L'homme
Fils d'une institutrice et d'un voyageur de commerce, Jean Ricour est né à Lille le 7 octobre 1921. Son ascendance est flamande, belge par sa grand'mère maternelle et française par sa grand'mère paternelle. Il fait ses études à Lille, au lycée Faidherbe et à la Faculté des sciences. Licencié ès-sciences, il sera brièvement professeur en classe de 5e au collège de Béthune à l'automne 1941. Jean Ricour a eu quatre enfants : Jean-Emile antiquaire, Madeleine professeure émérite de l'Université de Paris, Aline ingénieure géophysicienne à l'Institut français du pétrole et Jean-Michel médecin. Il a 7 petits-enfants et 7 arrière-petits-enfants. Il a la douleur, en 2010, de perdre sa fille Aline à laquelle des professions voisines le liaient particulièrement. Il avait fait don de son corps à la Science.
Jean Ricour a toujours été très actif même en dehors de ses activités professionnelles. Lorsqu'il est en classe de quatrième il construit un canoë en bois et toile qui survécut en Mer du Nord jusqu'à la guerre. La bicyclette ne l'effraye pas car il s'est bien entraîné sur les pavés du Nord. C'est ainsi que l'armistice de 1940 le surprend à Cahors qu'il a gagné par ce moyen de locomotion pour fuir l'invasion allemande avant de prendre le chemin du retour vers Lille. Son métier lui permit de visiter de nombreux pays, du Spitzberg à la Guyane en passant par la Chine. Passionné de voile, il visite toutes les îles de la Méditerranée, à l'exception des Sporades et des Columbrettes. En 1987 il fait une traversée de l'Atlantique à la voile et visite les Antilles : Saba, Saint-Martin, Saint-Barthélémy, Saint Kitts, Tintamare, Saint Eustache, Anguilla, Prickly, le Banc d'argent. En 1991 il s'initie au parapente, en 2000 il fait le tour du monde aérien et passe à l'île de Pâques qu'il désirait visiter depuis longtemps.
D'un caractère optimiste, il fut professionnellement heureux : d'avoir vu grandir le BRGG dont il était, lors de son embauche, le dixième élément ; d'avoir vu éclore une théorie comme la tectonique des plaques succédant à celle de la dérive des continents ; d'avoir vu l'utilité de la géologie mieux comprise du grand public…
Carrière professionnelle
De mars à juillet 1942, c'est comme préparateur de minéralogie qu'il entre dans la vie professionnelle sous la houlette de Pierre Pruvost, doyen de la Faculté des sciences de Lille. Après son mariage en 1942, il gagne Paris où il est nommé assistant à l'lnstitut de paléontologie humaine d'août 1942 à février 1943. Il intègre l'année suivante le Bureau de recherches géologiques et géophysiques (BRGG), organisme qu'il ne quittera plus. Pour préparer sa thèse de doctorat d'état, une bourse de recherche du Centre National de la Recherche Scientifique lui est attribuée de 1943 à 1953. Dès son arrivée au BRGG (devenu BRGGM en 1953 puis BRGM en 1959), grâce à une étude des mines de houille du Keuper des Vosges rouvertes sous l'Occupation, il prend contact avec le Trias de Lorraine sous la direction de Louis Guillaume, ingénieur en chef du BRGG. Il échappe au Service du Travail Obligatoire (STO) en Allemagne grâce à une affectation de mineur de fond en France. Durant l'occupation, avec la complicité de Louis Guillaume, il introduit, comme ingénieurs dûment engagés au BRGG, des agents de la France Libre qui peuvent ainsi effectuer leur mission sous une couverture officielle. L'un d'eux, M. Cabois, sous le pseudonyme de Collinet, peut même visiter, piloté par un Allemand, les installations dont il doit transmettre le soir même les coordonnées à Londres. Cet agent fait d'ailleurs son chemin puisqu'on le retrouve en 1967 à l'ambassade de France à Washington, puis ambassadeur en Libye et même administrateur du BRGM.
