Les bouclettes d’Encolpe (Sat. 109.9)  : une critique pétronienne du néo-alexandrinisme ovidien  ?

DOI : 10.54563/eugesta.1092

Abstract

Cet article se propose de voir dans l’elegidarion capillorum d’Eumolpe, qui fait l’éloge de la chevelure perdue d’Encolpe et de Giton, une attaque contre les afféteries stylistiques des poètes néo-callimachéens dont Ovide était, à l’époque impériale, considéré comme le modèle. Pour cela, le texte du Satiricon s’appuie sur une métaphore genrée de la critique littéraire qui caractérise comme efféminé un style inutilement alambiqué, avec l’image de la coiffure, des bouclettes et des frisottis d’une écriture trop précieuse. Dans cette «  petite élégie capillaire  » qui vise conjointement ses deux modèles «  génériques  », l’élégie d’Amours I, 14 et la Coma Berenices, nous observerons le jeu intertextuel complexe qui se noue par rapport à la poésie ovidienne, à laquelle Eumolpe emprunte non seulement l’utilisation métapoétique du thème de la coiffure en Am. I, 14, mais aussi la distinction genrée entre coiffure virile et coiffure féminine (ou efféminée) prônée par le magister amoris dans l’Art dAimer  : en superposant ces deux hypotextes, l’elegidarion capillorum retourne le modèle ovidien contre lui-même, en faisant de la chevelure, qui figurait chez Ovide une poétique callimachéenne érudite et raffinée, la métaphore de l’écriture artificielle et creuse des compositions néo-alexandrines.

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La critique littéraire romaine recourt volontiers au genre comme moyen de catégorisation des différents styles rhétoriques ou poétiques, en qualifiant de féminin, ou d’efféminé, un style trop apprêté, trop orné. De nombreux emplois des adjectifs muliebris et effeminatus, ou, au contraire, uirilis, témoignent ainsi du caractère «  genré  » de cette critique stylistique dans les traités de rhétorique1. Quintilien, par exemple, dénonçant la passion futile des mots et le pur souci d’élégance formelle, condamne les discours épilés et maquillés, que l’on «  coiffe  » «  à la manière de femmes  » (si quis uulsa atque fucata muliebriter comat)2  ; à l’instar d’une «  parure féminine  », cultus ... muliebris, un style trop raffiné «  effémine  » les idées de l’auteur (elocutio res ipsas effeminat)3. Un peu plus loin, il exige un ornement «  mâle  » (hic ornatus ... uirilis ... sit), refusant les vains apprêts «  efféminés  » (effeminatam ... leuitatem) associés aux teintes trompeuses d’un style «  fardé  », «  maquillé  »4. De la même manière, dans l’épître 115, Sénèque conseille à Lucilius de ne pas porter un soin excessif à l’arrangement des mots au dépens des idées, écrivant que l’agencement apprêté du style n’est pas un ornement «  masculin  » (non est ornamentum uirile concinnitas), et qu’une éloquence coquettement coiffée, fardée, artificiellement travaillée (si (oratio) circumtonsa est et fucata et manu facta), révèle un manque de virilité, quelque chose d’émasculé (aliquid fracti)5.

Ce grief de l’absence de virilité dont on accuse un style soucieux de vaine perfection formelle, vu comme «  émasculé  », a son équivalent en poésie, comme le montre la satire que fait Perse des afféteries néo-alexandrines écrites par ses contemporains  : mots creux joliment arrangés sur des sujets vides de sens. Après avoir décrit le poète lisant ses nugae comme un efféminé (fractus) qui exciterait sexuellement son public masculin6, le satiriste parodie cette poésie hellénisante, précieuse et futile7 avant de s’exclamer (v. 103-105)  :

Haec fieret, si testiculi uena ulla paterni
uiueret in nobis  ? Summa delumbe saliua
hoc natat in labris et in udo est Maenas et Attis

Écrirait-on de telles choses, si la moindre veine des testicules de nos aïeux subsistait en nous  ? Cela flotte, éreinté, à fleur de salive, sur les lèvres, et la Ménade et Attis sont humides8...

Les auteurs néo-alexandrins ont perdu toute trace de la puissance virile des Anciens (testiculi ... paterni)  ; le poème est é-reinté (delumbe), impuissant. Perse stigmatise ici une poésie efféminée, émasculée, à l’image d’Attis mutilé de son membre viril et changé en femme. Cette image de l’impuissance, qui permet de disqualifier comme efféminé un style critiqué pour sa joliesse formelle et ses afféteries verbales, se retrouve au seuil du texte de Pétrone, auquel nous allons nous intéresser dans cet article.

En effet, le Satiricon – ou, du moins, la partie de l’œuvre que la tradition manuscrite nous a permis de connaître – s’ouvre sur l’évocation du déclin de l’éloquence, des pompeuses paroles qui recouvrent de sonorités vides de sens un discours dérisoire  :

Leuibus enim atque inanibus sonis ludibria quaedam excitando, effecistis ut corpus orationis eneruaretur et caderet

En faisant naître de sonorités légères et vaines des jeux dérisoires, vous avez énervé le corps du discours et l’avez fait s’affaisser9.

Comme dans la satire de Perse ou chez les théoriciens de la rhétorique, la critique littéraire se fait «  genrée  » avec cette métaphore de la perte de la puissance virile, puisque l’art oratoire y est castré, émasculé, eneruatur. Le sens de ce terme y est conforté par le parallélisme avec l’impuissance sexuelle qui affectera Encolpe plus loin dans le roman et qui vaudra au héros d’être raillé par une Circé déçue de ce partenaire qu’elle qualifie de sine neruis (129.5)10  ; ailleurs, l’adjectif eneruis caractérise les mignons que l’on a mutilés pour qu’ils puissent continuer, en dépît de la nature, à être aimés par des hommes à qui plaisent «  la démarche efféminée de leur corps castré  » (fracti enerui corpore gressus)11. A l’instar de Perse critiquant la poésie «  é‑reintée  » (delumbis) des néo-alexandrins, l’ouverture du roman de Pétrone fustige donc une parole «  é‑nervée  » (eneruis)12, privée de virilité par le goût des formules creuses mais joliment balancées, la recherche de sonorités légères et vaines, leuibus atque inanibus sonis – de même que «  la vaine passion des mots  » (inani... circa uerba studio) entraînera, selon Quintilien, à maquiller, à épiler et, finalement, à «  orner, ou plutôt à ‘coiffer’, le discours comme une femme  » (muliebriter comere)13. C’est d’ailleurs cette image de la coiffure du style, des bouclettes et des frisures d’une écriture artificiellement travaillée qui nous occupera ici  : nous verrons comment cette métaphore genrée de la critique littéraire, visant à dénoncer comme efféminé un style inutilement alambiqué, est convoquée par Pétrone pour prolonger – et illustrer – la critique initiale des «  sonorités légères et vaines  » qui émasculent le discours.

