Notions de géochimie sédimentaire en milieu marin

DOI : 10.54563/asgn.2657

Abstracts

Ce document à but pédagogique propose une approche de la compréhension du milieu sédimentaire marin reposant sur la géochimie des sédiments. Cette géochimie ne peut pas être utilement présentée si elle n’est pas couplée à toute la dynamique des sédiments, qu’ils viennent des terres émergées ou qu’ils soient produits in situ par les organismes ou l’authigenèse, qu’ils soient simplement hérités ou qu’ils soient le (sous-) produit d’une activité microbienne, qu’ils aient connu des conditions oxydantes ou réductrices, … On verra ainsi comment une lecture chimique des sédiments, couplée à l’examen de bien d’autres paramètres, permet de reconstruire les paléo-environnements.

This educational document proposes an approach to understand the marine sedimentary environment based on sediment geochemistry. This geochemistry cannot be usefully presented if it is not coupled with all the dynamics of sediments, whether they come from land or are produced in situ by organisms or authigenesis, whether they are simply inherited or are the (by-)product of microbial activity, whether they have experienced oxidizing or reducing conditions, etc. We will thus see how a chemical reading of sediments, coupled with the examination of many other parameters, makes it possible to reconstruct paleo-environments.

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Remerciements : Merci à Mesdames Viviane Bout-Roumazeilles & Armelle Riboulleau, et à Messieurs François Baudin & Mathieu Richir, ainsi qu’à Tom Algeo. Merci à mes collègues du Département des Sciences de la Terre et du Laboratoire d’Océanologie & Géosciences.

1. Approche générale de la composition chimique des sédiments marins

Les sédiments marins collectent des particules minérales ayant trois origines : la fraction terrigène est issue de l'érosion des terres émergées, la fraction biogénique résulte de l'activité des organismes marins qui sécrètent des parties minéralisées, la fraction authigénique résulte de la formation ou de la transformation de particules nées dans la colonne d’eau ou dans le sédiment lui-même au cours de la diagenèse très précoce. Notons rapidement que, sémantiquement, il faudrait employer les termes terrigéniques, biogéniques et authigénique, puisque le suffixe -gène signifie “qui engendre” alors que le suffixe -génique signifie “qui est engendré par”, en l’occurrence, les terres émergées, la vie, la diagenèse précoce. L’usage néanmoins tend à consacrer le suffixe -gène dans les publications en français. À ces particules minérales, s’ajoutent des substances organiques, issues de la matière organique des organismes marins, la coagulation de colloïdes entre eux, formant des particules capables de couler, ou encore de l'agglomération de particules minérales de petite taille, de substances organiques dissoutes colloïdales et d’oxydes et hydroxydes mal cristallisés, on parlera alors de complexe organo-minéraux, voire organo-métalliques. La fraction terrigène des sédiments marins rassemble toutes les particules issues des phénomènes d’altération et érosion des terres émergées, et véhiculées par les fleuves et les vents jusqu’au milieu marin. Ces particules peuvent être qualifiées de “détritiques”. S’y ajoutent, de manière souvent anecdotique, les minéraux apportés par les météorites et, surtout, les micro-météorites qui véhiculent souvent du fer et du nickel. La fraction terrigène contient enfin des particules libérées par l’action des volcans.

1.1. La fraction terrigénique ou détritique

La fraction détritique est faite de minéraux résistant — au moins temporairement — à l’abrasion due au transport par les eaux et à la dissolution pendant celui-ci. Ces particules ne sont donc pas carbonatées (le plus souvent) et on peut considérer que la fraction détritique et, par extension, l’ensemble de la fraction terrigène, est très majoritairement composée d’aluminosilicates. Les minéraux dominants sont le quartz, les feldspaths et les minéraux argileux (principalement illite, kaolinite, chlorite, smectites et interstratifiés illite-smectite). Les proportions de ces minéraux dans les sédiments marins dépendent de nombreux facteurs, parmi eux : la nature minéralogique des apports terrigènes et la la distance par rapport aux sources de particules (embouchures des grands fleuves, vents dominants apportant des particules détritiques très fines). Les carbonates ne résistent pas au transport et sont apportés au milieu marin sous forme dissoute. De ce fait, la fraction terrigène a globalement une composition en éléments chimiques très proche de celle de la partie supérieure de la croute terrestre dont elle est issue en ce qui concerne la plupart des éléments. Les géochimistes ont pris l’habitude de prendre en considération la composition moyenne des argilites déposées en milieu marin et issues du lessivage et de l’érosion des terres émergées. On appelle cette composition moyenne l’average shale (taper ces deux mots sur un moteur de recherche Internet). On montre que l’average shale et la croute supérieure ont une composition chimique similaire sauf pour le lithium et les éléments volatils tels que B, S, C, N, Se, Te, Br, I, As, Cd, In, Sb, Hg, et Bi. Ces éléments, enrichis dans l’average shale par rapport à la croute terrestre sont souvent issus de phénomènes de dégazage magmatique affectant les couches relativement profondes de la lithosphère. L’appauvrissement relatif de l’average shale, en revanche, est contrebalancé par la présence de ces éléments dans les roches carbonatées, les évaporites et l’eau de mer.

1.2. Les fractions produites in situ

Les fractions biogéniques et authigéniques des sédiments marins se forment en réponse à des phénomènes biotiques ou abiotiques, à partir d’éléments chimiques présents dans l’eau de mer. Ces éléments présents sous diverses formes dissoutes sont apportés au milieu marin :

  • par les fleuves qui véhiculent les éléments solubilisés par l’altération (action chimique) des continents,
  • par des échanges gazeux avec l’atmosphère (CO2, O2 notamment),
  • par l’hydrothermalisme sous-marin, principalement au niveau des rides médio-océaniques et des points chauds.

Les organismes marins soustraient à l’eau de mer les éléments dont ils construisent leurs “parties dures” aussi appelées “parties minérales” (squelettes, coquilles, tests, frustules, …) et leurs “parties molles” c’est-à-dire non minéralisées, encore appelées matière organique. Les principales matières minérales d’origine biologique sont d’une part, les carbonates de Ca et Mg (calcite plus ou moins magnésienne et aragonite), et d’autre part, l’opale biogène typique des diatomées (algues unicellulaires) dont le squelette est appelé un frustule, des radiolaires (organismes unicellulaires zooplanctoniques), des silico-flagellés et des éponges siliceuses.

1.2.1. Notions sur les carbonates

Les organismes carbonatés sont plus diversifiés que les organismes siliceux. En milieu pélagique, on rencontre essentiellement des coccolithophoridés (algues unicellulaires phytoplanctoniques) et les foraminifères (unicellulaires zooplanctoniques), en ce qui concerne les organismes calcitiques, et les ptéropodes (sortes de gastéropodes planctoniques) qui sont aragonitiques. Dans les milieux de plate-forme, les “gros” producteurs de calcaire sont les organismes constructeurs comme les coraux sensu lato actuels ou anciens, les stromatoporidés ou les rudistes dans le Passé de la Terre, et les bactéries quand elles sont à l’origine des stromatolites (ou stromatolithes mais l’usage tend à faire disparaitre le h). S’y ajoutent les échinodermes, les bivalves, brachiopodes ou gastéropodes, sans oublier les algues calcaires ou les foraminifères benthiques, parfois capables de construire des récifs quand ils vivent en colonies, mais la liste n’est pas exhaustive. De nouveau, ces organiques sont calcitiques ou aragonitiques. La solubilité du CaCO3 augmente quand la pression augmente et que la température diminue ; en d’autres termes, la solubilité augmente avec la profondeur dans l’océan. Dans les conditions physico-chimiques classiquement rencontrées en milieu océanique, l’aragonite est environ 1,45 fois plus soluble que la calcite, ce qui cantonne l’existence de boues aragonitiques à des profondeurs moindres que celles où l’on peut rencontrer des boues calcitiques. On appelle profondeur de compensation des carbonates la profondeur à laquelle les taux d’apport et de dissolution des particules calcaires issues des eaux de surfaces se compensent, ce qui induit une absence de dépôt de particules carbonatées. La profondeur de compensation de l’aragonite fluctue peu autour de 3 000 m alors que celle de la calcite varie entre 4 000 m et 6 000 m en moyenne dans les océans Atlantique et Pacifique. Entre 20 et 30 % seulement des carbonates produits en surface des océans sont préservés dans les sédiments. Cette soustraction retentit sur l’alcalinité de l’océan et est importante pour comprendre les processus qui contrôlent la pression partielle de CO2 de l’atmosphère. Dans les eaux peu profondes, les coraux et les algues calcaires (par exemple, Halimeda pour citer un genre connu des sédimentologues), et en milieu pélagique, les organismes planctoniques sécrètent essentiellement de la calcite, qui constitue l’essentiel du CaCO3 des sédiments marins. La précipitation directe du CaCO3 dans un milieu sursaturé est rare, probablement parce que de fortes concentrations en magnésium (Mg) dans l’eau de mer bloquent les sites de nucléation en surface des minéraux. La solubilité de la calcite augmente avec la pression pour des raisons thermodynamiques. Elle double pour une augmentation de profondeur de 4 km. Cela s’explique par la comparaison des volumes respectifs de la mole de CaCO3 solide et des moles de Ca2+ et CO32- dissous. Aux pressions que l’on trouve dans les grandes profondeurs de l’océan, la somme des volumes de Ca2+ et CO32- dissous est inférieure au volume de CaCO3 solide et, thermodynamiquement, cela favorise la mise en solution des ions Ca2+ et CO32- à partir du calcaire solide. En général, jusqu’à 1 500 m de profondeur, les teneurs en ions carbonates sont peu différentes dans les divers océans, mais la saturation en carbonate diminuant avec la profondeur et avec l’acidification des eaux par décomposition de matière organique, on observe le long des trajets des masses d’eaux profondes (cf. circulation thermohaline) une diminution progressive de la saturation et une augmentation corrélative de la profondeur de compensation des carbonates (ou CCD pour Carbonate Compensation Depth) au fil de l’eau, ou encore “downstream”. L’horizon limite de saturation se situe à environ 4,5 km de profondeur dans l’Océan Atlantique, 3 km dans l’Océan Indien et il est à une profondeur inférieure à 1 km dans le Pacifique Nord.

 

Bien que de même composition chimique, la calcite (rhomboédrique) et l’aragonite (orthorhombique) n’ont pas les mêmes réseaux cristallins, ce qui conditionne l’incorporation ou la substitution d’éléments chimiques dans les mailles cristallines. Ainsi, le Sr et dans une moindre mesure, le Mg et le Na, peuvent se substituer au Ca dans le réseau cristallin aragonitique. Dans la calcite au contraire, c’est le magnésium qui se substitue le mieux au calcium, devant les ions Sr2+, Na+ et Mn2+. Les calcites peuvent contenir, sous forme de solution solide, c’est-à-dire sans structure cristalline organisée et répétitive, jusqu’à 30 % de Mg en proportions molaires (et non pas pondérales). De nombreux organismes vivant en milieu peu profond sécrètent des calcites magnésiennes. Toutefois, la substitution du Mg au Ca augmente la solubilité de la calcite, ce qui restreint la calcite magnésienne aux environnements peu profonds de la plate-forme. Lorsque la calcite magnésienne est recristallisée au cours des étapes géologiques postérieures au dépôt, on observe une expulsion du Mg hors du réseau cristallin. D’une manière générale, plus les organismes ont un degré d’organisation complexe, moins ils contiennent de Sr dans leurs parties minéralisées.

Considérons un sédiment pélagique initialement fait de 90 % de carbonate de calcium (CaCO3) et 10 % de particules terrigéniques. Si la moitié du CaCO3 disparait par dissolution, il reste 45 % de carbonate par rapport au stock initial et la teneur en CaCO3 du sédiment qui se dépose devient : [45 / (45 + 10)] x 100, soit 82 %. En d’autres termes, même si l’on perd la moitié du stock de CaCO3 par dissolution pendant la sédimentation, les teneurs en carbonate du sédiment sont peu différentes de ce qu’elles pourraient être (90 contre 82 %) et cette perte peut passer inaperçue, noyée dans la barre d’erreur de l’analyse, par exemple. Par conséquent, retenons que la mesure du CaCO3 d’un sédiment ou d’une roche sédimentaire ne renseigne pas sur l’intensité de la perte en calcaire subie au cours de la chute à travers la colonne d’eau.

1.2.2. Notion sur les silices biogéniques

Les organismes planctoniques siliceux sécrètent des parties dures en opale A, c’est-à-dire une silice riche en eau et relativement poreuse (SiO2(H2O)n). L’opale biogénique est fortement soluble et l’eau de mer, toujours sous-saturée en silice dissoute, est très agressive vis-à-vis des frustules de diatomées ou des squelettes de radiolaires, si bien plus de la moitié de l’opale formée en surface est dissoute dans les 100 premiers mètres de la colonne d’eau et quelques pourcents seulement de l’opale sécrétée dans les eaux de surface parviennent à se déposer au fond des mers.

La silice biogénique n’est guère le siège de substitution du Si. Cependant le germanium (Ge), voisin du Si à l’étage inférieur du tableau de classification périodique des éléments chimiques, a des propriétés très proches de celles du Si et peut se substituer à lui en de faibles proportions dans les squelettes siliceux. Par exemple, dans les frustules de diatomées, Ge et Si sont incorporés à peu près dans les mêmes proportions que celles observées dans l’eau de mer. En d’autres termes, le rapport Ge/Si des diatomées est très proche de celui de l’eau de mer. Le Ge présent sous forme dissoute dans l’eau de mer est apporté par le lessivage des terres émergées et par les apports hydrothermaux. Ces deux sources peuvent fluctuer en intensité au cours du temps. Les travaux de P. Froelich et ses collaborateurs ont montré qu’au cours du Quaternaire, les frustules de diatomées avaient enregistré des variations du rapport Ge/Si calquées sur les cycles climatiques glaciaire-interglaciaire. Puisque le rapport Ge/Si des diatomées reflète celui de l’eau de mer dans laquelle les diatomées ont vécu, cela signifie que l’eau de mer elle-même a vu fluctuer l’abondance relative du Ge à un rythme climatique. Comme il est peu vraisemblable que l’activité hydrothermale obéisse à un tel rythme, il est probable que des fluctuations des apports continentaux soient responsables des fluctuations des teneurs en Ge de l’eau de mer. Cela a permis de mettre en évidence que les terres émergées étaient plus ou moins intensément lessivées en périodes interglaciaires ou glaciaires.

La productivité biologique a un rôle essentiel de créatrice de particules sédimentaires. Elle est donc un moteur de la sédimentation. On voit cependant que, globalement, la géochimie des particules biogéniques elles-mêmes est assez simple même si on peut en déduire des indications sur les conditions de milieu ou les sources d’éléments chimiques. En outre, la productivité joue un rôle essentiel dans le milieu sédimentaire par la création de matière organique, qui va retentir de manière complexe sur la géochimie des sédiments marins. La matière organique qui compte en milieu marin d’un point de vue quantitatif est celle d’origine planctonique — et même surtout phytoplanctonique et bactérienne. Les géologues connaissent surtout les algues qui ont des parties dures qui seront autant de particules sédimentaires mais n’oublions pas qu’une majeure partie du phytoplancton est représentée par des organismes non minéralisés, ne comptant que des parties molles organiques. Il faut prendre en considération la biomasse énorme et incomplètement quantifiée des bactéries, voire des virus dont on ne mesure pas actuellement l'importance quantitative, et que l’on regroupe sous les termes de nanoplancton ou picoplancton. Cette biomasse est principalement synthétisée dans la zone photique de l’océan, puisqu’elle est surtout le fait de phytoplancton et de cyanobactéries, procaryotes et eucaryotes photosynthétiques, respectivement.

