
Geüne, almone e oreison,
En fei e en confessïon,
Qui li defendent au chaeir,
Que le dragon n’i a poeir, [f° 128a]
Tant se porveit, tant se travaille,
Ainz que sa rascine li faille.
Ne li chaut quant a terre vienge
Ne quant l’unicorne le tienge : 340
Car puis que il l’avra ocis,
Sera il tuz sains e toz vis
E si verra Deus en sa face.
Mes poi i a qui si le face. 344
Li sages hom issi le fait,
Mes li fols autre veie vait :
Car il ne se porpense mie,
Tant com il est en ceste vie, 348
Quel part son arbre chaeir deit.
Au fruit, que sor sa teste veit,
Monte en haut e tant se delite
Que ja une horette petite 352
Vers le pié ne [re]gardera,
Saveir quant son arbre charra
En la fosse ou le dragon maint :
E issi avint il a maint. 356
Certes issi font ui plusors
Qui tant coveitent les honurs,
Les baillies e les richesces
E les terïenes hautesces 360
Que d’aval garder ne lor chaut :
Ces montent en l’arbre trop haut
E il charront si sode(e)ment
Que ja ne lor faudra turment. 364
Li sages hom nel fait pas si
Tant dis com[e] il est ici :
Totes les joies de cest mont,
Qui come fumee tresvont, [f° 128b]
Desdeigne e despit e refuse,
Au fruit de l’arbre pas ne muse :
Ceo est terrïenes delices
Qui totes sunt plaines de vices, 372
Ne s’i prent ne ne s[i] enlace ;
Mes cil a finement la grace
Nostre Seignor que issi ovre.
Dragon ne serpent ne colovre 376
N’avra ja de s’alme baillie.
Quant la force ert au cors faillie,
Anceis irra mult bele veie.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 380
Pur Deu, seignors, femmes e homes,
Nus qui uncore en l’arbre sumus
E [i] avon esté grant piece,
Porveon nus ainz qu[e] il chiece ! 384
Nus qui tanz jors avon veü
E tantes nuiz avon jeü
En pecchié e vilainement,
E veom bien apertement 388
Que le pié de nostre arbre faut,
Ne gardon l’ore qu’il s’en aut
En la fosse sor le dragon !
Pur amur Deu, que atendum ? 392
Se nus fuisson verai confés
E il chaïst tut a un fes,
Uncor(e) ne nus peüst chaleir.
E quant rien ne nus puet valeir 396
Fors la confessïon verraie
E satisfactïon e paie
De tant come nus poon rendre,
Nus qui ja somes pudre e cendre 400
E n’avom mes rascine entiere
E bien veom en la quarire [f°128c]
Le mal dragon, qui nus atent,
Sor qui nostre arbre cline et pent, 404
Que atendum ? C[eo] est merveillie
Certes, que home ne s’esveille.
Si m’aït Deus, jeo m’esmerveil
Que jeo meïmes ne m’esveil, 408
Mes jeo e maint somes traï
Par les treis vices, que jeo di,
Qui tant sont contrarios a Deu.
Fols somes, qui lor donon lieu, 412
Fols somes, qui les acoillon.
Mielz fust que nus les chacïon,
Certes, qu’il [ne] chasçassent nos.
Deus, pur quei est home orgoillos ? 416
Pur quei coveite plus que assez ?
Pur quei n’est il ja mes lassez
De faire de son cors laidure
De malvesté e de luxure ? 420
Se home gardast e veïst
E bone garde se preïst
De quei il sort e dont il vient
E quei au derr[a]ain devient, 424
Bien deüst son orgoil lesser.
E c’il veïst, quel despensier
Il avra de sa grant richesse,
Quant la mort li fera destresce 428
E le tendra en sa justise,
Bien deüst laisser coveitise.
E c’il veïst ou il gerra
Quant trestuz ses deliz avra 432
A son cors fait e acompliz, [f°128d]
Quels pareüres e quels liz
Av(e)ront en la prison oscure
Cil qui ci vivent en luxure, 436
Bien deüst sa char refrener
E par discepline mener.
Mes nus avon les treis mortels
Qui nus [ci] chascent des ostels : 440
Il nus chascent de vie a mort,
De grant joie en grant desconfort,
De grant repos en grant ahan,
Ausi com il firent Adam. 444
Se de els ne nus poon defendre,
En mal lieu nus f[e]ront descendre,
Se nus ne nus porveon ci,
Ainz que le pié nus seit failli. 448
E savez quele porveance ?
Confessïon e repentance,
Quant tut li sarmonier del mont
— Tote jor sermoné nus ont — 452
Dïent, que il n’est gareison
Fors par dreite confessïon.
Qui se repent e qui se amande,
Par si que par sa buche rende 456
La tricherie qui l’aveite,
Cil se lieve a dreit e afaite,
Cil se porveit en tel termine
Qu’il n’a garde de la vermine. 460
Or nus doint Deus porveer ci,
Tant com[e] nus somes ici,
Que a nostre dreit heritage,
Que Adam perdi par son oltrage, 464
Puisom venir e repairer, [f° 129a]
E del pain de vie mengier,
Qui descendi pur nus r[a]aindre
E pur nus fairë a sei maindre 468
En meson ou ja mes fumee
N’en ert veüe ne trovee
Ne degot ne male compaigne.
Iluec n’avra nul qui se plaigne, 472
Ainz ert sa joie si entiere
Que ja mes en nule maniere
Autre rien ne coveitera,
Si trespleniere joie avra. 476
Pur les treis vices eschiver,
Que jeo vei ui [tant] aviver,
Qui tut le mond ont corumpu,
Pur quere veie de salu 480
Ignelement sanz atarger
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Au saint port de confessïon,
Ainz que de nostre arbre chaon, 484
Vus ai cest «Treis Moz» recitez,
En tele maniere enditez
Que bien poëz aparceveir
Se jeo vus di reson e veir. 488