De fait, les bouclettes du style (oratoris aut poetae cincinni)14 ou le fer à friser (calamister)15 sont autant d’images utilisées dans la critique littéraire pour disqualifier un style trop artificiellement orné, et par là jugé féminin. Le paradigme de cette écriture trop «  coiffée  », frisottée au fer, est celle de Mécène, dont on condamne volontiers le style efféminé, à l’instar de son allure languissante et peu virile16  : on raille ainsi les calamistros Maecenatis, les fioritures stylistiques qu’il a élaborées au fer à friser, un ornement tout sauf masculin (ne uirilis quidem cultus)17  ; en particulier, Auguste, refusant pour sa part – nous dit Suétone – «  la sottise des formules à effet balancées avec art  » (sententiarum ineptiae atque concinnitas), moquait les «  papillottes parfumées  » (‘myrobrechis’, ut ait, ‘cincinnos’) des textes de son ami18. La métaphore des frisettes du style dit donc une écriture efféminée, alambiquée, à l’agencement trop apprêté.

Je voudrais montrer ici la manière dont Pétrone met en œuvre cette métaphore capillaire, dans le cadre de sa critique des afféteries formelles qui ornent un discours creux, lorsqu’il place dans la bouche d’Eumolpe des vers tout aussi ineptes que ceux des poètes néo-alexandrins attaqués par Perse ou que les calamistri Maecenatis moqués pour leur vaine complexité verbale. Il s’agit de l’elegidarion capillorum, la «  petite élégie sur les cheveux perdus  » que compose le vieux poète pour se moquer des crânes chauves de ses deux comparses, Encolpe et Giton (qui ont été forcés de se raser la tête pour n’être pas reconnus des propriétaires du navire qui doit les conduire à Crotone)  :

Quod solum formae decus est, cecidere capilli,
   Vernantesque comas tristis abegit hiemps.
Nunc umbra nudata sua iam tempora maerent,
   
Aeraque attritis ridet adusta pilis.
O fallax natura deum : quae prima dedisti
   Aetati nostrae gaudia, prima rapis.

Eux qui sont la seule parure de la beauté, les cheveux sont tombés,
   et le triste hiver a emporté le feuillage printanier de la chevelure.
A présent déjà dénudées de leur ombrage, les tempes s’affligent,
   et la surface des crânes brûlés se rit des poils rasés.
O trompeuse nature des dieux  : les premiers plaisirs que vous avez donnés
   à notre âge sont les premiers que vous enlevez19.

Nous verrons que ces vers prononcés par Eumolpe jouent sur la métaphore genrée des bouclettes de l’écriture pour nous offrir une critique métaphorique des mignardises poétiques vides de sens qu’ils parodient ici et qui sont assimilées en particulier au modèle stylistique ovidien. Qu’Ovide ait été considéré, à l’époque impériale, comme le modèle des poètes néo-callimachéens par les détracteurs de ces derniers20 semble manifeste dès lors, par exemple, que dans la satire I de Perse, les vers aux sonorités grécisantes qui seront qualifiés d’efféminés21 semblent nettement viser les Ovidiani poetae contemporains de l’auteur, et ce par les nombreux effets d’échos que créent les assemblages et les recompositions de iuncturae ovidiennes22. On pourrait y ajouter un autre indice, en rappelant l’assimilation que fait Martial entre Ovide et Callimaque, lorsque dans l’épigramme X, 4 il condamne, en les opposant à sa propre esthétique, des poésies vaines et dérisoires (v. 7, uana ludibria) qu’il attribue à Callimaque (v. 12, Aetia Callimachi) alors que le contenu qu’il énumère est clairement celui des Métamorphoses. En l’occurrence, l’emploi du terme ludibria appliqué à ce (contre-)modèle ovidiano-callimachéen est intéressant pour notre démonstration, dans la mesure où le même nom désigne, chez Pétrone, ces jeux dérisoires nés des sonorités légères et vaines, leuibus atque inanibus sonis, qui ont é-nervé le discours, émasculé le style23.

1. L’élégie d’Am. I, 14  : la chevelure comme métaphore de la poétique callimachéenne

La leuitas, qui est négativement connotée lorsqu’elle désigne, chez Pétrone, la vacuité d’un ornement creux, d’une pure musique formelle sans contenu, était le terme qu’avait choisi Ovide, en lui conférant un sens positif, pour en faire l’équivalent de la λεπτότης, de la finesse, que Callimaque avait érigée en terme clé de son écriture poétique24. Ainsi, au seuil des Amours, Ovide met en scène le rejet du grauis numerus, du rythme grave, voire pesant, de la narration épique, pour adopter la cadence plus légère du distique élégiaque – des leuiores numeri adaptés à l’éloge d’une belle aux longs cheveux bien coiffés, longas compta puella comas (Am. I, 1, 19-20). De même, la λεπταλέη μοῦσα revendiquée par Callimaque dans le prologue des Aitia est notamment incarnée chez Ovide par la muse élégiaque, Elegeia qui se définit elle-même par sa légèreté (Am. III, 1, 41, sum leuis). Son apparence et surtout ses cheveux peignés et parfumés (v. 7, odoratos Elegeia nexa capillos) font aussi d’elle l’égale des Charites aux boucles parfumées que, dans la continuité du prologue, Callimaque invoque au seuil du premier livre des Aitia pour que cet onguent confère l’immortalité poétique à ses élégies25. La séduction d’une coiffure féminine, de sujet privilégié d’une poésie caractérisée par la leuitas de ses vers, est donc devenue métaphore de la sophistication stylistique de la leuis Elegeia elle-même. La chevelure peignée et odorante d’Elégie (version «  positive  » des «  papillottes parfumées  » reprochées au style de Mécène) avait d’ailleurs dû marquer les esprits, car c’est certainement en visant Ovide que Martial désignera plus tard ce genre comme «  l’élégie aux boucles travaillées  », cultis elegia comis26.

Se fondant sur la métaphore critique traditionnelle d’un style bien peigné, comptus27, Ovide fait de la coiffure d’une belle qui est le sujet de son œuvre érotique (longas compta puella comas) l’image d’une écriture élaborée suivant les valeurs stylistiques du callimachisme  : ce procédé peut s’observer à l’échelle d’un poème entier, avec le texte d’Am. I, 14, consacré à la chevelure que l’inconséquente puella a perdue à force de la teindre.

