Quelle grâce pour la danse classique aujourd’hui ?

Which grace for classical dance today?

DOI : 10.54563/demeter.1050

Abstracts

Peut-on sauver un sens contemporain pour la grâce dans le domaine de la danse classique ? S’il est communément admis que la danse classique est un art de la grâce, l’indétermination de cette notion, tout autant que le soupçon de désuétude porté à son égard, affectent tout particulièrement les discours sur cette forme artistique. Faut-il pour autant renoncer à penser la danse classique depuis la grâce ? Notre article fera plutôt l’hypothèse qu’il est possible de redonner une consistance aux liens entre grâce et danse classique, c’est-à-dire de mieux déterminer la notion de grâce, afin qu’elle ne constitue pas un obstacle épistémologique, mais plutôt un outil heuristique pour appréhender la danse classique, sans la renvoyer à une forme d’art anachronique qui ne nous donnerait plus rien à penser aujourd’hui. Il s’agira pour cela d’étudier les usages effectifs de la grâce dans les pratiques actuelles de la danse classique, mais aussi de retracer la généalogie de notre imaginaire actuel de la grâce en danse classique, afin de mieux en comprendre la portée et les limites.

Can we salvage a contemporary meaning for grace in the realm of classical dance? If it is commonly accepted that classical dance is an art of grace, the indeterminacy of this notion, as well as the suspicion of obsolescence brought to its regard, particularly affect the discourse on this artistic form. Should we therefore give up thinking of classical dance from the perspective of grace? Our article will rather make the hypothesis that it is possible to restore consistency to the links between grace and classical dance, that is to say to better determine the notion of grace, so that it does not constitute an epistemological obstacle, but rather a heuristic tool to apprehend classical dance, without referring it to an anachronistic form of art that would give us nothing to think about today. We will therefore study the effective uses of grace in the current practices of classical dance, but also trace the genealogy of our current imagination of grace in classical dance, in order to better understand its scope and its limits.

Index

Mots-clés

Ballet, classique, danse, grâce, philosophie

Keywords

Ballet, classical, dance, grace, philosophy

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Une grâce « désaccordée1 » ? Stéréotypes et fantasmes

Peut-on sauver un sens contemporain pour la grâce, en particulier dans le domaine de la danse classique ? Si la réponse à cette question ne va pas de soi, c’est que la grâce, en ce qu’elle évoque les vives controverses du christianisme, paraît appartenir à un autre temps, ou du moins à une sphère théologique dont la sphère artistique s’est depuis longtemps détachée. Les dualismes que cette notion articule (entre corps et esprit, mécanisme et liberté, nature et art, le règne de la nature et celui de la grâce) sont-ils encore tenables aujourd’hui ? Dans ses acceptions plus proprement esthétiques, la grâce semble également empreinte de désuétude, associée qu’elle est aux notions de charme, d’élégance, de « bonnes manières », ainsi qu’à un imaginaire de la beauté féminine qui comporte un fort danger d’essentialisation d’une supposée « féminité ». Floue, demeurant « en sa nomination, à l’état de fragmentation sémantique2 », réduite à « un mot, dont nous avons perdu le contenu3 », la grâce semble désormais, selon l’expression d’André Hirt, à notre époque « désaccordée ». Pour autant, la notion de grâce n’a pas disparu du vocabulaire avec lequel nous disons nos expériences esthétiques, même si elle peut être employée avec réticence : il arrive ainsi que nous qualifions de gracieuse la manière dont une personne se meut, ou que nous parlions de la grâce d’un interprète ou d’un événement esthétique.

Dans la danse classique en particulier, la grâce semble constituer aujourd’hui encore une valeur cardinale. Dans le même temps, parmi les « simplifications théoriques » dont la chercheuse en danse Laurence Louppe déplorait qu’elles nuisent « tout autant, sinon beaucoup plus, à la compréhension de la danse classique occidentale qu’à celle de la danse contemporaine4 », la notion de grâce pourrait occuper une position privilégiée. En effet, s’il est communément admis que la danse classique est un art de la grâce, et réciproquement que la grâce se trouve aujourd’hui à son état le plus pur en danse classique, l’indétermination de cette notion5, tout autant que le soupçon de désuétude porté à son égard, affectent tout particulièrement les discours sur cette forme artistique. En appelant l’image d’une ballerine en pointes et tutu blanc, l’imaginaire de la grâce en danse classique paraît d’abord perpétuer certains stéréotypes, l’associant de manière privilégiée à un idéal de féminité éthérée hérité du ballet romantique. Objet de fantasmes, la ballerine gracieuse nourrit les nombreuses productions culturelles (séries, films, publicités…) dont la danse classique fait l’objet. Plus encore, la grâce vient alimenter de nombreux fantasmes sur le corps de la ballerine

Autour des tensions douleur/beauté, corps sublimé/corps abîmé, sensualité/spiritualité – suscitant des critiques virulentes du ballet tout autant qu’une réelle fascination. Outre qu’elle appelle tout un imaginaire stéréotypé, la notion de grâce en danse classique semble en effet condenser à elle seule la plupart des reproches adressés aux parti-pris esthétiques et philosophiques qui caractériseraient la danse classique : désir d’ennoblissement, d’idéalisation, voire de spiritualisation du corps (notamment du corps féminin), pouvant aller jusqu’à son reniement ; seconde nature durement acquise par une technique codifiée, apparente liberté du mouvement conditionnée par une parfaite maîtrise (voire discipline) du corps ; adresse élégante ou glorieuse au partenaire et au public, incorporation de valeurs éthiques et socio-politiques anachroniques ; mais aussi, articulation rationnelle, voire mathématisante, du mouvement avec le temps, avec l’espace et avec la musique ; enfin, manifestation d’un idéal transcendant dans la matérialité des corps, reniement des particularités individuelles au profit d’une norme unique6… Deux périodes de l’histoire du ballet sont particulièrement mises en avant, voire rabattues l’une sur l’autre, comme si elles avaient déterminé l’essence gracieuse de la danse classique : le xviie siècle classique d’une part, en tant qu’époque de codification du geste et d’académisation du ballet, dans un contexte absolutiste et selon une rationalité « classique » ; le xixe siècle d’autre part, moment d’émergence du ballet romantique et de la technique des pointes, dont l’imaginaire de l’envol et de la spiritualisation du corps continue à marquer la notion de grâce en danse classique. Dans son essai Le geste emprunté, Anne Creissels souligne les ambivalences et tensions inhérentes à cet imaginaire de la grâce en danse classique, qui articule de manière complexe contrainte et liberté, incorporation d’une technique normative et marge de subjectivation :

Pour autant, la grâce ne serait-elle qu’un mythe aliénant d’assignation à la féminité ? Le geste dansé ne serait-il que véhicule d’idéologies, codification des corps ? Entre geste dansé, féminité, grâce et affirmation d’une subjectivité, le nouage est en fait bien plus complexe, de même qu’entre gestes et figurations de gestes7.

