L’Oculométrie, ou la mobilisation générale de l’œil

  • Eye-tracking, or: the General Mobilization of the Gaze

DOI : 10.54563/demeter.1839

Abstracts

L’histoire récente de la mobilisation de l’œil passe à la fois par le cinéma et par le commerce. Après en avoir observé trois moments exemplaires, trois jalons (le générique des Marx au grand magasin, les escalators dans Body Double de Brian de Palma et une campagne publicitaire récente pour le Samsung Galaxy S4), on analyse une séquence du film d’Harun Farocki consacré aux centres commerciaux (Les Créateurs des mondes de consommation, 2001) dans laquelle les implications marchandes de l’oculométrie sont détaillées.

The recent history of the mobilization of the gaze involves both cinema and commerce. After observing three exemplary moments, three milestones (the opening credits of the Marx Brothers’s Big Store, the escalators in Brian de Palma’s Body Double, and a recent advertising campaign for the Samsung Galaxy S4), the article focuses on a sequence from Harun Farocki’s film dedicated to shopping malls (The Creators of Shopping Worlds, 2001) in which the commercial implications of eye-tracking are detailed.

Outline

Text

Introduction

Dork Zabunyan, que je remercie pour son invitation, m’a fait l’amitié de m’associer à cette publication sur l’oculométrie. Et, surtout, il a pris la peine de faire réaliser une mesure oculométrique de trois regards à l’œuvre, si j’ose le formuler ainsi, de trois regards au travail devant une courte séquence d’un film d’Harun Farocki, Die Schöpfer der Einkaufswelten (Les Créateurs des mondes de consommation, 2001). Un film dans lequel le réalisateur (disparu en juillet 2014) a interrogé des ingénieurs, des architectes ou des spécialistes du marketing travaillant à la planification de l’espace d’un centre commercial.

Dans la séquence que j’ai choisie, on observe le calibrage de l’œil d’un client potentiel, afin de pouvoir calculer ensuite ses points d’impact oculaire au sein de la pléthore d’enseignes, d’affiches et de stimulations marchandes en tout genre qui tapissent les murs des galeries dans cet antre consumériste. Si bien que le tracé oculométrique de cette séquence elle-même oculométrique nous présentera une sorte de palimpseste des regards, une stratification qui me conduira à proposer quelques réflexions sur la mesure – ou l’absence abyssale de mesure – des regards mesurés. Il s’agira donc de dégager les enjeux d’une oculométrie en abîme, pour ainsi dire, d’une oculométrie de l’oculométrie.

Avant d’y venir, je voudrais toutefois situer brièvement le développement inouï des techniques oculométriques auquel on assiste aujourd’hui dans l’histoire à la fois longue et courte de ce que j’appellerai des dispositifs vidéo-ascensoriels. Je ne pourrai qu’esquisser à peine ici, la passionnante généalogie qui conduit des « chaises volantes » du xviie siècle – comme celle qui fut réalisée en 1743 à Versailles, avec des poulies, des cordes et des contrepoids, par Blaise-Henri Arnoult, par ailleurs concepteur de la machinerie scénique de l’Opéra royal du Château (l’appareil élévateur était destiné à Madame de Châteauroux, l’une des favorites du roi, qui pouvait ainsi rejoindre ses appartements au troisième étage) – jusqu’aux escaliers et trottoirs mécaniques qui quadrillent, qui cartographient désormais partout nos déplacements de flâneurs consommateurs.

Il faudrait s’attarder longuement à analyser les documents historiques – brevets ou récits en tout genre – qui ont accompagné l’escalatorisation du monde, dont on peut mesurer la portée en rappelant cette statistique que j’emprunte à Rem Koolhaas : « il y […] a trois cents mille [escalators] dans le monde et leur nombre double tous les dix ans1 », déclarait-il dans un entretien paru en 2001 ; ou encore cette autre donnée chiffrée, peut-être plus impressionnante encore : c’est ensemble que les ascenseurs, escalators et autres trottoirs roulants du monde déplaceraient tous les trois jours l’équivalent de la population de la Terre2.