Cette élégie, où l’éloge de la chevelure perdue se mêle au sarcasme, s’inscrit dans la tradition d’épigrammes satiriques sur la calvitie causée par la teinture des cheveux28  ; mais elle se distingue de ces dernières en développant longuement une partie encomiastique sur la beauté de ces cheveux qui rendaient naguère la puella si séduisante. Cet éloge de la chevelure perdue, inséré dans le thème épigrammatique de la calvitie, puise alors à un autre modèle hellénistique  : l’élégie de Callimaque, et la Coma Berenices au livre IV des Aitia – la complainte décalée prononcée par une boucle détachée contre son gré de la chevelure de sa maîtresse, et qui mêle en un dosage ingénieux le badinage galant et la sensibilité au sentiment de la perte. Dans son commentaire du poème ovidien, J. C. McKeown souligne notamment que les vers 23 à 30, fondés sur le procédé alexandrin de la «  pathetic fallacy  », pourraient avoir été inspirés par la complainte de la boucle callimachéenne qui disait sa douleur d’avoir été coupée de la tête de la jeune reine29  ; en particulier, l’évocation de la souffrance des boucles de la puella, torturées au fer (Heu ! male uexatae quanta tulere comae ! / Quam se praebuerunt ferro patienter et igni, / ut fieret torto nexilis orbe sinus, «  Quels traitements cruels, hélas, ont subi tes cheveux. Avec quelle patience ils se sont prêtés à la torture du fer chaud, pour que leur masse flexible s’arrangeât en tresses ondulées  ») rappellerait les paroles de la boucle callimachéenne (τί πλόκαμοι ῥέξωμεν, ὅτοὔρεα τοῖα σιδήρῳ / εἴκουσι  ; «  que ferons-nous, nous les Boucles, quand de telles montagnes cèdent au fer  ?  »), ou sa traduction par Catulle (Quid faciant crines, cum ferro talia cedant  ? «  que feront des cheveux, quand le fer a raison de tels obstacles  ?  »)30. On retrouverait également une trace du modèle callimachéen dans la personnification de la chevelure dont le texte ovidien fait l’éloge  : tantôt les boucles savent se montrer dociles pour se prêter à mille arrangements (v. 13  : dociles et centum flexibus apti), tantôt, à l’inverse, le cheveu sait enseigner lui-même (v. 30  : erudit... ipse capillus) comment être coiffé31.

Mais ces quelques reprises thématiques du modèle de Callimaque me semblent surtout permettre à Ovide d’évoquer le caractère savant et érudit d’une écriture poétique dont cette chevelure serait la métaphore  : l’adjectif dociles et le verbe erudit rappellent la doctrina et l’eruditio attribuées aux auteurs alexandrins32, et la capacité des cheveux à onduler en boucles nombreuses (centum flexibus apti) en fait l’image du raffinement stylistique. Ainsi, dans sa déploration mi-humoristique mi-encomiastique de la chevelure perdue, le poète a habilement repris des motifs qui convoquent le souvenir de la Coma Berenices pour conférer simultanément à ces mêmes motifs le rôle de métaphore programmatique d’une poétique callimachéenne, docte et raffinée.

L’éloge de la chevelure perdue par la belle peut donc être lu comme un manifeste de poétique, la traduction métaphorique des valeurs stylistiques attachées au callimachisme. C’est en ce sens qu’il faut lire la comparaison de la chevelure perdue avec le léger ouvrage (leue opus) tissé par l’araignée dont la patte délicate (gracili pede) étire un fil (deducit filum)33 qu’égalent en finesse les cheveux de la belle (qualifiés de tenues, ou encore de graciles)34. On retrouve ici concentrés les principaux termes programmatiques associés au modèle callimachéen à l’époque augustéenne35 (la tenuitas, la gracilitas sont des traductions classiques de la λεπτότης36, tandis que le fil étiré par l’araignée pour tisser sa toile (deducit) fait écho à la transposition virgilienne de la λεπταλέη Μοῦσα du prologue des Aitia en deductum carmen dans la Bucolique VI)37. La finesse poétique héritée de Callimaque est expressément associée ici à la confection d’un leue opus arachnéen, comparant de la belle chevelure louée dans cette élégie, et par ailleurs image de l’œuvre ovidienne elle-même38.

L’image topique de la belle coiffure comme ornement d’un style «  peigné  » (comptus) est donc retravaillée dans le détail pour figurer une esthétique précise, celle de la finesse callimachéenne, la λεπτότης, dont l’équivalent revendiqué par Ovide est la leuitas qui caractérise l’ouvrage délicat ourdi par la fine patte de l’araignée, ou l’œuvre poétique soigneusement élaborée. L’ingéniosité ovidienne a consisté à reprendre, pour en faire la métaphore des valeurs stylistiques callimachéennes ré-engagées dans la confection du leue opus poétique, un motif lui-même emprunté à un texte emblématique, la coma Berenices, faisant ainsi de cette boucle (ou de la chevelure) perdue l’image de la perfection artistique d’un poème bien «  coiffé  ».

Ovide fait ainsi de cette chevelure idéalisée l’image d’une poétique héritère des valeurs poétiques du callimachisme, à laquelle il donne le nom de leuitas  ; or, c’est ce modèle qui sera visé dans le Satiricon. Nous verrons comment les petits vers élégiaques chantés par Eumolpe sur la chevelure perdue d’Encolpe et de Giton visent les valeurs stylistiques alexandrines revendiquées dans l’élégie d’Am. I, 14 tout en inversant leur valorisation puisqu’il s’agit désormais de condamner comme efféminée une poésie perçue comme une pure musique sans contenu, faite d’ornements stylistiques ineptes et vains.

2. Les bouclettes d’Encolpe, ou la critique genrée du style néo-callimachéen d’Ovide

Voyons alors comment ce procédé ovidien est repris dans le Satiricon, pour être retourné contre Ovide lui-même, quand Eumolpe fait à son tour d’une chevelure perdue, inspirée des élégies ovidienne et callimachéenne, la métaphore du style propre à ce type de poème, jugé précieux et superficiel. Nous verrons alors comment Pétrone emprunte à Ovide – pour faire de lui la cible de sa critique des afféteries néo-alexandrines – non seulement l’utilisation du motif de la chevelure travaillée comme image du style mais également le précédent d’une distinction genrée entre les normes esthétiques féminine et masculine qui lui permettra de convertir la métaphore positive de la coiffure féminine comme image du raffinement poétique en critique des vains ornements stylistiques vus comme les bouclettes et les frisottis d’une poétique efféminée.

a. Lelegidarion capillorum d’Eumolpe, l’élégie d’Am. I, 14 et la Coma Berenices

La scène se situe sur le bateau sur lequel voyagent les protagonistes, après que l’affrontement qui les opposés à Lichas et Tryphène (ceux-ci ayant reconnu Encolpe et Giton, malgré leurs crânes rasés) a fait place à la paix. Cette atmosphère pacifique, précisément, est suggérée de manière appuyée par une série de vignettes idylliques qui s’accumulent pour créer l’effet d’un tableau charmant, un peu trop charmant, même  ! Tandis que le bateau résonne de chansons, on s’affaire à de menues activités comme attraper les poissons qui sautent hors de l’eau ou de petits oiseaux dont le duvet volète à la brise, dont les plumes tourbillonnent dans l’écume légère des flots39 – nous reviendrons plus loin sur cette description. Dans cette atmosphère badine, le poète Eumolpe commence par «  plaisanter sur les chauves et les stigmatisés  » (in caluos stigmososque iaculari)40 – ce qui rappelle les épigrammes satiriques sur la calvitie, dont nous avons mentionné qu’elles ont pu inspirer le cadre général du texte d’Amours I, 14 –, avant de poursuivre par un autre genre de poème, une déploration de la chevelure perdue par Encolpe et Giton, qualifiée de capillorum elegidarion, de «  toute petite élégie capillaire  »41.