Cependant, la notion de grâce telle qu’elle est communément associée à la danse classique ne renvoie pas seulement à un imaginaire stéréotypé du féminin ou à une certaine histoire du ballet, mais aussi à toute une manière d’être du danseur classique, c’est-à-dire à une façon de se tenir et de se mouvoir dont il ne se départit pas hors scène. Reconnaissable notamment à une posture très érigée, à une démarche en dehors et à un port de tête élégant (nuque longue, épaules dégagées8…), cette corporéité gracieuse est le premier signe perceptible d’une incorporation profonde de la technique classique, allant parfois jusqu’à incarner dans les représentations communes l’idéal de ce que serait un « corps de danseur ». L’association de la grâce à la danse classique est ainsi ambivalente, pouvant servir à dévaloriser cet art comme à l’instaurer en une forme d’idéal. Elle tend cependant à réduire l’imaginaire commun que nous pouvons en former.

Trois questions se posent dès lors :

  1. Peut-on mieux comprendre la portée et les limites de cet imaginaire de la grâce en en retraçant la généalogie ?

  2. Est-il possible de redonner une consistance aux liens entre grâce et danse classique, c’est-à-dire de mieux déterminer la notion de grâce, afin qu’elle ne se réduise pas à une notion vague à valeur laudative ou critique, voire à un obstacle épistémologique, mais constitue un outil heuristique pour appréhender la danse classique actuelle, sans la renvoyer à une forme d’art anachronique qui ne nous donnerait plus rien à penser aujourd’hui ?

  3. Enfin, dans quelle mesure la grâce conserve-t-elle un caractère opérant dans les pratiques actuelles de la danse classique ?

Genèse d’un idéalisme de la grâce

Si la notion de grâce traverse l’histoire du ballet9, désignant un idéal de beau geste dont la technique du ballet cherche à enseigner les principes, son contenu esthétique, éthique, voire politique, est plusieurs fois redéfini, de telle sorte que l’on peut parler de réels changements de paradigme10 tant dans la théorisation de la grâce que dans ses pratiques. Cependant, il nous semble que les représentations actuelles des liens privilégiés qui existeraient entre grâce et danse classique héritent tout particulièrement des débats du début du xxe siècle autour de la modernité en danse. C’est en effet à ce moment qu’émerge une notion de grâce qui l’idéalise à un double niveau : pour l’élever au rang d’essence de la danse classique d’une part, pour y voir la manifestation d’un idéal transcendant d’autre part.

Au sein de l’opposition des classiques et des modernes qui marque les premières décennies du xxe siècle, la grâce occupe en effet une place centrale. Chez les modernes, elle semble à première vue condenser les critiques adressées au ballet classique. C’est ainsi qu’en 1928, l’écrivain Werner Schuftan résume le point de vue des tenants de la nouvelle danse comme une prise de partie contre « la grâce, la beauté, la technique » du ballet classique11. Se cantonnant au domaine du « joli12 » ou de la belle apparence, la grâce exprimerait l’impuissance du code technique et esthétique classique à dire une époque troublée et à exprimer la complexité psychique ou émotionnelle d’une subjectivité : parce qu’il reste prisonnier d’une recherche esthétique du gracieux, le ballet classique serait profondément anachronique, et voué à disparaître.

Chez les défenseurs du ballet à l’inverse, la notion de grâce vient dans les premières décennies du xxe siècle exalter le formalisme de la danse classique, en lui procurant une dimension spirituelle ; elle se trouve ainsi au cœur de la pensée néo-classique du ballet telle qu’elle s’élabore chez un critique de danse comme André Levinson. C’est ainsi que ce dernier, dans son essai Le principe de la danse d’école13 publié en 1929, propose une esthétique de la danse classique qui engage une détermination à la fois formaliste et spirituelle de la grâce. Se référant notamment aux travaux d’Heinrich Wölfflin, il entend donner à son essai une portée proprement philosophique et réinscrire la danse classique au sein de l’histoire de l’art et d’une pensée formaliste. Si l’art tend en général vers la forme géométrique, comme vers une limite dont il faudrait « approcher le plus possible, mais [s’]écarter au dernier moment14 », alors il semble à Levinson que la danse classique ait réalisé ce à quoi l’art chorégraphique aspirait. C’est qu’elle travaillerait à relier par des courbes l’axe horizontal, symbolisant la matière, et l’axe vertical, figurant l’esprit. La définition qu’il donne de la danse classique s’appuie donc sur la dimension éminemment géométrique de son vocabulaire : « Qu’est-ce que la danse classique ? Une armature rectiligne aux rapports interchangeables et reliés par un système de courbes15. » Tendant vers la pose sans jamais s’y figer, le mouvement classique indique ainsi comme son asymptote les pures formes abstraites entre lesquelles il ondule. Que cette approche formaliste du geste classique ait à voir avec la grâce, c’est ce que montre la description faite par Levinson de la danseuse des Ballets Russes Anna Pavlova dans son ouvrage Les Visages de la Danse :

Les principes de la grâce mesurée, de l’impondérable légèreté, les élégantes constructions à claire-voie des équilibres sur la pointe, les lents « développés » de l’adage où la ballerine s’épanouit comme une fleur de chair, l’adorable jeu des courbes autour de l’armature rectiligne d’une « arabesque », tout cet ensemble harmonieux de formes, toutes ces gênes, ces artifices, ces rites de la beauté saltatoire, Pavlova ne les a jamais reniés16.

Or, parce que le formalisme du vocabulaire classique s’applique au corps humain vivant, impliquant de « couler sa forme organique et naturelle dans un moule idéal17 », de « la soumettre aux lois qui régissent, entités souveraines, le domaine de la beauté, celles de la symétrie, de l’équilibre, du nombre régulateur de toute perfection18 », il implique une discipline sévère de la part du danseur, et plus encore de la danseuse, qui incarne cet idéal de perfection formelle. C’est ainsi que la danse classique se trouve érigée par Levinson en véritable technique de la grâce, mue par un désir de perfection qui en passe, pour que « la fusion de l’être organique et de la forme abstraite [soit] miraculeusement accomplie19 », par une complète refonte de la nature organique. Le formalisme de la grâce en danse classique aurait ainsi un sens spirituel, en ce qu’il dépouillerait la danseuse de son enveloppe charnelle pour lui permettre de symboliser des essences abstraites. Ceci n’est pas sans poser problème : alors même qu’il prétend déduire sa philosophie de la danse classique elle-même, en refusant de l’entacher d’une polémique avec la danse moderne, Levinson affirme en effet la supériorité de cette forme artistique non seulement vis-à-vis de la danse moderne, mais aussi à l’égard de toute autre forme de danse. La danse classique peut bien « se moque[r] d’être moderne20 », puisqu’elle réalise une essence atemporelle de la danse. Levinson opère ainsi une double idéalisation de la grâce, en essence de la danse classique, voire de la danse, et en tant que la grâce en danse classique serait la manifestation de réalités spirituelles telles que la beauté, prise en une acception néo-platonicienne d’essence transcendante.