1.3. L’authigenèse

Ce phénomène est aussi appelé néoformation, et ce second terme est peut-être plus explicite que le premier dans la mesure où il fait bien comprendre qu’il s’agit de l’apparition de nouvelles phases minérales, parfois bien cristallisées, à partir des éléments chimiques présents dans l’eau de mer ou dans les phases interstitielles des sédiments. La glauconie, aluminosilicate bien connu des sédimentologues, illustre bien ce phénomène d’authigenèse où des minéraux de type argileux peuvent se former “spontanément” par incorporation d’Al, Si, Fe, K, etc., initialement contenus dans l’eau de mer. On appelle parfois ce phénomène l’altération inverse, surtout chez les auteurs anglophones (reverse weathering). D’une manière plus discrète que la glauconie bien visible, mais quantitativement beaucoup plus significative, de nombreux minéraux argileux se forment en milieu marin par authigenèse. Ces réactions sont possibles grâce à la présence d’acides silicique (H4SiO4 aussi noté Si(OH)4) né de la dissolution des frustules et squelettes d’opale biogénique ou apporté par les fleuves après hydrolyse des silicates continentaux. Des observations in situ dans le delta de l’Amazone et en laboratoire ont montré que se produisaient en quelques mois des minéraux qui sont le plus souvent des phyllosilicates mais qui comprennent aussi des tectosilicates (des feldspaths). Ces minéraux authigéniques se forment souvent à partir d’un noyau fait de phyllosilicate dégradé :

H4SiO4 + minéraux argileux dégradés issus de l’altération continentale + HCO3- + Mg2+ + K+ donne minéral argileux riche en fer + CO2 + H2O. Ces minéraux argileux sont souvent de la smectite ou des zéolithes, mais peuvent aussi être des tectosilicates, comme des feldspaths. Cela confirme ce qu’on appelle l’hypothèse de Mackenzie et gares (1966) selon laquelle il y a un besoin théorique d’une telle réaction pour pouvoir expliquer le piégeage important des ions HCO3- + Mg2+ + K+ apportés en grandes quantités par les fleuves. En effet, sans ce piégeage authigénique, au sein de la colonne d’eau, les apports accéderaient les départs et l’océan mondial verrait augmenter au cours du temps les teneurs en HCO3- + Mg2+ + K+, ce qui n’est pas le cas. La formation authigénique d’aluminosilicates n’est pas un phénomène anecdotique, elle participe au maintien de l’équilibre de la composition chimique de l’eau de mer qui, sans elle, verrait augmenter la teneur en Mg2+, K+ et HCO3-. Cette authigenèse se produit là où les fleuves et les vents peuvent apporter des argiles dégradées à l’océan. Des aluminosilicates se forment également à la surface des frustules de diatomées en cours de dissolution et à partir de cendres volcaniques vitreuses (appelées verres volcaniques) promptes à se transformer en smectites dans l’eau de mer.

La pyrite sédimentaire (il en existe aussi de l’hydrothermale) est également un minéral authigénique puisque le fer et le soufre qui se combinent et donnent la pyrite sont libérés sous forme réactive par l’activité des bactéries.

Les substances authigéniques ne sont pas toujours bien cristallisées, il peut s’agir d’oxydes insolubles qui seront incorporés à des structures minérales cristallisées au cours de la diagenèse plus ou moins tardive. L’authigenèse se fait toujours à partir d’éléments chimiques présents dans les fluides ambiants. Les substances authigéniques sont donc le reflet plus ou moins fidèle de la composition de ces fluides “nourriciers”. Les minéraux authigéniques sont donc porteurs d’indications paléo-environnementales, ils véhiculent une mémoire — parfois déformée — des conditions de dépôt ou des conditions qui ont immédiatement suivi le dépôt. Nous verrons plus loin comment les éléments chimiques peuvent être utilisés pour reconstituer les paléo-conditions redox. À partir de ces généralités émaillées de quelques exemples succincts, et avant de rentrer dans le détail des choses, il importe de remarquer que de nombreux phénomènes géochimiques se nourrissent des éléments présents dans l’eau de mer sous forme dissoute. Cela est particulièrement vrai pour les fractions biogéniques et authigéniques des sédiments marins. Attardons-nous donc sur la composition de l’eau de mer.

1.4. Les éléments présents dans l’eau de mer

L’eau de mer contient des éléments capables de demeurer, au moins un certain temps, sous forme dissoute. Cette évidence recouvre plusieurs cas de figures. L’eau est un excellent solvant naturel (cela tient aux propriétés de la liaison hydrogène) pour peu qu’elle ait le temps d’agir, ce qui est souvent le cas à l’échelle géologique. De ce fait, l’eau de mer contient énormément d’éléments en solution en des teneurs très contrastées en fonction de la solubilité des éléments et de ce qu’il leur advient, une fois qu’ils sont dans le milieu marin (Tableau XX). La gamme de concentrations des éléments chimiques présents dans l’eau de mer recouvre 15 ordres de grandeur, allant de l’ion sodium Na+, le cation le plus abondant avec une concentration proche de 0,5 mol/kg, jusqu’à l’iridium avec une concentration de 0,5.10-15 mol/kg. Pour l’eau de mer, la limite entre éléments majeurs et éléments traces est fixée à 10 µmol/kg. Les éléments traces présents dans l’eau de mer peuvent être à l’état de cations mono-, di- ou trivalents comme Na+, Zn2+, ou alors, pour des éléments ayant des degrés d’oxydation plus élevés, à l’état d’oxo-cations (ou oxy-cations) comme UO22+, ou d’oxo-anions (oxy-anions) comme MoO42-. Les espèces cationiques peuvent donner des complexes en se liant à une variété de ligands organiques ou minéraux ; par exemple, UO22+ se combine aux ions carbonates et donne le complexe UO22+(CO3)34-. En dehors des éléments chimiques volatils, échangeables directement entre l’océan et l’atmosphère (C, N, S, I, …), les éléments chimiques présents dans l’eau de mer sont issus du lessivage des terres émergées, des réactions d’altération des roches éruptives sous-marines fraîchement émises (on parle d’halmyrolyse) et d’apports par des fluides hydrothermaux.

1.4.1. L’altération continentale

L’eau de pluie peut solubiliser les roches dites “solubles” comme les évaporites et les calcaires ; dans ce second cas, une eau contenant des acides comme l’acide carbonique né de la combinaison de CO2 et H2O sera plus efficace. Il n’y a pas assez de CO2 atmosphérique pour acidifier significativement l’eau de pluie : l’eau se charge en CO2 dans les sols, là où les (micro-) organismes décomposent la matière organique et reminéralise le carbone organique. La solubilité des évaporites et des calcaires fait que les fleuves sont capables d’apporter aux mers les éléments contenus dans les minéraux de ces roches, Ca2+, Mg2+, Na+, HCO3-, Cl-, … Ces éléments seront plus ou moins abondants dans l’eau de lessivage selon la nature lithologique et minéralogique du bassin-versant alimentant les cours d’eau.

Dans le cas de la dissolution des roches, ce qui part en solution a la même composition chimique que celle de ce qui reste à l’état solide : si l’eau de pluie ruisselle sur de la halite de composition NaCl, il partira en solution des ions Na+ et Cl- et ce qui n’aura pas été dissous aura toujours la même composition NaCl. Dans le cas des calcaires (CaCO3), il part en solution Ca2+ et HCO3-, et ce qui reste est encore du CaCO3.

CaCO3 + H2O + CO2  Ca2+ + 2 HCO3-

Il n’en va pas de même dans le cas de l’hydrolyse, qui est une seconde forme d’attaque des minéraux par l’eau. Le détail de l’hydrolyse figure dans de nombreux ouvrages, nous nous contenterons de n’évoquer ici que ce dont nous aurons besoin dans ce texte. En surface des minéraux constitutifs des roches, certains éléments chimiques, en présence d’eau, auront plus d’affinité chimique pour tout ou partie de la molécule H2O (H2O ou OH-) que pour la charpente cristalline à laquelle ils appartiennent. Autrement dit, certains éléments chimiques créeront une liaison chimique plus forte avec la molécule d’eau que celle qui les lie aux autres éléments du réseau cristallin. Ces éléments quitteront donc le cristal et partiront en solution. Tous les éléments n’ont pas le même comportement, en fonction des forces respectives des liaisons qu’ils lieront avec le réseau cristallin d’une part, et la molécule d’eau, d’autre part. Cette affinité pour l’eau est conditionnée par le rayon ionique de l’élément et son numéro atomique ; elle est résumée dans ce qui est communément appelé le diagramme de Goldschmidt (taper ce groupe de mots sur un moteur de recherche Internet). On retiendra que les éléments constituant les réseaux fondamentaux que sont les tétraèdres et octaèdres des aluminosilicates, c’est-à-dire Al3+, Si4+ et Fe3+ sont plus difficilement hydrolysés que les autres éléments majeurs (Na+, Mg2+, Ca2+, Fe2+, K+, Mn2+ pour les plus aisément captés par l’eau). En outre, les éléments seront plus ou moins abondants en solution selon la lithologie dominante du bassin-versant du cours d’eau étudié. Les rivières drainant des régions où affleurent des évaporites seront plus chargées en sels que celles drainant les massifs cristallins des Aiguilles Rouges. On peut s’amuser à comparer les étiquettes des bouteilles d’eau minérale du commerce pour se convaincre du rôle joué par la lithologie des bassins-versants.

Attention, à la lecture du diagramme de Goldschmidt, de ne pas conclure hâtivement qu’on ne trouvera pas Al et Si en solution dans les eaux des cours d’eau. En effet, si les précipitations altèrent un massif encore peu ou pas dégradé, les eaux de ruissellement contiendront naturellement plus de Ca ou de Mg que de Si ou d’Al. En revanche, si l’hydrolyse concerne un bouclier ou un massif très ancien et très altéré, les eaux contiendront relativement peu de Ca et de Mg, car l’essentiel de ces deux éléments aura déjà été ôté au cours du temps et, par défaut, les eaux de ruissellement apparaîtront enrichies en Al, Si, Fe car c’est là tout ce que les roches très altérées pourront libérer. En poussant le raisonnement à l’extrême, ne demandons pas à une bauxite de libérer autre chose que Al3+. Bien sûr l’intensité de la dissolution et de l’hydrolyse sera conditionnée par les conditions climatiques : un climat humide (il faut de l’eau pour qu’il y ait réaction chimique) et chaud (la cinétique chimique est accélérée par la chaleur) sera beaucoup plus agressif qu’un climat sec et froid.

Par ailleurs, nous avons vu que les minéraux étaient attaqués par l’extérieur, par leur surface, c’est-à-dire là où se fait le contact avec l’eau. L’attaque sera d’autant plus efficace que les minéraux offriront plus de surface par rapport à leur volume ou leur masse. On appelle “surface spécifique” le rapport surface/masse d’un solide. Plus un solide est de petite taille (et de petite masse), plus sa surface spécifique sera grande. Les petites particules seront donc plus vite altérées que les grandes, pour une composition chimique identique. On comprend donc que l’érosion, en fragmentant les roches et augmentant donc la surface spécifique des particules, favorise significativement l’altération chimique. Un granite réduit en poudre par l’érosion glaciaire libérera beaucoup plus de cations solubles qu’un granite identique situé dans une région non glaciaire.

L’altération continentale apporte donc à l’océan à peu près tous les éléments chimiques, y compris bien sûr tous ceux indispensables au métabolisme des organismes marins, comme le fer et le phosphore pour les éléments majeurs et le molybdène (Mo) pour les éléments traces. Les fleuves stimulent donc la productivité biologique des océans qu’ils contribuent à fertiliser, principalement sur les plates-formes. Les fleuves véhiculent souvent les éléments chimiques sous forme de complexes avec la matière organique particulaire transportée. Ces complexes organo-métalliques sont notamment des véhicules pour le fer à l’état réduit : ces micro-environnements réducteurs vont conserver le fer à l’état Fe2+ en milieu marin. Comme le milieu marin est globalement oxydant actuellement, le fer dissous, s’il n’est pas engagé dans ces complexes organo-métalliques, aura tendance à être oxydé à l’état Fe3+ et il formera des oxydes et hydroxydes très peu solubles qui ne pourront pas se maintenir dans la colonne d’eau et seront transférés aux sédiments. Or, tous les organismes ont besoin de fer pour leur métabolisme et le milieu marin se trouve souvent “carencé” en fer puisque celui-ci ne peut guère être maintenu à l’état soluble. On mesure donc l’importance des complexes organo-métalliques, source indispensable de fer pour l’océan.

Les terres émergées peuvent également exporter des éléments nutritifs, principalement du fer, de nouveau, sous forme adsorbée à la surface des minéraux argileux nés de l’hydrolyse des silicates. Ces minéraux d’altération peuvent être apportés à l’océan par les fleuves et par les vents. Dans ce second cas, les minéraux peuvent aller très loin et fertiliser l’océan bien au-delà des plates-formes. Ce phénomène de transport de nutriments est fondamental pour la vie marine. Les zones pourvoyeuses de particules que les vents peuvent prendre en charge sont avant tout les déserts. L’absence de couvert végétal favorise la déflation, et la sécheresse des sols ne permet pas de maintenir sur place les particules fines, alors que la cohésion de ces dernières est forte dans les sols humides. On constate donc que les déserts, aidés par les vents, favorisent grandement la vie marine, jusqu’à des distances importantes des côtes.

1.4.2. Hydrothermalisme et halmyrolyse

La circulation hydrothermale est un mouvement de l’eau de mer se produisant au niveau des rides médio-océaniques (et de façon plus localisée, au niveau des volcans de point chaud). L’eau de mer s’infiltre le long des fractures affectant le plancher océanique et percole en profondeur. Elle est progressivement chauffée à des températures pouvant atteindre (et parfois même dépasser) 400 °C. De telles températures facilitent et accélèrent les réactions chimiques entre eau de mer et roches. Des échanges ont lieu entre ces deux milieux. L’eau de mer, ainsi chauffée et devenue ce qu’on nomme un fluide hydrothermal, voit sa “flottabilité” augmenter fortement et tend à regagner la colonne d’eau de mer (par des sortes de courants de convection). Ces fluides hydrothermaux débouchent dans l’eau libre de l’océan au niveau d’évents bien circonscrits ou de suintements plus diffus.

La circulation hydrothermale permet le transfert d’énergie (chaleur) de l’intérieur de la Terre vers l’hydrosphère. Elle fut conceptualisée par les chercheurs dès que les rides médio-océaniques furent reconnues et elle fut mise en évidence dans la Mer Rouge dans les années 60 quand des recherches révélèrent que les bassins profonds de cette mer (qui est en fait un jeune océan en cours de rifting) étaient remplis d’eaux chaudes (40 °C - 60 °C) et salées, et étaient tapissés d’épaisses couches de sédiments riches en métaux. De nombreuses autres découvertes vinrent confirmer ces observations dans les différents océans. En particulier, la circulation hydrothermale est directement visualisée au niveau des “fumeurs noirs” observés grâce aux bathyscaphes capables d’atteindre de grandes profondeurs, et qui jalonnent les rides océaniques. Il s’agit de structures minéralisées columnaires qui coiffent les évents hydrothermaux. De ces véritables cheminées débouchent les fluides hydrothermaux qui réagissent avec l’eau de mer beaucoup plus froide qu’eux (< 10 °C) et précipitent des sulfures et des oxydes métalliques noirs. Ces minéraux participent à la croissance de la cheminée et se répandent en panaches dans l’eau de mer. À ces fumeurs noirs spectaculaires s’ajoutent des échappements de fluides hydrothermaux diffus plus discrets mais quantitativement plus significatifs. La circulation hydrothermale peut continuer dans le plancher océanique pendant des millions d’années après l’émission de celui-ci par les dorsales médio-océaniques. L’impact géochimique de la circulation hydrothermale est proportionnel à la température des fluides et est significatif surtout au niveau des dorsales. Les panaches émis par les évents hydrothermaux peuvent avoir un impact au-delà de leur zone d’émission, sur quelques kilomètres, exceptionnellement plus.

De façon plus précise, voyons comment l’activité hydrothermale peut retentir sur le chimisme de l’océan et les sédiments concernés. L’eau de mer pénètre dans les dorsales le long des nombreuses fractures qui les affectent. Toutes les dorsales sont concernées, si bien qu’au total, un volume extrêmement important d’eau de mer est affecté. On estime qu’un volume d’eau équivalent au volume total de l’océan mondial transite ainsi dans la circulation hydrothermale en quelques milliers d’années. Ce n’est donc pas un phénomène à négliger.

L’eau de mer percolant dans des zones de plus en plus profondes va être de plus en plus chaude et va réagir avec les roches et les gaz volcaniques. Au cours de ces réactions entre fluides et roches, des espèces chimiques vont être gagnées et perdues par les fluides. Essentiellement, l’eau de mer va perdre son magnésium et ses ions sulfates pendant que son pH diminue fortement. Elle va simultanément s’enrichir en silice, fer et manganèse dissous. La forte température provoque la précipitation d’anhydrite CaSO4 à partir de l’eau de mer percolante ; une partie des ions sulfates sont réduits en sulfures. Le magnésium est perdu au profit de la formation de silicates magnésiens (smectite, chlorite), ce qui s’accompagne de la libération de protons H+ et fait baisser le pH. De plus, le sodium peut être perdu par les fluides au cours de réactions d’albitisation, avec échanges de Na et de Ca. Il y a donc une forte altération de la croûte océanique au niveau des dorsales.