[O]mnia si penses, homo dignior inuenietur,
Cuius ad officium cuncta parata uides.
Omnia si trutinas, homo uilior inuenietur :
Parent cuncta Deo, solus oberrat homo.


[L]a plus digne chose qui seit,
Qui parfont i esgarde e veit,
C[eo] est home sanz nule dote,
Car l’autre creature tote 492
Li obeeist oltreement
E est a son comandement. [f° 129b]
E se bien garde vus pernez
E en vostre quer en pensez, 496
Home est la plus vil rien del monde,
Qui deüst estre la plus monde :
Car tote l’autre crïature
Obeïst solonc [sa] nature 500
Plus a Deu que hom[e] ne fait.
Ceo me semble mult grant forfait,
Quant hom[e] siet que il deit faire
E il ovre tut a contraire, 504
E la beste, qui n’en seit rien,
Sert e obeïst e fait bien
Le servise que faire deit.
Donc deit home perdre par dreit 508
Sa noblesce e sa digneté
E estre tut desherité
Sanz revenir a l’heritage
Que Adam perdi par son oltrage. 512

Explicit

 

Les rapides considérations métriques que nous avons faites sont une présomption de plus en faveur de l’origine insulaire de la copie. En ce qui concerne l’auteur lui-même du Dit, seul un examen approfondi de la langue pourrait permettre d’infirmer ou de confirmer les conclusions de P.Ruelle9 qui le considérait comme étant originaire de la Basse-Normandie. Malheureusement ce n’est pas le lieu ici de nous livrer à une telle étude, quand il faut faire bref. Nous nous bornerons donc à mettre l’accent sur les traits linguistiques les plus significatifs, révélateurs d’une influence occidentale sur une langue qui, par bien des points, s’apparente à celle du français central que nous laisserons volontairement de côté. Nous retiendrons également quelques éléments qui pourraient être utiles pour conforter, ne serait-ce que très approximativement, la datation du poème.

Nous ne prenons donc en compte que les traits graphiques majeurs suivants dont font usage essentiellement les copistes des régions de l’Ouest et d’Outre-Manche :

Vocalisme

— Le maintien de la séquence primitive ei pour noter, aussi bien à la rime qu’à l’intérieur du vers, le résultat de la diphtongaison de [ḗ] ou de [] libres, seeir (sedre) 27 : aveir (habre) 28, seit (sat) 489 : veit (vdet) 490, veir (vrum) 88, veie (va) 480. Cette séquence apparaît dans la désinence des imparfaits, autres que ceux du premier groupe, et des futurs II, atendeit 259 : mengereit 260. Ces formes riment entre elles, mais aussi avec celles provenant de la coalescence d’un [] et d’un yod, deit (dbet) 507 : dreit (dirctum) 508, treis (trs) 37 : reis (rgis) 38. Exceptionnellement la graphie ei est remplacée par ai, teise (tnsa) 247 : falaise (*falsa) 248, maine (mnat) 220. Inversement, trois fois, ai provenant de [á] entravé par un yod est transcrit ei, meis (mágis) 44 (contre mes partout ailleurs)10, aveite (forme normande dérivée de *wahtõn qui aboutit en français commun à agaite) 457 : afaite (adfáctat) 458, et puineise (*putinásia) 192 rimant avec malvese (*malifátia) 191. On trouve encore cette graphie à l’inté­rieur de mots comme oreison (oratióne) 333, coveitise (cupidetítia) 430, par suite du contact d’une voyelle prétonique et d’un yod.

