I. – Introduction
Les gens du Nord ressentent beaucoup d’émotion quand, de retour de voyage, ils aperçoivent au loin les premiers terrils. Ces reliefs sont le résultat du travail d’hommes qui ont usé leur vie au fond de la mine de charbon. Les conséquences de l’exploitation minière en Nord - Pas-de-Calais ont déjà fait l’objet de plusieurs articles plus particulièrement centrés sur l’hydrologie, les affaissements miniers et autres impacts de fonctionnement des milieux (synthèses in Meilliez, 2017 ; Lemal & Meilliez, 2017). Toutefois, dans ces dernières publications, les terrils semblent avoir été oubliés… alors qu’ils sont devenus monuments populaires, et incarnent une partie de la mémoire de notre région. De par la volonté de quelques individus et d’associations, soutenue par des politiques publiques régionales et européennes, une revalorisation paysagère et culturelle a été entreprise dès la fin des années 1990. Confiée initialement à l’Etablissement Public Foncier (EPF), sa mise en œuvre a catalysé les énergies et stimulé les initiatives locales (Kaszynski, 2009). Cette démarche a peu à peu construit une appréciation systémique des terrils, présentant les aspects naturels, les effets de ruptures et leur requalification (Lemoine, 2012). Aujourd’hui 83 terrils constituent, avec les cités minières, le cœur visible de ce patrimoine minier régional reconnu par l’Unesco en 2012 (Bertram, 2017). Toutefois le volume des déchets d’extraction mis à terril est nettement plus important que celui de ces 83 terrils protégés. Leur dénombrement exact est flou car aucune comptabilité précise n’a été mise en place au cours des trois siècles passés. A la fin de la période d’extraction, alors qu’en France, Centre-Midi et Lorraine compris, on en dénombrait plus de 500, Charbonnages de France (CdF) et les autorités régionales l’estimaient de l’ordre de 300 en Nord – Pas-de-Calais (O’Miel, 2009). Certains ont été déplacés, fusionnés, d’autres exploités (voir plus loin). Et il ne faut pas oublier le volume très important des matériaux utilisés en remblais : linéaires dans le cas des cavaliers (ouvrage destiné à supporter les voies ferrées nécessaires à l’activité charbonnière) ou de digues fluviales et remblais routiers, ponctuels dans le cas de comblement de zones affaissées, ou de plates-formes à bâtir. Charbonnages de France estimait qu’une tonne de charbon produite avait nécessité environ une tonne d’eau et le remaniement de trois tonnes de rocher et schistes. Seule une partie de ces matériaux a servi à remblayer quelques vides souterrains avant la mise en service du soutènement marchant. La production totale de charbon en région a été proche de 2,4 milliards de tonnes (Roussel et al., 1994).
Sans l’exploitation du charbon, il n’y aurait pas eu de terrils. Le mot terril dérive du picard terri qui désigne tout mont de terres (Dubois, 1981). L’histoire du bassin minier du Nord – Pas-de-Calais débute en 1716, par l’exploration souterraine du territoire autour de Condé/l’Escaut, située du côté français de la toute nouvelle frontière issue du Traité d’Utrecht en 1713 (Lottin & Guignet, 2006). Alors que des veines de charbon affleurent le long de la vallée de la Haine dans le Borinage (actuelle Belgique), le gisement houiller est entièrement souterrain sous le territoire français. De là une production importante de déchets de terrassements avant de parvenir à localiser les veines de houille. Il aura fallu quatre ans pour trouver la première veine de charbon, en 1720 à Fresnes-sur-Escaut. Jusqu’à la fermeture du dernier puits à Oignies, en 1990, la mine a façonné l’histoire, la société et aussi le paysage de notre région (Viseux, 1991 ; Deberles, 1992 ; parmi beaucoup d’autres). Durant ces 270 ans, de l’est à l’ouest, de la frontière belge à l’Artois, des collines de déblais ont été bâties à proximité des puits. Ces terrils peuvent dépasser la centaine de mètres et forment aujourd’hui une véritable chaîne égrenée sur une distance de près de 120 km (Fig. 1).