Enfin, l’eau de mer percolante va s’enrichir en gaz dissous, gaz nobles, H2S, CH4, CO2. Elle va finalement être expulsée du système hydrothermal quand elle aura atteint une température telle qu’elle sera moins dense que les autres fluides (350 °C - 400 °C). La composition précise des fluides ainsi expulsés sera conditionnée par plusieurs facteurs que nous citerons sans rentrer dans le détail : la nature pétrographique des roches des dorsales, la température et la pression, le taux d’expansion des dorsales (rapides ou lentes), le mode d’échappement des fluides, canalisés en évents ou plus diffus… Notons que certains de ces facteurs sont susceptibles d’évoluer au cours du temps. Lorsque les fluides sont expulsés, ils sont mélangés à de l’eau de mer, beaucoup plus froide et plus alcaline et qui plus est, peuplée de bactéries. Une série de phénomènes va alors se produire. Il faudra distinguer ce qui arrive aux espèces chimiques contenues dans les fluides hydrothermaux, qui, globalement, précipitent, et ce que cette précipitation peut elle-même entraîner, aux dépens de l’eau de mer environnante. Au débouché des évents, la chute de température des fluides et l’augmentation de l’alcalinité ne vont pas mettre le maintien en solution de nombreuses espèces dans le panache des fluides hydrothermaux qui va se disperser relativement rapidement dans l’eau de mer. Au sortir immédiat, des sulfures métalliques vont précipiter rapidement (pyrite, pyrrhotite, sphalérite, marcassite, chalcopyrite) accompagnés de silice et de quelques sulfates (anhydrite et barytine). Ces minéraux construisent les cheminées des fumeurs noirs ou des concrétions au fond de l’océan. Au-dessus du fond s’élève le panache de dimensions variables selon les caractéristiques propres de chaque site. Le panache est relativement rapidement dispersé dans l’eau de mer, après un trajet de quelques mètres à quelques kilomètres, rarement plus. Le panache va libérer des gaz nobles dans l’eau de mer et des gaz réduits, H2S, CH4, CO2. Le sulfure d’hydrogène, de loin le plus abondant, va évoluer rapidement, donnant naissance à des sulfures métalliques, qui vont se déposer sans délai, ou alors va s’oxyder en sulfate. Une précipitation de barytine (BaSO4) se produit donc, parfois accompagnée de silice amorphe. Les deux métaux les plus enrichis dans les fluides hydrothermaux sont le fer et le manganèse, libérés sous forme réduite Fe2+ et Mn2+. L’essentiel de ce fer (90 %) va être piégé dans les sulfures qui se forment dans le panache, si bien que le fer ne va très loin des évents sous-marins. Au contraire, le manganèse qui ne forme pas facilement de sulfures et qui a une cinétique d’oxydation lente par rapport à celle du fer pourra rester plus longtemps en solution. Le fer non-engagé dans les sulfures et le manganèse pourront, une fois oxydés dans l’eau de mer, donner des oxydes et hydroxydes très peu solubles qui chuteront au fond de la colonne d’eau. Selon les conditions locales, le fer sera éliminé du panache en quelques minutes à quelques heures. Ces sulfures de fer évoqués ci-dessus peuvent incorporer par co-précipitation ou adsorption d’autres éléments dissous dans l’eau (parfois nommés chalcophiles) comme Cu, Zn et Pb. Le rapport entre ces trois éléments et le fer des sulfures diminue au fur et à mesure que le panache s’éloigne des évents, ce qui indique que ces éléments sont libérés par les fluides hydrothermaux. Par ailleurs, on observe l’incorporation dans les sulfures d’éléments comme K, P, V, Cr, As, Mo et U mais dans des proportions constantes par rapport au fer, quelle que soit la distance parcourue par le panache. Cela indique que ces éléments sont soustraits à l’eau de mer dans laquelle se répand le panache. Ces éléments sont ordinairement présents sous forme d’oxo-anions conservatifs stables dans l’eau de mer et ne sont en général pas enrichis dans les fluides hydrothermaux. Enfin, les oxyhydroxydes de fer peuvent attirer à eux des éléments de l’eau de mer qui ont tendance à s’adsorber rapidement à la surface des particules (les Anglo-saxons les disent “particle-reactive”). Il s’agit notamment des Terres Rares, et de beryllium, yttrium, thorium, protactinium. Dans ce dernier cas de figure, ce piégeage par les particules de fer capture beaucoup plus de ces éléments que n’en apportent les fluides hydrothermaux. Les panaches sont donc des pièges à Terres rares, Be, Y, Th, Pr pour l’eau de mer alors que les fluides en contiennent initialement dans des proportions importantes, ce qui aurait pu faire croire que les fluides hydrothermaux seraient une source en ces éléments pour l’océan.

D’une manière plus générale, pour de nombreux éléments, la quantité prélevée à l’eau de mer par les différentes phases qui précipitent à partir des panaches (sulfures, sulfates, oxydes, hydroxydes, …) est très importante et ce d’autant plus que des volumes considérables d’eau de mer sont mis en jeu dans les fluides hydrothermaux, comme on l’a dit plus haut. Au total, ce qui est ainsi soustrait à l’eau de mer est comparable (au moins non négligeable) par rapport à ce que les fleuves apportent à l’océan (Tableau). L’hydrothermalisme participe donc efficacement à l’équilibre des teneurs des éléments présents sous forme dissoute dans l’océan.

Enfin, les substances émises par l’hydrothermalisme vont pouvoir “nourrir” une productivité au fond de l’océan. Les émanations de méthane et d’hydrogène dans les panaches vont servir de substrat minéral pour une production primaire d’organismes procaryotes chémo-litho-autotrophes (ou chimio-litho-autotrophes). Il s’agit surtout d’archaea (à plus de 60 %) et de bactéries, alors que les bactéries à elles-seules dominent largement dans l’eau de mer normale. Cette production primaire va à son tour nourrir une production secondaire d’organismes hétérotrophes qui consomment cette biomasse microbienne. Selon l’expression répandue, on parle “d’oasis de vie” associées aux évents hydrothermaux. Cette activité microbienne aura un impact géochimique, en particulier via les bactéries tirant leur énergie de la réduction des oxydes de Mn. Le manganèse dissous sera ainsi consommé rapidement (en moins d’une semaine ou en quelques années, selon les sites, ce qui laisse plus de temps que la précipitation du fer des panaches).

Enfin, l’extension des panaches et donc la surface des fonds océaniques concernés par les retombées des panaches sont très modestes pour ne pas dire anecdotiques par rapport à la surface totale des fonds océaniques et au volume de l’eau de mer. Plusieurs facteurs interviennent dans la dispersion et la dilution des panaches, et, de nouveau, chaque site est particulier : la topographie des fonds marins au niveau des dorsales, la présence de courants marins profonds, les contrastes de température, la chimie des masses d’eau joueront un rôle. Disons de manière simplifiée pour fixer les idées, que les panaches s’élèvent de quelques centaines de mètres au-dessus des évents et que les distances horizontales par rapport aux évents sur lesquelles on retrouvera une trace significative de retombées à partir des panaches (“saupoudrage” de sulfures, sulfates, oxydes et hydroxydes) seront souvent très inférieures à 10 km ; il y a bien sûr quelques exceptions.

Pour conclure, le monde hydrothermal est très imparfaitement connu car il fut longtemps inaccessible avant que les progrès technologiques ne permettent observations et mesures directes. La vision et la compréhension que nous en avons ne sont peut-être que partielles et les travaux continuent d’avancer (relativement lentement, compte tenu des difficultés techniques et des sommes à investir dans de telles recherches). Les points qui paraissent être importants en ce qui concerne la géochimie marine sont les suivants. L’hydrothermalisme n’est une source significative, quantitativement, que pour le calcium et le manganèse ; en revanche c’est un piège pour le magnésium. L’impact, en surface de plancher océanique concerné, peut sembler dérisoire, mais l’impact sur le chimisme océanique est considérable, même s’il est discret. De par les volumes d’eau de mer concernés par la circulation hydrothermale, l’hydrothermalisme participe activement à la stabilité de la composition chimique de l’océan mondial, grâce au fait que les réactions chimiques se produisant au sein des panaches retirent des proportions importantes de certains éléments dissous au regard de ce qu’apportent les fleuves. Les sédiments dits “hydrothermaux”, c’est-à-dire dont le chimisme est influencé par les panaches, sont porteurs de messages paléo-océaniques mais ils ne sont guère fréquemment retrouvés dans l’enregistrement sédimentaire à l’échelle des temps géologiques. Enfin, précisons que nous sommes allés ici à l’essentiel de ce qui nous paraît important à savoir en ce qui relève des relations entre hydrothermalisme et géochimie sédimentaire ; il y a beaucoup plus à dire).

1.5. Notions de cycles et de temps de résidence

Si on est capable de donner la composition chimique de l’eau de mer, c’est que celle-ci a une certaine stabilité dans le temps, à condition de ne pas prendre en compte des durées trop longues à l’échelle géologique. Les apports des éléments vus précédemment sont donc compensés par une soustraction à partir de l’eau de mer. Cette soustraction est notamment le fait de la sédimentation des particules biogéniques (et la matière organique marine) et de l’authigenèse (avec le rôle local joué par les phénomènes hydrothermaux).

Certains éléments chimiques sont assez peu affectés par les phénomènes classiques se produisant dans l’eau de mer. À l’image du chlore ionique Cl-, ces éléments ne sont pas incorporés de façon sensible dans les tests et squelettes minéralisés ou dans la matière organique ou encore dans les minéraux authigéniques. De tels éléments sont dits “conservatifs” (anglicisme). Ces éléments, en fait, peuvent très bien être incorporés par les organismes dans des cycles de créations et destructions de particules (avec compensations entre prélèvement et libération) mais de façon négligeable par rapport à leur forte concentration dans l’eau de mer. Par exemple, le Mo est présent dans l’eau de mer à une concentration proche de 105 nmol/kg sous forme d’oxo-anion molybdate (MoO42-). Le Mo est nécessaire aux organismes planctoniques car c’est un co-facteur métallique de nombreuses enzymes, comme la nitrogénase qui permet aux cyanobactéries d’assimiler l’azote moléculaire N2. Le Mo est donc incorporé à la biomasse phytoplanctonique s.l. des eaux de la zone photique. Cependant cette capture de Mo est très faible devant la grande abondance de Mo dissous et n’a guère d’impact sur la distribution du Mo dans la colonne d’eau. Le Mo est rangé parmi les éléments conservatifs, où figurent également Sb, Re, W, Cs, Rb, parmi d’autres encore. Enfin, les éléments conservatifs peuvent être des marqueurs des conditions redox très intéressants et utiles comme nous le verrons plus loin.

D’autres éléments sont incorporés de façon sensible dans les matières organiques et/ou minérales bio-synthétisées dans les eaux de la zone photique. Ils sont donc prélevés à l’eau de mer qui s’en trouve appauvrie. Lorsque les organismes meurent et chutent dans la colonne d’eau, leur matière organique se décompose. Ceci est encore plus vrai à l’interface eau-sédiment où les décomposeurs (surtout les bactéries) reminéralisent les substances organiques de façon prolongée. Les éléments chimiques sont alors libérés de la matière organique en cours de destruction et sont rendus aux eaux de fond, qui se trouvent relativement enrichies en ces éléments, ce qui leur confère une distribution typique dans la colonne d’eau.

Les éléments qui obéissent à ce comportement sont typiquement les éléments nutritifs (ou nutriments), comme les éléments essentiels P et N sous forme de phosphate et de nitrate, respectivement. On peut ajouter des éléments traces qui ont un rôle biologique comme le zinc (Zn) ou d’autres encore, comme l’argent (Ag), le baryum (Ba) ou le cadmium (Cd) qui n’ont pas de rôle biologique identifié pour le plancton mais qui sont incorporés passivement à la matière organique synthétisée dans la zone photique. Ces éléments qui ont un comportement de type nutriment sont donc enrichis dans les eaux de fond océaniques. En général, ils n’ont pas tendance à s’adsorber sur les particules qui se sédimentent à travers la colonne d’eau et donc, au fur et à mesure que les eaux de fond se déplacent au gré des courants profonds, elles sont de plus en plus enrichies en ces éléments. Les éléments de type nutriments sont rapportés dans les eaux de surface là où la circulation océanique fait remonter les eaux de fond. Une fois rapportés en surface, ces éléments peuvent être utilisés à nouveau dans la zone photique. C’est un équilibre dynamique qui est mis en place. Cela veut dire qu’aux époques de la Terre où l’océan était mal brassé par les courants profonds, les eaux de surface ne recevaient plus cet apport de nutriments recyclés depuis les eaux de fond, ce qui a pu, à terme, limiter la productivité marine.

Les éléments de type nutriments (les Anglo-saxons disent “nutrient-type” ou “nutrient-like”) peuvent aider à reconstituer la productivité des océans anciens. On utilise pour cela le baryum, le cuivre, le nickel ou le cadmium, comme nous le verrons plus loin. Certains éléments ne séjournent pas longtemps dans l’océan même s’ils peuvent théoriquement s’y maintenir en solution, car ils s’adsorbent aisément à la surface de particules minérales ou organiques et “coulent” avec elles. C’est typiquement le cas de l’aluminium. Cet élément est apporté à l’océan très loin des côtes sous forme de poussières éoliennes très fines qui peuvent se dissoudre partiellement et/ou désorber (le contraire d’adsorber) les éléments chimiques fixés à leur surface, une fois qu’elles sont tombées dans l’eau de mer. Une fois libéré, Al3+ a tendance à s’adsorber sur les particules présentes (souvent des frustules de diatomées) et l’eau de mer se trouve ainsi “nettoyée” de son aluminium (les Anglos-saxons appellent ce nettoyage le “scavenging”, c’est-à-dire l’ébouage, le travail des éboueurs de nos villes).

Le comportement des éléments que nous venons de voir conditionne la durée de la présence des éléments chimiques dans l’eau de mer. On qualifie cette durée avec la notion de temps de résidence. Le temps de résidence est la durée au bout de laquelle un stock initial d’un élément donné a été intégralement renouvelé après incorporation des éléments initialement présents dans les sédiments. Autrement dit, le temps de résidence est le temps statistique maximum qu’un élément fraîchement apporté à l’océan peut passer en solution dans l’eau de mer.

Les éléments dits conservatifs auront logiquement des temps de résidence très longs (> 105 ans), puisqu’ils sont chimiquement stables (imperturbables !) dans l’eau de mer normale. Les éléments comme Al, qui sont “scavengés” (barbarisme ? néologisme ? le lecteur décidera !) rapidement auront bien sûr des temps de résidence très courts, de l’ordre de 100 ou 1 000 ans, c’est-à-dire des temps plus courts que le temps de mélange des océans, qui est supérieur à un millier d’années. Les éléments de type nutriments auront des temps de résidence intermédiaires, de l’ordre de quelques milliers d’années à une centaine de milliers d’années.

Les éléments conservatifs ayant des temps de résidence beaucoup plus longs que celui du mélange des eaux océaniques, ils auront largement le temps d’être homogénéisés à l’échelle de l’ensemble de l’eau de mer qui aura donc une teneur à peu près constante en ces éléments. En revanche, l’homogénéisation n’a pas le temps de se faire pour les éléments rapidement éliminés de la colonne d’eau (scavenging). Les temps de résidence des éléments peuvent être utiles pour retracer des phénomènes majeurs affectant l’océan et, partant, comprendre des mécanismes d’évolution de la planète. Nous pouvons mentionner à titre d’exemple un usage fait de l’aluminium (Al). Loin des côtes et des sources d’apports fluviatiles, l’Al est apporté aux eaux de surface par les poussières éoliennes (c’est-à-dire transportées par les vents). Les zones de l’océan recevant régulièrement ces poussières auront donc des teneurs relativement importants en Al dissous. En revanche, les eaux n’étant pas le long des trajectoires des vents dominants seront moins riches en Al dissous puisque celui-ci ne sera pas apporté par les airs et n’aura pas le temps de “diffuser” et d’être homogénéisé à partir des zones plus riches en Al dissous. La mesure de la concentration en Al dissous des eaux de surface est donc un moyen de connaître les zones de distribution des poussières éoliennes et donc des vents dominants. Ces analyses sont relativement plus faciles à faire et à répéter dans le temps que d’installer des pièges à particules pour collecter les poussières éoliennes. De la même façon, la mesure des teneurs en plomb (Pb), autre élément “scavengé” rapidement, a permis de visualiser l’impact de l’arrêt de l’addition de plomb dans l’essence des voitures, à partir d’un suivi régulier des eaux de surface de l’Atlantique Nord sous les vents dominants survolant les USA.