Ce digramme pourrait correspondre davantage à une tradition graphique qu’à une prononciation : dans le corps du texte, il alterne encore avec e, porveer 461 = porveeir (cf. Besant 1177), un e qui résulte plutôt de l’évolution pho­nétique de [eir] que d’une confusion avec les verbes en –er, dans les régions envisagées la diphtongue [i] s’étant moins fortement différenciée que dans le centre et l’est du domaine d’oïl, par simple ouverture en [é̜i] et non en [ói], ce qui l’amena à se monophtonguer en [ę] que l’on transcrit par e. Ainsi des verbes d’autres groupes se trouvent-ils assimilés au premier11.

— La notation par e de la fermeture, sous l’influence de la consonne initiale [k], d’un [a] initial entravé dans chescun (*cascnu), seule forme utilisée, et de la réduction de [í], diphtongue devenue ascendante [i], à [], attestée, à l’intérieur des vers, par aider 60, chasserent 116, quarrere 249, et à la rime, par enchargez 1 : atargiez 2, aider 275 : conseillier 276, repairer 465 : mengier 466. En l’absence de rimes entre [á] libre et [á] derrière palatale qui rendraient indubitable la monophtongaison, il est possible que les graphies en er soient plutôt le signe de l’intervention d’un scribe anglo-normand copiant un texte continental plutôt que la marque de l’auteur lui-même, une majorité écrasante de rimes étant en [ie], piece 383 : chiece 384, changiez 113 : pecchiez 114, vergier 139 : mangier 140…, et plusieurs fois le [i] résultant d’un [á] libre derrière une palatale rimant avec le même son résultant de la diphtongaison d’un [é˛] libre, chacié (*captiátum) 153 : sié (sé˛dem) 154, pié (pé˛dem) 237 : deschaucié (discalcӗátum) 238… À qui attribuer la graphie inverse ie pour e, en raison de cette réduction de [ie] à [e], lieve (lávat) 195 : bleve (bláva) 196, que l’on retrouve au vers 503 dans siet (sápit) = seit 505 et dans le Besant, hiet 523, 1188 : siet 524, 118712 ? Il n’est pas impossible qu’une certaine confusion ait régné dans les graphies13, liée d’une part, dès le xiiie siècle, à l’évolution de la prononciation, et d’autre part aux tendances conservatrices de l’écriture. On pourrait faire une remarque analogue à propos de quarrere 249 et de la rime entiere 401 : quarire (*quadrária) 402, où le i pourrait résulter d’une confusion entre les transcriptions de i et de ie, ie pour i étant bien attesté en anglo-normand au xiiie siècle, même si ce phénomène reste plus typique du Nord-Est que de l’Ouest.

— L’emploi généralisé de e pour et.

— La présence du graphème oi dans trois mots où le [ó̜] au contact d’un yod n’a apparemment pas subi de diphtongaison conditionnée par la semi-consonne, orgoil (*urgôli, latinisé en *urgó̜lio) 141 : oil ̜culum) 142, orgoil 47 : voil (vó̜leo) 48. Leur évolution rejoindrait donc celle de joie (gaúdia) 442, à moins que o ne soit une graphie de ue14, comme e pour ie, voir puet 51 = pot et comparer les rimes du produit d’un [ó̜] libre, ovre 375 : colovre 376 et puet 77 : estuet 7815.
— Le premier o de solonc (*sŭblongum) 500, comme celui de sojorn, archaïsme conservé dans les textes anglo-normands.
— L’utilisation de u, à côté de o, pour noter le résultat de l’évolution, devant consonne orale, d’un [ṓ] libre latin, honurs (honres) 358, d’un [] entravé, ultre (ltra) 89, d’un [o] ou [ŭ] initial libre ou entravé, cuveitise (cŭpidĭetítĭa) 63, suffrir (sŭfferíre) 22. Il est presque constant dans les monosyllabes pur, tut, nus, vus, mais nos 278, 415 et vos 75. Quant à mult, peut-être s’agit-il d’un simple fait graphique influencé par le latin. Soigneusement distingué, à la rime, du [ü] palatalisé, ce qui n’est pas le cas en normand et dans le nord de l’Angleterre, il sert à transcrire le passage d’un [o] à [u], résultat d’une diphtongaison bloquée par une tendance assimilatrice de [ọ] au [u] suivant dans la diphtongue [ọu], ou encore d’une propension à la fermeture d’une voyelle en position atone ou tonique entravée, phénomènes réalisés à la fin du xiie siècle16.