Nous n’évoquerons ici que les terrils liés à l’extraction de la houille et exclurons les terrils de cendres (slag heaps), constitués par les cendres volantes et mâchefers issus des centrales thermiques au charbon.
II. – Typologie et comportement physique
1) Origine
Qu’il s’agisse d’une exploitation souterraine ou d’une découverte (exploitation à l’air libre), le charbon de ce gisement houiller se présente sous forme de veines minces (0,10 m à 3 m). Il s’agit de corps sédimentaires qui témoignent de la présence temporaire d’une végétation très diversifiée sans être nécessairement dense (voir le Musée d’Histoire Naturelle de Lille). L’accumulation de débris végétaux et leur dégradation ménagée en milieu anaérobie attestent de l’ennoiement du site de sédimentation. Certaines veines témoignent aussi de la violence de l’ennoiement (arbres fossiles en place mais sectionnés, débris de tailles très variés et désordonnés, grande taille des blocs rocheux emballés dans une matrice à grain plus fin). Dans les territoires de plaine côtière comme l’était alors (de 315 à 290 millions d’années) le futur gisement houiller du Nord – Pas-de-Calais (sédimentation paralique), ces désordres évoquent des conditions de dépôt de type raz-de-marée, induits par la collision frontale des plaques tectoniques, l’orogenèse et la sédimentation corrélative (synthèse dans Meilliez, 2017). Dans les territoires intra-montagneux comme ceux de Lorraine et Centre-Midi, ces désordres sont induits par une tectonique locale très active avec séismes fréquents et sédimentation corrélative. La répétition de ces processus a engendré des séquences sédimentaires dont le décryptage est dû à Barrois (1930). On trouvera davantage d’informations sédimentologiques et biologiques dans De Wever et al. (2010 : p. 167-169) et De Wever & Baudin (2015). Le sédiment et son contenu organique ont dû être portés à une profondeur de l’ordre de 1 500 m où la pression et la température ambiantes leur ont permis d’atteindre la maturation de la houille (teneur en carbone de l’ordre de 85%). Le matériau mis à terril est le rocher des mineurs, constitué des argiles, limons, sables, graviers et galets qui ont été portés durant quelques millions d’années dans ces conditions sévères. Le terme usuel de schistes désigne, pour les mineurs, toutes les roches à grain fin qui se délitent en plaquettes plus ou moins régulières dès leur arrivée à l’air libre, la schistosité étant la structure d’aplatissement résultant d’une pression maintenue longtemps sous une température modérée (<250°C). Cette foliation est acquise au cours de l’évolution géologique du dépôt, sous le poids des sédiments plus jeunes qui se sont accumulés dessus, et sous l’effet des forces tectoniques qui ont abondamment plissé et faillé ces anciens sédiments (Meilliez, 2017).
Le Centre Historique Minier de Lewarde illustre très bien l’évolution historique des techniques. Dans un premier temps les blocs rocheux et gros cailloux restaient au fond et contribuaient à combler partiellement les vides réalisés. Les berlines remontaient le charbon mêlé aux terres de fosse, c’est-à-dire les produits stériles fins. Un tri manuel (tâche des femmes – les cafus – et des enfants jusque la fin du XIXe siècle) extrayait le charbon, le reste étant mis à terril. D’où la présence de poussier de charbon dans les terrils les plus anciens. La mécanisation se développant, la proportion de stériles a augmenté avec l’augmentation du volume abattu, la diminution du remblayage profond et la disparition du tri manuel. Diverses techniques l’ont remplacé qui, sous le nom d’ensemble de lavage, conduisaient à une séparation gravitaire du charbon d’une part, des particules les plus fines (schlamms = terme allemand désignant la classe des limons) d’autre part, le reste étant destiné au terril. On appelle bac à schlamms les digues en forme de bassin dans lesquelles sont déversés les produits très fins issus du lavage. Sursaturés en eau, ces produits sont destinés à s’assécher par évaporation (Fig. 2). Mais sous nos latitudes, l’évaporation n’est pas assez efficace. Les schlamms forment une pâte thixotropique qui reste longtemps saturée en eau, les sites présentant ainsi un risque d’enlisement. Pour se prémunir de ce risque, ces bassins ont été remblayés et plantés d’arbustes épineux afin de décourager les apprentis explorateurs. Ces travaux ont été réalisés par Charbonnages de France au titre des mesures compensatoires négociées dans le cadre juridique de la procédure d’arrêt des travaux miniers.
