Introduction
Le 22 octobre 2020, la SGN avait préparé une des actions devant marquer la célébration de son 150e anniversaire. Dévolue au thème des matériaux naturels (besoins, gisements, exploitation, devenir des sites après exploitation, matériaux de recyclage), cette double journée (une journée en salle, puis une autre sur le terrain) avait été conçue et préparée en partenariat avec le District-nord de la SIM (Société de l’Industrie Minérale). La Journée technique sur le terrain se tiendra au printemps 2022 (date en discussion), autour de l’estuaire de la Somme, et s’intéressera notamment aux gisements de silex et aux aménagements de protection côtière. Elle est préparée avec une forte implication du Groupe Lhotellier, entre autres. La Journée technique en salle s’est finalement tenue le 22 octobre 2020, mais à distance, à partir des locaux de l’Institut Polytechnique UniLaSalle et l’association des étudiants. L’objectif de cette réunion et la liste des interventions sont rappelés en annexe de cette communication. Faute d’avoir réussi à en rédiger un compte rendu détaillé, les auteurs de cet article ont décidé de proposer un bref aperçu de la thématique abordée et de la démarche en cours (élaboration du premier schéma régional des carrières).
La gestion durable des matériaux minéraux dans le BTP est un enjeu incontournable pour préserver l’avenir
Nos logements et autres bâtiments privés ou publics (écoles, hôpitaux, gares,…), nos voiries et leurs ouvrages annexes (ponts, viaducs,…) sont tous réalisés à partir de matériaux minéraux. S’il en était besoin, un livre récent nous rappelle qu’il en est de même pour nombre d’objets fabriqués pour notre usage quotidien (De Wever & Cornée, 2020). Et, ces matériaux, il faut bien aller les chercher là où ils sont : dans leurs gisements naturels. Gérer l’exploitation de cette ressource en respectant les intérêts écologiques locaux et ceux des riverains, relève d’enjeux réglementaires et politiques : ce n’est pas notre sujet ici. En revanche, réfléchir à la question de savoir si la fourniture en matériaux locaux est potentiellement en quantité suffisante pour répondre aux besoins exprimés par les habitants de ce territoire, cela demande des compétences en géologie. L’enjeu est double en effet : satisfaire aux besoins avec des gisements les plus proches possibles des lieux de consommation (« circuits courts »), et préserver la durabilité de ces gisements (« économie circulaire »).
C’est pourquoi, la SGN, pour son sesquicentenaire, a souhaité (cf. PV d’AG 20191) que le thème des MATÉRIAUX soit l’un des quatre thèmes retenus dans les journées techniques qu’elle souhaitait coorganiser en partenariat. Y ont participé les établissements universitaires UniLaSalle-Beauvais et Université de Lille, avec le District nord de la Société de l’Industrie Minérale (SIM) et les entreprises qu’il regroupe.
La disponibilité des matériaux est une condition technique, régulée par des conditions économiques. Mais l’acceptabilité d’un projet d’exploitation (mine ou carrière) est une condition qui ne se résume pas qu’à la technique. Il faut d’une part expliquer ce qu’est un gisement, pourquoi il peut constituer une ressource exploitable, mais finie, et d’autre part faire prendre conscience de la dimension temps, laquelle doit nous inciter à un comportement vertueux de durabilité en économisant ce gisement. Le XVIIIe siècle a vu les premiers efforts pour inventorier et localiser les matériaux dont l’industrie naissante avait besoin (Guettard, 1746). Le XIXe siècle a été celui du triomphe scientiste qui a conduit à un élan de consommation, irraisonné faute de conscience de la dimension finie de la ressource. Cet élan a été par deux fois ralenti par des guerres, alors que l’émergence des problèmes sociaux induits n’y suffisait pas. Alors, personne n’entrevoyait les impacts environnementaux à venir. De rares voix prirent conscience qu’un gisement est une source limitée dans le temps (de Lapparent, 1890). La fin des privations et le développement technologique nous ont fait vivre « les Trente Glorieuses » hors sol, en oubliant la sobriété prônée par nos aïeux, contraints de vivre plus chichement. Là encore, quelques voix essayaient de se faire entendre : René Dumont, agronome, se présentait à l’élection présidentielle de 1974 pour attirer l’attention sur la finitude des ressources. A la même époque, Antoine Bonte 2, venait d’achever la rédaction d’un ouvrage qu’il ne parviendra à éditer qu’en 1987. L’économie circulaire n’est pas une nouveauté : nos aïeux et parents la pratiquaient. Et sur la planète, nombre de populations la pratiquent toujours, essayant de résister aux sirènes de la consommation mondialisée.