Cet idéalisme de la grâce ouvre la voie à une essentialisation réciproque entre grâce et danse classique qui sera largement développée au xxe siècle21, y compris dans l’ouvrage de Raymond Bayer L’esthétique de la grâce22, publié en 1933. Dans cet ouvrage où Bayer retrace l’histoire du concept et procède à une comparaison des différentes formes que prend la grâce selon les arts, les analyses les plus précises sont développées dans les chapitres finaux viii et ix, consacrés respectivement à « la mécanique » et à « l’esthétique » de la danse. Si la danse vient conclure l’ouvrage, c’est parce qu’en tant qu’art du mouvement, elle « réunit les conditions plastiques et dynamiques de la grâce. Les autres arts peuvent se manifester sous des espèces gracieuses ; seule, elle est l’art gracieux en soi23 ». Or, il restreint ses analyses à la danse classique, et plus précisément encore à des exercices de « l’école française », car « la danse française s’est proposé explicitement la grâce pour but et pour objet. […] elle s’est non seulement posé à sa manière le problème précis de la grâce : elle l’a résolu24 » :

Au rapport des volumes, elle substitue les jeux de l’équilibre ; au geste, une écriture. C’est un aplomb et c’est un dessin. Elle vide la danse, autant que faire se peut, de son humaine matière […]. Elle devient une forme pure, un jeu de combinaisons étincelantes.[…] En ce sens, elle est classique, parce qu’impersonnelle25 […].

Les échos à la pensée de Levinson sont ici frappants : la danse classique est pensée comme un art classique, dans le sens d’un formalisme dépouillé de tout contenu personnel et mimétique, fruit d’une codification remontant au ballet de cour du xviie siècle français, et dont la grâce serait l’essence.

Cependant, au moment même où s’affirme cette vision idéaliste et néo-classique de la grâce, qui en marque encore nos représentations actuelles, s’ouvre une seconde voie, permettant de repenser les rapports entre grâce et danse classique.

Entre codification et événement : repenser la grâce en danse classique

Si la grâce portée au rang d’essence de la danse classique semble constituer l’un des nœuds de l’opposition entre classiques et modernes telle qu’elle s’exacerbe dans les années 1920-1930, d’autres emplois discursifs et chorégraphiques de la grâce témoignent de ce qu’elle circule en fait de manière plus complexe entre ces courants artistiques. Lorsque Vaslav Nijinski26 crée en 1913 Le Sacre du printemps, « crime contre la grâce27 » souvent considéré comme l’un des manifestes de la modernité chorégraphique, en tant qu’il semble acter la rupture de son chorégraphe avec la tradition du ballet classique, c’est bien en terme de « grâce » que le critique Jacques Rivière s’en fait l’un des plus ardents défenseurs :

Il semble qu’il y ait dans la chorégraphie du Sacre du Printemps quelque chose de cacophonique. Pourtant la grâce n’est pas la rondeur ; elle n’est pas incompatible avec un dessin anguleux. Il y une grâce ici – je le prétends – et qui est plus profonde que celle du Spectre de la Rose, étant plus attachée. La grâce n’est rien d’indépendant ; elle ne vient pas se poser d’en haut sur les choses comme un oiseau ; elle n’est que l’émanation au dehors d’une exacte nécessité, que l’effet d’un impeccable ajustage intérieur28.

Jacques Rivière reconnaît ainsi au Sacre du printemps une forme inédite de grâce, qu’il prend soin de distinguer de la grâce du Spectre de la rose, ballet créé en 1911 par Michel Fokine, dans lequel Nijinski s’était illustré comme interprète du parfum de la rose. Le critique défend la possibilité de penser une grâce qui soit décorrélée de toute codification du gracieux, et vidée de toute transcendance, n’étant, en un mouvement inverse à la grâce divine, que « l’émanation au dehors d’une exacte nécessité ». Il faut dès lors refuser à la danse classique la prétention de se définir comme seule expression légitime de la grâce, et redéfinir cette notion pour rendre compte de ce qu’il y a de peut-être fondamental dans l’expérience de la grâce, qui soit irréductible à toute codification du geste gracieux29.

Une telle critique de la codification classique de la grâce n’est cependant pas l’apanage des modernes : on la retrouve également chez certains classiques dans les premières décennies du xxe siècle. Dans un courrier adressé en 1925 au directeur de l’Opéra de Paris Jacques Rouché, la danseuse, chorégraphe des Ballets Russes et pédagogue Bronislava Nijinska déplore ainsi que les danseurs de la compagnie accordent une importance démesurée à la virtuosité technique du travail de jambe, en négligeant le haut du corps, réduit à l’expression de « la grâce » :

L’ensemble des artistes, au point de vue technique est très bon, presque sans exception, mais leur idée sur la Danse est très limitée, resserrée précisément à cause de cet entraînement purement technique. La base de leur danse est uniquement dans les jambes : les bras et le corps ne comptent que pour « la grâce30 »

Nijinska souligne ici l’une des limites de l’enseignement classique : alors que les jambes travaillent toutes sortes de qualités de mouvement, le buste, les bras et la tête se meuvent principalement selon des qualités legato, se trouvant ainsi principalement en charge de la grâce. Or, le risque de cette coordination spécifique serait de verser dans l’affectation, c’est-à-dire dans l’exagération formelle d’une grâce vidée de son sens. D’une part, Nijinska invite donc à ne pas réduire la danse classique à la grâce ; d’autre part, elle permet de penser qu’il existe plusieurs manières de se rapporter au code classique et de donner sens à ces formes que Rivière nomme « évanescentes », jusqu’à peut-être retrouver un sens pour la grâce au sein de la technique classique. Que ce soit en défendant la possibilité d’une grâce moderne, ou en invitant à redonner sens au code esthétique qui sous-tend l’apprentissage de la technique classique, Rivière et Nijinska prennent donc le contre-pied d’une essentialisation réciproque de la danse classique et de la grâce, et ouvrent plusieurs voies pour « sauver la grâce31 » de sa relégation au passé. Cependant, la méfiance que tous deux expriment à l’égard d’une certaine codification du gracieux révèle une tension inhérente à la pensée de la grâce telle qu’elle devient au xxe siècle entre, d’une part, un soupçon d’anachronisme, et, d’autre part, la valeur qui lui reste attachée, et qui semble suffisamment importante pour que certains modernes cherchent à la dissocier du ballet classique. C’est donc le lien entre la codification classique du gracieux et l’événement de la grâce que ces circulations de la notion entre classiques et modernes invitent à interroger : dans quelle mesure les conditions d’apparaître de la grâce seraient-elles réalisées d’une manière spécifique au sein de la danse classique ?