Je rappellerai rapidement quelques jalons importants dans cette histoire de la mobilisation mécanisée du regard. En 1859, Nathan Ames dépose le brevet de ses revolving stairs, des escaliers mécaniques dotés d’un mouvement de révolution permanente3. Cette première invention n’a toutefois donné lieu à aucun modèle connu. Il faut en effet attendre le brevet déposé à son tour par Jesse W. Reno, en 1892, pour que l’escalator, tel que nous le connaissons, commence à faire son apparition dans le paysage urbain4. Reno insistait sur le fait que son : « convoyeur infini ou ascenseur » (endless conveyor or elevator), capable de transporter « six mille passagers par heure », peut être installé en série et de façon à assurer un flot continu :

Un convoyeur ou un ensemble de convoyeurs [...] peut être utilisé pour monter d’un étage à un autre, et un élévateur ou un ensemble d’élévateurs [...] peut être utilisé pour descendre et convoyer des passagers d’un étage vers un étage inférieur, de manière à ce qu’il n’y ait pas d’arrêt des convoyeurs ni de changement de direction dans leurs mouvements, pour permettre à des foules ou courants de personnes de passer les unes à côté des autres dans des directions opposées, sans confusion ni rétention5.

Ce qui compte, l’apport principal de l’appareil, c’est donc la continuité ininterrompue du flux, chez Ames de même que chez Reno. Comme le dira plus tard un employé du grand magasin Marshall Field’s à Chicago, « les escalators apportent de la circulation dans les étages supérieurs, à l’instar du sang dans les veines6 ».

Mon hypothèse – elle restera schématique et je ne pourrai qu’en ébaucher la démonstration –, c’est que ces mobilisations du regard passent dans le monde du cinéma, dans ce que j’appelle avec Jean-Luc Nancy le cinémonde, non seulement en y étant mises en scène et racontées, mais aussi en y étant intégrées dans les parcours mêmes de la caméra, en s’y confondant littéralement avec les saccades du ciné-œil7. L’ascensorialité, l’escalatorialité, si j’ose dire, oscillent ainsi sans cesse entre l’espace diégétique de la narration filmique qui les donne à voir et le plan métadiégétique de la rhétorique des mouvements d’appareil qui permettent de les représenter.

Au sein de cette vaste archéologie d’une cinémobilité oculaire en chantier, je ne prélèverai que quelques moments, quelques scènes remarquables. Ils seraient à réinscrire au sein d’un récit qui nous ferait voyager, par exemple, depuis l’une des premières apparitions à l’écran d’un escalator dans The Floorwalker de Chaplin (1916) (Figure 1) jusqu’au mémorable travelling en tapis roulant au début de Jackie Brown de Tarantino (1997), en passant par les escaliers mécaniques charriant les zombies dans le centre commercial de Dawn of the Dead de Romero (1978).

Figure 1

Figure 1

Charlie Chaplin, The Floorwalker, 1916.
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Première scène

Pendant le générique des Marx au grand magasin (The Big Store, 1941) (Figure 2), le défilement vertical des images – à savoir le mouvement même de la projection cinématographique, qui fait se succéder les photogrammes sur la pellicule en train de se débobiner – se superpose et se confond très exactement avec la trajectoire de l’ascenseur : lorsque le point de vue du spectateur de ce générique monte d’image en image, comme s’il se hissait d’étage en étage dans le stock des marchandises exposées à la vente, la cinématographie du regard épouse la mécanique ascensionnelle qui est celle de l’acheteur gravissant les degrés du sanctuaire de la consommation.

Figure 2

Figure 2

Marx Brothers, Les Marx au grand magasin, 1941.
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Deuxième scène

C’est Brian De Palma qui a orchestré cette remarquable polyphonie escalatoriale dans Body Double (1984) (Figure 3-5), où l’on voit des ascenseurs dits panoramiques – c’est-à-dire extérieurs et vitrés8 – ainsi que des enfilades d’escalators qui embrayent ou engrènent (à la manière d’un engrenage) les regards qu’ils transportent dans des glissières qui seraient des équivalents, pour la perception dite naturelle, des grues et autres chariots (dolly) sur lesquels s’agence le cinéregard. En haut, en bas, en diagonale : la mécanisation des déplacements selon des rails striant l’espace dans toutes les directions va de pair avec autant d’aiguillages de la vision, que le réalisateur agence avec soin.

