Fragiles acrobates : mises en jeu des vulnérabilités dans les arts du cirque
Ce dossier consacré à la mise en jeu des vulnérabilités dans le cirque contemporain1 fait suite à une journée d’études qui a eu lieu le 29 mars 2024, dont nous souhaitons élargir les perspectives en intégrant des approches issues des sciences humaines et sociales (histoire, philosophie, anthropologie, sociologie, sciences de l’éducation, etc.) ou d’autres arts que les arts du spectacle (par exemple les arts plastiques en envisageant les matières fragiles et leur incidence sur l’acrobatie, ou encore les études cinématographiques en étudiant les films d’acrobates avec les outils de l’analyse filmique).
Si cet appel à contribution vise uniquement des articles scientifiques, seront intégrés au numéro d’autres formes et formats de textes d’artistes de cirque (poèmes, essais, entretiens).
Mots-clés
fragilité ; vulnérabilité ; arts du cirque ; acrobatie ; blessure ; intimité ; autofiction
Soumission des contributions
Les propositions d’articles doivent être soumises sous forme de résumé de 2000 caractères maximum (espaces compris). Elles devront contenir un titre, les nom et prénom de l’auteur·rice, son organisme de rattachement et une liste de mots-clés. Les résumés accompagnés d’une notice bio-bibliographique sont à envoyer avant le 30 octobre 2024 à :
Les auteur·ice·s dont la proposition aura été acceptée devront adresser leur article d’environ de 30 000 signes (espaces compris) aux coordinatrices pour le 30 janvier 2025 au plus tard. Ils respecteront les normes suivantes : https://www.peren-revues.fr/demeter/957?file=1. Deux sélections seront opérées une fois les textes intégraux reçus : une première, par les responsables du numéro et le comité de direction de la revue ; une seconde par deux experts anonymes.
Calendrier de travail prévisionnel
AAC : lancement : 1er octobre / clôture : 30 octobre
Sélection des propositions et retours aux auteurs : 30 novembre 2024
Envoi des articles rédigés pour le 30 janvier 2025
Expertises (peer-review) : février-mars 2025
Correction et rédaction des articles par les auteurs : 10/15 mai 2025
Réception des textes définitifs : 15 juin 2025
Mise en ligne : septembre 2025
Fragiles acrobates : mises en jeu des vulnérabilités dans les arts du cirque
Selon Norbert Hillaire, « [l]a fragilité est un marqueur essentiel de notre époque2 », qui définit une certaine posture de l’artiste face au monde et face à sa pratique. Si la fragilité désigne « ce qui peut se briser facilement3 » et la vulnérabilité une condition particulière d’« exposition aux blessures, aux coups4 », toutes deux semblent a priori éloignées des valeurs fondatrices du cirque que sont la prise de risque, le courage et la surenchère. Marine Cordier l’indiquait en 2007, « [a]rt de prouesses, le cirque, plus que tout autre spectacle, représente dans l’imaginaire collectif un univers héroïque où s’incarnent des pratiques et des valeurs viriles : sans cesse, la prouesse et la virtuosité doivent être conquises par la maîtrise infaillible d’une culture technique et de son propre corps, dans une éthique de l’effort et du dépassement de soi5. »
Pourtant, depuis une décennie, les acrobates sont confrontés, dans leur parcours, leur pratique et leur vécu à un certain nombre d’injonctions paradoxales qui viennent brouiller cette ligne. L’exigence de performance et le souci de sécurité sont désormais indissociables. Qui oserait aujourd’hui enjoindre un funambule à « risquer une mort absolue6 », comme le faisait autrefois Genêt ? La question du soin et du rapport à la santé est devenue un enjeu majeur. Les conditions d’apprentissage dans les écoles de cirque7, ainsi que l’entraînement des artistes sont observés attentivement, avec un accent porté tant sur la santé physique que mentale. L’approche gymnique et athlétique se double désormais d’approches somatiques et d’une éducation de la perception corporelle8. Quant au public, multiple et contradictoire, il oscille entre l’attente encore pressante d’un « effet wahou9 » spectaculaire, et le désir d’un cirque intime, sensible, proche. Il y aurait d’ailleurs à explorer la manière dont ces dernières décennies ont vu émerger des qualités de mouvement très variées, allant de l’extrême lenteur à l’explosivité, en passant par la suspension et l’immobilité, qui donne à ressentir d’autant plus fort la précarité de l’existence. Comme le souligne Jean-Claude Carrière :
[…] Tout mouvement est guetté par l’arrêt. Aucun n’est lancé pour toujours. Et le fait que nous devinons en nous, d’une manière permanente, depuis que nous sommes en âge de sentir, plusieurs mouvements qui s’enchevêtrent – du cœur, du sang, des poumons, sans compter ceux qui nous sont insensibles, poussée des cheveux, des ongles, des neurones – ne fait qu’aiguiser notre état d’alerte, car tous ces mouvements qui composent notre vie peuvent à chaque instant céder la place à l’immobilité. […] L’impression de solidité massive que peut donner l’apparence d’un corps n’offre aucune garantie de durée. Cela, nous le savons aussi. Les roseaux survivent aux chênes. […] Que notre comportement, souvent, presque toujours, soit ouvertement commandé ou secrètement dirigé par notre fragilité consubstantielle, nous en voyons chaque jour mille signes, même si le plus souvent nous préférons ne pas les remarquer10.