2) Morphologie
Les terrils « plats », comme ceux très représentatifs de Lallaing (Germignies-sud) et de Flines-Lez-Râches et Marchiennes (Germignies-nord), celui de Pinchonvalles à Avion, sont généralement anciens. Ils sont localisés sur des terrains de faible portance, comme l’Argile de Louvil et/ou des alluvions. Dans la plaine de la Scarpe, il s’agissait souvent de zones humides sans valeur marchande, autrefois utilisées comme prés communaux. Les schistes étaient amenés et déversés par berlines, stockés en couches horizontales et parallèles, pour former les terrils plats. La référence en est le terril de Pinchonvalles (T75), constitué de trois plateaux superposés sur une hauteur totale de 120 m (Fig. 3).
Les terrils plus récents sont le plus souvent coniques dont l’emprise au sol est plus faible à volume égal, mais demande un substrat de bonne portance pour limiter les déformations périphériques (bourrelet encore visible à Harnes (T93), par exemple). Mais la mise à terril nécessite une force de traction mécanique sur rail ou, pour les plus récents, par bande transporteuse, téléphériques, par skips. C’est le cas des « jumeaux » de Loos-en-Gohelle (T74), les plus hauts d’Europe (186 m), d’où la vue porte jusqu’à 40 km par beau temps. Le déversement sur les flancs leur a donné une forme en épis de blé caractéristique qui fait le bonheur des photographes dès qu’un peu de neige les recouvre.
L’exploitation du gisement houiller a débuté sous régime privé, concurrentiel, puis, de 1945 à 1990, sous régime public avec le souci premier de rationaliser cette exploitation. Outre plusieurs étapes de regroupements administratifs, les installations ont connu des fortunes diverses donnant localement lieu à des histoires complexes. A titre d’exemple, le terril T116/117 mord sur les territoires de Dourges et Oignies ; il est associé à la Fosse 10 de Dourges, dont l’activité a débuté en 1961. La carte géologique de Carvin (1:50.000 : voir le site Infoterre du BRGM) le localise au milieu d’un ancien marais, drainé par un petit cours d’eau qui rejoignait la Deûle lorsque la concession de Dourges a été accordée (1852). Aujourd’hui ce terril limite au nord la plate-forme multimodale Delta 3 que traverse le canal à grand gabarit. Lui-même est issu du canal de la Haute-Deûle construit de 1687 à 1693, sur demande de Vauban, pour franchir la ligne de partage des eaux entre les bassins versants de la Deûle et de la Scarpe (Heddebaut, 2002). Ce terril a été élevé dès 1956 à partir « des terres de fosse du siège d’extraction n°10, et à partir de la fin des années 80, d’autres sièges du bassin encore en activité ». Il a aussi reçu « des matériaux sortant de plusieurs lavoirs provenant de toutes les fosses des groupes d’Oignies et d’Ostricourt » (Extraits du dossier de sortie de concession de Dourges, novembre 2005). « En 1967, le terril était de forme tabulaire, et bordé de deux bassins de décantation, l’un au nord-ouest, l’autre au sud-est ». Mais en 1974, après 14 ans d’exploitation et près de 40 millions de tonnes déversées, un fort poinçonnage du terril sur environ 5 mètres de hauteur a provoqué des dégâts importants côté Evin-Malmaison avec remontées de terres sensible jusqu’à 250 m de distance, ce qui a détruit le CD 160 reliant Dourges à Oignies ! A partir de cette date, et jusqu’à la fin de l’exploitation du Siège 10 à Oignies, pour des raisons géotechniques liées à la nature du sol, les schistes ont été déversés par dumpers par couches de 5 mètres.