Dans un entretien récent32, l’analyste du geste Hubert Godard relève qu’il semble exister une expérience commune à de nombreux arts du geste (de l’escrime à la danse en passant par les arts martiaux), celle d’un « je n’étais plus moi » de la part de celui qui effectue le geste, d’un « le temps s’est suspendu » ou d’un « on rentre dans l’éternité » partagé par celui qui fait le geste et celui qui le reçoit. Nommé différemment selon les cultures, cet état serait ce que cherche à dire la notion de duende telle qu’elle est pensée par Federico García Lorca dans Jeu et théorie du duende33, ou celle de grâce dans l’essai Sur le théâtre de marionnettes d’Heinrich von Kleist34. Hubert Godard quant à lui propose le terme d’« état de grâce ». Alors que le geste peut facilement verser dans le machinal, l’automatique, ou la reproduction du même, la grâce adviendrait lorsqu’il apparaît comme absolument libre, spontané, neuf – ce qui, dans le cas des arts du geste, est souvent paradoxalement le fruit du travail, et de la répétition. Pour autant, il semble que la grâce ne puisse être voulue, mais que son apparition s’impose, dans une forme d’évidence reconnue par tous : quand la grâce est là, « quelque chose a eu lieu ». Et lorsque cette « manière autre d’être là » advient, « comment ne pas être affecté ? ». Pour Hubert Godard en effet, dans l’état de grâce « je sors de l’image » (du connu, mais aussi du mimétique), ce qui fait que « quelque chose peut naître » : la genèse du geste elle- même se donne à voir. Il se pourrait cependant que ce soit parce que je m’attends à du prévisible, à un geste « bien réalisé » selon des normes préexistantes, que la grâce peut advenir comme par surcroît. En cela, la grâce tisserait de manière complexe le prévisible et l’imprévisible, le codifié et l’inconnu, ou ce qui prépare l’événement et l’événement lui-même.

Or, cette dialectique entre codification et événement nous semble particulièrement intéressante pour penser un art aussi codifié que la danse classique, mais dont le code ne cesse d’évoluer – peut-être mû par l’événement de certains gestes. Il se pourrait qu’en danse classique, la grâce apparaisse et s’éprouve dans le jeu avec une certaine codification du geste gracieux, qui, définissant les contours d’un idéal du beau geste, possède une variabilité historique importante et s’est (ré) élaborée à l’intersection entre des préoccupations esthétiques, éthiques et politiques. Dire qu’un danseur classique est gracieux, ce serait alors se référer implicitement à certaines normes de beauté, dont faire la généalogie permet de réinscrire le ballet au sein d’une histoire du corps et des arts, mais aussi de dépouiller ce code de ses prétentions idéalistes en interrogeant les fictions, fantasmes et mythes dont il est porteur. Cependant, peut-être cette codification du geste gracieux vise-t-elle à (re) produire (au risque de le scléroser), par-delà une esthétique du beau geste et du corps sublimé, ce que la grâce comporte d’inconditionné, ou le lien heureux qu’elle établit entre le danseur et le spectateur. Si, en danse classique, le code du gracieux prend en charge une normativité de l’idéal, il ouvrirait ainsi l’espace d’un jeu avec ce code, nécessaire à ce que la grâce advienne, et impliquant souvent un déplacement des normes pouvant aller jusqu’à leur transgression. Dans ses échappées hors du code du gracieux, l’événement de la grâce nous dirait ainsi peut-être quelque chose de ce qui dans la danse classique impulse le désir de danser ou de voir danser, de l’ordre du partage d’un inconditionné entre le danseur et le spectateur. Codification et événement de la grâce s’articuleraient ainsi doublement en danse classique : d’une part, le gracieux serait une tentative de formalisation de la grâce à l’interface entre le mouvement du danseur et le regard du spectateur, conformément à certaines valeurs esthétiques classiques comme la symétrie, l’harmonie, ou la ligne serpentine35 ; d’autre part, une expérience spécifique de la grâce en danse classique pourrait résider, pour le danseur comme pour le spectateur, dans le jeu que permet ce code, c’est-à-dire dans le moment où le code s’abolit comme mise en forme de ce qui meut le danseur, pour se donner lui-même comme un inconditionné, et permettre de faire advenir la grâce.

Pour illustrer ce jeu entre codification et événement de la grâce en danse classique, prenons les caractéristiques de la fluidité et de la suspension souvent associées au geste gracieux. Dans l’Essai sur les données immédiates de la conscience36, où Henri Bergson déploie les linéaments d’une analyse phénoménologique de la grâce dont l’on trouverait un prolongement chez Hubert Godard, le geste gracieux est ainsi défini comme fuyant l’angle et le zig zag, indices d’arbitraire et d’obstacles, pour préférer à la ligne droit la courbe sinueuse. C’est que « la ligne courbe change de direction à tout moment », « chaque direction nouvelle éta[n]t indiquée dans celle qui la précédait37 », d’où un sentiment paradoxal d’imprévisible prévisibilité. Or, la danse classique tend effectivement à procurer ce sentiment d’aisance, tant grâce à sa technique fondée sur la parfaite fluidité de l’enchaînement gestuel, sans heurts ni ruptures, que grâce à une composition chorégraphique qui favorise en général l’impression de continuité du mouvement, via le tracé de lignes courbes dans l’espace en lien étroit avec le phrasé mélodique. Cependant, la définition bergsonienne de la grâce comme du sentiment d’une imprévisible prévisibilité permet de penser qu’elle n’advienne pas toujours en danse classique, mais nécessite par exemple une composition chorégraphique suffisamment variée et complexe (en tout cas le surgissement d’un imprévisible) pour susciter la sympathie propre au mouvement gracieux. Quant à la suspension38, autre caractéristique fréquemment associée à la grâce de gestes dont la retenue en soi permet de susciter le plaisir du spectateur tout en demeurant en eux-mêmes, conservant leur puissance d’altérité et d’altération, elle nous semble perceptible d’une manière toute spécifique en danse classique. Ainsi la danseuse Wilfride Piollet décrit-elle le sentiment d’éternité qui résulte de l’équilibre en danse classique, en particulier de l’équilibre sur pointe, en des termes qui établissent un lien entre la suspension gravitaire du geste et la suspension du temps vécu :

Un équilibre sur pointe pris en plein mouvement, vivement, éperdument, donne, par contraste, l’idée de suspension, d’arrêt du temps, même s’il ne dure que quelques secondes. À ce moment- là, celui qui le voit, mais surtout celle qui l’exécute, comprend à quel point la notion de verticalité contient d’éternité… […] Je ne peux m’empêcher de penser à Rosella Hightower ; quand elle s’élançait lors de sa variation du premier acte de Giselle en piqué arabesque, elle restait « suspendue », notre souffle aussi ; notre mémoire en est restée imprégnée39.