Devant consonne nasale, il est facilement en concurrence avec on, fineront 315 : averunt 316, dragon 391 : atendum 392, cunt 105 : mont 106. Quant à sunt 372 et à sumus 382, ils pourraient eux aussi être calqués sur le latin, bien que, dans le cas de sumus, le u final ait pu être employé avec la valeur d’une voyelle atone17.

Consonantisme

— La conservation de la dentale finale étymologique d, od 51, mond 479 et de consonnes doubles pecchié 387, pecchiez 114, 203.

— L’instabilité de la prononciation du [l] qui se marque dans la forme réduite i (= il) 263 et dans la rime dire 183 : mire (milia) 184 que l’on retrouve dans le Besant 2321-2322. La palatalisation de cette consonne est rendue une fois par illi, merveillie 405. Une graphie du même type est en usage pour le r palatalisé, glorie 54, influencé, lui aussi, par la tradition latine.

— Des confusions entre r simple et r double, terïenes 360, terrïenes 371, conquere 65 : terre 66, verrai 178, quarrere 249, quarire 402, phénomène qui se fait sentir aussi aux futurs I et II : dirrai 5, 124, irra 379, serra (estre) 36, serrez 210, serreit 13118, mais dura (= durra, par syncope de la voyelle théma­tique entre r-r dans durera) 104 qui n’est pas spécial à l’anglo-normand. On peut faire la même observation restrictive à propos des interversions qui se pro­duisent quand un e est précédé d’un groupe initial ou intervocalique consonne + r, pernez 495, mosterai 290.

— L’absence du [s] implosif devant une consonne sonore, defendre 445, meïmes 278 rimant avec primes 277, en accord avec une tendance à l’amuïsse­ment de cette consonne qui s’est manifestée plus tôt qu’ailleurs dans ces régions de l’Ouest.

— La notation par v de la labiodentalisation d’un [w] germanique qui, au lieu d’évoluer en [gw], comme en français central, ou de se maintenir sous sa forme originelle, comme en picard et dans les parlers du nord-est d’oïl, a donné nais­sance à [v], dans aveite (*wahtôn) 45719.

Morphologie

Quelques habitudes et quelques irrégularités morphologiques sont liées à ces mêmes régions20 :

— Le pronom démonstratif neutre employé seul, majoritairement devant les formes conjuguées du verbe estre, mais aussi devant d’autres verbes ou en combinaison avec que, toujours graphié ceo, un son doux étant ainsi suggéré. Par analogie, cette graphie affecte le pronom personnel de la première personne jeo. Quelques dé­monstratifs préfixés en -i apparaissent également : iceste 272, icel 128, icele 158.

— Une forme monosyllabique el 218 en alternance avec ele 220, 295 au cas sujet féminin singulier21.

— L’amuïssement d’un [e] posttonique à la 3e personne du singulier du présent de l’indicatif, à l’intérieur du vers, despit 369 et, à la rime, dans ainzné 189 auquel fait écho forsenee 190. La graphie tient compte de cet amuïssement.

— Les imparfaits de l’indicatif du premier groupe, quoique rares, deux attestations seulement, avec des terminaisons distinctes de celles des autres groupes : errot 211 et rungoent 242. Ils ont gardé l’ancienne désinence héritée de [-ábat], [-ábant], avec labialisation du [a] devant [b] devenu la labiovélaire [w], alors que les imparfaits des autres groupes sont en -eit, -eient, pareient 239 : esteient 240. Les deux personnes, relevées ici, troisième et sixième, sont celles qui ont persisté le plus longtemps. Elles sont en -ot, -oent, réduction habituelle de -out, -ouent, sans doute sous l’influence du passé simple ot 318 (avoir) où l’emploi proclitique a dû entraîner cette réduction.