3) La combustion des terrils
Dans notre cher ex-Bassin minier, revenait souvent cette question : « Dis papa, pourquoi les terrils brûlent-ils ? ». Un terril houiller peut entrer en combustion par processus naturel lorsqu'un certain nombre de facteurs sont réunis : présence de matières combustibles (poussier de charbon, voire stockage de charbon par acte de résistance pendant les guerres), humidité propice à l'auto-échauffement des charbons et à l'oxydation des abondants cristaux de pyrite et des matières putrescibles, granulométrie hétérogène favorisant la pénétration de l'air et l'apport d'oxygène. Une élévation progressive de la température interne du terril par auto-échauffement, sans dissipation des calories vers l'extérieur, avec apport continu d'oxygène, permet d'atteindre la température critique d'amorce de l'auto-combustion des matières combustibles (70-80°C). Les terrils les plus susceptibles d'entrer en combustion sont les terrils dits de mine ou de fosse, constitués de produits "tout-venant" issus du creusement des galeries au rocher, et des résidus d'épierrage du charbon extrait. Ils sont composés de matériaux de granulométries étendues (0-500 mm) et de natures très diverses (blocs gréseux, schistes plus ou moins charbonneux et pyriteux, charbon, bois de mine, déchets divers plus ou moins combustibles...). Les matériaux combustibles entrent pour 15 à 25 % dans la composition des terrils de fosse. Les terrils dits de lavoir sont constitués de matériaux de granulométrie plus fine et plus régulière (0-150 mm), de nature essentiellement argileuse à silteuse. Ils peuvent contenir des matières carbonées en proportion encore notable, mais d'autant moins que les lavoirs dont ils sont issus sont plus modernes. L’exploitation récente de certains terrils montre que la teneur en cendres des stériles de lavoirs antérieurs à la Seconde Guerre mondiale était de l'ordre de 75 % contre 85 % après 1960. Dans les terrils de fosse, le calibre et la nature des matériaux sont fort variables et irrégulièrement répartis suivant les modes de construction et les dates de mise à dépôt. Le sommet du terril, composé de matériaux plus fins est légèrement plus riche en matériaux combustibles et plus dense que la base où l'indice des vides est plus élevé, principalement sur les flancs non consolidés par la charge. Du fait que les durées d'exploitation des grands terrils coniques ont pu atteindre 30 à 60 ans, les matériaux les plus anciens à la base des dépôts peuvent être également enrichis en charbon, car moins bien triés à l'époque. Pour ce qui concerne les terrils de lavoir, la granulométrie et la densité des matériaux restent relativement homogènes.
L’étincelle accidentelle qui initie la combustion est le plus souvent la foudre. L’inflammation extérieure accidentelle est toujours possible : feux de broussailles, incendies de forêts, déversement de braises, feux de déchets... Quelques exemples d’amorçage inconscient par ignorance ont été recensés sur les bassins miniers européens. De nombreux terrils ont été autrefois mis en combustion par le déversement de cendres chaudes issues des chaudières à vapeur des sièges d'exploitation proches. Mais la principale cause reste l’échauffement spontané (auto-inflammation), lorsque différentes conditions se trouvent réunies, liées soit à la composition et à la structure du dépôt, soit aux conditions d'environnement extérieures. Après la sécheresse de l'été 1976, un certain nombre de terrils sont ainsi entrés en combustion spontanée sur le bassin houiller du Nord - Pas-de-Calais. La combustion se développe généralement "en couches", suivant des surfaces privilégiées liées à la granulométrie et à la nature des produits les plus perméables à l'air. Sur un terril brûlé, les degrés de combustion sont matérialisés par la teinte des matériaux : imbrûlés noirs, peu brûlés oranges, brûlés rouges et très brûlés, avec vitrification, violets. Les composants des matériaux noirs et orangés sont ceux des matériaux houillers gréso-schisteux : quartz, feldspaths, micas, argiles, oxydes de fer, charbons, pyrites. Les matériaux brûlés rouges et violets sont composés de quartz, cristobalite (quartz haute