1.6. Conclusion

Nous avons vu dans cette présentation générale les grands facteurs et mécanismes affectant le milieu marin et conditionnant la composition chimique des sédiments accumulés au fond des mers. Maintenant que le décor est planté, nous pouvons donner des coups de projecteur plus ciblés et plus détaillés sur des points essentiels en expliquant chaque fois comment le sédiment peut, à partir de sa composition chimique, nous révéler le fonctionnement de l’océan dont son dépôt fut contemporain.

2. Interprétation de la composition chimique des sédiments marins

2.1. L’impact du détritisme sur la composition chimique des sédiments marins

Les sédiments marins comportent toujours une part d’acquis et une part d’inné ! L’inné correspond aux particules détritiques (organiques ou minérales), l’acquis est la somme des particules biogéniques marines et des minéraux ou substances authigéniques. Le sédiment marin, ou la roche sédimentaire qui en découle, porte donc des messages sur les conditions de sa mise en place : origine et mode de dépôt des particules terrigéniques, influence du volcanisme, impact de la nature et l’abondance de la production biologique, impact des conditions d’oxygénation des eaux de fond sur l’authigenèse et l’éventuelle accumulation de matière organique, etc., ces messages sont très nombreux mais ne sont pas toujours faciles à identifier et interpréter. Avant d’interpréter un sédiment, quel que soit son âge, en ce qui concerne sa composition chimique, il est indispensable de savoir identifier la part détritique dans l’abondance des éléments chimiques. Par exemple, le vanadium (V) est un marqueur des conditions d’oxydo-réduction (ou redox) des milieux de dépôt, il est enrichi dans les sédiments quand les conditions sont réductrices. Cependant, le V est aussi apporté aux sédiments par les plagioclases détritiques, voire certains organismes marins, les ascidies, dont le milieu interne concentre cet élément dans leur sang, ce qui en faciliterait l’oxygénation. Il est donc capital de savoir faire la part entre les différentes origines du V dans un sédiment avant de se concentrer sur la reconstitution des conditions redox au moment du dépôt. Nous allons nous attarder à comprendre l’impact du détritisme sur la composition chimique des sédiments et roches sédimentaires déposés en milieu marin.

 

Les particules terrigènes sont principalement apportées à l’océan par les fleuves et par les vents (oublions les glaciers des hautes latitudes). Ces deux moyens de transport n’ont pas la même efficacité. Un fluide — eau ou air — ne peut transporter des particules que quand il est animé d’un mouvement et sa capacité de transport — taille des particules et masses totales transportées — est liée à la vitesse du fluide. Les fleuves délivrent des flux particulaires importants aux plates-formes situées près de leur embouchure : les volumes sédimentaires peuvent être considérables et la taille des particules est parfois importante. Très vite, une ségrégation sera opérée par l’énergie du milieu marin en fonction de la taille des particules et seules les particules les plus fines (minéraux argileux) pourront être transportées au-delà des plates-formes continentales et leurs glacis. En revanche, le vent sera capable d’apporter des particules très fines sur des distances parfois considérables mais en quantités modestes. Les parts respectives de ces deux agents de transport s’inversent donc en fonction de la distance aux rivages. Près des côtes, les apports fluviatiles, s’ils sont abondants, vont complètement masquer les apports éoliens, qui sont quantitativement insignifiants en comparaison ; loin des côtes, hors de portée des apports fluviatiles qui seront déjà sédimentés, les apports éoliens, si modestes soient-ils, domineront le flux terrigène. Bien entendu, dans ce second cas, les taux de sédimentation seront très faibles.

Ce schéma sédimentologique sera à nuancer en fonction du contexte climatique et géologique des terres émergées. Par exemple, lorsque des régions arides (donc sans apports fluviatiles) bordent la mer, les vents prendront en charge d’importantes masses de poussières et les apporteront aux plates-formes où elles constitueront la seule source de matériel terrigénique. Si, de plus, ces zones désertiques côtières sont le siège de sebkhas où apparaissent des authigenèses argileuses particulières (sépiolite, attapulgite, …), alors cette source terrigène pourra avoir une géochimie atypique qui retentira sur la composition totale du sédiment. On constate donc que l’impact du détritisme sur la géochimie obéit dans les grandes lignes à des schémas où doit dominer le bon sens du géologue au moment d’interpréter les résultats des analyses. Toutefois, il n’est pas toujours possible de maîtriser la connaissance du contexte “climato-géologique” affectant les terres émergées au moment du dépôt des roches sédimentaires que l’on étudie. Il faut alors de nouveau s’en remettre au bon sens et raisonner à partir de quelques traceurs simples à mettre en œuvre.

Les particules terrigéniques sont, ainsi qu’on l’a dit, quasi-exclusivement faites de quartz et d’aluminosilicates. De plus, pour des raisons de sensibilité à l’hydrolyse, de nombreux minéraux classiques des roches de la croûte continentale n’arrivent guère au milieu marin, ils disparaissent majoritairement pendant le transport fluviatile dès que celui-ci est un peu long. En d’autres mots, le flux terrigène est dominé part trois termes : les minéraux argileux (classiquement riches en Si, Al, Fe, K, Mg, Ca), le quartz (SiO2) et les minéraux “lourds” très peu sensibles à l’altération chimique et donc quasi-inaltérables dans les milieux sédimentaires (zircon, rutile, tourmaline, augite, glaucophane, …). À ce triptyque peuvent s’ajouter des feldspaths en fonction de la nature géologique du bassin-versant drainé par les fleuves qui apportent leur charge sédimentaire à l’océan. Au total, les éléments chimiques majeurs de la fraction clastique des sédiments et roches sédimentaires sont, ordonnés par abondances décroissantes, Si, Al, Fe, Ca, K, Mg, Na, Ti, P Mn (certains ajoutent Ba). Parmi ces éléments beaucoup sont également engagés dans des phases bio- ou authigéniques (tableau). En revanche, certains éléments sont de façon exclusive ou très majoritaire caractéristiques de la seule fraction terrigénique : Si, Al, K, Ti, Th, Zr Rb, et Al et Si en sont les éléments emblématiques. Le silicium (Si) a la particularité d’être apporté en phase “pure” sous forme de quartz SiO2 bien sûr mais aussi sous forme d’opale (silice hydratée SiO2(H2O)n) biogénique sécrétée par les diatomées, les radiolaires et les éponges, principalement. L’élément Si (toujours combiné à l’oxygène dans les milieux natures) n’est pas univoque et c’est pourquoi l’on choisit ordinairement Al comme marqueurs du flux terrigénique et, le plus souvent dans la pratique, comme marqueur du flux de minéraux argileux. Attention toutefois qu’en milieu pélagique se forment des minéraux authigéniques — typiquement des smectites et des zéolithes. Les smectites peuvent donc avoir une double origine terrigénique et authigénique. On peut choisir également le titane comme marqueur des apports clastiques, car Ti est exclusivement véhiculé par les minéraux terrigéniques. Simplement, le Ti est plutôt apporté par les minéraux “lourds” — rutile, ilménite — que par les argiles ; il n’est donc pas directement représentatif de la part dominante des apports terrigéniques qui est le flux argileux.

2.2. L’aluminium, la référence classique

On considère Al comme la référence la plus simple à utiliser. Certains auteurs, c’est plus rare, utilisent le titane (Ti) plutôt que l’aluminium ; les deux approchent sont valables, alors autant utiliser l’aluminium d’un emploi plus généralisé. L’aluminium est présent dans tous les minéraux détritiques classiques (exception faite du quartz), quelle que soit leur taille, et il est en général présent dans la plupart des sédiments comprenant une part clastique. Il est utile et commode de se référer à Al pour interpréter les concentrations des autres éléments chimiques. Pour utiliser les concentrations d'éléments traces afin de reconstituer les conditions paléoenvironnementales, il faut évaluer si elles sont relativement enrichies ou appauvries. De manière générale, le degré d'enrichissement ou d'appauvrissement d'un élément trace dans un échantillon est évalué par rapport à sa concentration dans une référence qui est généralement la croûte terrestre moyenne ou la moyenne des shales (average shale). La plupart du temps, les éléments traces sont utilisés pour les travaux paléoenvironnementaux mettant l'accent sur les sédiments silicoclastiques à grains fins et les roches sédimentaires relativement riches en matière organique, comme les argilites. Les sédiments et les roches sédimentaires peuvent contenir des proportions variables de phases minérales, souvent d'origine biogénique, qui diluent l'abondance des éléments traces d'un échantillon. Les diluants biogéniques les plus courants sont le carbonate de calcium et l'opale. Ainsi, pour pouvoir comparer les proportions d'éléments traces dans des échantillons à teneur variable en carbonate et en opale, il est courant de normaliser les concentrations d'éléments traces par rapport à la teneur en aluminium. Pour la plupart des dépôts sédimentaires, l'aluminium peut être considéré comme un indicateur de la fraction aluminosilicate des sédiments, avec une très faible capacité de déplacement pendant la diagenèse. Pour rendre les résultats de la procédure de normalisation plus faciles à interpréter, il est courant d'utiliser des facteurs d'enrichissement (EF) :

EFélément X = X/Aléchantillon/X/Alréférence.

Si EFX est supérieur à 1, alors l'élément X est enrichi par rapport aux schistes moyens et, si EFX est inférieur à 1, il est appauvri. Bien que la normalisation à l'aluminium soit une méthode attrayante, rapide et facile pour normaliser les données géochimiques afin de les comparer entre différentes entités géologiques, cette méthode présente également certains inconvénients (voire des pièges dans certaines circonstances). Il a été démontré que des variables non corrélées (par exemple, les concentrations de métaux traces) peuvent acquérir des corrélations erronées lorsqu'elles sont normalisées, et que la normalisation peut également augmenter, diminuer, changer le signe ou même brouiller les corrélations entre les variables non modifiées. Cela se produit le plus souvent lorsque le coefficient de variation (c'est-à-dire l'écart type divisé par la moyenne) de la concentration en aluminium est élevé. Ce n’est heureusement que très rarement le cas. En outre, il existe également des cas particuliers où l'aluminium ne doit pas être utilisé pour la normalisation. C'est le cas des sédiments marins dont la fraction détritique est inférieure à 3–5 % et qui présentent un excès relatif d'aluminium par rapport à d'autres éléments détritiques tels que le titane. L'excès d'aluminium peut avoir été collecté sous forme d'hydroxydes recouvrant des particules biogéniques. Une partie de l'excès d'aluminium pourrait également provenir de la formation d'argiles minérales authigéniques. Néanmoins, de tels cas sont assez rares.

Les auteurs ont également montré que la comparaison avec les valeurs moyennes des shales peut soulever certaines complications. Tout d'abord, la composition des shales standards couramment utilisés et, par conséquent, les valeurs de référence des éléments normalisés ne sont pas nécessairement représentatives des sédiments locaux/régionaux de la zone d'étude. Ce fait peut compliquer la comparaison de la composition chimique de formations géologiques qui sont géographiquement et/ou stratigraphiquement quelque peu atypiques. Deuxièmement, les schistes de référence peuvent également inclure une composante diagénétique, conduisant à une sous-estimation systématique des EF pour certains éléments traces. Une analyse plus approfondie de la provenance des schistes de référence est nécessaire. Une approche pour minimiser les biais de normalisation consiste à se concentrer sur la variation stratigraphique des EF ou des concentrations élémentaires normalisées en Al plutôt que sur des valeurs absolues, à condition que le coefficient de variation de l'Al ne soit pas trop élevé, ce qui est généralement le cas des études impliquant un échantillonnage à haute résolution de séquences stratigraphiquement limitées. Pour résumer, la normalisation des concentrations élémentaires en Al est une procédure utile pour examiner le degré d’enrichissement d’un élément dans les sédiments et les roches sédimentaires, mais elle ne peut pas être utilisée seule pour identifier et quantifier les contributions des composants des sédiments autres que la fraction détritique.

2.3. Indices d’altération des terres émergées

La plupart des schémas paléoenvironnementaux et chimiostratigraphiques sont basés sur des éléments et des ratios associés aux changements de provenance, mais il est tout aussi important de prendre en compte des paramètres qui reflètent l'intensité des conditions météorologiques subaériennes, notamment parce que les surfaces d'altération existent souvent immédiatement en dessous des discordances qui peuvent être corrélatives à l'échelle locale, sous-régionale ou régionale.

2.3.1. Indices d'altération impliquant l'utilisation de données sur les éléments majeurs

La plupart des indices d'altération couramment utilisés impliquent l'utilisation de données sur les éléments majeurs, en particulier l'aluminium et les métaux alcalins (Na, Ca, K, Mg). Nesbitt et Young (1982) ont proposé l'indice d'altération chimique (CIA) qui est défini comme suit :

CIA = Al/(Al+Ca*+Na+K)

où Ca* désigne la proportion de Ca concentrée dans la fraction silicoclastique. Les valeurs de ce rapport augmentent avec l'intensité de l'altération subaérienne, avec des roches ignées non altérées et les schistes « moyens » donnent des valeurs de CIA de 50 ou moins et de 70–75 respectivement. En revanche, les argiles résiduelles à forte teneur en kaolinite ou en gibbsite produisent des valeurs de CIA allant jusqu'à 100. La théorie de base derrière cet indice est que Ca, Na et K sont libérés des minéraux hôtes feldspathiques pendant l'altération, provoquant une augmentation « préférentielle » d'Al et du CIA. Un autre ratio couramment utilisé pour mesurer l'intensité de l'altération subaérienne, appelé dans la présente étude WI (Weathering Index), est calculé comme suit : WI = Al/(Mg+K+Na). Dans cette formule, Mg et Na sont supposés exister dans les minéraux silicoclastiques. Comme pour le CIA, les valeurs de WI augmentent avec l'intensité de l'altération subaérienne. Cet indice a été utilisé pour définir les zones d'altération subaérienne intense. L'un des plus grands défis de l'utilisation de ces ratios est qu'il est souvent très difficile, voire impossible, de corriger la proportion de Ca associée aux carbonates et aux phosphates. Certains proposent qu'une valeur pour le Ca lié aux silicates pouvait être obtenue par la formule suivante :

Mol Ca(silicates) = mol Ca – mol CO2(calcite) - 0,5 x mol CO2(dolomite) - 10/3 x mol P(apatite).

Cette formule suppose que tout le P est concentré dans l'apatite et que tout le carbone inorganique est lié aux carbonates. Malheureusement, ces hypothèses entraînent généralement une sur-correction, le Ca lié aux silicates devenant négatif.

2.3.2. Indices d'altération impliquant l'utilisation de données sur les éléments traces

L'application d'indices de « type Sr », notamment Rb/Sr ou Ba/Sr, pour identifier les zones altérées est devenue de plus en plus populaire au cours des 20 dernières années. Cela se base sur la théorie selon laquelle le Sr peut remplacer le Ca dans les minéraux et présente également un comportement analogue à celui du Ca dans le profil d'altération. Par conséquent, le Sr est facilement libéré en solution et mobilisé au cours de l'altération, tandis que le Rb ou le Ba peuvent être considérés comme relativement immobiles dans des conditions d'altération modérées, en raison d'une forte adsorption sur les minéraux argileux. Dans une évaluation détaillée des indices de « type Sr », des auteurs ont conclu que ceux-ci ne devraient être utilisés que dans les sédiments exempts de carbonate, car les rapports Ba/Sr et Rb/Sr faibles et élevés sont généralement liés à des teneurs en carbonate élevées et appauvries, respectivement. Cela n'est pas surprenant étant donné les fortes affinités minéralogiques du Sr avec ces minéraux. Un autre inconvénient de l'utilisation d'indices de « type Sr » est que Rb et Ba peuvent subir une mobilisation dans des conditions d'altération extrêmes, ce qui fait des indicateurs Rb/Sr et Ba/Sr peu fiables de paléo-altération dans de telles conditions. Un problème encore plus important de l'utilisation de ces ratios dans les échantillons de carottes et de déblais est peut-être que Ba et, dans une moindre mesure, Sr peuvent être concentrés dans les additifs de forage. Pour cette raison, il est recommandé de ne pas utiliser les ratios Rb/Sr et Ba/Sr pour identifier les zones d'altération, sauf lorsqu'il peut être prouvé que les éléments Ba et Sr ne sont pas présents dans les additifs de forage.

