Entrons dans la mort les yeux ouverts
(Marguerite Yourcenar : Mémoires d'Hadrien)
Paul, tu étais clair, limpide et sans artifice. Tu étais un modeste, comme les a chantés Brassens, c'est-à-dire un remarquable caractère tout à l'inverse de l'air du temps, fidèle à tes convictions et capable de les défendre jusqu'au bout, sans compromission. Tu étais un sportif et un ascète, mais qui n'aurait jamais imposé une quelconque éthique de vie à qui que ce soit. Ta fibre artistique fit de toi un grand connaisseur des peintures naïves et des hanbels marocains. Tu pris de nombreuses photographies d'admirables visages au Maroc, puisant aussi ton inspiration dans les champs meusiens ou les graffitis parisiens. Tu t'exprimais dans un français simple et châtié, d'une voix douce et chaude. La maladie de Parkinson, qui devait t'emporter le 14 juin 2015 n'avait pu ternir l'intensité de ton regard (Fig. 1) ; elle avait juste affecté ton écriture (Fig. 2) et retardé les articles scientifi ques que tu souhaitais transmettre. Toutes les personnes qui prirent la parole à tes funérailles (Gunepin, 2015 ; Godinot, 2015 a-b ; Jossen, 2015) ont souligné avec quelle énergie tu livras tes derniers grands combats intellectuels. Homme de cœur et homme de science, sûr de tes certitudes quoique toujours ouvert à la discussion, tu en étais venu à te poser la principale question de notre époque : « mais que faire du nucléaire » ?
Dans ta vie de géologue, notamment au Service Géologique du Maroc, tu t'étais consacré à découvrir des ressources naturelles, sans trop te préoccuper des conséquences humaines, écologiques et sociales de tes recherches. Puis, confronté au problème géologique d'un plateau calcaire faillé, failli et dévoyé, tu avais bientôt compris la nocivité du tout-nucléaire, de ses déchets et de leur corollaire : « comment s'en débarrasser ? ». Ce danger suprême, tu t'y confrontas, et quasi de visu, en aidant activement une association qui tentait de redonner joie et espoir aux enfants de Tchernobyl, victimes pacifiques du nucléaire civil.
Le membre de la SGN
Membre de la SGN, de 1986 à sa mort, Paul y publia plusieurs articles importants. Il sut lui rester fi dèle, quand notre société traversa les tempêtes de la fi n du vingtième siècle et que tout s'en allait à vau-l'eau. Chaque fois qu'il parlait de la SGN, et spécialement de Madame Corsin qui était alors sa directeure aux publications, Paul exultait et louait la qualité des planches de nos Annales, surtout celles qui avaient été imprimées à partir des zircons de Boudoufoud (Huvelin & Gasquet, 2003) (Fig.3). Chez nous il sortit plusieurs notes scientifi ques sur le Maroc (Huvelin & Mamet, 1989 ; Huvelin, 1992 ; Beun & Huvelin, 1992 ; Huvelin et Gasquet, 2003). Nous avions un gros travail en cours (Fig. 4) que, bien-sûr, nous projetions de publier dans les Annales de la SGN. Il ne verra jamais le jour…
Sa vie, son œuvre
Paul naquit à Marseille le 10 mars 1932 ; il était l'aîné de six frères et sœurs. De son enfance et de son service militaire, qu'il passa comme sous-lieutenant en Mauritanie, il ne parlait guère. En 1956, il sortit ingénieur géologue de l'ENSG de Nancy. A partir de 1960, il fi t sa carrière de géologue au Maroc. Il en tira de nombreuses publications (voir liste jointe) et une thèse de Doctorat d'Etat soutenue en 1975 (Huvelin, 1977a). Dans les dernières années passées au Ministère des Mines à Rabat, il coordonna avec minutie la publication des Notes et Mémoires du Service géologique du Maroc, en remplacement de J. Destombes. Paul forma aussi au terrain de nombreux étudiants de l'Ecole Nationale de l'Industrie Minérale (Mines-Rabat) ou de jeunes collègues du Service Géologique.