température), silicates d'alumine, silico-aluminate de magnésium, oxydes de fer et matières vitreuses. Les mécanismes de combustion spontanée sont complexes. Ils sont favorisés par un apport d'air en quantité juste suffisante dans le remblai pour provoquer l'oxydation des produits combustibles, sans toutefois trop ventiler la zone en échauffement. Un apport d'air excessif aurait pour effet d'évacuer les thermies produites (par convection) et d'empêcher l'accumulation de chaleur due aux réactions d'oxydation (auto-échauffement des éléments charbonneux, oxydation des pyrites, putréfaction de matières organiques telles que le bois). Les températures atteintes à quelques mètres de profondeur sont de l'ordre de 800°C à 1 000°C, voire parfois 1 200°C. C’est pourquoi on peut ramasser, sur un terril rouge, des blocs dont les éléments sont soudés à leurs points de contact, conséquence d’une réaction de type métamorphisme à la limite de la fusion. Parmi les principaux paramètres pouvant influer sur le mécanisme d'auto-combustion, on trouve :
- des paramètres liés au matériau de dépôt lui-même : le rang et le pourcentage de matières volatiles des produits charbonneux (charbons gras, flambants), la teneur en charbon, la teneur en pyrite, l'humidité, la granulométrie, la conductivité thermique des matériaux, l'indice des vides (degré de compactage), la perméabilité à l'air et à l'eau ;
- des paramètres relatifs aux conditions d'environnement : les conditions climatologiques, la pluviométrie, les vents dominants, les augmentations de températures locales (exposition sud des versants), les pentes des talus et le volume du dépôt.
Les terrils provenant de fosses de production de charbons à faible taux de matières volatiles et riches en carbone fixe (anthracite) comme ceux d’Oignies ou des Usines Rousseau à Bruay-sur-Escaut ne brûleront jamais spontanément… Les réactions de combustion sur un terril se font toutes en présence d’une faible quantité d'eau (pluie ou arrosage pour abattre les poussières et refroidir les matériaux lors d'exploitation...). Les principaux gaz rencontrés sont issus de la combustion des matières carbonées et de la pyrolyse qui libère des composés volatiles. Le débit et les concentrations de ces gaz dépendent du régime de combustion, il s'agit le plus souvent d'une combustion complète avec excès d'air. Les gaz mis en évidence proviennent de l'air chaud qui n'a pas participé à la combustion mais qui a été chauffé par la proximité du foyer, de gaz de sortie de foyer (riche en CO2, vapeur d'eau, NOx), de gaz issus d'une combustion imparfaite en profondeur par déficit en oxygène (CO), de gaz issus de la décomposition des pyrites (H2S, SO2, composés organo-soufrés) ou de pyrolyses (hydrogène, méthane, éthane, propane, butane, propylène, butylène, hydrocarbures légers de type phénol, benzène, toluène, xylène). Les fumerolles qui sortent des évents naturels sont bordées de cristallisations spécifiques, dans lesquelles le soufre est un composant majeur. L’odeur d’œuf pourri qui caractérise les émissions de H2S permet d’ailleurs de détecter un évent en activité. Enfin, autour de ces évents s’épanouissent également des espèces végétales spécifiques que l’on trouve sur les champs fumerolliens naturels des régions volcaniques. Pour en savoir davantage sur ce sujet, contacter La Chaîne des Terrils à Loos-en-Gohelle ou l’Etablissement Public Foncier à Lille (voir la 'Webographie' ci-dessous).
Rares ont été les accidents graves dus à l’échauffement, mais une violente explosion a eu lieu sur le terril T15 à Calonne-Ricouart le 26 août 1975, faisant cinq morts et quatre blessés graves dans le coron voisin, la Cité du Quennehem qui a été rasée (Fig. 1). Sur le bassin houiller du Nord - Pas-de-Calais, environ 50 % des terrils ont brûlé totalement ou partiellement. La surveillance thermique des terrils en combustion, ou susceptibles de l’être, est une opération menée sur tous les sites miniers concernés en Europe. Elle est effectuée régulièrement par survol selon un protocole strictement défini. Comme d’autres mesures spécifiques (Lemal & Meilliez, 2017), elle entre dans la mission de l’Unité Territoriale de l’Après-Mine (voir Webographie).