La ballerine sur pointes, élancée en suspension, peut donc devenir symbole d’éternité pour qui la regarde danser. Wilfride Piollet ancre cette symbolique dans une technique (qui sait jouer du contraste entre pose et mouvement, entre vitesse et lenteur, entre ancrage et envol, pour créer un effet de suspension40), mais avant tout dans une sensation, celle qu’a la danseuse d’être en adéquation parfaite avec son axe et son centre de gravité au moment même où elle risque la chute. Du piqué arabesque de la danseuse à sa réception (visuelle, kinesthésique, émotionnelle), il existe sans doute une asymétrie entre la grâce telle qu’elle est vécue par l’interprète et telle qu’elle est perçue par le spectateur ; cependant, la notion de grâce suppose pour Wilfride Piollet une relation, celle-là même que Bergson nomme « sympathie41  », c’est-à-dire un partage de la suspension. Il y aurait donc une expérience de la grâce propre à la danse classique, qui permet d’établir un lien entre ses dimensions esthétique et kinesthésique, et de déployer la dimension fondamentalement relationnelle de la danse classique, plutôt que de la renvoyer à un idéal transcendant.

Loin d’être une notion anachronique, la grâce nous semble ainsi ouvrir plusieurs voies pour interroger notre rapport à la danse classique aujourd’hui, et en particulier la codification des gestes et des corps dont elle est porteuse, ainsi que la « tentation essentialiste », particulièrement grande en danse classique, de fonder le « mouvement dit “idéal” ou “parfait” » sur un « concept au sens platonicien d’eidos42 ». L’on trouverait une telle réflexion au sein des volontés de réforme de l’enseignement classique portées par plusieurs pédagogues43, mais aussi du côté de la création chorégraphique, que l’on pense par exemple à l’une des dernières pièces de William Forsythe, A Quiet Evening of Dance44. Dans la critique qu’il fait de ce spectacle, le chercheur en danse Mark Franko45 montre comment cette pièce explore les origines baroques du vocabulaire classique, le renvoyant ainsi à sa dimension d’abord sociale. Dérivant les figures classiques de gestes plus quotidiens, et s’appuyant sur la danse baroque pour privilégier la mobilité relationnelle du buste sur les extensions extrêmes des jambes aujourd’hui associées à la technique classique, A Quiet Evening of Dance dépouillerait ainsi le vocabulaire classique du « souffle spirituel » (« spiritual afflatus »), ou du renvoi à une transcendance métaphysique dont l’ont doté les théories idéaliste du ballet, pour le rendre à une dimension plus horizontale, celle d’une relation entre le danseur et son public. De l’acception idéaliste qu’elle prend au sein de la pensée néo-classique du ballet, la grâce serait ainsi ramenée à sa signification sociale. Or, réinscrire les pas du vocabulaire classique dans leur généalogie baroque, par-delà leur élévation à une essence idéale, permettrait paradoxalement de répondre à la question du sens qu’ils peuvent prendre aujourd’hui, en donnant à voir leur visée d’abord relationnelle. C’est jusqu’à une relative démocratisation du corps classique qui est selon Franko en jeu : celui-ci ne paraît plus précéder les gestes, mais en émaner. Cette recherche sur la dimension relationnelle du vocabulaire classique ne fut pas toujours la direction adoptée par Forsythe, qui travailla aussi beaucoup à pousser le corps classique dans ses retranchements. Elle marque pour Franko un tournant théorique important dans la recherche du chorégraphe, qui demeurerait mue par une interrogation sur l’histoire et l’essence du ballet, mais en abandonnant toute référence esthétique à la dimension idéaliste du vocabulaire classique46. Pour le public, il en découle cependant une rupture avec certaines attentes esthétiques aujourd’hui associées au ballet, dont Franko relève qu’elle heurte notamment notre préconception de la grâce du geste classique, en tant que celle-ci demeure tributaire d’un discours idéaliste enté sur les théories néo-classiques du ballet :

Quand une critique de danse du New York Times écrit : « … [I]l n’y a tout simplement pas assez de transcendance », présume-t-elle savoir ce qui constitue la transcendance et quelle quantité nous suffit ? […] [I]l semblerait que cette critique en appelle au vieil idéalisme du ballet comme signifiant transcendantal de la grâce. Forsythe a enrichi notre compréhension du ballet en le ramenant sur terre, tout en célébrant son émotion viscérale et sa théâtralité propre à accrocher le regard47.

Ce travail autour de la codification technico-esthétique du geste en danse classique va à l’encontre d’un idéalisme de la grâce tel qu’on le trouve chez un auteur comme Levinson, qui a durablement marqué notre imaginaire de cet art, pour constituer peut-être un nouveau paradigme, tant du point de vue de l’incorporation du geste que de sa réception esthétique.

En dépit de ses ambiguïtés et des lieux communs qu’elle véhicule, la grâce nous semble ainsi pouvoir constituer une notion heuristique pour appréhender les pratiques et productions actuelles en danse classique : c’est qu’elle conduit à interroger la codification technico-esthétique des gestes et des corps, et le rapport à la norme et à l’idéal constitutif de cet art. Retracer sa genèse nous a permis de rendre compte de la dimension idéaliste attachée aujourd’hui à la grâce, mais aussi de donner d’emblée des perspectives pour la pluraliser et la conceptualiser depuis sa dimension essentiellement relationnelle. Une distinction entre l’événement de la grâce et la codification du gracieux, liée à un idéal de corps et de geste historiquement mouvant, nous a permis d’établir que, pas plus que la grâce n’est propre à la danse classique, elle ne constitue le tout de cette forme artistique. De nouvelles perspectives chorégraphiques et pédagogiques s’ouvrent dès lors depuis la notion de grâce : plutôt que de refouler l’historicité de la codification du geste gracieux au profit d’un idéalisme néo-platonicien du beau, et de rapporter les corps à une forme transcendante qui en nierait la matérialité et la diversité, il s’agirait de rendre la grâce en danse classique à l’historicité de sa codification, mais aussi à la dimension relationnelle de liberté et de jeu qu’elle ouvre.