— Les formes longues des futurs par adjonction d’un e svarabhaktique entre v et r pour un infinitif en -eir, aveir, averunt 316, averont 435, à côté de avra, majoritaire (69, 319, 321, 341…), et entre d et r pour un infinitif en -re, respondre, responderai 277. Plus propre à ces régions (les précédentes sont courantes dans le Nord et le Nord-Est), une forme brève, front 446 de faire, avec amuïssement du [e] prototonique entre deux consonnes dont la seconde est un r, ainsi que l’emploi de la troisième personne ert (é˛rit), uniquement non diphtonguée 378, 470, 473, à côté de ser(r)a 36, 76, 108… On la trouve également dans l’imparfait erent 241 qui voisine avec esteient 240.

— Assez fréquente à la rime dans l’Ouest, tout en étant répandue de la Wallonie au Poitou, la terminaison analogique, au subjonctif présent, avec un g placé derrière la nasale du radical et devant la désinence, vienge 339 : tienge 340, deux verbes où un yod suit un radical terminé par une nasale (vénǐat / ténǐat).

Doit-on considérer, à la suite de P. Fouché22, restuce 188 (de restovoir) comme étant aussi un subjonctif présent qui correspondrait à la réduction de restuice, restuisse (puet, puisse ayant pu entraîner restuet, restuisse) que l’on trouve, par exemple, dans le Roman de Troie 1654 ? Son apparition dans un système hypothétique, en corrélation avec eüsse dit 185, nous orienterait plutôt vers un subjonctif imparfait, resteüsse, resteüce, dans lequel l’hiatus réduit n’aurait pas été noté.

— Des signes de défaillance dans l’application des règles de la déclinaison des substantifs, des adjectifs et des déterminants. Hors de question de signaler tous ces manquements, un tout petit échantillon en donnera une idée : cas régime substitué au cas sujet singulier, cest degot 67, 72, fin 68, nuisant 175, habitant 50, le plus fier dragon 250, le 323, cest 261, son 354, 291, vif 180, tut desherité 510, de même home est très fréquemment un cas sujet singulier 92, 98, 203, 211, 416… Un cas sujet pluriel peut être terminé par s, seignors 273, 381, meillors 210, alors qu’au vocatif singulier, les noms propres, Adam 464, 512, Jhesu 178, 199 sont dépourvus de flexion, et que Deus 343 est un complément d’objet direct. L’imparisyllabique gloton 136 est un cas sujet singulier. En revanche, les adjectifs épicènes, relativement nombreux, n’ont perdu ce caractère que trois fois, quele 61, 449 et tele 486, raison pour laquelle nous avons préféré laisser grant, au vers 34, devant le substantif contraire qui, certes, possède deux genres, mais est majoritairement employé au masculin (TL, II, 778-781 et tut le contraire, Besant 1334). Toutes ces irrégularités, dont la der­nière affecte le mètre et beaucoup d’autres s’observent à la rime, sont signe que, pour l’auteur lui-même, les oppositions de cas avaient tendance à disparaître.

À ces remarques concernant les graphies, il nous paraît utile d’ajouter ce point de syntaxe :

— Une construction mixte mettant en relation un imparfait du subjonctif dans la protase et un futur II dans l’apodose, Se il se meüst 266… l’arbre charreit 268, typique de l’anglo-normand sans toutefois se limiter à lui23.

La langue de ce Dit, marquée de manière évidente par les dialectes de l’Ouest et par certaines tendances d’Outre-Manche, nous permet aussi de disposer de quelques maigres indices qui pourraient nous aider à conforter les dates proposées pour sa composition:

— Pureté des rimes en -an et en -en devant consonne seule ou appartenant à un groupe conjoint, anz 163 : pesanz 164, Alisandre 7 : Salemandre 8, blanche 243 : estanche 244, dedenz 251 : serpenz 252, defens 159 : tens 160. Les fins de vers, amande (emendat) 455 : rende 456 ne constituent qu’une exception appa­rente, liée à une substitution de graphie. Cette séparation -an, -en, chère aux poètes de l’Ouest et du Nord, s’est maintenue plus longtemps chez ceux de l’Ouest. Ces sons, que la langue parlée confondait sans doute depuis la fin du xiie siècle, étaient encore nettement distincts vers 1220 dans la tradition poétique qui subsistera jusqu’au milieu du xiiie siècle. En revanche que la confusion des sons ein et ain, plain (plnum) 55 : pain (pánem) 56, ataindre (attíngere) 233 : remaindre (remánere) 234, soit nette ici n’est pas surprenante puisqu’elle est courante à partir du milieu du xiie siècle en anglo-normand.