Après la guerre, Jean Ricour est chargé, au titre du Code Minier, de la région des Alpes où il prend contact avec les grands travaux de barrage d'EDF. Il poursuit ensuite, avec Georges Lienhardt, la reconnaissance du bassin houiller de Lons-le-Saunier en liaison avec Charbonnages de France. Il doit, à cette occasion, s'initier aux techniques de sondage en carottage continu. Il crée par la suite, avec Georges Lienhardt et Jean Deroubaix le service sondages du BRGM. Entre 1952 et 1957, il publie de nombreux rapports de fin de sondage avec G. Lienhardt, A. Lefavrais, A. Bonte et Ch. Greber. C’est ainsi qu’il contribue avec l’équipe du BRGG et grâce aux sondages implantés sur le bassin houiller du Jura à démontrer le chevauchement, au Pontien, des terrains secondaires du Jura sur le Tertiaire de la Bresse avec un minimum de 7 km de recouvrement anormal (voir sa liste de publications ci-dessous : Lefavrais-Raymond et al., 1957 ; le Pontien était une subdivision stratigraphique du Miocène terminal de la Parathétys, équivalent du Messinien). En 1955, en bon disciple de Louis Guillaume et d'Antoine Bonte, il souligne l'importance de la recherche de l'eau en France et le rôle que le BRGM peut jouer en ce domaine. Dans les années 1960, il garde un contact permanent avec le Laboratoire de Géologie Appliquée de Lille où il rencontre très régulièrement le Professeur A. Bonte. C’est d’ailleurs à cette époque (1959-1960) que dans le cadre d’un Diplôme d’Etudes Supérieures, l’un de nous (PB) réalise en collaboration avec l’antenne de Douai du BRGM l’inventaire des ressources hydrauliques d’une partie du Douaisis, contribuant à la première cartographie piézométrique de la nappe de la craie ainsi qu’à l’estimation des potentialités de cette nappe (Broquet, 1961).
A l'époque du maccarthysme, l'appartenance politique de J. Ricour provoque un brusque freinage de sa carrière et il lui est demandé de quitter le BRGM. Mais il ne se décourage pas. Avec le soutien efficace d'Henri Nicolas et de Claude Beaumont, il ne quitte pas le BRGM et crée le service d'Inventaire des ressources hydrauliques des départements du Nord et du Pas-de Calais, ébauche du réseau des services géologiques régionaux du BRGM. Muté à Orléans en 1967, il est nommé adjoint de Claude Guillemin, directeur du Service géologique national. Ils lancent ensemble le BRGM dans la géothermie. Jean Ricour est ensuite chargé de créer une Direction des relations extérieures dont il assure la charge. Il participe ès qualités au Congrès géologique international de Paris en 1980. Ayant été par la suite nommé conseiller du Directeur général chargé des pays méditerranéens, il s'estime trop éloigné du terrain et demande, en 1984, à "retourner au charbon". C'est ainsi qu'il termine sa carrière à Marseille comme Directeur de la division Sud-Est du BRGM qui couvre tout le littoral méditerranéen, y compris la Corse ainsi que l'Auvergne et la Région Rhône-Alpes. Ayant ainsi gagné la Provence, ce qu'il convoitait de longue date, il l'adopte, ne la quitte plus et y prend sa retraite en 1985.
Carrière scientifique
Jean Ricour est l'auteur de plus de cent communications scientifiques. Il a soutenu en Sorbonne en 1962 une thèse de doctorat d'Etat réalisée sous la direction de son maître Pierre Pruvost et intitulée "Contribution à une révision du Trias français". Il bouleverse à cette occasion bien des idées admises par le maître de la stratigraphie de l'époque, Maurice Gignoux. Grâce aux forages profonds effectués par les pétroliers dans le Bassin de Paris, il démontre que le Trias, considéré jusque-là comme régressif, y est transgressif et que les évaporites ne peuvent par conséquent être le résultat d'une régression et d'un dessèchement de la mer sur place. Il insiste aussi sur le fait que la couleur rouge n'est pas caractéristique des dépôts désertiques et que les influences marines sont dominantes dans le Trias. Il s'intéresse aussi à la formation des cargneules et des dépôts évaporitiques. Il trouve dans les gypses de la zone interne des Alpes des végétaux identiques à ceux du Keuper de Lorraine, ce qui anéantit l'hypothèse d'une chaîne dite "Vindélicienne" séparant les deux régions. Ce travail de thèse vaut à Jean Ricour d'être inscrit sur la « Liste d'aptitude à l'Enseignement supérieur », possibilité dont il n'a jamais fait usage malgré plusieurs offres.