Le nom générique qui est ici inventé pour désigner les vers d’Eumolpe est important. L’hapax de forme grecque elegidarion (*ἐλεγειδάριον) est un double diminutif  : plus précisément, c’est le diminutif d’elegidion (*ἐλεγειδίον, lui-même diminutif de ἐλεγεῖον), qui désigne une « petite élégie » donc, et qui est également un hapax dont il est significatif qu’il apparaisse seulement dans la Satire I de Perse pour disqualifier les nugae néo-alexandrines, faites de vaine perfection formelle et de mots creux, une poésie jugée efféminée, émasculée42, à laquelle est précisément associé, par ailleurs, le contre-modèle ovidien43. En outre, la sous-catégorie générique de l’«  élégie capillaire  » (ou plutôt la «  toute petite élégie capillaire  ») semble constituer une appellation inédite, créée à dessein pour englober les deux élégies, callimachéenne et ovidienne, sur la mésaventure des cheveux coupés (par Bérénice) ou perdus (par la puella).

De fait, il a été depuis longtemps reconnu que les vers composés par Eumolpe sur la calvitie de ses deux compagnons sont émaillés d’emprunts au texte d’Am. I, 14 – emprunts dont nous verrons alors qu’ils sont corroborés (selon la technique de « l’allusion à deux étages ») par des souvenirs de la coma Berenices, modèle du modèle imité, ou, en l’occurrence, parodié. Les commentateurs de Pétrone ont ainsi repéré, par exemple, dans le premier vers d’Eumolpe Quod solum formae decus est, cecidere capilli, un écho au vers 31 de l’élégie ovidienne  : formosae periere comae44 ; cette reprise s’accompagne d’un ensemble de jeux d’échos rappelant le poème d’Am. I, 14 et tissant un lien entre ces deux déplorations élégiaques des cheveux perdus45. Parmi ces reprises verbales, images et tournures ovidiennes disséminées au fil de l’elegidarion, on pourrait signaler que le choix du verbe maerere pour dire la douleur des tempes dénudées qui, dans le poème d’Eumolpe, s’affligent de la disparition des cheveux (nunc umbra nudata sua iam tempora maerent) peut rappeler la main affligée (maesta) de la belle désolée d’avoir perdu sa chevelure46. Or si le passage pétronien rappelle par là son modèle premier, il établit aussi un lien plus précis avec le modèle même de l’élégie ovidienne  : le texte de Callimaque, qui évoquait, d’une part, le chagrin causé aux cheveux de Bérénice par la perte de la boucle coupée (fr. 110 Pf, v. 50, ἄρτι [ν]εότμητόν με κόμαι ποθέεσκον ἀδε[λφεαί, «  les cheveux, mes frères, me pleuraient, moi qui venais d’être coupée  »), de l’autre la tristesse de la boucle elle-même dont le plaisir d’être devenue un astre n’égale pas la douleur d’avoir quitté la chevelure de la reine Bérénice (v. 74-75  : οὐ τάδε μοι τοσσήνδε φέρει χάριν ὅσ[σ]ον ἐκείνης | ]σχάλλω κορυφῆς οὐκέτι θιξόμεν[ος, «  cela n’apporte pas une joie égale à l’affliction que je ressens de ne pouvoir toucher cette tête  »)47. Cette mise en balance entre la joie de la boucle divinisée et la peine que lui cause sa séparation loin de la reine, de moyen subtil de flatter Bérénice qu’elle était chez Callimaque, devient dans le poème d’Eumolpe contradiction inepte et poussée à l’absurde quand «  les tempes s’affligent  » tandis que «  le front rit  » de la perte des cheveux d’Encolpe et Giton (nunc umbra nudata sua iam tempora maerent, / aeraque attritis ridet adusta pilis). On peut alors penser qu’en visant le motif callimachéen de la douleur ressentie par les cheveux de la reine comme par la boucle coupée elle-même, et en empruntant pour cela un vocable tiré du texte ovidien (le verbe maerere), Pétrone pointe les liens qui unissent le texte d’Am. I, 14 et la coma Berenices. Notons à ce propos que le souvenir du poème de Callimaque a été convoqué avant même qu’Eumolpe commence ses vers, dans la mesure où le geste d’Encolpe rasant sa chevelure a été expressément rapproché de celui de Bérénice vouant aux dieux une boucle de ses cheveux pour le retour de son époux  : cui deo crinem uouisti  ?, «  à quel dieu as-tu voué ta chevelure  ?  », a en effet demandé un Lichas moqueur devant la calvitie du héros48, préparant ainsi la reconnaissance par le lecteur du lien intertextuel qui unit les vers d’Eumolpe sur les crânes rasés de ses compagnons et le poème de Callimaque sur la boucle de Bérénice. Émaillée d’allusions et d’emprunts au texte d’Am. I, 14 et à la Coma Berenices, l’elegidarion capillorum semble donc bien viser les deux «  élégies capillaires  » d’Ovide et de Callimaque.

b. Utiliser le modèle ovidien contre lui-même  : les distinctions de genre dans l’Art dAimer comme source de l’elegidarion capillorum

On peut soutenir que ces allusions à l’élégie d’Am. I, 14 et à son modèle callimachéen sont complétées (et éclairées, nous le verrons) par la présence, dans le texte de Pétrone, d’un autre modèle ovidien, tiré du troisième livre de l’Art dAimer. Le magister amoris y enseigne aux jeunes filles les différentes manières d’apprêter leur chevelure pour séduire et conclut cette évocation des coiffures féminines par une complainte dans laquelle il prend la parole en tant que uir (par opposition aux puellae auxquelles il s’adresse) pour déplorer l’inégalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne la calvitie  :

O quantum indulget uestro natura decori,
    Quarum sunt multis damna pianda modis  !
Nos male detegimur, raptique aetate capilli,
    Vt Borea frondes excutiente, cadunt.
Femina canitiem Germanis inficit herbis,
    Et melior uero quaeritur arte color  :
Femina procedit densissima crinibus emptis,
    Proque suis alios efficit aere suos.

O combien la nature est complaisante pour votre beauté,
   vous dont les torts peuvent être réparés de mille manières  !
Pour nous, nous sommes fâcheusement dégarnis et, emportés par l’âge,
   nos cheveux tombent comme les feuilles d’arbre secouées par Borée.
La femme, elle, teint ses cheveux blancs grâce aux herbes de Germanie
   et la couleur artificielle est plus jolie que la vraie.
La femme, elle, s’avance parée de la perruque très épaisse qu’elle achetée,
   et, pour de l’argent, elle fait siens les cheveux d’une autre49.

