Les pipkrakes sont des aiguilles ou des colonnettes de glace fibreuse formées à la surface du sol, dans de petites fissures ou sous un élément grossier qu'elles soulèvent progressivement au fur et à mesure de leur croissance, jusqu'à la fusion qui entraîne la chute de l'élément soulevé. Les pipkrakes se forment en quelques heures, mais peuvent montrer une stratification due à une croissance polycyclique. Leur genèse est conditionnée par les différences de conductivité thermique au sein du substrat ; les conditions favorables à la formation de pipkrakes sont un gradient thermique élevé entre un sol (meuble) chaud et gorgé d'eau et un air modérément froid. Expérimentalement, un modèle a été reproduit au Centre de Géomorphologie du CNRS à Caen ; il a permis de mettre en évidence les déplacements de cailloux suscités par la croissance et la fonte des pipkrakes (Van Vliet-Lanoë, 1988). Sur le terrain, des mesures ont montré que le bilan des mouvements vers l'aval des pentes (combiné à d'autres processus) pouvait atteindre plusieurs décimètres par an, en particulier dans les zones élevées des basses latitudes (Höllermann, 1978, cité par Bertran, 2004, p. 88 ; Francou, 1989 ; Francou & Bertran, 1997). Le processus inclut un certain tri granulométrique, le déplacement des pierres étant inversement proportionnel à leur taille. Ces observations posent la question de l'impact des pipkrakes sur la distribution spatiale des vestiges au sein des sites archéologiques soumis aux climats froids.
Certains archéologues, particulièrement ceux qui travaillent dans les hautes latitudes, se sont penchés dès les années 1970 sur cette problématique taphonomique, par l'installation in vivo de diverses cellules expérimentales en Alaska ; des déplacements d'artefacts lithiques variant en moyenne de 4,0 cm/an (Bowers et al., 1983) à 31,8 cm sur trois ans (Hilton, 2002, 2003) ont été mesurés ; ils ont provoqué une rapide destruction de la disposition originelle des objets. L'action (parfois contraire) du vent et des pipkrakes a été évoquée comme principale cause de ces mouvements. Ces données actualistes peuvent, avec une approximation satisfaisante, être transposées aux paléoclimats froids du Pléistocène, et donc à la plupart des sites paléolithiques européens de plein air.
Une expérience, conduite en plein air à Villeneuve d'Ascq (Nord) entre 2004 et 2010, nous a permis d'observer des pipkrakes, d'étudier les conditions climatiques de leur formation et de mesurer leur impact sur le déplacement d'objets lithiques au sein d'un amas de débitage reconstitué in situ sur un substrat limoneux nu (Fig. 1). L'exploitation des données météorologiques d'une station proche a permis d'établir une corrélation entre le nombre annuel de gels favorables à la formation de pipkrakes et la médiane des déplacements des éclats pointés. L'observation du soulèvement des artefacts et de leur basculement lors de la fusion des colonnettes de glace a montré que le sens du déplacement est déterminé par la microtopographie plus que par la pente générale. En effet les pipkrakes se sont formés essentiellement dans les boursouflures limoneuses formées par les déjections de lombrics, en périphérie immédiate des concentrations. L'absence ou la rareté de la végétation est sans doute une condition nécessaire. Il est donc peu vraisemblable que les pipkrakes aient, dans des conditions normales, une action notable en milieu tempéré, en dehors des zones montagneuses ou, ponctuellement, de sols dénudés (piétinés par exemple). En revanche, dans les conditions que nous avons maintenues artificiellement, les résultats obtenus sont cohérents avec ceux des expériences conduites en milieu périglaciaire. La dynamique induite par les pipkrakes n'est donc pas seulement restreinte, en théorie, aux climats les plus froids ; mais en milieu périglaciaire son rôle de transfert des vestiges peut être notable, d'autant qu'il rentre en interaction avec d'autres phénomènes (sols polygonaux, solifluxion,...).