4) La lixiviation des terrils
L’oxydation de la pyrite mise à terril, en quantité non négligeable dans les schistes et grès houillers, conduit in fine à la libération de chaleur et d’anions sulfates. Le soufre provient de la matière organique produite par les êtres vivants fossilisés au Carbonifère. La question se posait donc de savoir si la pluie tombant sur les terrils n’avait pas la capacité à se transformer en acide sulfurique après lixiviation au travers du terril. Comme par ailleurs certains terrils sont proches de la craie, il était important d’évaluer l’impact du lessivage naturel d’un terril sur l’aquifère de la craie. Cela a été étudié dans une thèse passée en 2001, ayant donné lieu à publication (Denimal et al., 2001). Deux sites avaient été retenus, l’un où la nappe de la craie est libre, c’est-à-dire que le terril n’est séparé de la craie que par une mince couche de limons, et l’autre où la nappe de la craie est captive, c’est-à-dire où le terril est séparé de la craie par quelques mètres d’Argile de Louvil, sous la mince couche de limons. Les résultats font bien apparaître l’action de la lixiviation, ses effets ayant été suivis par l’analyse des isotopes du soufre et du carbone. Aux pieds des terrils, la proportion d’ions sulfates libérés n’est pas nulle, mais elle est nettement inférieure à celle qui figure sur les étiquettes d’une eau minérale exploitée et commercialisée à St Amand-les-eaux. Aucune incidence sur la craie n’a été signalée autour du terril situé sur la nappe libre. Par contre la dégradation du gypse contenu dans l’Argile de Louvil libère aussi des ions sulfates dont la composition isotopique diffère de celle des pyrites, et permet donc de différencier les deux processus. En revanche, le lessivage du carbone organique lié au charbon des terrils a permis de mettre en évidence un processus d’autorégulation dans la nappe captive. Ce carbone organique favorise le développement de bactéries sulfato-réductrices dans l’aquifère qui neutralisent, en conditions anaérobies, la pollution de la nappe captive. Il n’y a donc pas de pollution chimique issue des terrils là où ceux-ci ne sont formés que de produits issus de l’activité extractive charbonnière.
III. – Valorisations industrielle et patrimoniale
Charbonnages de France (CdF) est la société mère qui, après le vote de la loi de 1946 sur la nationalisation du charbon, a constitué ses actifs à partir des acquis des sociétés privées jusque-là concessionnaires. Le régime de concession a demeuré mais la société en charge d’en assurer les devoirs était devenue nationale, c’est-à-dire avec l’Etat comme seul actionnaire. Les sites miniers ont été constitués en filiales régionales, dont les Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC). La logique industrielle prévalant, HBNPC a délaissé les ouvrages, sites et bâtiments pour lesquels il était avéré que leur participation à la production industrielle avait été, ou serait nulle. Nous ne connaissons pas le nombre et la localisation des puits, ou tentatives de puits qui ont ainsi été abandonnés, la majeure partie entre Douai et la frontière belge, par raison historique. Mais tous les terrils ayant manifestement participé à la production, sont entrés dans l’actif de CdF.
Un terril est un déchet par rapport à l’activité d’extraction du charbon. Mais c’est aussi une matière première, utilisée en remblais, en revêtements paysagers entre autres, qui a une valeur marchande (Fig. 4). Ceci implique que l’exploitation d’un terril impose, dans le Droit français, de passer par la procédure de déclaration d’ouverture de carrière (Loi 93-3 du 4 janvier 1993). Cette démarche était un préalable à toute activité voulant valoriser le matériau constitutif d’un terril, quelle qu’elle soit. Ainsi en 1959, HBNPC a créé la société Surschiste pour assurer la commercialisation des briques de schistes d’Hulluch. En 1989, la mission de Surschiste a été élargie pour commercialiser l’ensemble des schistes issus du houiller du Nord – Pas-de-Calais, ainsi que les cendres provenant des centrales thermiques gérées par CdF. A cette occasion, Surschiste est devenue filiale directe de CdF. En 1996, alors que l’extraction du charbon était définitivement arrêtée, Terrils S.A. a été créée pour reprendre l’ensemble du patrimoine lié aux terrils : aussi bien le foncier (les assises) que le gisement de schistes. L’un de nous (JM) a dirigé Terrils S.A. En 2002, dans la logique de désengagement de CdF, Terrils S.A. a été scindée en deux parties. D’une part, Terrils S.A. a conservé la gestion du foncier, environ 2 200 ha, constitué des terrains d’assises et de terrils non exploités. Puis, en 2003, Terrils S.A. a été transférée à l’Etablissement Public Foncier (EPF), organisme public agissant notamment comme maître d’ouvrage délégué auprès des collectivités territoriales (voir site Web). D’autre part une nouvelle société, Schistes du Nord et du Pas-de-Calais (SNPC) a repris l’activité « Matériaux » avec les terrils en exploitation et à exploiter (28 terrils et un gisement estimé à 40 millions de tonnes). L’un de nous (EB) a dirigé cette société pour la transférer à un groupement de producteurs.