Avant de commenter cette opposition genrée – entre «  nous, les hommes  » et «  vous, les femmes  » –, observons les allusions à ce passage repérables dans le poème d’Eumolpe. Le ton et le vocabulaire du texte semblent en effet se retrouver chez Pétrone  : ainsi, la tournure exclamative que l’on trouve au début du troisième distique de l’elegidarion,

O fallax natura deum  : quae prima dedisti
    Aetati nostrae gaudia, prima rapis.

pourrait avoir été inspirée par celle qui ouvre le passage ovidien (o quantum indulget ... natura), tandis que le vocabulaire du pentamètre (aetati nostrae  ; rapis) reprend celui du distique suivant chez Ovide, où se trouvent également associés le nom aetas et le verbe rapere  :

Nos male detegimur, raptique aetate capilli,
    Vt Borea frondes excutiente, cadunt.

En outre, le pentamètre de ce même distique ovidien peut avoir offert à Pétrone le modèle de l’assimilation de la chute des cheveux à celle des feuilles emportées par un vent froid qui dégarnit les arbres, dès le premier distique de l’elegidarion  :

Quod solum formae decus est, cecidere capilli,
    Vernantesque comas tristis abegit hiemps50.

Enfin, le choix des termes cecidere capilli dans ce même distique initial a pu être inspiré par l’association, en fin de vers, des mots capilli et cadunt dans le distique ovidien. Si tel est le cas, on peut supposer que la formule pétronienne cecidere capilli constitue une double allusion au texte d’Am. I, 14, periere comae, d’une part, et à ce passage de l’Art dAimer, capilli... cadunt, de l’autre. Autrement dit, tout en prenant pour cible première l’élégie ovidienne d’Am. I, 14, associée à la Coma Berenices, parce qu’elle lui offre le modèle visé par la catégorie générique de la «  petite élégie capillaire  », Pétrone convoquerait également ce texte-ci, pour le rappeler à la mémoire du lecteur et projeter cet autre souvenir ovidien sur l’elegidarion capillorum.

Or l’intérêt qu’il y a à convoquer ce texte d’Ovide me paraît être sa dimension fortement genrée, avec un locuteur qui se définit explicitement comme masculin lorsqu’il s’inclut parmi les hommes (nos) par opposition à ses lectrices féminines (uestro... decori) et insiste, avec l’anaphore femina... femina... au début des vers 163 et 165, sur la possibilité qu’ont les femmes d’améliorer artificiellement leur couleur de cheveux ou se couvrir d’une perruque.

C’est alors cette distinction genrée, établie par Ovide lui-même, entre les coiffures féminine et masculine qu’il est intéressant de projeter sur l’elegidarion capillorum d’Eumolpe, dans la mesure où la chevelure dont la perte est déplorée, sur le modèle de l’élégie d’Am. I, 14, n’y est plus une chevelure de femme (la puella élégiaque ou la reine Bérénice), mais celle de deux jeunes gens  : Giton et Encolpe. Par exemple, quand Eumolpe achevera ces vers sur la perte des cheveux des deux garçons, ces derniers se verront précisément revêtir de perruques de femme et de sourcils postiches51, se comportant ainsi comme des feminae et non comme des hommes, selon la distinction genrée fortement affirmée par Ovide. Ces longs cheveux blonds ainsi que des faux sourcils rendront alors aux jeunes gens la beauté que leur conférait naguère leur chevelure, caractérisant bien cette dernière comme un ornement peu viril52.

Et de fait, si par ailleurs le statut sexuel des deux protagonistes s’avère difficile à déterminer de façon définitive53, il demeure certain que – conformément à la connotation qu’elle revêt dans le roman comme dans le reste de la littérature54 – leur chevelure longue et bouclée est associée au manque de virilité qui les caractérise, l’un et l’autre, pour des raisons différentes (par exemple, les frisettes de Giton sont accolées, dans le portrait succinct qui est fait de lui, à sa mollitia de garçon en âge d’être aimé par des hommes55  ; quant à Encolpe, ses longues mèches de cheveux sont souvent mentionnées tandis qu’il fait figure d’objet passif du désir d’autrui56 ou d’amant impuissant)57. Ainsi, la convocation intertextuelle du passage du troisième livre de l’Art dAimer qui pose clairement une distinction genrée entre hommes et femmes éclaire le glissement qui s’est opéré entre l’objet des élégies ovidienne et callimachéenne (la chevelure d’une puella ou la boucle de la reine Bérénice) et celui de l’elegidarion capillorum d’Eumolpe, qui parodie ces dernières  : les bouclettes efféminée d’un mignon ou d’un jeune homme à la virilité douteuse58.

A ce titre, un autre passage ovidien, au livre I de l’Art dAimer, peut aussi avoir offert un précédent de disqualification, formulée en termes genrés, des soins excessifs apportés à leur chevelure, ou plus généralement à leur apparence, par des hommes qui n’en sont pas réellement. Le magister amoris, s’adressant à un lecteur masculin, lui recommande ainsi de ne pas boucler ses cheveux ou s’épiler les jambes, sous peine d’être apparenté à un eunuque  :

Sed tibi nec ferro placeat torquere capillos,
    
Nec tua mordaci pumice crura teras.
Ista iube faciant, quorum Cybeleia mater
    Concinitur Phrygiis exululata modis.

Mais qu’il ne te prenne pas l’envie de friser au fer tes cheveux
    et ne frotte pas tes jambes au tranchant de la pierre ponce.
Ces pratiques, réserve les à ceux dont les chants
    hurlés sur le mode phrygien célèbrent Cybèle notre mère59.

Le magister poursuit en détaillant l’hygiène élémentaire qui fera la beauté virile d’un «  vrai  » homme, et conclut sa liste en décrétant que tout le reste – au premier chef, la coiffure trop élaborée, donc – doit être laissé aux femmes séductrices et aux «  faux mâles  » qui se cherchent eux-mêmes des mâles  :

Cetera lasciuae faciant, concede, puellae,
    Et siquis male uir quaerit habere uirum.

Le reste, laisse le faire par les jeunes filles lascives,
    ou à ceux qui, bien peu hommes eux-mêmes, cherchent à être aimés par un homme60.

On peut noter que cette dernière formule, quaerere uirum (qui s’applique à l’homme passif, désireux d’être pénétré par un autre homme), se retrouvera, même si on peut l’y comprendre dans une acception légèrement différente, dans un autre poème d’Eumolpe qui évoque les jeunes eunuques au corps émasculé (enerue corpus, comme l’est celui d’Encolpe sine neruis, mais aussi celui du discours émasculé par des sons vains et creux, eneruaretur) – et aux longs cheveux (laxi crines)61.