Qu’observe-t-on, en effet, dans ce centre commercial de Los Angeles où Jake Scully (Craig Wasson) suit la mystérieuse Gloria Revelle (Deborah Shelton), cette femme qu’il observait la veille, avec une longue-vue, depuis l’appartement qu’il occupe ?

Jake emboîte le pas à Gloria et monte derrière elle sur un escalator. La caméra les suit, en se synchronisant donc elle aussi avec le mouvement de l’escalier mécanique. Arrivés à l’étage, Gloria et Jake se dirigent vers un second escalator. Mais cette fois, la caméra les filme d’en haut, toujours plus haut, en se livrant à un long zoom arrière qui la fait passer d’un plan moyen à un plan général : on aperçoit peu à peu l’ensemble du mall, où l’on voit également un ascenseur panoramique qui monte. Or, ce mouvement optique de recul et d’élévation de la caméra s’effectue selon un axe remarquable : notre regard semble d’une part porté par des glissières verticales, comme s’il était embarqué dans un ascenseur qui serait le double de celui qu’on vient de voir filer vers le haut ; et, d’autre part, il rétrograde tout en restant dirigé vers Jake et Gloria en contrebas, si bien que le dézoomage trace une ligne oblique, une diagonale qui apparaît comme symétrique de celle de l’escalator que nous observons.

Figures 3 à 5

Figures 3 à 5
Figures 3 à 5
Figures 3 à 5

Brian de Palma, Body Double, 1984.
© Droits réservés

Pourquoi insister, comme je le fais ici, sur ces détails, sur ce jeu virtuose des mouvements d’appareil imaginés par De Palma ? C’est que la caméra du réalisateur devient elle-même une sorte de body double, une doublure et de l’ascenseur, et de l’escalator. Une doublure indécidable, donc, doublant l’un ou l’autre mais aussi l’un comme l’autre, sans nous offrir aucun point de vue extérieur qui nous permettrait d’envisager du dehors le système des transports du regard. Nous les voyons, ces déplacements et ces échanges optiques, en étant nous-mêmes pris dedans, nous observons l’escalator ou l’ascenseur depuis un ascenseur ou un escalator, voire depuis un élévateur général qui tient à la fois de l’un et de l’autre sans les dépasser, sans les relever dans un troisième terme surplombant.

Bref, il n’y a sans doute pas de dialectique au sens courant dans cette économie des regards dont le mall filmé par De Palma devient le théâtre. Il y a des yeux qui glissent sur des glissières, qui semblent s’éloigner, s’écarter les uns des autres pour mieux se doubler et se redoubler, pour s’échanger au sein d’une révolution générale et permanente des points de vue dont aucun d’eux ne sort.

Ce qui veut dire aussi qu’on ne saurait simplement sortir du cinéma ou du shopping mall en leur opposant un regard non appareillé ou des espaces vierges, soustraits à ce que Rem Koolhaas appelle le junkspace9. Et si une telle vue hors circulation est inatteignable, c’est parce que le maillage marchand de la vision se poursuit plus que jamais aujourd’hui hors-film et hors-mall.

Bien au-delà du cinéma et des centres commerciaux, il y a en effet des « ascenseurs » partout, notamment sur les écrans qui nous accompagnent dans chacun de nos gestes quotidiens. Et les applications commerciales de l’eye tracking – une expression abyssale, si l’on y prête l’oreille, puisqu’on peut y entendre à la fois l’œil que l’on traque ou suit à la trace et l’œil que l’on équipe de rails ou de glissières (tracks) –, ces applications prolifèrent, sur Internet ou ailleurs10.