Contre une approche idéaliste de la grâce en danse classique, nous avons donc souhaité en défendre une conception relationnelle, ce à quoi nous donnons deux sens. D’une part, nous voyons dans la grâce un problème encore actuel en danse classique (et non une notion renvoyant à une essence idéale du ballet), qui continue à mouvoir les recherches des danseurs, des chorégraphes et des pédagogues. D’autre part, si la réponse (chorégraphique, pédagogique, esthétique…) à ce problème peut se faire dans une perspective idéaliste héritée d’une pensée néo-classique du ballet, nous défendons pour notre part une historicisation et une pluralisation de la notion de grâce, qui permette de la dissocier partiellement du genre du ballet, ainsi qu’une approche du vocabulaire gestuel classique qui accorde davantage de place au corps propre du danseur et prenne en compte le statut ambigu de la forme en danse classique dans l’émergence du geste. Les enjeux de cette redéfinition de la grâce touchent autant à notre expérience esthétique du ballet qu’à la sphère pédagogique et au domaine de la création chorégraphique.

1 André Hirt, La grâce désaccordée, Paris, Éditions Kimé, 2014.

2 Ibid., p. 30.

3 Ibid., p. 12.

4 Laurence Louppe, Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles, Contredanse, p. 315, note 3.

5 Sur l’indétermination de cette notion au sein du milieu classique, nous renvoyons à Nathalie Moller, « Beaux-arts : qu’est-ce que la grâce ? » (

6 Sur la manière dont ces représentations de la grâce en danse classique se sont progressivement cristallisées à partir du xixe siècle, nous renvoyons

7 Anne Creissels, Le geste emprunté, Paris, Le Félin, 2019, p. 24.

8 Selon le pédagogue classique Wayne Byars : « S’il y a bien une chose que nous remarquons chez les danseuses que nous croisons dans la rue, c’est

9 Pour une histoire de la grâce au sein du ballet, je renvoie au chapitre 5 de ma thèse, Entre essence et historicité dela danse classique : le «

10 Comme le montre Susan Leigh Foster dans Choreography and Narrative : Ballet’s Staging of Story and Desire, Bloomington, Indiana University Press

11 Werner Schuftan caractérise ainsi la danse classique par la « Grazie, Schönheit, Technik » dans son article « Linie und Raum» (Werner Schuftan

12 La danseuse moderne Doris Humphrey écrit par exemple en 1959 : « Tout d’un coup les danseuses décident de n’être ni jolies, ni gracieuses, ni

13 André Levinson, 1929. Dansed’aujourd’hui, Arles, Actes Sud, 1990, p. 74-90.

14 Ibid., p. 81.

15 Ibid.

16 André Levinson, Les Visages de la Danse, Paris, Grasset, 1933, p. 27-28.

17 André Levinson, 1929.Danse d’aujourd’hui, op. cit., p. 80.

18 Ibid.

19 Ibid., p. 81.

20 Ibid.

21 Par exemple chez le philosophe David Michael Levin (« Balanchine’s Formalism », in Salmagundi, n° 33/34, 1976, p. 216-236) ou chez le critique de

22 Raymond Bayer, L’esthétique de la grâce, Paris, Librairie Félix Alcan, 1933. Cet ouvrage aura une influence majeure sur l’esthétique française des

« Grâce/Gracieux », Étienne et Anne Souriau (dir.), Vocabulaire d’esthétique, Paris, PUF, 1990, p. 841-842.

23 Raymond Bayer, L’esthétique de la grâce, op. cit., p. 214.

24 Ibid., p. 215.

25 Ibid., p. 216.

26 Sur Nijinski et la grâce, nous renvoyons à la thèse de Françoise Reiss-Stanciu, Nijinski ou la grâce, Paris, Plon, 1957.

27 Jacques Rivière défend alors Nijinski, qui déclare au Daily Mail le 12 juillet 1913 : « Je suis accusé d’un crime contre la grâce » (« I am accused

28 Jacques Rivière, « Le Sacre du Printemps », dans Nouvelle revue française, Novembre 1936, p. 706-730.

29 Cette possibilité de penser une forme moderne de la grâce, distincte de ses avatars dans le ballet classique, est également revendiquée par John

30 Cité dans Isabelle Launay, Poétiques et politiques des répertoires : Les danses d’après, i, Pantin, Centre national de la danse, 2017, p. 180.

31 Anne Creissels, Le geste emprunté, op. cit., p. 44.

32 Hubert Godard, Fond/Figure:entretien avec Hubert Godard, in www.pourunatlasdesfigures.net, dir. Mathieu Bouvier, Lausanne, La Manufacture, réalisé

33 Federico Garcia Lorca, Jeu et théorie du duende, trad. par Line Anselem, Paris, Allia, 2008. Notons néanmoins que Lorca prend soin de distinguer le

34 Heinrich von Kleist, Über das Marionettentheater, in Sämtliche Erzählungen und andere Prosa,Stuttgart, Reclam,2011.

35 Nous renvoyons ici à Annie Richardson, « An Aesthetics of Performance : Dance in Hogarth’s « Analysis of Beauty » », dans Dance Research Journal

36 Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, GF, 2013.

37 Ibid., p. 60.

38 Pour une étude de la suspension comme auto-transcendance du danseur, nous renvoyons à Christine Leroy, « La chair et la grâce en danse. Une

39 Wilfride Piollet, Rendez-vous sur tes barres flexibles, Paris, Sens & Tonka, 2005, p. 114.

40 Sur la poétique de la suspension dans l’histoire du ballet (avant même la danse classique), nous renvoyons au dossier « Suspension » de Repères, 

41 Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, op. cit., p. 61.

42 Christine Leroy, « La fabrique de la danse classique : une pratique performative », Recherches en danse [en ligne], https://journals.openedition.