Quand le Maroc se sépara de ses coopérants français, Paul rentra dans sa petite patrie à Naix-aux-Forges (Meuse). Après une retraite de courte durée, il reprit ses recherches géologiques lors de séjours privés qu'il effectua presque chaque année au Maroc, grâce à l'hospitalité de Madame Amina Joubir. Il se consacra aussi aux belles causes que nous avons déjà évoquées et dont nous allons reparler.
Le Maroc
Au Maroc, il travailla surtout sur le massif des Jebilet. En 1966, Jules Agard, directeur du service des Gîtes minéraux au Service Géologique du Maroc, le chargea d'inventorier les indices minéraux de cette région. De 1967 à 1971, il accomplit de nombreuses missions de terrain dans des conditions souvent diffi ciles, puis il rédigea une thèse de doctorat d'Etat qui fut soutenue, le 28 octobre 1975, devant un jury composé de MM. Bernard, Agard, Michard, Permingeat, Rocci et Sougy, sommités de l'époque. Les observations de terrain, la gîtologie, la pétrographie et la minéralogie, ainsi que les cartes qui accompagnent le mémoire de thèse, sont d'une telle qualité et d'une telle précision, qu'elles n'ont jamais été démenties depuis plus de 40 ans. D'une façon générale, Paul, bon comme le pain, n'éprouva jamais de rancune envers qui que ce soit à la suite d'une polémique scientifique sur le Maroc. Seule une traîtrise, dont il avait été victime lors d'une excursion de congrès dans ce pays, laissa place à son ressentiment. Un collègue géologue, témoin de la scène, la retraça fort bien dans son discours aux funérailles de Paul (Jossen, 2015).
Dans les Jebilet, Paul s'intéressa surtout aux plissements hercyniens majeurs, parfois accompagnés d'un métamorphisme régional. Comme en beaucoup de régions du Maroc, la série carbonifère commence dans les Jebilet par un fl ysch à olistolithes et nappes calcaires déposé à partir du Viséen supérieur. Paul s'enquit longuement de découvrir des dépôts du Viséen inférieur qui auraient pu servir de substratum à ce flysch. Malgré nos recherches réitérées, nous n'avons jamais réussi à trouver les foraminifères des zones MFZ 9, 10 et 11A qui auraient confi rmé la présence de ce Viséen inférieur. Les niveaux les plus bas que nous identifi âmes furent ceux du Viséen moyen MFZ11B (Fig. 4). Paul poursuivit aussi des recherches géologiques dans les régions orientales du Maroc (Huvelin & Mamet, 1989 ; Huvelin, 1992 ; Huvelin & Gasquet, 2003), où nos avis divergeaient parfois, notamment à propos du Tazekka et du bassin de Jérada. Paul s'intéressa enfin, avec Noël Beun, à la région de Safi située à l'ouest du Maroc (Beun & Huvelin, 1992). En reconnaissance de ses remarquables travaux de terrain et des progrès paléontologiques qu'ils avaient permis, le fossile Amarellina huvelinii lui fut dédié (Mamet, 1995 ; Fig. 5).
Barre sur Bure
L'ultime objet géologique auquel Paul se confronta fut le massif sud-meusien de Bure, où des déchets nucléaires devaient être enfouis à -500 m dans des argilites et marnes pyriteuses du Callovo-oxfordien (Jurassique moyen-supérieur), avec le double risque de polluer la nappe aquifère oxfordienne et d'entraver défi nitivement les possibilités de développement économique de la région (Huvelin, 2013). D'autant que le réseau hydrographique, s'écoulant vers l'ouest, aurait pu contaminer Paris et toute la vallée de la Seine jusqu'à la mer. L'autre critique de Paul, à propos de Bure, était que des travaux de géophysique du BRGM y avaient détecté un potentiel géothermique, que le stockage des déchets nucléaires eût fait perdre à jamais. Même si ce dernier point fut et est encore minimisé par certains groupes, nous nous rangeons à tes conclusions géologiques, cher Paul, et pensons que tu avais vu juste jusqu'au bout.
Remerciements. — Nous avons reçu l'aide de Mesdames Irène Gunepin et Amina Joubir et de Messieurs Antoine Godinot, Noël Beun, Alain Izart et Jean-Arsène Jossen. Nous remercions Monsieur Dominique Gasquet (Université Savoie Mont Blanc- Laboratoire EDYTEM, UMR 5204 CNRS, Le Bourget du Lac) de sa relecture constructive.