Troisième scène

Le 27 mai 2013, un article promotionnel dans l’édition suisse du quotidien gratuit 20 minutes (20min.ch) se faisait l’écho de l’événement publicitaire suivant :

Le jeudi 16 mai 2013, à la gare principale de Zurich, les passants avaient la possibilité de gagner un Samsung Galaxy S4 en utilisant simplement leurs yeux. Celui ou celle qui ne quittait pas des yeux le nouveau smartphone pendant une heure repartait avec ! Mais l’exercice n’était pas si facile que cela : un seul clin d’œil de côté, même furtif, et c’était perdu !11

Le smartphone en question détecte en effet les mouvements oculaires de l’utilisateur, en lui permettant notamment de contrôler avec ses seuls yeux la fonction ascensorielle baptisée smart scroll (pour faire défiler un texte à l’écran, par exemple). Autrement dit : le regard lui-même devient ici, immédiatement, un ascenseur ou élévateur (voire – pourquoi pas ? – un escalator).

Cette campagne de promotion est un signe ou un symptôme du stade avancé, du degré de développement auquel est parvenue aujourd’hui ce qu’on pourrait appeler la voirie du regard. C’est également ce que donne à penser le remarquable film de Farocki, Die Schöpfer der Einkaufswelten.

Quatrième scène

Un œil à l’écran, le même qu’au tout début du film, avec une sorte de cible ou de mire se reflète au centre de l’iris, occupe très exactement l’espace du cercle noir de la pupille. La voix off s’adresse au sujet porteur de cet œil, au sujet de l’expérience, celui dont le regard doit être mesuré. Elle dit : « ok, regarde le point central ; le point en haut à gauche ; le point en haut à droite ; le point en bas à gauche ; le point en bas à droite » (ok, look at the center dot ; the upper left dot ; the upper right dot ; lower left dot ; lower right dot). L’œil cligne, la paupière se ferme et se rouvre (Figure 6‑8).

Figures 6 à 8

Figures 6 à 8
Figures 6 à 8
Figures 6 à 8

Harun Farocki, Les Créateurs de mondes de consommation, 2001.
© Droits réservés

Le champ visuel est ainsi défini dans ses limites extrêmes et le dispositif de mesure du regard – l’appareil oculométrique effectuant le suivi des mouvements de l’œil – est paramétré, comme on dit, il est prêt à suivre tous les déplacements de la vision. Plan suivant : pendant que l’on voit trois écrans (à droite : le shopping mall ; en haut à gauche : l’œil qui regarde ; en bas à gauche : la mire qui, sur l’image du mall, indique où tombe le regard), la voix explique : « Ce qui se passe, c’est que, quand quelqu’un entre, il voit une série de scènes, qui dans ce cas représentent différentes scènes dans un centre commercial » (what happens is, when someone comes in, they see a series of scenes, in this case indicating different scenes of a mall). La scène commerciale et la scène filmique partagent le même lexique, l’une se dit dans les termes de l’autre. Gros plan sur le sujet regardant, dont les yeux se déplacent par saccades. La voix poursuit : « Ils marchent d’une scène à la suivante, chacun à son rythme, chacun restant aussi longtemps ou aussi peu qu’il le souhaite auprès de chaque scène, la regardant comme il veut » (They walk themselves from one scene to the next at their own pace, spending as much or as little time with each scene and looking at it as they choose). Contrechamp sur l’écran montrant l’image du mall tel qu’il est vu, avec la mire qui cherche, qui semble tâtonner à travers ladite « scène ».

Avec toutes ces « scènes » qui prolifèrent partout, on peut dire, je crois, que le cinéma, après avoir joué un rôle crucial dans la mécanisation du regard et dans la voirie oculaire de l’escalatorialité, le cinéma semble être définitivement sorti de lui-même. Il est, littéralement, hors de lui.

Je reviens un instant à la campagne promotionnelle pour le smartphone réagissant à la moindre de nos œillades. Car ce qu’elle disait aussi à sa manière, dans le défi qu’elle lançait sous la forme d’un jeu-concours apparemment innocent, ce n’était pas seulement que l’espace au sein duquel notre regard se déplace est balisé, cartographié dans toutes ses trajectoires. Elle énonçait également que ce regard est producteur de valeur parce qu’il travaille, parce qu’il est du temps de travail – c’est-à-dire une heure d’attention captive12.