Ovide semble donc avoir fourni à Pétrone, outre le (contre-)modèle visé par «  la petite élégie capillaire  » emblématique des nugae insignifiantes critiquées dans le Satiricon, une autorité en matière de discrimination genrée concernant les soins de la chevelure – ce qui est appréciable chez une femme étant jugé infamant pour un homme, dont la virilité sera alors on ne peut plus clairement mise en cause. C’est de ce précédent littéral que se réclame alors Pétrone (pour le retourner, précisément, contre Ovide  !) lorsqu’il applique cette même catégorisation au style poétique dont la chevelure élaborée était la métaphore  : le style qu’Ovide caractérisait comme délicatement orné à la manière de Callimaque devient musique vaine et creuse qui émascule le discours, frisettes d’efféminé ridicule.

Si donc on peut penser que Pétrone superpose, dans l’elegidarion capillorum, des allusions à l’élégie d’Am. I, 14 associée à la Coma Berenices, d’une part, et aux passages de l’Art dAimer qui introduisent une distinction genrée entre coiffure d’homme et coiffure de femme, d’autre part, ce jeu intertextuel lui permet de conjuguer la dimension métaphorique de la coiffure perdue comme image d’un style néo-callimachéen, valorisé par Ovide, daubé par Pétrone, et la dimension du genre (féminin/efféminé vs masculin) rappelée par Ovide lui-même. C’est ainsi qu’il utilise, en quelque sorte, le précédent ovidien contre ce dernier, en projetant sur la «  petite élégie capillaire  » qui vise le style néo-alexandrin d’Ovide la critique traditionnelle, formulée en termes genrés, de ce style vu comme efféminé, émasculé, comme les prêtres de Cybèle (évoqués par le magister amoris) ou comme Attis (cité, sur un plan métapoétique, par Perse)62.

Reprenant à l’élégie ovidienne le jeu littéraire qui consiste à faire de la coiffure féminine perdue par la puella l’image d’une écriture poétique finement travaillée, Pétrone fait de la coiffure efféminée perdue par Encolpe et Giton l’image des vains apprêts de ce style frisé au petit fer  ; cette lecture métapoétique des «  bouclettes  » chantées par Eumolpe peut, pour finir, être confirmée par un ensemble d’indices qui sont repérables dans le contexte plus général de la composition de l’elegidarion.

3. Autour de l’elegidarion – les indices de la critique d’une poétique efféminée

a. Ineptia proferre

Après avoir composé ces vers, Eumolpe – nous apprend le narrateur – s’apprêtait à en dire de plus ineptes encore (plura uolebat proferre, credo, et ineptiora praeteritis)63, avant d’en être empêché par la servante (qui, revêtant Encolpe et Giton de perruques féminines, leur a rendu leur chevelure perdue et a donc privé le poète de sujet pour une autre élégie capillaire). L’elegidarion capillorum est ainsi, indirectement mais nettement, qualifié de sottise, d’«  ineptie  », à l’instar de l’écriture frisottée de Mécène et de ses vains arrangement formels moqués par Auguste qui, pour sa part, s’abstenait de ce genre de sottise (ineptia)64. De fait, le terme ineptus semble adapté pour disqualifier les vains ornements stylistiques volontiers associés à la métaphore des bouclettes d’une écriture efféminée  : par exemple Cicéron, faisant l’éloge du style simple et sobre de César, se moque des sots (inepti) qui seraient tentés d’appliquer un fer à friser sur ses écrits (illa calamistris inurere)65. Surtout, au moment où, dans la lignée de critiques antérieures contre les papillottes efféminées du style, Pétrone qualifie les vers de l’elegidarion capillorum d’inepta, de sottises poétiques, il reprend là encore les procédés ovidiens en les retournant contre Ovide lui-même. Dans l’élégie d’Am. I, 14, en effet, Ovide avait fait des cheveux perdus, naguère «  aptes à onduler de mille manières  » (v. 13, centum flexibus apti), une métaphore de l’élaboration stylistique de sa propre poésie  : or cette qualité attribuée à une chevelure ainsi personnifiée était mise en valeur par l’opposition avec la sottise de la belle qui, les ayant fait périr, y était invectivée comme sotte  : inepta66. On peut supposer que l’auteur du Satiricon retourne le jeu métapoétique d’Ovide contre ce dernier, en employant ce même adjectif négatif ineptus mais avec le sens poétique qu’avait l’adjectif positif (flexibus aptus) à propos des cheveux de la belle, métaphore de l’œuvre poétique – celle-ci étant désormais qualifiée dans le roman d’inepta. Les boucles aptes à onduler avec art qui, chez Ovide, valaient comme métaphore d’un raffinement stylistique revendiqué deviennent ici l’objet, mais aussi la métaphore, d’un poème aussi «  inepte  » que les frisottis ridicules de Mécène ou les vains ornements que des sots voudraient appliquer aux écrits sobres de César.

b. Le cadre métaphorique de la composition de l’elegidarion

Surtout, des signaux métapoétiques de cette écriture efféminée, semblent avoir été glissés par Pétrone dans l’évocation de l’atmosphère badine qui sert de cadre à la composition de la «  petite élégie capillaire  ». Une série de signaux métaphoriques visant l’esthétique néo-alexandrine nous est en effet offerte dans le tableau idyllique qui précède sa composition  : tandis que certains passagers du bateau pêchent des poissons grâce à des «  hameçons aux doux appâts  » (hamis blandientibus), d’autres s’emploient à chasser des oiseaux dont les plumes volètent dans l’air et dont le duvet tourbillonne sur l’écume des flots.

Tout d’abord, la pêche nous a été explicitement donnée comme une métaphore de l’art de la parole séductrice dès le début du roman (et ce, précisément, en objection à la critique des vaines afféteries qui émasculent le discours de leur musique légère et creuse), lorsque le rhéteur Agamemon réplique à Encolpe que le professeur d’éloquence doit, tel un pêcheur, utiliser les séductions langagières qui appâteront le mieux les petits poissons qu’il désire attraper, en l’occurence avec la joliesse de ses formules creuses67. Sur le bateau de Lichas, cet aspect séducteur de la pêche, comparant implicite d’une parole poétique aux apprêts efféminés, est souligné par la mention des hameçons «  à la séduction caressante  », hamis blandientibus – ce qui, si l’on considère qu’il s’agit d’une évocation métaphorique du style «  ovidianisant  » de l’elegidarion qui suit, rappelle les blanditiae, les paroles caressantes qui sont, pour Ovide, métonymiques de l’écriture élégiaque elle-même68  ; en même temps, cette évocation de la blanditia, de la douceur caressante des appâts du pêcheur, c’est-à-dire – si l’on suit la comparaison explicitée par Agamemnon – de l’auteur désireux de séduire son public par la musique de son style, fût-elle creuse, nous amène du côté du féminin69.