Ces dernières années, le rapport Y/Ho a été utilisé pour reconnaître les zones altérées, avec une association inverse apparente entre les valeurs de ce rapport et l'intensité de l'altération. Les changements dans le rapport Y/Ho sont connus pour suivre l'altération progressive des minéraux primaires en argiles et oxydes pédogéniques. Les mécanismes de fractionnement suggèrent que les oxydes de fer (oxyhydroxydes) sont les minéraux les plus importants impliqués dans le fractionnement Y/Ho, avec une séparation maximale de Y de Ho se produisant à des plages de pH intermédiaires. Y et Ho ont des rayons ioniques très similaires, mais Y a une affinité plus faible pour les oxydes et oxyhydroxydes de fer dans les profils d'altération. Cependant, on pense que cet effet est supprimé en présence de matière organique. Outre les variations de pH et d’abondance de matière organique, le rapport Y/Ho est également susceptible d'être influencé par des variations de source/provenance. Comme pour d'autres indices d'altération, le paramètre Y/Ho doit être utilisé en conjonction avec les données sédimentologiques et les diagraphies par fil de fer pour identifier les zones d'altération.

En résumé, les indices d'altération peuvent être utilisés pour identifier les surfaces d'altération, dont certaines peuvent être associées à des discordances. Malgré leur utilité, ils peuvent toutefois être influencés par d'autres facteurs que l'altération (par exemple, la provenance, le tri hydraulique), de sorte qu'ils doivent être utilisés en conjonction avec toutes les données disponibles.

2.4. Les métaux traces indicateurs paléo-redox et de paléo-productivité et des apports terrigéniques

2.4.1. Introduction

De nombreux éléments traces sont présents dans l’eau de mer sous forme soluble ou adsorbés sur des particules. L’élimination des éléments traces dissous de la colonne d’eau vers les sédiments résulte de processus biotiques ou abiotiques. Les processus biotiques comprennent l’absorption d’éléments traces qui servent de nutriments mineurs ou de micronutriments pour le plancton (principalement le phytoplancton). Les processus abiotiques sont relativement limités dans les environnements oxiques, mais dans les environnements suboxiques, un certain enrichissement peut se produire par diffusion d’éléments traces dissous de la colonne d’eau à travers l’interface eau-sédiment ou par remobilisation et redistribution le long des gradients redox dans les sédiments. Les éléments traces peuvent également être concentrés efficacement par le cycle redox du manganèse et du fer. Les processus abiotiques sont particulièrement efficaces dans des conditions réductrices, notamment l’adsorption d’ions métalliques ou d’espèces ioniques sur des substrats organiques ou minéraux, la formation de complexes organo-métalliques et la précipitation de sulfures (de fer) et/ou d’oxyhydroxydes insolubles. En théorie, cette variété de processus entraîne des enrichissements en éléments traces qui reflètent les conditions spécifiques qui prévalaient au moment du dépôt et au début de la diagenèse. Par conséquent, les abondances d'éléments traces dans les sédiments et les roches sédimentaires permettent de reconstituer les conditions paléoenvironnementales.

2.4.2. Les paramètres paléoenvironnementaux concernés par la géochimie des éléments traces

2.4.2.1. Productivité

Les concentrations de matière organique dans les sédiments et les roches sédimentaires n’enregistrent qu’une fraction de la productivité biologique totale dans les eaux de surface de l’océan. La productivité d’exportée est la partie de la biomasse phytoplanctonique qui « échappe » au recyclage, généralement efficace, opérant dans la partie supérieure de la colonne d’eau (flux de descente de C organique). Cette matière est acheminée vers l’interface sédiments–eau après une dégradation supplémentaire au cours du passage dans la colonne d’eau. Dans des conditions marines normales, seulement environ 10 % (en masse) de la productivité totale quitte la zone euphotique. Dans les zones de remontée d’eau (upwelling), la productivité d’exportée peut atteindre des valeurs plus élevées (parfois 30 %). Cependant, la part de la productivité qui atteint réellement l’interface sédiments–eau et qui est stockée dans les sédiments est beaucoup plus faible (quelques pour cent seulement), reflétant en partie une reminéralisation supplémentaire dans les sédiments.

Malgré les complications attribuables au recyclage organique très efficace, la productivité d’exportée, l’acheminement vers l’interface sédiments–eau et le flux d’enfouissement final sont généralement proportionnels à la productivité des eaux de surface. De nombreux auteurs ont proposé des équations de transfert et des modèles connexes qui estiment la productivité des eaux de surface à partir de la fraction (souvent faible) qui est stockée dans les sédiments et les roches sédimentaires. Ces modèles ne sont pas l’objet de la présente étude. Nous nous concentrons plutôt sur des indicateurs géochimiques qui éclairent les niveaux de production primaire à travers les distributions d’éléments traces.

2.4.2.2. Conditions redox

Au sens le plus simple, les études des conditions redox en milieu marin suivent les distributions relatives des agents oxydants à travers les gradients de dépôt et de diagénétique et les processus biogéochimiques qui contrôlent ces distributions. Discerner les conditions paléo-redox signifie généralement déterminer si les conditions étaient oxydantes ou réductrices ; dans cet article, nous ferons référence à la gradation redox suivante : oxique-suboxique-anoxique. Les conditions anoxiques peuvent être non sulfurées ou sulfurées ; dans ce dernier cas, elles sont également appelées euxiniques lorsque du sulfure d'hydrogène est présent dans la colonne d'eau. Les conditions euxiniques sont généralement limitées aux bassins semi-fermés comme la mer Noire ou la fosse de Cariaco (au large des côtes du Venezuela). Le H2S est un sous-produit catabolique des bactéries sulfato-réductrices. Dans certains cas, comme dans la mer Noire, les conditions euxiniques peuvent atteindre la zone photique, où des bactéries photosynthétiques oxydant les sulfures peuvent se développer (Chlorobiaceae). Les milieux suboxiques sont caractérisés par des concentrations d'oxygène extrêmement faibles mais généralement non nulles dans la colonne d'eau, où le H2S est limité aux eaux interstitielles situées sous l'interface sédiments-eau. Des milieux transitoires peuvent se produire dans lesquels la première apparition du H2S coïncide avec l'interface sédiments-eau.

Dans des conditions oxiques, les organismes aérobies peuvent utiliser l’O2 dissous des milieux sus-jacents et interstitiels pour leur métabolisme (c’est-à-dire la dégradation de la matière organique). À mesure que l’oxygène dissous s’épuise, la décomposition de la matière organique se poursuit via les organismes utilisant des sources d’oxydants secondaires (dans l’ordre de consommation dicté par le gain relatif d’énergie libre découlant de chaque processus microbien) : nitrate, oxydes de manganèse et oxydes et oxyhydroxydes de fer, et sulfate. Finalement, lorsque tous les oxydants libres sont épuisés, les bactéries méthanogènes commencent à décomposer la matière organique via une dismutation oxydative-réductrice du carbone.

À l’interface eau-sédiment ou au sein des sédiments, des conditions de limitation de l’oxygène et, finalement, d’anoxie peuvent se développer lorsque la demande en oxygène dépasse l’apport. Dans la colonne d’eau, l’anoxie peut se développer dans des masses d’eau stagnantes ou confinées où une circulation insuffisante empêche le renouvellement de l’O2, ou dans des endroits où une dégradation intense de la matière organique consomme l’O2 plus rapidement qu’il n’est renouvelé, même dans des conditions marines ouvertes. Il en va de même pour les sédiments, avec la particularité supplémentaire que le renouvellement de l’O2 est également lié à leur composition (argile ou sable), à leur texture (granulométrie fine ou grossière) et à l’intensité de la bioturbation.

2.4.2.3. Sources détritiques

Une partie de la teneur en métaux traces de la plupart des sédiments est d'origine détritique. Un moyen simple de vérifier si la teneur d'un élément donné est principalement contrôlée par le flux détritique est de comparer l'élément trace à l'aluminium ou au titane, qui sont généralement d'origine détritique et qui sont généralement immobiles pendant la diagenèse. Si une bonne corrélation est observée et si l'élément trace présente des concentrations qui ne s'écartent pas trop des concentrations moyennes des shales, on peut en déduire que l'élément trace est principalement d'origine détritique et ne peut pas être utilisé pour l'analyse paléoenvironnementale. C'est souvent le cas pour le chrome, par exemple, mais seulement occasionnellement pour U et Ba et rarement pour V et Mo. Plus généralement, si l'on soupçonne que certains éléments traces sont d'origine mixte, c'est-à-dire détritiques et authigéniques, la fraction authigénique peut être estimée comme la partie en excès par rapport à l'abondance moyenne des shales. La fraction clastique de l'élément X dans un échantillon peut être estimée comme suit :

Xdétritique = (X/Al)référence × Aléchantillon.

La fraction authigénique de l'élément X est alors calculée comme Xtotal − Xdétritique.

Au-delà de ces procédures simples et efficaces de détermination de la fraction détritique d'un élément trace donné, des procédures statistiques ou chimiques plus sophistiquées sont disponibles, par exemple l'analyse factorielle multivariée ou l'extraction chimique séquentielle.

2.4.2.4. Sources hydrothermales

Les flux hydrothermaux représentent également une source potentiellement importante d'éléments traces, en particulier si l'on considère les suintements froids dans cette catégorie. Les flux hydrothermaux à haute température peuvent généralement être déduits sur la base d'associations tectoniques et minéralogiques caractéristiques, mais l'influence des suintements froids peut être plus difficile à reconnaître. Les éléments traces qui sont généralement enrichis dans ces environnements comprennent Ba, Sr, Pb, Zn et Mn, généralement hébergés par une série de minéraux tels que la barytine, la célestite, la galène, la blende et la rhodochrosite. L'activité hydrothermale peut également être importante en raison de la libération de grandes quantités de manganèse et de fer, qui peuvent influencer l'accumulation sédimentaire d'autres éléments traces par le biais de leur cycle redox dans des environnements pauvres en oxygène.

2.4.3. Le manganèse : un élément mineur particulier influençant le comportement des traces d'éléments traces

Le manganèse n'a qu'une utilité limitée en tant que traceur redox mais son comportement géochimique particulier lui permet de jouer un rôle prépondérant dans le transfert des traces d'éléments traces de la colonne d'eau vers les sédiments et leur absorption ultérieure par les phases authigéniques. Les espèces de manganèse dominantes dans l'eau de mer sont Mn2+ et MnCl+, mais Mn(II) est thermodynamiquement instable dans les eaux oxygénées et est oxydé en oxydes insolubles de Mn(III) et, surtout, de Mn(IV). Les phases solides de Mn(IV), appelées Mn-oxyhydroxydes, sont principalement MnO2 et MnOOH. Le manganèse réactif est libéré dans l'océan sous forme de couches d'oxyde sur les particules transportées par les vents ou les rivières et par diffusion hors des sédiments du plateau continental (en plus des flux hydrothermaux). Le manganèse dissous est présent en faibles concentrations dans l'eau de mer, bien qu'il soit quelque peu enrichi dans les eaux de surface par rapport aux eaux profondes, d'où il est activement recyclé. Sous l'interface oxique-anoxique, la dissolution réductrice des particules d'oxyhydroxydes libère du Mn(II) soluble qui peut diffuser vers le haut et vers le bas dans le sédiment, en partie parce que le Mn dissous n'est pas absorbé de manière significative par une phase organique ou sulfurée. La diffusion vers le bas de Mn2+ peut conduire à une précipitation de MnCO3 en cas de sursaturation de l'eau interstitielle par rapport à la rhodochrosite. Ce phénomène a été démontré dans les eaux de fond oxiques. La diffusion ascendante de Mn2+ peut entraîner soit une fuite de Mn2+ vers la colonne d'eau (en particulier dans les bassins anoxiques), soit une oxydation et une précipitation d'oxydes de manganèse lorsque l'oxygène de l'eau interstitielle est rencontré. La forte solubilité de Mn2+ dans les sédiments déposés dans des conditions réductrices peut entraîner un appauvrissement en Mn dans les sédiments si la fixation dans les minéraux carbonatés ne se produit pas.

En raison de la différence de solubilité des espèces Mn(II) et Mn(IV), Mn présente un cycle biogéochimique actif à travers les limites redox qui peuvent se situer en dessous, au niveau ou au-dessus de l'interface eau-sédiment. Ainsi, les concentrations de Mn dissous sont généralement relativement élevées dans les colonnes d'eau stratifiées immédiatement en dessous de la chimiocline (c'est-à-dire l'interface O2–H2S). Cette distribution est due à la solution réductrice d'oxyhydroxydes particulaires se déposant à partir d'un maximum de concentration de particules immédiatement au-dessus de la chimiocline, qui est elle-même créée par la précipitation oxydative de Mn2+ diffusant vers le haut à partir d'eaux anoxiques. En raison de la décantation rapide, une certaine fraction d'oxyhydroxydes de Mn particulaires atteint l'interface sédiment–eau même dans des colonnes d'eau anoxiques. Les métaux traces adsorbés sur les oxyhydroxydes de Mn sont ensuite libérés lors de la dissolution réductrice des particules hôtes à ou en dessous de l'interface eau–sédiment et deviennent disponibles pour de nouvelles réactions, par exemple, la capture dans des solutions solides par des sulfures authigéniques, comme la pyrite. Le cycle redox du manganèse est d'une importance primordiale pour l'enrichissement en traces d'éléments dans les systèmes suboxiques-anoxiques, car il peut déclencher et/ou accélérer le transfert d'éléments traces de l'eau de mer vers les sédiments ainsi que la remobilisation diagénétique des éléments traces dans les sédiments.

Le fer (Fe) présente un modèle de cycle redox similaire à celui du Mn, bien qu'avec une différence significative : le fer est systématiquement impliqué dans la précipitation des sulfures de fer dans les sédiments et les eaux réductrices et n'est séquestré dans les carbonates de fer (c'est-à-dire la sidérite) que dans des conditions particulières. De plus, Mn2+ et Fe2+ se comportent différemment en ce qui concerne leur cinétique d'oxydation relative. Les principaux éléments traces influencés par le cycle Mn–Fe sont Ni, Cu, Zn, Co, Pb (en tant que « cations 2+ »), ainsi que Mo, V et Cr (en tant qu’espèces ioniques telles que MoO42−, VO2+ et Cr(OH)2+, respectivement). Fondamentalement, les métaux traces s’adsorbent sur les oxyhydroxydes de Fe–Mn, sont exportés vers les sédiments, puis libérés lors de la dissolution réductrice des oxyhydroxydes à l’interface eau–sédiment ou en dessous (selon la position de la chimiocline). Les métaux traces sont ensuite disponibles pour de nouvelles réactions, par exemple la capture dans des solutions solides par des sulfures authigéniques, tels que la pyrite, dans des environnements réducteurs.

En conclusion, comme le manganèse est très mobile dans les sédiments réducteurs, il peut soit s'échapper vers la colonne d'eau, soit être piégé dans des carbonates de manganèse authigéniques ou sous forme d'oxydes. Ainsi, le manganèse ne peut pas être utilisé comme un proxy redox, même si une corrélation négative est fréquemment observée entre le manganèse et les teneurs en carbone organique total (COT) dans les sédiments riches en matière organique et les roches sédimentaires. Inversement, son rôle principal est le transfert des métaux traces de la colonne d'eau vers les sédiments. Les oxydes de manganèse piègent les métaux traces de la diffusion vers les eaux sus-jacentes. L'adsorption des métaux traces sur les oxyhydroxydes de manganèse fournit un réservoir potentiellement mobile de métaux traces dans les sédiments qui peuvent retourner à la phase aqueuse ou se fixer dans des phases minérales authigéniques en fonction de l'histoire redox du sédiment.

2.5. Applications des métaux traces à l'analyse paléoenvironnementale

2.5.1. Proxies redox avec influences détritiques minimales

L'uranium dans l'eau de mer est principalement présent sous forme d'U(VI) sous la forme conservative d'ions uranyle qui se lient aux ions carbonate, formant UO2(CO3)34−. Dans les milieux marins oxiques, l'U(VI) dissous n'est ni réduit en U(IV) favorisé par la thermodynamique, ni récupéré par les particules. La réduction de U(VI) en U(IV) se produit dans des conditions similaires à celles de la réduction de Fe(III) en Fe(II) pour les gammes de valeurs de pH et d'alcalinité caractéristiques de l'eau de mer. On considère que l'enrichissement authigénique en U se produit principalement dans les sédiments et non dans la colonne d'eau, car la réduction de U(VI) en U(IV) est découplée de la quantité de H2S libre et n'est pas directement influencée par le cycle redox de Fe et Mn dans la colonne d’eau bien que certains auteurs aient émis l'hypothèse que l'authigenèse de l'U pourrait être régulée par les taux combinés de réduction du fer et du sulfate). Par conséquent, dans les sédiments, le principal processus d'enrichissement en U est la diffusion de UO2(CO3)34− depuis la colonne d'eau, les réactions de réduction et l'adsorption ou la précipitation sous forme d'UO2 (uraninite, la forme la plus fréquente), d'U3O7 ou d'U3O8. Comme l'enrichissement a lieu dans le sédiment et non dans la colonne d'eau, la profondeur de pénétration de l'oxygène et la vitesse de sédimentation peuvent jouer un rôle, dans la mesure où des vitesses de sédimentation plus lentes laissent plus de temps pour la diffusion des ions uranyle de la colonne d'eau dans le sédiment. À l'état réduit, l'élimination de l'U de la colonne d'eau vers les sédiments peut être accélérée par la formation de ligands organo-métalliques dans les acides humiques. des auteurs ont également étudié l'influence accrue des substrats organiques sur l'absorption de l'U par les sédiments. L'accumulation est au moins en partie conduite par des réactions bactériennes de réduction des sulfates, car sans activité bactérienne, le processus de réduction serait très lent. L'intensité de l'activité de réduction des sulfates étant liée à l'abondance de la matière organique réactive, l'abondance de l'U montre généralement une bonne corrélation avec le taux de pluie de carbone organique et avec la teneur en carbone organique dans les faciès anoxiques (non sulfurés).