Autrement dit : l’enjeu marchand des supports d’image d’aujourd’hui, dont ledit téléphone intelligent, n’est qu’un exemplaire parmi d’autres, ce n’est pas seulement que le regard devienne l’« équivalent général du mouvement », comme disait Deleuze en parlant de la caméra, de l’appareil cinématographique que nos yeux auront fini par incorporer ; c’est aussi et surtout ce qu’il décrivait comme : « l’échange dissymétrique, inégal et sans équivalent », à savoir « donner de l’image contre de l’argent », certes, mais encore et par-dessus le marché « donner du temps contre des images13 ».

La cinévoirie générale de l’ascensorialité, cette greffe oculaire qui finit par former la texture même d’un regard mis sur les rails de l’échangisme au sein du supermarché esthétique, c’est donc l’appareillage qui rend possible la valorisation du capital que j’appellerai iconomique : le regard à l’œuvre crée de la plus-value d’image – de la plus-vue, pourrait-on dire – dans l’exacte mesure où il constitue du travail supplémentaire, sans échange ni équivalent.

Regardons enfin, pour finir, l’expérience que Dork Zabunyan a généreusement fait réaliser pour nous, à savoir la mesure oculométrique de la mesure oculométrique mise en scène par Farocki (Figure 9-11).

Figures 9 à 11

Figures 9 à 11
Figures 9 à 11
Figures 9 à 11

Harun Farocki, Les Créateurs de mondes de consommation, 2001, (les points colorés sont les traces oculométriques de trois regards).
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Cinquième scène

J’écrivais, à propos de la séquence de Body Double, que la caméra de De Palma devient elle‑même une sorte de body double, une doublure et de l’ascenseur, et de l’escalator. Une doublure indécidable doublant l’un et l’autre, sans nous offrir aucun point de vue extérieur qui nous permettrait d’envisager du dehors le système des transports du regard. Nous les voyons, ces déplacements et ces échanges optiques, en étant nous-mêmes pris dedans, nous observons l’escalator ou l’ascenseur depuis un ascenseur ou un escalator, voire depuis un élévateur général qui tient à la fois de l’un et de l’autre, sans les relever dans un troisième terme surplombant.

Il me semble que telle est aussi la question que nous pose l’oculométrie de la séquence oculométrique de Farocki : il y a des yeux qui glissent sur des glissières, pour s’échanger au sein d’une révolution générale et permanente dont aucun d’eux ne sort.

Bibliography

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Notes

1 François Chaslin, Deux conversations avec Rem Koolhaas et caetera, Paris, Sens & Tonka, 2001, p. 128. Return to text

2 Robert M. Vogel, « Up, Down, Across: Elevators, Escalators, and Moving Sidewalks at the National Building Museum, Washington, D. C. », Technology and Culture, 45 (1), janvier 2004, p. 154 : « On estime que les ascenseurs, escalators et trottoirs roulants du monde déplacent collectivement l’équivalent de la population de la Terre tous les trois jours », ma traduction (“It is estimated that the world’s elevators, escalators, and moving sidewalks collectively move the equivalent of the earth’s population every three days”). Le premier trottoir roulant (movable sidewalk) fut d’abord installé par l’architecte Joseph Lyman Silsbee et l’ingénieur Max Schmidt pour l’Exposition universelle de Chicago en 1893, puis reconstruit pour l’Exposition universelle de 1900 à Paris, où il fut photographié par Emile Zola. Return to text

3  Brevet n° 25 076 du 9 août 1859. Return to text

4  Brevet n° 470 918 du 15 mars 1892. Return to text

5 “one or one set of conveyers [...] may be run to elevate from one floor-level to another, and one or one set of elevators [...] may be run to descend and convey passengers from one floor-level to a lower level, so that there will be no stopping of the conveyers and no change of direction in their movements, and crowds or streams of persons may pass each other in opposite directions without confusion or detention”, Ibid., ma traduction. Return to text