43 Sur les enjeux pédagogiques qu’il y a à repenser le rapport aux formes codifiées et à l’idéal en danse classique, nous renvoyons par exemple à

44 William Forsythe, A quiet evening of dance, créée en 2018 au Sadler’s Wells Theatre à Londres.

45 Mark Franko, « William Forsythe’s A Quiet Evening of Dance: A Meditative Choreographic Act », dans The Massachusetts Review, disponible en ligne :

46 Dans la continuité de ses travaux sur le néo-classique (Mark Franko, The Fascist Turn in the Dance of Serge Lifar : Interwar French Ballet and the 

47 When a dance critic of The New York Times writes: “[T]here’s just not enough transcendence,” does she presume to know what constitutes

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Notes

1 André Hirt, La grâce désaccordée, Paris, Éditions Kimé, 2014.

2 Ibid., p. 30.

3 Ibid., p. 12.

4 Laurence Louppe, Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles, Contredanse, p. 315, note 3.

5 Sur l’indétermination de cette notion au sein du milieu classique, nous renvoyons à Nathalie Moller, « Beaux-arts : qu’est-ce que la grâce ? » (entretien avec Béatrice Massin, Bénédicte Jarrasse et Élisabeth Platel), France Musique, mis en ligne le 15 mai 2019, https://www.francemusique.fr/culture-musicale/qu-est-ce-que-la-grace-72620 (dernière consultation le 03 juin 2020).

6 Sur la manière dont ces représentations de la grâce en danse classique se sont progressivement cristallisées à partir du xixe siècle, nous renvoyons à Susan Leigh Foster, Choreography and Narrative : Ballet’s Staging of Story and Desire, Bloomington, Indiana University Press, 1998 et Gabriele Brandstetter, « The code of Terpsichore. Carlo Blasis’ Tanztheorie zwischen Arabeske und Mechanik », in Gabriele Brandstetter et Gerhard Neumann (dir.), Romantische Wissenspoetik. Die Künste und die Wissenschaften um 1800, Würzburg, Königshausen et Neumann, 2004, p. 49-70.

7 Anne Creissels, Le geste emprunté, Paris, Le Félin, 2019, p. 24.

8 Selon le pédagogue classique Wayne Byars : « S’il y a bien une chose que nous remarquons chez les danseuses que nous croisons dans la rue, c’est leur grâce et leur élégance. La nuque haute, les épaules très loin des oreilles, la démarche légère et gracieuse. » (Wayne Byars, Leçons de danse, leçons de vie, Paris, First, 2017, p. 111).

9 Pour une histoire de la grâce au sein du ballet, je renvoie au chapitre 5 de ma thèse, Entre essence et historicité de la danse classique : le « néo-classique » du xxe siècle à nos jours, Thèse de doctorat en philosophie, sous la direction d’Anne Boissière et Roland Huesca, Université de Lille, soutenue le 23 novembre 2021, disponible sur HAL (https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-03556929/).

10 Comme le montre Susan Leigh Foster dans Choreography and Narrative : Ballet’s Staging of Story and Desire, Bloomington, Indiana University Press, 1998, un de ces changements majeurs de paradigme a lieu avec le ballet romantique, où le caractère géométrique du vocabulaire classique se trouve transféré des gestes au corps du danseur lui-même. Pour une mise en lien avec la notion de grâce, nous renvoyons également à Gabriele Brandstetter, « The code of Terpsichore. Carlo Blasis’ Tanztheorie zwischen Arabeske und Mechanik », in Gabriele Brandstetter et Gerhard Neumann (dir.), Romantische Wissenspoetik. Die Künste und die Wissenschaften um 1800, Würzburg, Königshausen et Neumann, 2004, p. 49-71.

11 Werner Schuftan caractérise ainsi la danse classique par la « Grazie, Schönheit, Technik » dans son article « Linie und Raum » (Werner Schuftan, Handbuch des Tanzes, Mannheim, Deutscher Chorsängerverband, 1925, p. 4-5).

12 La danseuse moderne Doris Humphrey écrit par exemple en 1959 : « Tout d’un coup les danseuses décident de n’être ni jolies, ni gracieuses, ni romantiques, et disent par leurs mouvements : « Nous appartenons au vingtième siècle. » (Doris Humphrey, Construire la danse, trad. Jacqueline Robinson, Arles/Paris, Ed. Bernard Coutas, 1990, p. 199).

13 André Levinson, 1929. Danse d’aujourd’hui, Arles, Actes Sud, 1990, p. 74-90.

14 Ibid., p. 81.

15 Ibid.

16 André Levinson, Les Visages de la Danse, Paris, Grasset, 1933, p. 27-28.

17 André Levinson, 1929. Danse d’aujourd’hui, op. cit., p. 80.

18 Ibid.

19 Ibid., p. 81.

20 Ibid.

21 Par exemple chez le philosophe David Michael Levin (« Balanchine’s Formalism », in Salmagundi, n° 33/34, 1976, p. 216-236) ou chez le critique de danse Edwin Denby (nous renvoyons ici à l’étude d’Andrea HARRIS, Making Ballet American : Modernism Before and Beyond Balanchine, Oxford, Oxford Studies in Dance Theory, 2017, p. 136-138).

22 Raymond Bayer, L’esthétique de la grâce, Paris, Librairie Félix Alcan, 1933. Cet ouvrage aura une influence majeure sur l’esthétique française des années 1930-1950. Nous renvoyons par exemple à sa recension par Étienne Souriau, « Sur les moyens et la portée d’une esthétique de la grâce (Notes méthodologiques à propos d’un livre récent) », Revue de métaphysique et de morale, t. 43, n° 2, Avril 1936, Paris, PUF, et à l'article de Francis Bayer

« Grâce/Gracieux », Étienne et Anne Souriau (dir.), Vocabulaire d’esthétique, Paris, PUF, 1990, p. 841-842.

23 Raymond Bayer, L’esthétique de la grâce, op. cit., p. 214.

24 Ibid., p. 215.

25 Ibid., p. 216.

26 Sur Nijinski et la grâce, nous renvoyons à la thèse de Françoise Reiss-Stanciu, Nijinski ou la grâce, Paris, Plon, 1957.

27 Jacques Rivière défend alors Nijinski, qui déclare au Daily Mail le 12 juillet 1913 : « Je suis accusé d’un crime contre la grâce » (« I am accused of a crime against grace », cité dans Millicent Hodson, Nijinski’s Crime against Grace, New York, Pendragon press, 1996, p. vii).

28 Jacques Rivière, « Le Sacre du Printemps », dans Nouvelle revue française, Novembre 1936, p. 706-730.

29 Cette possibilité de penser une forme moderne de la grâce, distincte de ses avatars dans le ballet classique, est également revendiquée par John Cage dans son essai de 1944 « Grace and Clarity », dans Silence : Lectures and Writings, Middletown, Wesleyan, 1961, p. 89-93.

30 Cité dans Isabelle Launay, Poétiques et politiques des répertoires : Les danses d’après, i, Pantin, Centre national de la danse, 2017, p. 180.

31 Anne Creissels, Le geste emprunté, op. cit., p. 44.

32 Hubert Godard, Fond/Figure : entretien avec Hubert Godard, in www.pourunatlasdesfigures.net, dir. Mathieu Bouvier, Lausanne, La Manufacture, réalisé le 07 novembre 2013 (dernière consultation le 24 août 2021).