Jean Ricour rédige aussi de nombreux rapports internes du BRGM ayant trait à des disciplines diverses. Il a animé, au sein des éditions du BRGM, une série intitulée « Découverte géologique de… » telle ou telle région de France qui comporte dix volumes, le dernier concernant la région de Marseille. Il est aussi coauteur d'un volume intitulé « Terroirs et thermalisme de France » (1992, éditions du BRGM) [voir la liste de ses publications ci-dessous].
Sa curiosité scientifique l'a toujours attiré vers les théories nouvelles. C'est ainsi qu'en 1941, en cours de géographie de 5e au collège de Béthune, il parle de la dérive des continents à des fils d'ouvriers mineurs subjugués. Jean Ricour est aussi très attiré par deux grands géologues novateurs : Jacques Bourcart, inventeur de la notion de marge continentale, et Louis Glangeaud, découvreur des diapirs d'évaporites en Méditerranée. Ces deux savants feront partie de son jury de thèse avec Pierre Routhier et Louis Barrabé.
Disciple de Pierre Pruvost, Jean Ricour respecte les Anciens sans toutefois prendre leurs écrits pour des dogmes. Pierre Pruvost poussait ses élèves à la critique, mais les avertissait sportivement que s'ils avaient tort, ils lui payeraient à boire. L'inverse était vrai. Lorsque Jean Ricour a l'occasion d'avoir des élèves, à l'Ecole du Génie Rural comme chef de travaux pratiques d'hydrogéologie, puis à la Faculté de Médecine de Marseille comme chargé de cours d'hydrologie thermale, il ne manque jamais de citer la parole de Claude Bernard évoquant la relation entre anciens et modernes : « nous sommes des pygmées et ils sont des géants mais, montés sur leurs épaules, nous voyons plus loin qu'eux » [N.B.- La métaphore "Des nains sur des épaules de géants" semble remonter au Moyen-Age, elle a été utilisée au fil des siècles par divers scientifiques : https://fr.wikipedia.org/wiki/Des_nains_sur_des_épa ules_de_géants]. Après son départ à la retraite, il applique le même esprit scientifique à tout ce qui l'entoure et ses observations ne sont pas toujours bien ressenties.
Jean Ricour fut lauréat du Prix Gosselet de la Société des Sciences, de l'Agriculture et des Arts de Lille (SSAAL) en 1943, et lauréat du Prix Pruvost de la Société Géologique de France en 1961. Il fut président de la Société Géologique du Nord en 1960, et président de la Société Géologique de France en 1974. Il a été durant vingt ans, de 1967 à 1988, membre du Conseil supérieur d'hygiène publique de France (section eau) et, pendant quatre ans, de 1983 à 1986, membre du Haut Comité du thermalisme et du climatisme. Il a été chef de travaux pratiques de géologie générale et géologie appliquée à l'Ecole du Génie Rural de 1958 à 1962 (tout en restant attaché au BRGM) et, après son départ à la retraite, de 1985 à 1987, chargé de cours d'hydrologie thermale à la Faculté de médecine de Marseille. En 1983, Jean Ricour est nommé Officier dans l'Ordre National du Mérite par François Mitterrand. Consultant indépendant après 1985, il est chargé, en France et à l'étranger, d'expertiser et de mener à bien des projets dans le domaine de l'aménagement des eaux et plus particulièrement des eaux minérales. En 1996, il est le premier lauréat du prix Castany de l'Association internationale des hydrogéologues. En 2001 il effectue, pour la Société des eaux de Marseille, un audit sur l'alimentation en eau souterraine de la ville d'Alger.
Jean Ricour est décédé paisiblement à Leucate le 14 octobre 2019 à l'âge de quatre-vingt-dix-huit ans.
Remerciements. — La présente notice a été rédigée en grande partie à partir de documents transmis par Jean Ricour lui-même en 2013 ainsi que par Mme Madeleine Ricour Bonnet, sa fille, que nous remercions chaleureusement.