En plus des facteurs qui apportent l'U aux sédiments, cet élément peut être remobilisé dans les sédiments si l'oxygène pénètre à une profondeur où l'U authigénique s'est accumulé. Une telle augmentation de la profondeur de pénétration de l'oxygène peut être causée soit par une augmentation de l'abondance de l'oxygène dans les eaux de fond, soit par une diminution du flux de matière organique (ou les deux), soit par des variations saisonnières de la profondeur de la bioturbation/bioirrigation. La bioirrigation ou encore bioventilation désigne le processus par lequel les organismes benthiques alimentent leurs terriers avec l'eau sus-jacente. L'échange de substances dissoutes entre l'eau interstitielle et l'eau de mer sus-jacente qui en résulte est un processus important responsable d'un important transport oxydatif. Ce processus de réoxydation peut soit effacer un signal U primaire (par exemple, par perte d'U des sédiments vers la colonne d'eau sus-jacente), soit entraîner la migration verticale du pic U initial vers un autre emplacement dans les sédiments où les conditions favorisant la reprécipitation sont réunies.

 

Vanadium. Dans les eaux oxiques, le vanadium est présent sous forme de V(V) sous la forme quasi-conservatrice d'oxyanions vanadate (HVO42− et H2VO4). Dans les sédiments pélagiques et hémipélagiques, le vanadium est étroitement couplé au cycle redox du Mn. Le vanadate s'adsorbe facilement sur les oxyhydroxydes de Mn et de Fe et peut-être sur la kaolinite. Dans des conditions légèrement réductrices, V(V) est réduit en V(IV) et forme des ions vanadyle (VO2−), des espèces hydroxyles apparentées VO(OH)3 et des hydroxydes insolubles VO(OH)2. Cette réaction est favorisée par la présence d'acides humiques et fulviques. En milieu marin, les espèces ioniques V(IV) peuvent être éliminées dans les sédiments par des processus d'adsorption de surface ou par formation de ligands organo-métalliques. Il a été suggéré que les oxalates jouent probablement un rôle dans le transport des ions vanadyle. Dans des conditions plus fortement réductrices, c'est-à-dire euxiniques, la présence de H2S libre libéré par la réduction bactérienne du sulfate entraîne une réduction supplémentaire du V en V(III), qui peut être absorbé par les géoporphyrines ou précipité sous forme d'oxyde solide V2O3 ou d'hydroxyde V(OH)3. De plus, le H2S empêche les ions concurrents tels que Ni de se lier aux complexes organiques. Le processus de réduction en deux étapes du V peut conduire à la formation de phases porteuses de V distinctes de solubilité contrastée dans des conditions anoxiques non sulfurées par rapport aux conditions euxiniques. Le vanadium n'est donc probablement pas piégé en solution solide par les sulfures de fer et peut être éliminé des eaux interstitielles en dessous du niveau de réduction des oxyhydroxydes de manganèse et de fer. Dans l'environnement diagénétique, le V(III) se substitue facilement à l'aluminium dans les sites octaédriques des minéraux argileux authigéniques ou dans les minéraux argileux en recristallisation. En plus des facteurs qui apportent de l'U aux sédiments, cet élément peut être remobilisé dans les sédiments si l'oxygène pénètre à une profondeur où l'U authigénique s'est accumulé. Une telle augmentation de la profondeur de pénétration de l'oxygène peut être provoquée soit par une augmentation de l'abondance de l'oxygène dans l'eau de fond, soit par une diminution du flux de matière organique (ou les deux), soit par des variations saisonnières de la profondeur de la bioturbation/bioirrigation. Ce processus de réoxydation peut soit effacer un signal U primaire (par exemple, par perte d'U des sédiments vers la colonne d'eau sus-jacente), soit entraîner la migration verticale du pic U initial vers un autre endroit dans les sédiments où les conditions favorisant la reprécipitation sont réunies.

 

Le molybdène est présent principalement sous forme de molybdate (MoO42−. Il est suffisamment abondant par rapport aux besoins biologiques pour que sa distribution soit conservatrice, contrastant fortement avec les distributions « de type nutritif » caractéristiques de nombreux autres éléments traces bio-essentiels. Le Mo n’est pas concentré par le plancton ordinaire et n’est pas facilement adsorbé par la plupart des types de particules naturelles, et il présente peu d’affinité pour les surfaces des minéraux argileux, du CaCO3 et des oxyhydroxydes de fer aux valeurs de pH marin. En revanche, le molybdène est facilement capturé par les oxyhydroxydes de manganèse, généralement à la surface des sédiments. La réduction ultérieure de ces phases libère le Mo adsorbé dans les eaux interstitielles. Ce phénomène peut améliorer l'enrichissement en Mo dans l'environnement d'enfouissement peu profond : le Mn dissous refluant depuis les sédiments a le potentiel d'absorber et de concentrer le MoO42− à ou près de l'interface eau-sédiment, lorsque l'interface oxique-anoxique est rencontrée. Bien que ce processus puisse concentrer le Mo dans les sédiments superficiels, il n'explique pas le mécanisme de fixation du Mo dans le sédiment. On pensait qu'une étape de réduction était nécessaire pour la fixation du Mo, le Mo étant récupéré directement de la colonne d'eau ou capturé à partir des eaux interstitielles alimentées par diffusion en Mo à partir de la colonne d'eau. D'autres modèles privilégient un rôle direct joué par le sulfure : il fut suggéré que la fixation en présence de sulfure dissous ne résulte pas simplement de la formation de MoS2 ou de MoS3, mais qu'au lieu de cela, la minéralisation se produit par l'intermédiaire de thiomolybdates organiques et de complexes de groupements Fe–Mo–S inorganiques pouvant apparaître comme composants en solution solide dans les sulfures de fer. Des auteurs ont introduit le concept de commutateur géochimique, par lequel H2S/HS transforme le Mo d'un élément conservateur en une espèce réactive aux particules, dans des environnements de dépôt marin. Les atomes d'oxygène dans MoO42− sont susceptibles d'être remplacés par des ligands tels que les donneurs de S. Une étape clé de cette voie inorganique est la réaction MoO42− →thiomolybdates (MoOxS4−x, x = 0–3), qui sont réactifs aux particules et donc enclins à la récupération. L'activation du commutateur par le sulfure dépend de l'activité de H2S. Étant donné que chaque réaction de sulfuration successive est environ un ordre de grandeur plus lente que la précédente, les équilibres dithio-↔trithio- et trithio-↔tétrathiomolybdate peuvent ne pas être atteints dans les eaux sulfurées de façon saisonnière ou intermittente. Des conditions sulfurées persistantes semblent être nécessaires. Dans les sédiments, les réactions de transformation sont catalysées par des donneurs de protons ou en présence de certains minéraux de surface actifs tels que la kaolinite.

Une fois le passage au thiomolybdate réalisé, le Mo est récupéré en formant des liaisons avec des particules riches en métaux (notamment Fe), des molécules organiques riches en soufre et du sulfure de fer. Des travaux suggèrent la formation de composés monocristallins compacts de type cluster Fe–Mo–S, capables de survivre au cours des périodes géologiques. Ils ont montré que les clusters sont retenus sur les surfaces de pyrite, et ils ont soutenu qu'une étape de réduction est favorable, voire nécessaire, dans ce cas. Les détritus organiques récupéreront également le Mo. L'un des rôles de la matière organique est simplement de servir de transporteur pour le Fe et d'autres métaux traces. Le deuxième rôle est plus direct : les groupes organiques O–S attachés aux détritus macromoléculaires peuvent s'insérer directement dans le MoO42−, ce qui entraîne une liaison covalente entre le Mo et la macromolécule. Des auteurs ont également souligné le rôle des thiols (y compris les groupes thiols liés à l'humine) qui peuvent activer le Mo. Les thiomolybdates organiques sont présumés se former par remplacement de l'oxygène dans la première sphère de coordination du Mo par S, produisant des liaisons S covalentes entre le Mo et les macromolécules sulfurées.

En raison de l'enrichissement généralement fort des faciès marins riches en matières organiques déposés dans des conditions anoxiques, les concentrations sédimentaires en Mo ont été largement utilisées comme indicateur du potentiel redox benthique. Cependant, des recherches récentes ont revisité l’utilisation du Mo comme proxy paléo-redox dans les environnements de dépôt restreints (seuils). Ces études mettent en évidence le rôle de ce que l’on appelle « l’effet bassin-réservoir » : une restriction croissante entraîne des concentrations de Mo aqueux en eau profonde plus faibles, en raison de taux d’élimination de Mo dans les sédiments supérieurs à la réalimentation, et des rapports Mo/TOC sédimentaires plus faibles avec des concentrations de Mo aqueux décroissantes. Le facteur clé est le degré de restriction de la masse d’eau dans les environnements avec des masses d’eau profondes non restreintes ou faiblement restreintes, dans lesquelles aucune diminution mesurable des concentrations de Mo aqueux ne se produit, qui devraient présenter la relation paradigmatique entre l’enrichissement en Mo sédimentaire et la diminution du potentiel redox benthique. Les environnements avec des masses d'eau profonde modérément à fortement restreintes, dans lesquelles le Mo aqueux est appauvri par l'effet de réservoir de bassin, peuvent ne présenter aucune relation systématique entre l'abondance du Mo sédimentaire et le potentiel redox ou l'inverse de la relation paradigmatique, c'est-à-dire un enrichissement en Mo associé à un potentiel redox croissant (c'est-à-dire des conditions moins intensément sulfurées). Ainsi, certains concluent que l'utilisation des concentrations de Mo comme proxy paléo-redox doit être justifiée par (1) une comparaison avec d'autres proxys paléo-redox indépendants (voir ci-dessous) et (2) une analyse hydrographique du paléoenvironnement d'intérêt, c'est-à-dire une évaluation de sa configuration de bassin, des schémas de circulation et d'autres facteurs influençant la chimie et le degré de restriction de sa masse d'eau infra-pycnoclinale. Bien entendu, de telles évaluations peuvent s'avérer difficiles dans la mesure où de nombreux paléoenvironnements anoxiques ont des dimensions paléogéographiques incomplètement connues et ont subi des histoires paléo-redox complexes. Enfin, Mo et V sont présents dans la nitrogénase, c'est-à-dire une enzyme utilisée par les bactéries fixatrices d'azote. Cependant, comme les flux de ces éléments en tant que micronutriments sont bien plus faibles que leurs flux dans d'autres rôles, il est peu probable que leur présence dans la matière organique influence leurs schémas généraux de concentration sédimentaire.

 

L'importance de U et Mo examinés conjointement. L’une des conclusions de l'examen de la littérature sur l'utilisation d’éléments traces pour l'identification des paléoenvironnements anoxiques est que l'U et le Mo sont les éléments les plus utiles à cette fin, mais les distributions de ces éléments ne se reflètent pas toujours. Des auteurs soulignent que l'absorption de l'U dans les sédiments marins commence à la limite redox Fe2+/Fe3+ (c'est-à-dire dans des conditions suboxiques) à un stade beaucoup plus précoce que l'absorption du Mo authigénique qui nécessite la présence de H2S. Une deuxième différence dans le comportement des deux éléments est que le transfert du Mo authigénique au sédiment peut être accéléré par une “navette particulaire" d'oxyhydroxydes de Mn–Fe, tandis que l'U authigénique n'est pas affecté par ce processus. Formés au niveau de la chimiocline, les oxyhydroxydes de Mn-Fe particulaires adsorbent les oxyanions de molybdate pendant leur transit dans la colonne d'eau. Ces particules sont dissoutes par réduction lorsqu'elles atteignent l'interface sédiment/eau, libérant des ions molybdate qui soit diffusent dans la colonne d'eau, soit sont récupérés par d'autres minéraux dans le sédiment. Ce dernier processus entraîne le transfert rapide de Mo authigénique vers le sédiment. L'efficacité de ces navettes dépend en grande partie de la taille du bassin et de la hauteur et de la stabilité de sa chimiocline. La navette particulaire est susceptible d'être renforcée dans les bassins plus petits caractérisés par une chimiocline profonde ou très variable. Inversement, la navette particulaire est susceptible d'être moins efficace dans les bassins plus grands caractérisés par une chimiocline peu profonde ou stable. Dans une étude des environnements anoxiques océaniques modernes, on peut constater que l'U et le Mo ne présentent aucun enrichissement dans les faciès oxiques. Dans les faciès suboxiques, des enrichissements modestes ont été observés dans les deux éléments, les rapports Mo/U des sédiments étant nettement inférieurs à ceux de l'eau de mer. Cela s'explique par l'absorption préférentielle d'U par rapport au Mo, car U6+ est réduit en U4+ à la limite redox Fe2+/Fe3+ avant le début de la réduction des sulfates qui contrôle l'accumulation de Mo authigénique. Un fort enrichissement des deux éléments a été noté dans les faciès anoxiques. Ceux-ci présentent des rapports Mo/U progressivement plus élevés à mesure que les concentrations totales authigéniques augmentent. En plus des deux éléments et du rapport Mo/U qui augmentent à mesure que les conditions deviennent plus réductrices, l'abondance de matière organique exerce également un contrôle significatif sur les rapports Mo/U. Les concentrations d'U authigénique sont contrôlées à la fois par les conditions redox et l'abondance de la matière organique. La matière organique est souvent préservée dans les environnements anoxiques mais elle peut parfois s'accumuler dans des conditions oxiques-suboxiques, où des rapports Mo/U relativement faibles reflètent l'abondance de la matière organique et la persistance de conditions oxiques ou suboxiques.

2.5.2. Proxies redox à forte influence détritique

Chrome. Dans l'eau de mer oxygénée, le chrome est présent principalement sous forme de Cr(VI) dans l'anion chromate, CrO42− et, dans une moindre mesure, sous forme de Cr(III) dans l'ion aquahydroxyle, Cr(H2O)4(OH)2+. Dans des conditions normales d'eau de mer, l'anion chromate est soluble, mais dans des conditions anoxiques, le Cr(IV) est réduit en Cr(III), formant des cations aquahydroxyles et des cations hydroxyles (Cr(OH)2+, Cr(OH)3, (Cr, Fe)(OH)3), qui peuvent facilement se complexer avec les acides humiques/fulviques ou s'adsorber sur les oxyhydroxydes de Fe et de Mn. Ainsi, le Cr est exporté vers les sédiments. En raison d'incompatibilités structurales et électroniques avec la pyrite, l'absorption de Cr(III) par les sulfures de fer authigéniques est très limitée. De plus, le Cr n'est pas connu pour former un sulfure insoluble. Par conséquent, lors de la reminéralisation de la matière organique par les bactéries sulfato-réductrices, le Cr n'est pas facilement piégé dans les sédiments sous forme de sulfure et peut être perdu dans la colonne d'eau sus-jacente par transport par diffusion/advection lors du compactage des sédiments. De plus, le Cr peut être transporté vers les sédiments avec la fraction clastique d'origine terrestre (par exemple, la chromite, les minéraux argileux, les minéraux ferromagnésiens dans lesquels le Cr remplace facilement le Mg. Ainsi, les complexités du transport et de l'enrichissement du Cr limitent son utilité paléoenvironnementale.

 

Cobalt. Dans les environnements oxiques, le cobalt est présent sous forme de cation dissous, Co2+ ou est complexé avec des acides humiques/fulviques. Dans les eaux anoxiques, le Co forme le sulfure insoluble CoS, qui peut être absorbé en solution solide par les sulfures de fer authigéniques. Néanmoins, la cinétique très lente limite l'incorporation du CoS dans les sulfures authigéniques. Enfin, la distribution du Co dans les sédiments est plus fortement liée à l'abondance des matériaux clastiques, ce qui limite son utilisation comme proxy redox fiable.