6  William Leach, Land of Desire. Merchants, Power, and the Rise of a New American Culture, New York, Knopf Doubleday Publishing Group, 1994, p. 74 ; où l’on trouve cités ces propos du responsable de l’entretien chez Marshall Field’s : “escalators bring circulation to upper stories, like blood to the veins. Return to text

7 On se souvient de la fameuse prosopopée par laquelle Dziga Vertov chantait la gloire du mouvement oculaire que le film a pu infinitiser (Dziga Vertov, « Résolution du Conseil des Trois du 10 avril 1923 », dans Articles, Journaux, Projets, Paris, Cahiers du Cinéma-10/18, 1972, p. 30-31) : « Je suis le ciné-œil. Je suis l’œil mécanique. Moi, machine, je vous montre le monde comme seule je peux le voir. Je me libère désormais et pour toujours de l’immobilité humaine, je suis dans le mouvement ininterrompu, je m’approche et je m’éloigne des objets, je me glisse dessous, je grimpe dessus, j’avance à côté du museau d’un cheval au galop, je fonce à toute allure dans la foule, je cours devant les soldats qui chargent, je me renverse sur le dos, je m’élève en même temps que l’aéroplane, je tombe et je m’envole avec les corps qui tombent et qui s’envolent. » Sur le concept de « cinémonde », voir Peter Szendy, L’Apocalypse-cinéma. 2012 et autres fins du monde, Paris, Capricci, 2012 et Jean-Luc Nancy, « Cinéfile et cinémonde », Trafic, 50 (été 2004), p. 183‑190. Return to text

8  Le premier ascenseur vitré circulant à l’extérieur d’un bâtiment semble avoir été installé en 1956 sur la façade de l’hôtel El Cortez à San Diego, en Californie. Trois ans après cet ascenseur panoramique, le propriétaire de l’hôtel, Harry Handlery, fit également construire un tapis roulant (travelator), qui reliait l’édifice avec le motel situé en face. C’est ainsi que coexistèrent sur un même site le trottoir mobile et son équivalent vertical, jusqu’à la démolition du premier en 1986, suivie en 2000 par la dépose de l’ascenseur, afin de restaurer l’hôtel dans sa structure d’origine. Return to text

9 Rem Koolhaas, Junkspace. Repenser radicalement l’espace urbain, Paris, Payot & Rivages, 2001, trad. par Daniel Agacinski. « La continuité est l’essence du Junkspace ; il exploite n’importe quelle invention qui peut favoriser l’expansion, et déploie l’infrastructure de l’ininterruption : l’escalator, la climatisation… », p. 82. Return to text

10 Par exemple Andy Rathbone, Windows XP pour les Nuls, Paris, Éditions First, (2005) 2008, p. 46, trad. par Véronique Congourdeau : « La barre de défilement, qui ressemble à une cage d’ascenseur, est située le long d’une fenêtre […]. Une sorte de cabine – le curseur de défilement, parfois appelé “ascenseur” – monte et descend à l’intérieur de cette cage… ». Sur l’eye tracking et ses multiples applications commerciales, voir notamment Andrew Duchowski, Eye Tracking Methodology. Theory and Practice, New York, Springer, 2007, p. 261 sq. (Marketing/Advertising). Ou bien, dans le registre des « conseils aux e-commerçants », on pourra par exemple jeter un œil, si j’ose dire, sur le manuel de François Scheid, Renaud Vaillant et Grégoire de Montaigu, Le Marketing digital, Paris, Eyrolles, 2012, p. 243 : « Dans un premier temps, le e-marketeur peut améliorer sa compréhension des parcours [ceux des utilisateurs internautes, c’est-à-dire des clients potentiels] de manière quasi-scientifique, c’est la technique du heat mapping. Une heatmap, ou “carte de chaleur”, est une représentation des temps et des points de fixation du regard sur une page Web ou un e-mail. Les heatmaps sont la résultante d’études d’eye tracking. […] L’étude d’eye tracking se fait grâce à une caméra oculaire […]. Le but est généralement de mettre en évidence le parcours que suit le regard… ». Return to text