33 Federico Garcia Lorca, Jeu et théorie du duende, trad. par Line Anselem, Paris, Allia, 2008. Notons néanmoins que Lorca prend soin de distinguer le duende de la grâce.

34 Heinrich von Kleist, Über das Marionettentheater, in Sämtliche Erzählungen und andere Prosa, Stuttgart, Reclam, 2011.

35 Nous renvoyons ici à Annie Richardson, « An Aesthetics of Performance : Dance in Hogarth’s « Analysis of  Beauty » », dans Dance Research Journal, vol. 20, n° 2, 2002, p. 38-87.

36 Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, GF, 2013.

37 Ibid., p. 60.

38 Pour une étude de la suspension comme auto-transcendance du danseur, nous renvoyons à Christine Leroy, « La chair et la grâce en danse. Une approche merleau-pontienne de la kinesthésie », dans Marion Fournier (dir.), Respiration. Recherches sur la danse, Metz, Java éditions en danse, p. 62-71, p. 64. Christine Leroy s’appuie notamment sur un article de Bergson paru en 1885, « La politesse », où ce dernier se réfère plus précisément à la danse. Dans La traversée du corps, regard philosophique sur la danse, Paris, Hermann, 2015, p. 31-32, Elsa Ballanfat propose également une interprétation non idéaliste de l’élévation en danse.

39 Wilfride Piollet, Rendez-vous sur tes barres flexibles, Paris, Sens & Tonka, 2005, p. 114.

40 Sur la poétique de la suspension dans l’histoire du ballet (avant même la danse classique), nous renvoyons au dossier « Suspension » de Repères, cahier de danse n° 1, 2020|44, en particulier à l’article de Bianca Maurmayr, « Désir d’envol et illusion de légèreté. La Suspension dans la danse théâtrale italienne du xviie siècle », dans Repères, cahier de danse, n° 1, 2020|44, p. 8-9.

41 Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, op. cit., p. 61.

42 Christine Leroy, « La fabrique de la danse classique : une pratique performative », Recherches en danse [en ligne], https://journals.openedition.org/danse/1775?lang=en, mis en ligne le 15 mars 2018 (dernière consultation le 16 mai 2021). Pour une description du rapport idéaliste à la forme du point de vue d’une danseuse classique, nous renvoyons également à Laura Leivick, « Through Which She Is Seen : Bodies and Ballet », dans The Threepenny Review, n° 2, 1980, p. 30-31.

43 Sur les enjeux pédagogiques qu’il y a à repenser le rapport aux formes codifiées et à l’idéal en danse classique, nous renvoyons par exemple à Emmanuelle Lyon, Vers une nouvelle pédagogie de la danse classique ?, Mémoire de Master 1 en danse, sous la direction d’Hubert Godard, Université Paris 8 – Vincennes-Saint-Denis, soutenu en 2000 et à Jennifer Jackson, « My Dance and the Ideal Body : Looking at Ballet Practice from the Inside Out », dans Research in Dance Education, vol. 6, n° 1-2, 2005, p. 25-40. Face aux conceptions essentialisantes du vocabulaire classique, qui s’inscrivent selon Jennifer Jackson dans la continuité des écrits d’un André Levinson, cette dernière invite à penser la technique classique depuis une perspective interne, qui lui rende sa dimension somatique : elle fait ainsi de l’idéal dessiné par le code l’objet d’une dynamique relationnelle avec le corps propre de chaque danseur. Là où Levinson élève par exemple l’en-dehors au statut de « principe » métaphysique de la danse classique, Jennifer Jackson préfère y voir un des fondamentaux de cette technique, à explorer dans son aspect relationnel. C’est à cette condition que la danse classique pourrait retrouver sa dimension d’expérience partagée, en tant que pratique ancrée dans les corps et non dans une essence transcendante.

44 William Forsythe, A quiet evening of dance, créée en 2018 au Sadler’s Wells Theatre à Londres.

45 Mark Franko, « William Forsythe’s A Quiet Evening of Dance: A Meditative Choreographic Act », dans The Massachusetts Review, disponible en ligne : https://www.massreview.org/node/7612 (mis en ligne le 05 décembre 2019, dernière consultation le 07 septembre 2021).

46 Dans la continuité de ses travaux sur le néo-classique (Mark Franko, The Fascist Turn in the Dance of Serge Lifar : Interwar French Ballet and the German Occupation, New York, Oxford University Press, 2020), Franko voit dans le travail de Forsythe à partir du baroque une alternative à la perspective néo-classique d’un Balanchine : le ballet n’est plus ramené à une essence idéale, mais à une essence relationnelle.

47 When a dance critic of The New York Times writes: “[T]here’s just not enough transcendence,” does she presume to know what constitutes transcendence and how much is enough for us? Is she looking for a transcendent subject detached from the genealogy of social interaction? […] [I]t would seem the critic is calling for the old idealism of ballet as the transcendental signifier of grace. Forsythe has enriched our understanding of ballet by bringing it back down to earth while still celebrating its visceral excitement and eye-catching theatricality. », Mark Franko, « William Forsythe’s A Quiet Evening of Dance: A Meditative Choreographic Act », op. cit.

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Author

Laetitia Basselier

Laetitia Basselier est agrégée et docteure en philosophie. Elle a enseigné de 2016 à 2019 au département arts/danse de l’Université de Lille, et de 2019 à 2021 au département de philosophie de Sorbonne Université. Depuis 2021, elle enseigne la philosophie au lycée. Ses recherches portent sur la philosophie de la danse et sur la diversité des esthétiques chorégraphiques classiques du xxe siècle à nos jours.
- Entre essence et historicité de la danse classique : le « néo-classique » du xxe siècle à nos jours, Thèse de philosophie sous la direction d’Anne Boissière et de Roland Huesca, soutenue le 23 novembre 2021 à l’Université de Lille.
- « Qu’est-ce qui fait art en danse classique ? », revue Noesis n° 37 « Danse et philosophie »,Automne 2021.
- « Boris de Schloezer, penseur de la danse classique ? », Actes du colloque « Boris de Schloezer, un intellectuel européen. Le philosophe, le traducteur, le musicologue, le critique », organisé par Pierre-Henry Frangne et Bernard Sève, Presses Universitaires de Rennes (à paraître).
- « Les Algues de Janine Charrat, “chef-d’œuvre” oublié », Recherches en danse (en ligne), n° 7, Mémoires de l’oeuvre, mis en ligne le 18 décembre 2019.
- « Étienne Souriau et la danse, rencontres (manquées ?) », Nouvelle Revue d’Esthétique n° 19, 2017/1, p. 85-96.

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