2.5.3. Indicateurs de productivité et leurs relations avec le contrôle de la redox

Le phosphore est essentiel à toutes les formes de vie sur Terre, car il joue un rôle fondamental dans de nombreux processus métaboliques et est un constituant majeur de la matière squelettique. Le phosphore est un élément structurel de l'ADN et de l'ARN, ainsi que de nombreuses enzymes, phospholipides et autres biomolécules. Le phosphore est présent en moyenne à 0,01 % dans la croûte terrestre, mais sa teneur est plus élevée dans la plupart des sédiments marins et des roches sédimentaires. Bien que les distributions de P dans les sédiments ou les roches sédimentaires soient liées à l'apport de matière organique, résultant peut-être d'une productivité élevée, l'utilisation du P comme indicateur n'est pas simple, comme expliqué ci-dessous.

La principale source de P dans les sédiments est la nécromasse phytoplanctonique qui atteint l'interface eau-sédiment, ainsi que les écailles et les os des poissons. Habituellement, P est libéré sous forme de PO43− à partir de la décomposition de la matière organique au cours de la dégradation bactérienne oxique, suboxique et anoxique sous l'interface eau-sédiment. Cette reminéralisation de P est illustrée par les équations du tableau 2. D'une manière générale, le P reminéralisé en eaux interstitielles peut soit s'échapper du sédiment vers la colonne d'eau, soit être précipité et piégé dans le sédiment.

Perte de P. Les réactions bactériennes consommant la matière organique sédimentaire régénèrent le P lié organiquement en PO43− aqueux. Dans des conditions anoxiques, le phosphore diffuse ensuite généralement vers le haut à partir du sédiment et retourne dans la colonne d'eau. Ce cycle du phosphore est très efficace : on estime que seulement 1 % du phosphore organique échappe au cycle et est piégé dans les sédiments et les roches sédimentaires. Le phosphore ainsi libéré dans les eaux de fond peut retourner dans la zone photique et soutenir la productivité du phytoplancton. Le cycle du P à grande échelle a été invoqué pour expliquer les périodes inhabituelles de productivité intense associées à des conditions d'eau de fond anoxiques propices à la régénération du P. Dans cette situation, une productivité élevée peut se développer dans les eaux de surface sans que les sédiments n'enregistrent un enrichissement en P.

Piégeage du P. Dans certaines conditions, le P libéré dans l'eau interstitielle peut atteindre des concentrations relativement élevées et des phases authigéniques peuvent alors précipiter. La précipitation authigénique est conditionnée par l'alcalinité, le pH, l'Eh et l'activité bactérienne. Les principales phases authigéniques appartiennent à la famille des apatites, par exemple, le minéral carbonate-fluorapatite appelé francolite. La francolite peut précipiter soit rapidement (directement ou plus probablement en remplaçant un précurseur de courte durée de vie et mal cristallisé) soit lentement (en remplaçant généralement la calcite). La concentration en P doit être suffisamment élevée pour permettre la sursaturation de la francolite. Cet enrichissement peut résulter d'un apport élevé de matière organique dans des environnements marins très productifs tels que les zones de remontée d'eau, mais une productivité élevée n'est pas toujours une condition préalable. Dans les parties peu productives des océans, on considère souvent que l'enrichissement en P peut être effectué par le biais du cycle redox du fer, avec sorption de P sur les revêtements d'oxyhydroxyde de fer et coprécipitation Fe–P (N.B., le manganèse peut également être impliqué dans l'enrichissement en P). Un autre mécanisme de rétention du P pourrait être l'absorption par des polyphosphates précipités par des bactéries. Ainsi, dans le cas du piégeage du P, l'abondance de P n'est pas nécessairement indicative d'un flux élevé de matière organique, car le P peut être enrichi efficacement même en l'absence d'une productivité élevée des eaux de surface.

En résumé, le degré de rétention du phosphore organique reminéralisé en tant que fraction réactive dans les sédiments dépend des conditions redox du système de dépôt. Dans les environnements avec des eaux de fond au moins intermittentes oxiques, le cycle redox du Fe dans les sédiments limite le flux diffusif du phosphore reminéralisé vers la colonne d'eau sus-jacente : les oxyhydroxydes de Fe qui récupèrent le phosphate des eaux interstitielles des sédiments sont précipités au-dessus de l'interface oxique/anoxique et dissous en dessous, ce qui conduit à la rétention du P pendant une période suffisante pour permettre une croissance lente des phases phosphatées authigéniques. Dans les environnements anoxiques permanents avec des eaux de fond sulfurées, les oxyhydroxydes de Fe ne précipitent pas dans les sédiments, ce qui réduit le potentiel d'adsorption et de complexation du phosphore organique reminéralisé. Par conséquent, le P n'est pas un indicateur redox ou de productivité fiable pour les reconstructions à petite échelle. Cependant, comme la perte/rétention de P dans les sédiments est étroitement liée aux conditions redox, la distribution de P peut être utile pour les bilans paléo-redox globaux. Par exemple, certains l'utilisent pour proposer une courbe de variation de la pO2 atmosphérique au cours du Phanérozoïque.

 

Le baryum est présent dans les sédiments marins principalement sous forme de cristaux de plagioclase détritique et de barytine (BaSO4). La formation de barytine authigénique dans les eaux de surface est liée à des processus bio-induits mais n'est pas entièrement comprise. L'eau de mer étant sous-saturée en barytine, il a été proposé que les acanthaires ou acantharia favorisent la précipitation de barytine lors de la dissolution de leur squelette de célestite contenant du Ba dans des microenvironnements tels que des particules riches en matière organique, des chambres de foraminifères et des boulettes fécales. Le rôle de la biomasse phytoplanctonique en décomposition est plus probable. Le phytoplancton vivant incorpore du Ba (activement ou passivement ; c'est-à-dire par absorption métabolique ou adsorption) et le Ba libéré lors de la décomposition de la nécromasse phytoplanctonique peut précipiter sous forme de barytine dans les microenvironnements où le sulfate de Ba atteint une sursaturation. Les cristaux de barytine peuvent être protégés d'une dissolution partielle ou totale lors de la sédimentation des particules dans la colonne d'eau sous-saturée, grâce au rôle protecteur des microenvironnements intraparticulaires. La relation apparente entre l'abondance de barytine biogénique et de matière organique et la nature réfractaire de la barytine dans les sédiments où aucune réduction intense des sulfates n'a lieu ont donné lieu à l'idée que le baryum et la barytine biogéniques pourraient servir d'indicateurs de la paléoproductivité. De nombreuses études ont examiné le lien entre la productivité de surface, l'exportation de matière organique de la zone photique et l'abondance de Ba biogénique dans la colonne d'eau, ainsi que dans les sédiments de surface. D'autres ont utilisé le Ba biogénique comme indicateur de paléoproductivité dans les sédiments plus anciens. Cependant, la concentration en Ba et l'abondance en barytine doivent être considérées avec prudence à cette fin. Cette mise en garde est particulièrement vraie dans le cas de sédiments caractérisés par une réduction intense du sulfate, qui a conduit à la dissolution de la barytine et à la migration du Ba à travers les eaux interstitielles. Ainsi, des fronts de migration de barytine (ou d'oxyhydroxyde riche en Ba) peuvent se former dans des sédiments dans lesquels du sulfate de Ba authigénique précipite lorsque les conditions oxydantes sont réunies (un comportement quelque peu similaire à celui du Mn, avec lequel Ba peut être impliqué). En d’autres termes, le Ba peut être délivré aux sédiments avec un flux élevé de matière organique, mais il peut migrer au début de la diagenèse et précipiter dans les sédiments déposés en l’absence de productivité élevée. De telles conditions de réduction des sulfates se développent généralement rapidement dans les sédiments riches en matière organique ; par conséquent et paradoxalement, l’abondance de Ba ne peut pas être utilisée avec confiance comme paléoproductivité dans les sédiments riches en matière organique, généralement présents dans les plateformes à haute productivité. Au contraire, l’utilisation efficace du Ba comme marqueur de paléoproductivité peut être limitée aux sédiments marins déposés dans des parties de l’océan à productivité faible à modérée.

 

Nickel. Dans les environnements marins oxiques, le Ni se comporte comme un micronutriment et peut être présent sous forme de cations Ni2+ solubles ou d'ions NiCl+, mais il est principalement présent sous forme de carbonate de Ni soluble (NiCO3) ou adsorbé sur les acides humiques et fulviques. La complexation du Ni avec la matière organique accélère le piégeage dans la colonne d'eau et donc l'enrichissement des sédiments. Lors de la décomposition de la matière organique, le Ni peut être libéré des complexes organo-métalliques dans les eaux interstitielles. Dans les sédiments modérément réducteurs, le Ni est recyclé du sédiment vers les eaux sus-jacentes car les sulfures et les oxydes de manganèse sont absents. Dans des conditions de (sulfata)réduction, le Ni peut être incorporé sous forme de NiS insoluble dans la pyrite (solutions solides), même si la cinétique du processus est lente. Parfois, le Ni apporté aux sédiments par la matière organique peut également être incorporé dans des complexes de tétrapyrrole et peut être préservé sous forme de géoporphyrines Ni dans des conditions réductrices (anoxiques/euxiniques).

 

Cuivre. Dans les environnements marins oxiques, le Cu est principalement présent sous forme de ligands organo-métalliques et, dans une moindre mesure, d'ions CuCl+ présents en solution. Le cuivre ne se comporte que partiellement comme un micronutriment, mais il est également récupéré de la solution en eau profonde. La complexation du Cu avec la matière organique, ainsi que l'adsorption sur les particules d'oxyhydroxydes de Fe–Mn, accélèrent la récupération et l'enrichissement des sédiments. Lors de la décomposition de la matière organique et/ou de la dissolution réductrice des oxyhydroxydes de Fe–Mn, le Cu peut être libéré dans les eaux interstitielles. Dans des conditions réductrices (notamment dans des conditions de réduction bactérienne du sulfate), le Cu(II) est réduit en Cu(I) et peut être incorporé en solution solide dans la pyrite, ou il peut même former ses propres phases sulfurées, CuS et CuS2. Dans les sédiments (hémi-)pélagiques à taux de sédimentation lents, le Cu peut être fixé diagénétiquement par des minéraux authigéniques de nontronite ou de smectite.

 

Zinc. Dans les environnements marins oxiques, le Zn se comporte comme un micronutriment et peut être présent sous forme de cations Zn2+ solubles ou d'ions ZnCl+, mais il est principalement présent sous forme de complexes avec des acides humiques/fulviques. Le zinc peut également être adsorbé sur des particules d'oxyhydroxydes de Fe–Mn. Lors de la décomposition de la matière organique, le Zn peut être libéré des complexes organo-métalliques dans les eaux interstitielles. Dans des conditions réductrices (notamment dans la zone de réduction bactérienne des sulfates), le Zn peut être incorporé sous forme de ZnS en solution solide dans la pyrite ou, dans une moindre mesure, il peut former ses propres sulfures, la sphalérite ([Zn,Fe]S).

 

Cadmium. Contrairement au Ni, au Cu et au Zn évoqués ci-dessus, le Cd n'est présent que dans un seul état de coordination (Cd(II)) dans la colonne d'eau et les sédiments et a un comportement de type nutritif, ce qui implique un temps de séjour relativement court. Le cadmium est livré aux sédiments marins principalement en association avec la matière organique et est libéré dans les eaux interstitielles lors de la décomposition de la matière organique et enrichi de manière authigénique dans les sédiments, probablement sous la forme d'un sulfure. En présence de H2S, le Cd forme probablement une phase sulfure insoluble distincte (CdS) plutôt que de coprécipiter avec FeS. Le cadmium est enrichi dans les sédiments à la fois faiblement et fortement réducteurs. Enfin, le Cd est fortement enrichi dans les phosphorites car il se substitue facilement au Ca dans l’hydroxyapatite.

2.6. Remobilisation des traces d'éléments métalliques enrichis authigéniquement pendant la diagenèse

Les conclusions concernant les conditions paléoenvironnementales basées sur les données sur les traces d'éléments métalliques ne sont généralement pas fiables si l'on utilise des distributions d'éléments uniques, car les concentrations de traces d'éléments métalliques sont influencées par de nombreux facteurs et mécanismes. Les facteurs qui influencent l'enrichissement en traces d'éléments comprennent le flux silicoclastique détritique, le taux de productivité primaire et la provenance de la matière organique, qui peuvent varier de manière quasi indépendante du degré de restriction en eau profonde. Les traces d'éléments présentés ici peuvent être utilisées comme indicateurs de paléoproductivité et de conditions paléo-redox uniquement si le signal hydrogéné est reconnaissable, comme c'est généralement le cas si la fraction dérivée de l'eau de mer dépasse les apports provenant d'autres sources (par exemple, détritiques ou hydrothermales). De plus, il faut être conscient de la possibilité de mobilité des traces d'éléments pendant la diagenèse, qui peut produire des distributions élémentaires qui ne reflètent pas les contrôles primaires (c'est-à-dire paléoenvironnementaux).

Les accumulations sédimentaires d'éléments traces peuvent être hébergées par diverses phases, par exemple, les sulfures métalliques, en solution solide dans la pyrite, les oxydes et oxyhydroxydes insolubles, le phosphate, le sulfate, les complexes organométalliques et adsorbés sur des surfaces organiques ou minérales. Par conséquent, le comportement des différents éléments traces est très variable au cours de la diagenèse, en fonction des conditions spécifiques de pH et d'Eh de l'environnement d'enfouissement.

En l'absence de réapprovisionnement ‘post-dépot’ en agents oxydants, les sulfures sont stables et les éléments engagés dans ou coprécipités avec les sulfures (de fer) ne se déplacent généralement pas au cours de la diagenèse. Cette immobilité est généralement le cas pour Mo, V, Cd, Ni, Co, Cu, Zn et Pb. Ces éléments montrent une tendance variable à être incorporés dans la pyrite. Cette gamme est illustrée par le degré de pyritisation des métaux traces. Des auteurs ont suggéré la hiérarchie suivante pour la sensibilité à la pyritisation : Hg > As = Mo > Cu = Fe > Co > Ni ≫ Mn > Zn > Cr = Pb > Cd. En plus de former des sulfures insolubles, le Zn, le Pb et le Cd peuvent former des complexes solubles forts avec des espèces S réduites. Par conséquent, ces complexes solubles augmentent la mobilité des éléments dans les sédiments anoxiques, les laissant libres de diffuser à travers les sédiments. Selon la concentration en H2S, la diffusion dans la direction de l'interface sédiment–eau peut entraîner une coprécipitation de ces métaux avec des oxydes de fer et de manganèse ou une reprécipitation sous forme de sulfures solides.

Réoxygénation post-dépot. Dans la séquence typique des événements diagénétiques une fois que les réserves d'agents oxydants (accepteurs d'électrons) sont épuisées par des réactions d'oxydation abiotiques ou par l'oxydation bactérienne de la matière organique, des conditions réductrices se développent de manière irréversible dans le sédiment. Cependant, dans certaines conditions, les agents oxydants peuvent être reconstitués par le haut après le développement de conditions réductrices. Bien entendu, cela n'affecte pas les sédiments profondément enfouis, mais on peut l'observer lorsque les conditions environnementales varient (relativement) brusquement, comme lors des transitions glaciaire-interglaciaire, ou lorsque les turbidites se déposent dans des milieux pauvres en oxygène. L'influence de la reconstitution de l'oxygène après le dépôt est plus grande lorsque la profondeur de pénétration dans les sédiments est importante. En particulier, ce réapprovisionnement en oxygène peut conduire à une remobilisation de l'uranium si l'oxygène pénètre dans une région où l'U authigénique s'est accumulé. D’autres éléments traces tels que V, Cd et Mo pourraient également être affectés par le processus de réoxydation, mais dans une moindre mesure que l'U. Cependant, il n’est noté aucune migration pour Cd et V, et seulement une migration sur une courte distance (< 5 cm) pour Co, Cu, Ni et Zn dans les systèmes turbiditiques étudiés. Dans les cas où des enrichissements significatifs en V, Cr, Cd et Mo sont observés, l'U n'étant enrichi qu'à un degré moindre, il faut émettre l'hypothèse que de petites quantités d'oxygène dissous peuvent avoir provoqué la solubilisation et la perte d'U à partir de sédiments qui avaient auparavant subi des conditions réductrices.