S’il en était besoin, l’actualité nous rappelle que la consommation aussi forte que soudaine en terres rares conduit à un blocage d’activités, dont la localisation sur la planète n’a pas été guidée par une carte géologique.
Une volonté de réagir en changeant de cap culturel
Il faut donc changer de mode de fonctionnement par rapport à ces ressources en matériaux naturels, au risque d’aboutir à leur raréfaction de fait avant la fin du siècle, quelle que soit la voie par laquelle elle surviendra. Aujourd’hui, trois pistes de réflexion et d’action sont à suivre simultanément :
- une prise de conscience individuelle et un changement de comportement ;
- une évolution réglementaire réaliste ;
- un effort d’innovation en faveur de la durabilité.
La prise de conscience individuelle est une nécessité irremplaçable. Si chaque citoyen veut évaluer son « empreinte écologique », il pourra se faire accompagner vers une régulation et plus de sobriété (Nicoloso, 2021) : un vrai sujet social et politique aussi urgent que celui du dérèglement climatique. Il y a d’ailleurs des liens étroits entre les deux phénomènes (cycle de l’eau, énergies fossiles).
C’est dans ce contexte que la réforme des régions administratives a amené à mettre en cohérence les schémas départementaux des carrières. Coordonné par la DREAL (Direction Régionale de l’Équipement, de l’Aménagement et du Logement), l’élaboration du Schéma Régional des Carrières (SRC) est en cours. La SGN y participe, portant mandat de la MRES (Maison Régionale à l’Environnement et à la Solidarité). Le chantier Hauts-de-France est engagé depuis 2018 ; les conditions sanitaires ont contribué à en retarder l’achèvement, prévu pour la fin de 2021, avec une mise en application en 2022.
Le cycle de vie des matériaux passe par une chaîne dont l’acronyme s’écrit LECTURE :
Localiser → Extraire → Convoyer → Transformer → Utiliser → Retraiter → Économiser
Chacune de ces étapes est à repenser en optimisant les besoins et leur satisfaction pour minimiser les coûts. À chaque étape, des compétences géologiques spécifiques peuvent être déployées. Les partenariats avec les entreprises doivent permettre de faire découvrir qu’il n’est pas indispensable d’être géologue pour faire appel à des compétences nécessaires. De la même façon qu’il n’est pas nécessaire d’être mécanicien pour conduire une voiture, mais ça peut aider.
Dans le SRC, la localisation est fixée par la carte géologique, qui permet de repérer les gisements potentiels. Mais pour qu’un gisement soit rentable il faut aussi que les investissements techniques soient économiquement supportables et que les utilisateurs ne soient pas trop éloignés des lieux de production. Les deux derniers items (Retraiter, Économiser), après avoir longtemps été négligés, sont en net progrès. Il faut recycler des matériaux usagés pour économiser la ressource primaire. Plusieurs de ces aspects ont fait l’objet de présentations le 22 octobre. Un compte rendu en sera tiré et publié par la SGN dans des conditions qui ne sont pas encore fixées, la pandémie ayant bousculé toutes les prévisions.