11 [S.A.], « Un smartphone qui attire tous les regards », 20 minutes, 27 mai 2013. URL : https://www.20min.ch/fr/story/un-smartphone-qui-attire-tous-les-regards-258270017153 [consulté le 3 décembre 2024]. Return to text

12 To look is to labor, « regarder, c’est travailler », affirme avec force dans son bel ouvrage Jonathan Beller, The Cinematic Mode of Production, Attention Economy and the Society of the Spectacle, Lebanon, University Press of New England, 2006, p. 2. Il suggère – sans toutefois prendre la peine d’en retracer l’histoire matérielle – qu’il y a là une évolution récente (p. 3) : « l’industrialisation de la vision a changé de vitesse », note-t-il (the industrialization of vision has shifted gears), avant d’ajouter : « Avec la montée d’internet s’accroît aussi la reconnaissance de la dimension productrice de valeur du travail sensuel dans le registre du visible. La perception est de plus en plus liée à la production. » (With the rise of internet grows the recognition of the value-productive dimensions of sensual labor in the visual register. Perception is increasingly bound to production). Plus loin (p. 76), Beller cite la fameuse formule d’Adorno et Horkheimer selon laquelle, « dans le capitalisme avancé (unterm Spätkapitalismus), l’amusement (Amusement) est le prolongement (Verlängerung) du travail » (Jonathan Beller, La Dialectique de la raison, Paris, Gallimard, 1983, p. 145, trad. par Éliane Kaufholz). Et Beller commente : « le World Wide Web en tant qu’héritier du cinéma rend cette tendance parfaitement évidente » (cinema’s legacy in […] the World Wide Web makes this tendency patently obvious). Le cinéma est ainsi compté au nombre des technologies de captation et de capitalisation de l’attention (p. 206) : « La télévision, une sorte de second emploi, crée de la valeur ajoutée pour le capital en lui permettant de lutter contre la baisse des taux de profit. […] Il n’est pas étonnant que nous passions autant de temps […] à écrire des emails, à faire de la recherche sur le web, etc. L’efficacité et le développement croissants de nouvelles technologies de captation de l’attention deviennent le principal terrain pour les entreprises du capital à la fin du vingtième siècle. Le cinéma et la télévision représentent littéralement une évolution dans la forme du capital. » (Television, a sort of a second job, creates surplus value for capital that allows it to combat the falling rate of profit. […] No wonder we spend so much time […] doing things like email, web-research, and the like. The increasing efficiency and development of new attention‑siphoning technologies becomes the central province of endeavor for later twentieth-century capital. Cinema and television quite literally represent an evolution in the form of capital). Il me semble toutefois difficile de suivre Beller lorsqu’il postule une sorte d’origine édénique ou supralapsaire du regard, que le capitalisme aurait peu à peu corrompu (p. 7) : « Si le visible, en tant pratique créative non aliénée, s’est transformé en une zone de travail aliéné, c’est là le résultat de l’accumulation du capital […]. » (The transformation of the visual from a zone of unalienated creative practice to one of alienated labor is the result of capital accumulation […]). Return to text

13  Gilles Deleuze, L’Image-temps, Paris, Minuit, 1985, p. 105. Return to text

Illustrations

References

Electronic reference

Peter SZENDY, « L’Oculométrie, ou la mobilisation générale de l’œil », Déméter [Online], Hors-série | 2024, Online since 28 janvier 2025, connection on 06 février 2025. URL : https://www.peren-revues.fr/demeter/1839

Author

Peter SZENDY

Peter Szendy est professeur en humanités et en littérature comparée à la Brown University et conseiller musicologique pour les éditions de la Philharmonie de Paris. Parmi ses publications récentes : La Voix, par ailleurs (avec Laura Odello, Minuit, 2023) ; Pouvoirs de la lecture. De Platon au livre électronique (La Découverte, 2022) ; Pour une écologie des images (Minuit, 2021) ; Le Supermarché du visible. Essai d’iconomie (Minuit, 2017) ; À coups de points. La ponctuation comme expérience (Minuit, 2013). Il a été le commissaire de l’exposition Le Supermarché des images au Jeu de Paume (février-juin 2020).

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