3. Modèles d'éléments traces à plusieurs indicateurs

Étant donné que les éléments traces réagissent de manière largement prévisible aux variations de redox, il est préférable d'effectuer une analyse des conditions redox environnementales à l'aide d'une série d'éléments traces plutôt que d'un seul indicateur élémentaire. Comme suggéré ci-dessus, certains éléments peuvent avoir plusieurs origines (Cr, Co, Ba) et/ou se déplacer plus ou moins facilement après dépôt et enfouissement (P, Ba, Zn, Pb, Cd) ; par conséquent, les discussions qui suivent mettent l'accent sur une approche intégrée centrée sur les éléments les moins vulnérables aux complications primaires et secondaires, c'est-à-dire U, V, Mo, Ni et Cu. Il convient de souligner que les modèles d'éléments traces décrits ci-dessous sont représentatifs principalement de sédiments ayant des histoires redox relativement simples et que les modèles d'éléments traces dans les sédiments ayant des histoires redox complexes ou inhabituelles ne sont pas facilement généralisables.

3.1. Suboxique-anoxique versus euxinique

Une série d'éléments traces peut présenter des sensibilités quelque peu différentes aux conditions redox le long d'un gradient oxique à sulfurique. Fondamentalement, le Cr, l'U et le V sont réduits et peuvent s'accumuler dans des conditions dénitrifiantes, alors que le Ni, le Co, le Cu, le Zn, le Cd et le Mo sont enrichis principalement dans des conditions sulfato-réductrices uniquement. En utilisant le comportement contrasté de ces deux groupes d'éléments traces, il peut être possible de reconnaître des gradations redox dans certains systèmes sédimentaires. Par exemple, dans le cas d'un enrichissement en U et V sans enrichissement en Mo, on peut déduire un dépôt suboxique/anoxique sans H2S libre. Inversement, les sédiments présentant des enrichissements simultanés en U, V et Mo reflètent des conditions euxiniques à l'interface eau-sédiment ou dans la colonne d'eau. La réduction en deux étapes de certains éléments traces, par exemple V(V)→V(IV)→V(III), peut fournir un autre moyen d’évaluer les petites variations redox dans les paléoenvironnements. Néanmoins, il convient de noter que ce qui est exposé ci-dessus peut sembler une simplification excessive dans certains contextes sédimentologiques complexes. Par exemple, il a été montré que, dans le cas de la zone de minimum d'oxygène du Pacifique Nord tropical oriental, une signature sédimentaire de traces métalliques qui indique des conditions anoxiques n'est pas nécessairement attribuable à une colonne d'eau anoxique.

3.2. Traceurs pour l'abondance de la matière organique

Outre leur comportement variable en réponse à différentes conditions redox, les éléments traces peuvent être distingués par leurs relations avec la matière organique. Par exemple, contrairement à U et V, Ni et Cu sont principalement livrés aux sédiments en association avec la matière organique (complexes organométalliques). Ces éléments sont souvent qualifiés de « formant des sulfures » et ne sont généralement pas considérés comme des marqueurs de flux organiques vers les sédiments. Ils sont libérés par la décomposition de la matière organique et peuvent être piégés par la pyrite si des conditions sulfato-réductrices prévalent. Ainsi, si Ni et Cu ne sont pas récupérés par la sédimentation des particules organiques, on n'observe pas qu'ils s'enrichissent de manière significative dans les sédiments même si des conditions réductrices se développent rapidement. Par conséquent, une teneur élevée en Ni et Cu indique (1) qu'un flux élevé de matière organique a amené ces éléments dans les sédiments en grande abondance et (2) que des conditions réductrices étaient réunies, permettant la fixation de Ni et Cu dans les sédiments. Ainsi, nous soulignons que l'abondance de Ni et Cu peut servir de marqueur d'un flux de matière organique relativement élevé, tandis que U, V et Mo peuvent être utilisés pour déchiffrer les conditions paléo-redox. De plus, Ni et Cu peuvent être retenus dans les sédiments, étant hébergés par la pyrite (le plus souvent), tandis que la matière organique peut être reminéralisée par l'activité bactérienne. Par conséquent, Ni et Cu peuvent témoigner de la présence originale de matière organique même si elle est partiellement ou totalement perdue après le dépôt. De cette façon, nous considérons que Cu et Ni sont de meilleurs indicateurs de l'abondance de la matière organique que P et Ba.

3.3. Oxygénation de l'eau de fond et/ou flux de matière organique ?

Sur la base des considérations ci-dessus, il peut être possible de discriminer les environnements de dépôt où des conditions réductrices se sont développées (comme en témoignent les enrichissements en U et V, plus Mo dans le cas des conditions euxiniques) en présence de matière organique sédimentaire (enrichissement en Ni et Cu) ou en l'absence de matière organique (pas d'enrichissement marqué en Ni et Cu). Dans ce dernier cas, on en déduit que l'anoxie n'a pas été déclenchée par une dégradation intense de la matière organique mais peut plutôt s'expliquer par un renouvellement restreint de la masse d'eau ou même par une stagnation. Dans le premier cas (anoxie et matière organique), il n'est pas toujours possible de déchiffrer si l'anoxie a été causée par une dégradation intense de la matière organique ou si l'anoxie prévalait avant le dépôt de la matière organique et empêchait une dégradation partielle ou totale de la matière organique, car dans la plupart des environnements anoxiques, il existe une interaction entre la productivité et l'anoxie benthique qui est difficile à dissocier. De plus, les éléments traces ne permettent pas de déterminer facilement si la chimiocline se trouvait à l’interface sédiments-eau ou au-dessus de celle-ci dans les eaux de fond. Pour résoudre ce problème, il faut d’autres indicateurs capables de détecter la présence de pyrite syngénétique dans les sédiments. La pyrite peut se former de manière syngénétique si la chimiocline se trouve au-dessus de l’interface sédiments-eau, ou de manière diagénétique si la chimiocline se trouve à l’interface sédiments-eau ou en dessous. La pyrite syngénétique est constituée de cristaux automorphes à grains fins, tandis que la pyrite diagénétique est généralement composée de framboïdes sphériques plus gros. Par conséquent, l’analyse granulométrique des grains de pyrite peut être utilisée pour identifier le caractère euxinique de la colonne d’eau. Un enrichissement en fer détectable (c'est-à-dire une augmentation du rapport Fe/Al) peut également indiquer une source de fer supplémentaire de pyrite syngénétique pour le sédiment.

4. Le cas des Terres Rares. Application des anomalies en Ce et Eu

Les données sur les anomalies des Terres Rares (ou lanthanides, en anglais rare earth elements, soit REE) sont rarement utilisées dans les projets de chimiostratigraphie, mais plus souvent dans les reconstitutions paléo-environnementales, en se concentrant souvent sur les deux éléments ayant deux valences, alors que toutes les autres Terres Rares sont monovalentes et donc insensibles aux variations des conditions redox. Les anomalies de toutes les Terres Rares peuvent être calculées, mais seules celles relatives à Ce et Eu sont utilisées. Toutes les Terres Rares forment de gros ions trivalents (3+), mais l’europium (Eu) et le cérium (Ce) ont des valences supplémentaires. L'élément Eu forme des ions 2+, tandis que se forme des ions 4+, ce qui conduit à des différences de réaction chimique dans la façon dont ces ions peuvent se répartir par rapport aux Terres Rares 3+.

4.1. Application des anomalies en Ce

Elderfield et Greaves (1982) ont été les premiers à proposer l'utilisation de l'anomalie Ce pour identifier les changements de conditions redox. Depuis lors, un certain nombre d'autres articles ont été publiés sur ce sujet. L’anomalie en Ce, généralement citée comme Ce/Ce ou Ce*, est basée sur l'hypothèse d'un déclin « linéaire » des abondances de Terres Rares avec une augmentation du numéro atomique lorsque les éléments sont normalisés par rapport à une norme, par exemple les chondrites ou la moyenne des shales (average shale). Les éléments Ce et Eu sont les seuls éléments de Terres Rares qui s'écartent significativement d'une ligne qui décline vers les Terres rares lourdes (HREE avec H pour heavy). Afin de calculer Ce/Ce, Wilde et al. (1996) ont utilisé des abondances de chondrites de La, Ce et Sm de 0,332, 0,876 et 0,183 pm, respectivement. Une anomalie est identifiée lorsque les concentrations normalisées se situent au-dessus ou en dessous d'une valeur calculée par l'hypothèse de la variation en ligne droite. L'ordre des Terres Rares légères (LREE avec L pour light) est La, Ce, Pr, Nd, Pm, Sm, donc le calcul de Ce/Ce doit être basé sur des valeurs Ce normalisées qui se situent au-dessus ou en dessous de l'extrapolation en ligne droite entre La et Pr. Cela donnerait la formule suivante pour ce rapport : Ce/Ce = [2Ce*/(La* + Pr*)] où l'exposant * impliquait la concentration normalisée à la chondrite. Étant donné que les données pour Nd et Sm sont normalement disponibles à l’issue des analyses mais que cela n'est pas toujours vrai pour Pr, Ce/Ce est plus communément calculé comme suit :

Ce/Ce = [2Ce*/(La* + Nd*)]

Les valeurs de chondrite suivantes peuvent être utilisées dans ces calculs Ce/Ce : Ce = 0,876 ; La = 0,332 ; Pr = 0,112 ; Nd = 0,60. Dans des conditions oxiques, Ce (une fois oxydé) se dissout moins facilement dans l'eau de mer, de sorte que l'eau de mer oxygénée et donc oxique, ainsi que les sédiments oxiques sont respectivement appauvris et enrichis en Ce. Le Ce trop peu soluble chute à travers la colonne d’eau et reste dans les sédiments sous-jacents. Cela se traduit par des organismes extrayant le phosphate de l'eau de mer oxique affichant une anomalie Ce/Ce négative, tandis que les sédiments oxiques riches en oxyde de Fe, comme les argiles rouges, produisent une anomalie Ce/Ce positive. Pourquoi les phosphates ? Parce que ces minéraux (apatite, francolite…) sont produits par les organismes qui en font des parties dures ou minéralisées (os, écailles, dents, conodontes, etc.). Ces organismes vivent dans l’eau de mer et leurs parties dures reflètent (au moins partiellement) la composition de l’eau de mer ambiante. De plus, les phosphates sont de véritables éponges à éléments chimiques du fait de leur grand nombre de substitutions possibles (on dit parfois substitutions diadochiques). Ainsi, les phosphates biogéniques reflètent-ils la composition de l’eau de mer en Terres Rares bien mieux que les carbonates. Dans l'eau de mer suboxique et donc dans les sédiments eux-aussi suboxiques, le Ce est mobilisé à partir des sédiments et libéré dans la colonne d'eau, ce qui entraîne une valeur Ce/Ce moins fortement négative, voire positive, dans l'eau de mer. Le Ce est relativement appauvri dans les sédiments anoxiques qui montrent des anomalies Ce/Ce négatives. Comme les restes d'organismes extrayant le phosphate des eaux à dominante anoxique donneraient des anomalies Ce/Ce positives et que les sédiments anoxiques hôtes auraient des anomalies négatives, les valeurs Ce/Ce résultantes peuvent refléter un mélange de concentrations en Ce faibles et élevées, provenant de deux sources, et peuvent ne pas être un bon indicateur de paléo-redox lorsque l'analyse de la roche totale (bulk rock) est entreprise sur des carottes, des cuttings ou des échantillons de terrain. En clair, on évitera de mesurer les Terres Rares en roches totales, au risque de ne pas pouvoir interpréter les résultats. À l’inverse, si les analyses sont menées séparément sur du phosphate biogénique tel que des conodontes ou des arêtes de poisson ou sur des sédiments ne contenant pas de quantités appréciables de conodontes, de brachiopodes inarticulés et de poissons fossiles, il est alors possible d'utiliser les anomalies Ce/Ce pour identifier les paléoenvironnements anoxiques. Le mécanisme d'absorption du Ce est probablement lié à l'oxydation du Ce(III) en Ce(IV) et à l'incorporation ultérieure dans les oxyhydroxydes de Mn. À des pH neutres, l'élément est lié aux revêtements d'oxyhydroxydes de Fe-Mn-Al-Ti sur les minéraux carbonatés. Outre les incertitudes susmentionnées relatives à la présence/absence de matériel fossile contenant du Ce, la principale raison pour laquelle l'indice Ce/Ce n'est pas appliqué plus fréquemment est que l'élément Ce est également concentré dans les minéraux silicoclastiques détritiques, de sorte que les anomalies Ce/Ce positives ou négatives peuvent simplement refléter des variations dans la proportion de ce matériel plutôt que des changements paléo-redox. Ceci a conduit à ce que certains suggèrent que l'indice n'est valable que pendant les intervalles de stabilité tectonique et dans les zones de faibles taux de sédimentation telles que les eaux relativement profondes du plateau continental externe et des marges continentales où la pycnocline et les couches mixtes inférieures sont anoxiques. Au surplus, on pourra se dire qu’il y a assez de traceurs fiables pour laisser de côté cette anomalie complexe à utiliser, si l’on n’en a pas un besoin impérieux !

Il est cependant utile d’examiner la distribution du cérium dans le cas des minéraux authigéniques : par exemple, les cendres volcaniques riches en échardes vitrifiées retombent parfois en milieu marin ; ces échardes très éloignées des conditions thermo-chimiques de stabilité des minéraux qui les constituent de façon mal cristallisée, se transforment rapidement (semaines) en phyllosilicates, typiquement de la famille des smectites. Ces smectites, formées au contact de l’eau de mer, enregistreront la composition chimique de celle-ci en Terres Rares ; elles refléteront donc l’anomalie en Ce typique du milieu marin. En revanche, les smectites formées dans les sols des terres émergées n’auront aucune raison de présenter une anomalie en Ce. Il devient ainsi possible de distinguer l’origine des smectites.

4.2. Application des anomalies en Eu

L'anomalie en Eu est rarement appliquée dans les études de paléoenvironnement ou de chimiostratigraphie, mais sa formule est la suivante : Eu/Eu = [2Eu*/(Sm* + Gd*)] où l'exposant * implique la concentration normalisée à la chondrite. Les valeurs de chondrite suivantes, sont utilisées dans cette équation : Eu = 0,0685 ppm ; Sm = 0,183 ppm ; Gd = 0,252 ppm. En général, l'enrichissement ou l'appauvrissement en Eu est lié à la tendance de cet élément à être incorporé dans le plagioclase. L'Eu possède des états 2+ et 3+, l’Eu* étant adsorbé dans les cristaux de plagioclase de préférence aux autres minéraux. Lorsque le plagioclase cristallise dans le magma, la majeure partie de l'Eu sera incorporée dans ce minéral, provoquant une concentration plus élevée que prévu d'Eu dans ce minéral par rapport aux autres Terres Rares du même minéral, aboutissant à une anomalie positive d'Eu. Cela conduira à ce que le reste du magma soit relativement appauvri en Eu. Si ce magma appauvri en Eu se sépare ensuite de ses cristaux de plagioclase et se solidifie, la composition chimique résultante montrera une anomalie négative d'Eu (car l'Eu est contenu dans le plagioclase laissé dans la chambre magmatique). En revanche, une anomalie relativement positive d'Eu se produirait si un magma accumule des cristaux de plagioclase avant la solidification. Dans les sédiments silicoclastiques, une anomalie positive d'Eu est généralement causée par une proportion relativement élevée de feldspath plagioclase, mais il s'agit d'une généralisation énorme car les anomalies positives peuvent résulter d'une diagenèse post-dépositionnelle, avec enrichissement en Eu dans des ciments tels que la calcite. La susceptibilité de l'Eu à la diagenèse post-dépositionnelle, ainsi que le fait que cet élément puisse être concentré dans une gamme de minéraux, et pas seulement dans le feldspath plagioclase, signifie que le paramètre Eu/Eu est rarement utilisé à des fins de reconstitutions paléo-environnementales.

Conclusion générale

Il est possible de constater, à l’issue de la lecture de ces pages, que la géochimie sédimentaire et la sédimentologie, voire la géodynamique externe, sont étroitement liées. La géochimie sédimentaire n’est pas une fin en soi et ne permet pas, à elle seule, de comprendre les mécanismes qui opèrent dans les enveloppes superficielles de la planète, toutefois, elle se révèle être un outils assez fin pour décrypter de très nombreuses situations et “paléo-situations”. Espérons que le lecteur sera convaincu que l’on ne perd pas son temps en étudiant les paramètres géochimiques des sédiments et des roches sédimentaires.

Par ailleurs, relativement peu de place est accordé aux organismes vivants. Pourtant, au-delà de fournir des particules sédimentaires, ils jouent des rôles essentiels dans les étapes de l’authigenèse et de la diagenèse. Ce sera l’objet d’un prochain document pédagogique.

References

Electronic reference

Nicolas Tribovillard, « Notions de géochimie sédimentaire en milieu marin », Annales de la Société Géologique du Nord [Online], 32 | 2025, Online since 30 juin 2025, connection on 14 juillet 2025. URL : http://www.peren-revues.fr/annales-sgn/2657

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Nicolas Tribovillard

Université de Lille

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