La consommation de minéraux naturels en France et dans les Hauts-de-France
En France, la production annuelle de granulats dits « primaires » est comprise entre 300 et 350 MT (millions de tonnes) en provenance de près de 2 500 carrières réparties sur tout le territoire. La France dispose d’une grande diversité géologique. Avec un ratio de 5 et 6 tonnes par habitant, le granulat est, après l’eau, la seconde ressource naturelle consommée par l’Homme. La moitié de cette production est captée par les activités du BTP (Bâtiment et Travaux Publics). L’accès aux gisements naturels devenant de plus en plus compliqué par l’empilement de contraintes, entres autres, écologiques (Natura 2000, zones humides…) et urbanistiques (SCOT, PLUi, PLU…), il est indispensable de préserver cette ressource en valorisant autant que faire se peut les gisements « secondaires » issus de la déconstruction d’ouvrages anciens, mais aussi des rebus de process industriels. En France, la filière BTP génère 211 MT de déchets inertes dont 116 MT sont valorisés sur des plateformes de recyclage ou réemployés directement sur les chantiers de TP (source ADEME dans le cadre de l’application de la Loi AGEC, celle qui encourage l’économie circulaire). À cela s’ajoute un gisement non négligeable de divers coproduits non inertes, mais non dangereux, issues de filières industrielles (laitiers sidérurgiques, sables de fonderies, cendres volantes issus de centrales thermiques à charbon, mâchefers d’incinération) dont la valorisation est désormais encadrée par des référentiels techniques spécifiques3 sans oublier la filière des sédiments de dragage.
Dans les Hauts-de-France, les besoins annuels en granulats pour les activités du BTP sont de 26 MT, qui sont employés à la production de béton pour la construction de bâtiments et ouvrages de génie civil, et à la production de graves routières, enrobés et autres matériaux manufacturés pour l’entretien du réseau routier, les aménagements urbains, le développement et l’entretien des réseaux divers… Dans cette même région, le gisement de déchets inertes issus annuellement de la déconstruction est estimé à 21 MT (source PRPGD 2019), soit environ 10 % du gisement national. (PRPGD = Plan Régional de Prévention et Gestion des Déchets).
Mais ne rêvons pas (encore…), tout ce gisement de déchets ne présente pas les caractéristiques techniques exigées pour en faire des granulats « secondaires ». Sur les 26 MT nécessaires :
- 21 MT sont des matériaux « primaires » extraits de carrières exploitées essentiellement dans la région (70 % dans des gisements dits « massifs » type calcaires de l’Avesnois ou du Boulonnais, et 30 % dans des gisements dits « meubles » type gravière ou sablière), ou venant de gisements transfrontaliers (Tournaisis, Hainaut…) ;
- le complément (5 MT) vient de matériaux « secondaires » provenant de la partie du gisement de déchets inertes, effectivement valorisable techniquement, sur les 21 MT disponibles (après traitement sur des plates-formes : Fig. 1 et 2) et également d’une partie relativement plus discrète de coproduits industriels valorisables.
Figure 1
Plate-forme de valorisation de déchets inertes issus de chantiers du BTP ; site de Calais (MRL = Matériaux Routiers du Littoral : https://mrlmateriaux.fr/nos-sites/mrl-calais/, Groupe Eurovia).
Recovering platform for inert waste materials issued from construction industry ; Calais site.
© H.Capelle
Figure 2
Même type d’installation, à Fretin (RMN = Recyclage de Matériaux du Nord : https://www.materiaux.eiffageroute.com/recyclage-materiaux-nord, Groupe Eiffage). Ce site a été l’objet d’une visite par le Congrès national de la SIM le 19 octobre 2021.
Similar installation in Fretin site. This site has been visited during the national SIM congress, on october the 19th.
© S.Desauvage
En conclusion : la filière de la construction, par sa consommation très élevée de matériaux minéraux prélevés sur une ressource naturelle non renouvelable apporte de plus en plus sa contribution à l’économie circulaire en valorisant ses propres déchets, mais aussi ceux issus d’autres filières afin de préserver sa durabilité et son acceptabilité sociale pour construire le monde de demain.
Remerciements. — Les auteurs remercient le comité de rédaction qui a permis de donner un aperçu, sous cette forme abrégée, du thème abordé lors de la Journée technique du 22 octobre 2020, réalisée uniquement à distance. Un compte rendu plus conséquent sera produit ultérieurement. Merci à Justin Lecomte dont la relecture stimulante a conduit à élargir le propos.