Ensuite est évoqué l’oiseleur, désigné comme un peritus artifex, un artiste accompli, habile à attraper les oiseaux marins avec des roseaux tressés, textis harundinibus70. Cet instrument utilisé par l’aucupor, le chasseur d’oiseaux, nous offre ici une double représentation métaphorique du poème, l’adjectif textus renvoyant à l’image traditionnelle du «  texte  » comme tissage de mots (à l’instar, notamment, du leue opus tissé par la délicate araignée en Am. I, 14), tandis que le terme harundo évoque l’instrument de musique métonymique de la poésie pastorale (qualifié de manière programmatique par sa tenuitas, la finesse callimachéenne, dans la sixième bucolique de Virgile, et ailleurs repris par Ovide comme instrument de composition d’un leue carmen  !)71.

En outre cette image de l’oiseleur comme représentation métaphorique de l’écrivain semble empruntée à Cicéron qui l’emploie, précisément, dans le contexte de sa critique des afféteries formelles d’un style artificiel. Ce dernier y condamne une écriture trop recherchée, dont le désir de séduire le lecteur est manifeste  ; il préconise donc d’éviter les procédés stylistiques qui sentent trop le travail de l’auteur, afin de ne pas laisser apparaître un arrangement des mots élaboré (elaborata concinnitas) et des «  procédés d’oiseleur pour capter l’agrément  » (quoddam aucupium delectationis)72. La chasse à l’oiseau, aucupium, offre donc la métaphore des séductions apprêtées d’un style manifestement artificiel, et de la concinnitas – cet arrangement recherché des mots également refusé par Auguste en même temps que les autres inepties qui caractérisent l’écriture alambiquée de Mécène et disqualifié par Sénèque comme n’étant pas un ornement masculin73.

Or, de fait, ces afféteries d’un style vain et creux semblent illustrées avec la description des oiseaux qu’attrapent, avec leur texta harundo doublement métapoétique, ces oiseleurs de l’écriture. L’évocation du «  duvet  » qui «  volète, emporté par la brise  », et des «  plumes  » qui «  tourbillonnent dans l’écume légère  »74 semble une parodie, en même temps qu’une métaphore, de cette vaine poésie des nugae, consacrée aux petits riens charmants sur lesquels s’attarde une écriture vide de sens, bref, du style néo-alexandrin attaqué dans la première satire de Perse et associé, au début du roman de Pétrone, aux sons creux et vains, leuibus atque inanibus sonis, qui émasculent le discours. Ici, on notera que le même adjectif inanis, précisément, qualifie l’écume elle-même (inanis spuma), ce qui pourrait être lu à deux niveaux – comme une évocation de l’écume inconsistante, ou bien, plutôt, comme une évocation inconsistante de l’écume, une image jolie et vaine75.

Ce faisceau d’indices nous invite à voir dans l’elegidarion capillorum, qui sera récité par Eumolpe dans ce cadre, l’illustration poétique de cette musique creuse, de ces «  sonorités légères et vaines  » qui é-nervent le discours, à l’instar des bouclettes et des frisottis d’un style efféminé dont l’objet même de la «  petite élégie  » offre, lui aussi, une métaphore.

Il faut alors admirer la complexité du jeu intertextuel ici mis en œuvre par Pétrone, dans la mesure où ce dernier emprunte très précisément à Ovide à la fois sa conversion du motif callimachéen de la chevelure en métaphore de l’esthétique callimachéenne précisément revendiquée par le poète, et la distinction genrée entre ce qui est permis aux femmes ou aux hommes pour, projetant celle-ci sur celle-là, convoquer paradoxalement Ovide en le retournant contre lui-même, et condamner ainsi comme manquant de virilité les ornements alexandrins dont l’auteur des Amours a paré ses élégies «  aux belles boucles odorantes  ».

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Notes

1 Voir par ex. Richlin 1997, pp.  90-110 (avec la bibliographie, et notamment le paragraphe «  Style and Gender in public Performance  », p. 93 sq.)  ; Gunderson 2000  ; Connolly 2007. Return to text

Je sais gré aux directrices de la revue Eugesta, Jacqueline Fabre-Serris et Judith Hallett, d’avoir accueilli cet article avec une grande bienveillance et je remercie vivement les relecteurs anonymes qui l’ont expertisé pour leurs précieuses remarques et suggestions.

2 Quint., IO, VIII, pr., 18-19. Return to text

3 Ibid. 20. C’est pourquoi l’éloquence ne doit pas «  polir ses ongles et arranger sa chevelure  »  : unguis polire et capillum reponere (ibid. 22). Return to text

4 Quint., IO, VIII, 3, 6  : sed hic ornatus (repetam enim) uirilis et fortis et sanctus sit nec effeminatam leuitatem et fuco ementitum colorem amet, «  mais que cet ornement (je le répète) soit mâle et robuste et pur  ; qu’il ne s’attache pas à des raffinements efféminés, ni aux teintes trompeuses d’un maquillage menteur  » (trad. J. Cousin, CUF). Return to text

5 Sén., Ep. 115, 2. Pour une explicitation du sens qu’il faut donner à fractus, cf. Sén., Vit. 13. 4  : eneruis, fractus, degenerans uiro... (voir Richlin 1997, p. 94). Return to text

6 Pers., Sat. I, 17-21. Sur ce passage  : Bramble 1974, pp.  75-79  ; Richlin 1992, p. 186 sq. Cf. aussi pour l’image du poète décrit comme efféminé suscitant paradoxalement chez son auditoire des réactions d’efféminés également sexuellement passifs  : Aristoph., Thesm. 130-133, ou, pour les déclamateurs au style trop «  sexy  », la critique du style de Surdinus, aux formules qualifiées d’infractas sententias et la raillerie de Cestius (ita te fruar) : Sén. Rh., Suas. VII, 12. Return to text

7 Pers., Sat. I, 98-102. Return to text

8 Ibid. 103-105 (trad. L. Herrmann, Perse, Satires. Latomus 59, Bruxelles-Berchem, 1962). Return to text

9 Pétr., Sat. 2. Return to text

10 Richlin 2009, p. 93. Return to text

11 Voir Pétr., Sat. 119, v. 20-27. Return to text

12 A titre de comparaison, les trois adjectifs ((d)elumbis, eneruis, fractus), ici rencontrés chez Perse et/ou Pétrone, étaient associés dans la critique d’un style considéré comme asianiste par ses détracteurs  : voir Tac., Dial. 18,5, (deprehendere) Ciceronem a Caluo quidem male audisse tamquam solutum atque eneruem, a Bruto autem, ut ipsius uerbis utar, fractum atque elumbem. Or la suite du passage de Pétrone associe précisément l’émasculation du discours (eneruaretur) au bavardage enflé de vent de l’éloquence asiatique (Sat. 2, uentosa... loquacitas... ex Asia commigrauit). Return to text

13 Quint., IO VIII, pr., 18-19. En outre, la critique pétronienne d’une parole émasculée par le goût des orateurs pour une pure musique verbale vide de sens se poursuit avec le rejet de l’éloquence fardée, réactivant la métaphore du maquillage, traditionnelle dans la critique littéraire pour condamner l’ornement artificiel du style  : Pétr., Sat. 2, Grandis et, ut ita dicam, pudica oratio non est maculosa nec turgida, sed naturali pulchritudine exsurgit. «  la grande et, si j’ose dire, la chaste eloquence n’est ni souillée de fard, ni enflée, mais elle se dresse dans sa beauté naturelle  »  : on notera que cette phrase trouve elle aussi des échos dans un passage de Quintilien que nous avons cité plus haut, et qui explicite plus nettement encore l’usage du genre – masculin vs efféminé – comme catégorie critique  : Quint., IO VIII, 3, 6 (voir supra). Return to text