Pendant un temps, Charbonnages de France avait envisagé de raser les terrils résiduels non ré-exploitables, afin de gommer les traces paysagères de l’activité minière. C’était, bien sûr, une utopie puisque d’autres traces de natures différentes restent dans les paysages et ont marqué l’urbanisme de façon durable. Par ailleurs, un mouvement spontané s’est organisé en faisant valoir la valeur symbolique de ces « montagnes du nord ». Entre autres, ce mouvement a abouti à l’émergence de l’association La Chaîne des Terrils (voir site Web). Parallèlement, dans le domaine environnemental, les Départements du Nord et du Pas-de-Calais ont engagé une politique de protection des Espaces Naturels Sensibles. Travaillant avec l’EPF notamment, ils ont contribué à mettre en sécurité les sites retenus pour une ouverture au public, les "renaturer", puis les céder aux collectivités ou aux associations environnementales (exemple : EDEN62) dans le cadre de projets bien définis (Lemoine, 2012). Les sites devant continuer à faire l’objet d’un suivi par rapport à la sécurité (risques d’instabilité ou thermique) sont interdits au public et sont surveillés par l’Unité Territoriale de l’Après-Mine (UTAM-Nord), rattachée au BRGM (Lemal & Meilliez, 2017).
Les schistes houillers brûlés sont des produits inertes exclusivement composés de quartz, silicates d’alumine et quelques oxydes. Il n’y a plus de matière organique résiduelle susceptible d’évoluer par suite d’une variation des conditions environnementales. A partir des années 1950, différentes filières de valorisation des schistes ont été exploitées :
- la fabrication de briques à partir du terril T73 d’Hulluch : Usine SURSCHISTE puis WIENERBERGER ;
- la constitution des remblais, plates-formes industrielles, sous-couches de roulement pour les Travaux Publics ;
- la récupération des produits charbonneux avec en particulier TERCHARNOR sur le terril de Rieulay, pour les centrales thermiques.
En 50 ans, plus de 250 millions de tonnes ont été valorisés dans les travaux publics. Bel exemple d’écologie industrielle car le schiste est bien un produit recyclé ! Toutefois il faut savoir que le statut juridique n’est pas simple. Les schistes noirs sont valorisés en tout-venant : Formoschiste (0/150 mm et 0/20 mm). Les schistes rouges aux caractéristiques mécaniques accrues parmi lesquelles une totale insensibilité à l’eau, non gélifs, sont commercialisés en tout-venant, et calibrés (0/3 mm, 0/6 mm, 6/15 mm, 6/20 mm, 20/40 mm, …). Parmi les usages bénéficiant des projecteurs de l’actualité, les courts de terre battue de Roland Garros sont réalisés sur une base de schistes houillers brûlés. Lors des grands travaux d’infrastructure, comme le TGV Nord, les ventes annuelles sont montées jusqu’à 9 millions de tonnes pour retomber au début des années 2 000 à 2 millions de tonnes et aujourd’hui à environ 400.000 tonnes. Depuis 2002, les terrils en exploitation ont été gérés par la société S.N.P.C. (Schistes du Nord et du Pas-de-Calais) et ce jusqu’en 2017. Depuis, il ne reste que 4 terrils en exploitation dont 3 produisent encore des schistes rouges, T23 à Auchel, T76 à Avion et T79 à Loos-en-Gohelle. Le T4 à Marles-les-Mines ne produit que du noir. La production de schistes devrait s’éteindre vers 2024. Depuis 1976 et sur 30 ans, environ 16 millions de tonnes de produits charbonneux (7,25 millions de TEP - tonnes équivalent pétrole) ont aussi alimenté les centrales thermiques de la région (la SNET à Hornaing jusqu’en 2007).