— D’après de nombreuses rimes, pas de désaffrication de [ts] à la finale absolue, mustrez 3 : entamez 4, deliz 91 : bailliz 92, changiez 113 : pecchiez 114, mais une fois, devant un [e] final, une graphie s assure une prononciation [s], escorse 43 : force 44. De même à l’intérieur des vers, ces 362 pour cez, jors 385 à la place de jorz, ainsi que les confusions entre c’ et s’ – nous avons eu l’occasion de les signaler – laissent supposer, tout au moins chez le scribe, des hésitations entre [ts] et [s]. C’est surtout au cours du xiiie siècle que se manifestera, dans les écrits, la tendance à l’amuïssement, les versificateurs étant en général plus conservateurs que les usagers de la langue parlée.

— Absence de rimes «normandes» qui n’apparaissent guère avant le xiiie siècle24. Quant aux rimes é-ee, veé 147 : savoree 148, ainzné 189 : forsenee 190, elles se retrouvent facilement dans les textes anglo-normands qui se situent à la jonction des xiie et xiiie siècles25.

— Premières personnes du présent de l’indicatif sous leur forme étymolo­gique (beaucoup sont à la rime), sans les e ni les s analogiques qui se sont développés surtout dans le cours du xiiie siècle, notamment après 1250 : cuit 173, 306, cunt 105, os 75, esveil 408, merveil 201, crei 210, dei 17, 93, sai 132, di 303, 410, 488, sui 285, vei 478. On y joindra l’impératif di 287. À la fin du vers 301, dis nous paraît devoir être interprété comme étant un passé simple.

— Troisièmes personnes des passés simples faibles toujours non pourvues du t final : orgoilli 53, perdi 464, 512, soffri 157. La même observation pourrait être faite à propos de fu.

— Quatrièmes personnes en -on, -om, -um, avec un n ou un m en position finale, là où le français central écrit -ons, les copistes de l’Ouest et de l’anglo-normand amputant ces terminaisons de la consonne s qui, pour eux, était propre aux deuxièmes personnes du singulier et du pluriel26 : acoillon 413, aidom 278, atendum 392, chacïon 414, chaon 484, donon 412, devrïon 275, ferïom 274, fuisson 393, porveon 384, puisom 465. C’est après 1250 que les désinences en s seront de plus en plus nombreuses et finiront par devenir, dans ces régions, la forme ordinaire de la première personne du pluriel.

— En général la diérèse est conservée, en témoignent, par exemple, les rimes degoteüre 61 : dure 62, fuïr 95 : eissir 96, et le redoublement de la voyelle thématique de obeeist 493, situation qui est encore celle de l’anglo-normand au xiiie siècle, la synérèse ayant fait des progrès à partir de 1250. Toutefois, les graphies der(r)ain et raindre (voir supra), quand la mesure du vers exigerait der(r)aain, raaindre, laissent supposer que, dans ce cas, la synérèse a tendance à s’installer, tout au moins sous la plume du scribe. Cependant, seeir 27 = seir pourrait être imputable à l’auteur.

 

Même s’il est difficile de circonscrire précisément les interventions personnelles du scribe lors de sa copie – nous avons soupçonné à diverses reprises le concours d’une main anglo-normande recopiant un texte continental – nos diverses observations viennent, à leur tour, corroborer l’origine insulaire du manuscrit qui, comme nous l’avons fait observer, fut avancée à la fin du xixe siècle. Les rimes et la versification présentent, nous l’avons montré, la plupart des particularités qui caractérisent les œuvres appartenant aux régions de l’Ouest et parfois d’Outre-Manche, entre le début du xiiie siècle et 1250. Le créneau 1227-1238 habituellement proposé pour la composition du poème se trouve donc, lui aussi, conforté. En outre, nous n’avons vraiment aucune raison de douter que l’auteur ait été Normand (Basse Normandie ? probablement)27, qu’il ait vécu assez longtemps en Angleterre pour s’y faire des amis et pour y acquérir certaines habitudes linguistiques. Ayant été un clerc – il nous l’a confié – il a marqué de la forte empreinte de sa culture son Dit qui, par bien des points qu’il ne nous fut malheureusement pas possible d’envisager, était conforme aux usages répandus dans la koinè littéraire qui s’édifiait alors. Guillaume, si fier de ses origines (Li clers fu nez de Normandie… Or oëz que dit li Normanz)28, n’avait-il pas avant tout, lui aussi, le souci de versifier pour des lecteurs qui n’étaient pas anglo-normands29 ?