Aussi les artistes circassiens ont-ils fait évoluer leurs pratiques et leurs discours. Les notes d’intention de spectacles mettent en avant les « fragilités assumées11 » des acrobates, ou encore leur « ode à la confiance, à la force et à la vulnérabilité qui caractérisent les relations humaines12 ». Certainˑeˑs proposent une mise en scène de la faillibilité (parfois feinte, exagérée ou parodiée) de manière à accentuer dans le regard du spectateur la prise de risque, la difficulté de l’équilibre, la menace de la chute depuis le trapèze ou la slackline, la confiance en péril dans le porté, là où d’autres mettent ces enjeux au cœur de leurs créations. Cette démarche apparaît notamment dans Möbius de la Cie XY (en collaboration avec le chorégraphe Rachid Ouramdane, 2019), ou encore dans De bonnes raisons, de Matthieu Gary et Sidney Pin, 2022, où elle structure les interactions physiques et verbales. D’autres livrent leur histoire, en confiant à la scène le récit transposé et poétisé de leurs blessures (Sur la route, d’Antoine Rigot et Sanja Kosonen, 2011), ou encore Au Mauvais endroit au mauvais moment d’Alice Barraud, 2021) ou de leurs maladies (Time to tell de Martin Palisse et David Gauchard/Cie l’Unijambiste, 2021). Le travail du clown, en particulier chez Nikolaus Holz/Cie Pré-O-Coupé, interroge la précarité du monde et la fragilité de la présence humaine, par exemple dans Tout est bien ! Catastrophe et bouleversement (2012) ou dans Mister Tambourine Man avec Denis Lavant (Cie L’Envers du Décor, 2021). La question de l’humain pris dans l’instabilité des éléments se retrouve également chez l’artiste Camille Boitel/Cie L’Immédiat, par exemple dans L’Homme de hus, 2003. D’une autre manière, le développement du cirque adapté ou du cirque thérapeutique14 contribue à une meilleure attention et une émancipation des personnes en difficulté ou en situation de handicap, à l’exemple de la Cie Bruit de Couloir (basée à Arras) ou de la Cie Héka (Chinon).
Axes thématiques envisagés :
Écritures de soi et portraits en actes.
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formes et formats dramaturgiques à interroger : récit de soi, autofiction, témoignages en solo ou en duo ; intégration de la voix (en direct ou en off), de la vidéo, registres de jeu (comique, pathétique)
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place de la blessure et de la résilience au sein de la pratique acrobatique
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parcours artistique et âges de la vie jugés fragiles (enfance / vieillesse)
Scénographie, agrès et matériaux de l’abîme.
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esthétique de la fragilité matérielle (ruines, délabrement progressif, instabilité des structures, etc.) et du matériau friable, éléments fragiles ou fragilisants (glace, feu)
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moyens spatiaux et dramaturgiques pour créer une forme d’empathie entre acrobates et public
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liens entre les matériaux fragiles et les préoccupations écologiques actuelles concernant le développement durable
Vies de cirque et interactions avec la société.
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prise en compte des fragilités physiques et psychiques au sein des écoles de cirque
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déplacements artistiques ou reconversion des artistes blessés ou en fin de carrière
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rencontres entre artistes et populations fragiles (lien à un quartier, à des zones rurales, à des populations éloignées de l’accès à la culture, pratiques circassiennes en milieu hospitalier, en EHPAD)
Ce numéro est coordonné par Anne Lempicki (docteure en Arts du spectacle) et Ariane Martinez (professeure à l’Université de Lille), affiliées au Centre d’Étude des Arts Contemporains - CEAC EA 3587.