Après avoir été un symbole de la souffrance des mineurs y compris enfants/galibots et femmes/cafus d’antan, les terrils sont devenus aujourd’hui de véritables symboles d’une partie d’histoire du territoire. Et c’est à ce titre qu’ils font partie du patrimoine reconnu par l’UNESCO au titre des Paysages Culturels Evolutifs (Bertram, 2017). Plusieurs institutions en rendent compte dont la Mission Bassin Minier, le Centre Historique Minier de Lewarde, le CPIE (Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement) et La Chaîne des Terrils. Quelques-uns achèvent leur seconde vie en tant que carrières d’extraction de matériaux pour travaux publics. Mais la plupart ont été cédés soit à des collectivités territoriales, soit à des associations après réalisation d’opérations de verdissement paysager ou de restauration écologique. Ils deviennent ainsi les lieux intéressants pour y développer des actions de loisirs (sports de nature, comme le VTT et les courses à pied…) et de sensibilisation à l’écologie et à l’observation d’une nature qui évolue vers un nouvel équilibre (Fig. 5). C’est une expression de la résilience de ce territoire pour ne pas oublier son passé minier au service de la nation, quels qu’en soient les coûts.
IV. – Conclusion
Le voyageur qui arrive du sud par l’autoroute A1 (Paris - Lille) sait qu’il arrive dans l’ancien bassin minier en voyant la masse allongée du T141, dit terril de l’Escarpelle, près de Douai, et le cône du T85 dit terril Sainte Henriette à Noyelles-Godault. Quelques kilomètres plus loin, il quitte déjà le pays minier après avoir dépassé le T107, dit de la Tour d’Horloge à Carvin. Ces quelques collines sont les dernières sentinelles dont la seule présence témoignera encore longtemps d’une partie d’histoire régionale et nationale : celle qui a vu le gisement houiller du Nord – Pas-de-Calais, entièrement souterrain, très morcelé et divisé de par son histoire géologique complexe, être exploité par des hommes dans des conditions difficiles en sous-sol tandis que d’autres développaient des centres urbains au-dessus. L’activité extractive a duré près de 3 siècles et a engendré des conséquences importantes sur l’hydraulique régionale en surface comme en profondeur (Lemal & Meilliez, 2017). La lecture de ces témoins est complexe, même pour les personnes qui ont la charge de leur évolution. Toutefois les terrils et le patrimoine bâti (cités minières, installations industrielles, bâtiments de vie collective) ont suffisamment marqué les paysages, la biodiversité et la culture des hommes pour avoir suscité une démarche de sauvegarde et de valorisation. Le classement au Patrimoine Culturel mondial de l’UNESCO en 2012 est une reconnaissance du bien-fondé de cette démarche. Cet article veut juste rappeler ce que représentait un terril : d’un objet de rebut initial, puisqu’il accumulait des déchets, il est aujourd’hui devenu un symbole culturel, témoin des efforts, souffrances et joies, qui ont permis à une région de contribuer malgré tout au développement d’une communauté nationale.
Remerciements. — Les auteurs sont reconnaissants à l’équipe rédactionnelle pour l’assistance apportée à la présentation de cet article. Ils expriment aussi leur reconnaissance aux relecteurs, Guillaume Lemoine, d’abord chargé de la mission Espaces Naturels Sensibles au Département du Nord, maintenant à l’EPF, et un relecteur anonyme. Leurs remarques ont stimulé l’écriture qui, cependant, a tenté de rester la plus factuelle possible sur un sujet sensible pour les nombreux acteurs encore vivants.