Notes

1 On trouvera des renseignements biographiques et bibliographiques sur cet auteur, dans P. Ruelle, Le Besant de Dieu de Guillaume le Clerc de Normandie, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1973, p. 7. Retour au texte

2 Manquent les vers 14-60, 67-78, 82-114, 117-184, 194-206, 420-484. Retour au texte

3 Voir aussi les réserves émises, dans le compte rendu de Zeitschrift für romanische Philologie, III, 2, par G. Paris, Romania, t. VIII, 1879, pp. 625-627. Retour au texte

4 Pour une répartition détaillée de toutes les œuvres présentes dans ce manuscrit se reporter à : E. Martin, op. cit., pp. I-VII ; L. Auvray et H. Omont, Catalogue général des manuscrits français, Paris, Leroux, 1900, pp. 339-341 ; P. Ruelle, op. cit., p. 12. Retour au texte

5 Notice du manuscrit Egerton 2710 du Musée britannique, dans le Bulletin de la Société des anciens textes français, t. XV, 1889, pp. 73, 82-84. Retour au texte

6 Romania, t. XVII, 1888, p. 610. Retour au texte

7 Très discrètes se font une exponctuation et deux lettres refaites sur une autre. Retour au texte

8 Les,li s’impose pour le sens, s’explique sans doute par l’attraction de ces qui se trouve dans le même vers. Retour au texte

9 Op. cit., p. 27. Retour au texte

10 La graphie la plus fréquente pour noter le [ę] provenant de la monophtongaison de [ai] est e, lessa 262, lesser 425, let 206, meson 20, 39, 46…, malvesté 420, plest 5, reson 78, 124, confés 393 : fes 394, mais l’usage de ai reste assez large, aider 60, faire 468, repairer 465, en particulier à la rime, fait 127, 501 : forfait 128, 502, fait 345 : vait 346, mesfaire 33 : contraire 34. Retour au texte

11 Voir M. K. Pope, From latin to modern french, Manchester, University Press, 1952, p. 478, § 1309. Retour au texte

12 Pour d’autres exemples, voir F. J. Tanquerey, L’Évolution du verbe en anglo-français (xiie-xive siècle), Paris, Champion, 1915, pp. 151-152. Retour au texte

13 Voir M. K. Pope, op. cit., p. 458, § 1223. Retour au texte

14 Sur les graphies ue, u et o en anglo-normand, voir M. K. Pope, id., p. 443, § 1156 et p. 459, § 1227. Retour au texte

15 L’évolution des voyelles latines devant palatale [l+y] reste un point obscur de la phonétique historique du français, et A. Meiller (Diphtongaison et non-diphtongaison conditionnées, dans Par les mots et les textes, Mélanges Cl. Thomasset, Paris, Pups, 2005, pp. 547-550) pense que [ó̜] (comme [é˛]) dans cette position, quelle que soit l’explication qu’on donne du processus, aboutit à [ue] et il y voit simplement le résultat d’une diphton­gaison spontanée de la voyelle, analogue à celle de [̜vem]> buef, ce qui vaut également pour le [é˛] de [vé˛niat] et de [té˛niat] aboutissant à [ie], ancien français viegne et tiegne, ici vienge 339 et tienge 340. Retour au texte

16 Les mêmes résultats peuvent être notés par o, dans gole [gla] 137 : saole (satlla) 138, nos (nōs) 415 : orgoillos (*urgolisus) 416, où les produits de [] libre riment avec ceux de [] entravé et de [ọ] atone. La même voyelle o est utilisée également à la rime quand il s’agit de rendre compte de l’évolution de [a] libre devant [s], os (aso) 75 : repos (repasum) 76. Ce dernier [ọ] résultant de la fermeture devant [s] de [ǫ] ne s’est pas fermé jusqu’à [u] et il ne rime qu’avec lui-même. Retour au texte

17 Sur cet emploi, voir F.J. Tanquerey, op. cit., pp. 167-168. Retour au texte

18 Au sujet de cette tendance à redoubler les consonnes dans la graphie, traditionnelle Outre-Manche, un des traits les plus caractéristiques des textes copiés en Angleterre, voir M. K. Pope, op. cit., p. 456, § 1217. Retour au texte

19 Pour l’évolution particulière du [w] germanique dans la zone nord de la Normandie, on se reportera à R. Lepelley, Particularités phonétiques et romanisation du domaine gallo-roman «nord-occidental», dans la Revue de linguistique romane, t. 65, 2001, pp. 114 et 136. Si ce traitement n’est pas exceptionnel dans cette région, la forme cependant le reste et mériterait de figurer dans le DEAF, G1, pp. 67-68. Retour au texte

20 L’emploi du pronom relatif que comme sujet 147, 309, 375 a été volontairement écarté étant donné sa fréquence dans les régions septentrionales (Ph. Ménard, Syntaxe de l’ancien français, Bordeaux, Bière, 1994, p. 80, § 64). Retour au texte

21 Voir M. K. Pope, op. cit., p. 464, §1251. Retour au texte

22 Dans Le Verbe, Paris, Klincksieck, 1967, p. 94, § 43c, P. Fouché mentionne ce subjonctif sans faire référence à notre texte. F. J. Tanquerey, op. cit., ignore également ce subjonctif. Quant à l’emploi personnel de ce verbe, habituellement impersonnel, il a été commenté dans notre contribution aux Mélanges offerts à Aimé Petit, Romans d’Antiquité et littérature du Nord, textes recueillis par S. Baudelle-Michels, M.-M. Castellani, P. Logié et E. Poulain-Gautret, Paris, Champion, 2007, pp. 67-87. Retour au texte

23 Sur ce «bourgeon tardif», étranger en quelque sorte au français, voir R. L. Wagner, Les Propositions hypothétiques commençant par «si», Paris, Droz, 1939, pp. 278 sqq. et Cl. Buridant, Grammaire nouvelle de l’ancien français, Paris, SEDES, 2000, p. 630, § 529. Retour au texte

24 Les palatalisations de consonnes, que ce soit à la rime ou à l’intérieur des vers, sont celles de la Gallo-Romania dont fait partie la zone sud de l’actuelle Normandie, la partie septentrionale de cette région se rattachant au picard : [k + a] explosif > [], blanche 243 : estanche 244, char 81, 86, 110, pecchiez 114 ; [k+e] explosif > [ts], ciel 182 ; [ty] explosif > [ts], escorse 43 : force 44; [dy], [ky], [ty] intervocaliques > [ts], face (substantif) 343 : face (subj. pr. 3) 344, piece 383 : chiece 384. Pour la séparation entre le nord et le sud de la Normandie, dite ligne de Joret, voir R. Lepelley, art. cité, p. 117 (carte) et, plus spécialement sur les palatalisations dans ces régions, pp. 138-139. Retour au texte

25 Voir les exemples cités par H. Kjellman (La deuxième collection anglo-normande des Miracles de la sainte Vierge et son original latin, Paris-Uppsala, Champion-Akademiska Bokhandeln, 1922, p. LXXX). Retour au texte

26 A. Meiller (« Notes sur la morphologie du verbe en ancien français. L’origine de la désinence -ons », Romania, t. 109, 1988, p. 441) conteste cette explication traditionnelle et pense qu’il serait préférable d’y voir, dialectalement, l’influence d’une variante son-som de sons en phonétique syntactique. Retour au texte

27 D’après plusieurs observations que nous avons faites, par exemple au sujet des palatalisations, la partie la plus septentrionale de la Normandie, si proche du picard, semble pouvoir être exclue. Retour au texte

28 Le Bestiaire, édit. R. Reinsch, Leipzig, Reisland, 1892, p. 221, vers 34 et 36. Retour au texte

29 J’ai plaisir, au moment où j’achève cette édition, à reconnaître combien je suis redevable à la prévenance de Jacques Chaurand qui m’a fait bénéficier, une fois de plus, de ses fines et judicieuses observations.

Cette édition n'a malheureusement pas pu profiter de l'étude pertinente faite par R. Pensom, sur la versification anglo-normande, parue après l'achèvement de celle-ci (« Pour la versification anglo-normande », Romania, t. 124, 2006, pp. 50-65). Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Annette Brasseur, « Les Treis Moz de Guillaume le Clerc de Normandie », Bien Dire et Bien Aprandre, 25 | 2007, 245-270.

Référence électronique

Annette Brasseur, « Les Treis Moz de Guillaume le Clerc de Normandie », Bien Dire et Bien Aprandre [En ligne], 25 | 2007, mis en ligne le 01 mars 2022, consulté le 18 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/bien-dire-et-bien-aprandre/951

Auteur

Annette Brasseur

Université Charles-de-Gaulle – Lille 3

Articles du même auteur

Droits d'auteur

CC-BY-NC-ND