14 Par ex. Cic., de Or. III, 100  : atque eo citius in oratoris aut in poetae cincinnis ac fuco offenditur..., «  et l’on est d’autant plus rapidement choqué par les frisures ou le fard d’un orateur ou d’un poète...  » (trad. E. Courbaud et H. Bornecque, CUF). Return to text

15 Par ex. Cic., Or., 78-79 (à propos de la subtilis oratio, le style simple et précis)  : tum removebitur omnis insignis ornatus quasi margaritarum, ne calamistri quidem adhibebuntur  ; fucati uero medicamenta candoris et ruboris omnia repellentur, «  alors on écartera toute parure voyante, comme seraient des perles. On évitera même le fer à friser. Quant au fards du blanc et du rouge artificiels, on les bannira complètement  » (trad. A. Yon, CUF). Return to text

16 Voir par ex. Sén., Ep. 114. Return to text

17 Tac., D. 26. L’évocation des calamistri Maecenatis (les bouclettes frisées au fer de Mécène) y cotoie l’image d’un style que l’on voudrait revêtir «  d’atours voyants de courtisanes  » (fucatis et meretriciis uestibus insignire), c’est-à-dire d’habits affriolants parce qu’ils sont eux-mêmes fucatis, «  fardés  », «  maquillés  »  ! Ces diverses métaphores mènent alors naturellement à la négation de toute virilité dans ces ornements stylistiques. Return to text

18 Suét., Aug. 86  : Genus eloquendi secutus est elegans et temperatum, uitatis sententiarum ineptiis atque concinnitate et «  reconditorum verborum  », ut ipse dicit, «  fetoribus  » [...]. Cacozelos et antiquarios, ut diuerso genere uitiosos, pari fastidio spreuit exagitabatque nonnumquam  ; in primis Maecenatem suum, cuius «  myrobrechis  », ut ait, «  cincinnos  » usque quaque persequitur et imitando per iocum irridet. «  Il (Auguste) adopta un style pur mais simple, évitant la sottise des formules à effet balancées avec art, et, selon sa propre expression, ‘l’odeur de moisi des termes surannés’ [...]. Il réprouva avec un égal dédain les précieux et les archaïsants, estimant qu’ils tombaient dans deux excès contraires, et parfois il les harcelait de ses railleries, surtout son cher Mécène, dont il critique à tout propos, suivant son expression, ‘les papillottes parfumées’ et qu’il s’amuse à contrefaire pour s’en moquer  » (trad. H. Ailloud, CUF). Return to text

19 Pétr., Sat. 109.9. Ce passage a par ailleurs fait l’objet de deux études récentes, l’une comme l’autre dans une perspective différente de celle que je proposerai ici, mais que l’on pourra consulter pour des analyses complémentaires  : Landolfi 2010  ; Setaioli 2011, chap. XII  : «  A Dirge on Lost Hair (Pétr. 109.9-10)  », pp.  177-191. Return to text

20 Sur les critiques adressées aux poètes «  néo-callimachéens  » en général à l’époque néronienne  : Sullivan 1985, en particulier, chap. II. Return to text

21 Pers., Sat. I, 103 (voir supra). Return to text

22 Voir Harvey 1981, p. 43 sq. pour les détails. Citons ici, en guise d’exemple, la iunctura Berecynthius Attis (v. 93) qui associe deux fins de vers ovidiennes (Met. X, 104  : Cybeleius Attis et Met. XI, 106, Berecynthius heros  ; cf. également reparabilis adsonat Echo (v. 102) et Met. III, 507  : adsonat Echo tandis que l’adjectif reparabilis ne se trouve, avant cet emploi chez Perse, que chez Ovide (et notamment en Am. I, 14 (v. 55) – le texte dont nous voulons précisément montrer ici qu’il fait l’objet de la critique de Pétrone contre les afféteries néo-alexandrines qui ont émasculé le style  ! Return to text

23 Pétr., Sat. 2  : leuibus... atque inanibus sonis ludibria quaedam excitando, effecistis ut corpus orationis enerueratur. Return to text

24 Pour la démonstration de ce point, Klein 2008. Return to text

25 Call. fr. 9 M, 12-14 : ..... ἀπ’ ὀστλί⌋γγων δ’ αἰὲν ἄλειφα ῥέει, | ἔλλατε νῦν,⌋ ἐ⌊λέ⌋γοισι ⌊δ⌋’ ἐνιψήσασθ⌊ε⌋ λιπώσ⌊ας | χεῖρ⌋ας ἐμ⌊οῖς, ἵνα μο⌋ι πουλὺ μένωσ⌊ι⌋ν ἔτος, « de vos boucles toujours coule l’onguent, maintenant soyez-moi favorables, portez vos mains brillantes à mes élégies, afin qu’elles me demeurent de nombreuses années » (trad. Y. Durbec, Les Belles Lettres, Paris 2006). Return to text

26 Mart., Ep. V, 30, 4. L’allusion à la présentation d’Elegeia en Am. III, 1 est corroborée par un autre emprunt à Ovide, lorsque Martial imite une formule de Tr. II, 491 (talia luduntur fumonso Decembri) pour désigner sa propre poésie adaptée à la «  fumée de Décembre  » (fumoso [...] Decembri) et l’opposer à l’«  Elégie aux boucles soignées  », cultis... Elegia comis. Voir Hinds 2007 et Prioux (à paraître). Return to text

27 C’est d’ailleurs l’adjectif qui a été appliqué au talent du poète dès son enfance  : Sén.Rhet., Contr. II, 2, 8, Habebat ille comptum et decens et amabile ingenium. On peut également citer l’emploi, positivement connoté, de cette métaphore chez Denys d’Halicarnasse (DH, VI, 25, 32)  : Platon «  n’a jamais cessé de peigner ses dialogues, de les friser, de les natter de mille manières  » (τοὺς ἑαυτοῦ διαλόγους κτενίζων καὶ βοστρυχίζων). Return to text

28 Cf.AP V, 76  ; XI, 66  ; 67  ; 68  ; 69  ; 310  ; 408, et surtout XI, 398 (voir McKeown 1989, pp.  364-365). Cf. aussi Mart., Ep. V, 49  ; VI, 12  ; 57  ; 74  ; X, 83  ; XII, 23 etc. Return to text

29 McKeown 1989 p. 365 et p. 372 sq. Return to text

30 Ov., Am. I, 14, 24-26 ; Call., Aitia, fr. 110 Pf, 46-47 ; Cat., C. 66, 47. On pourrait par ailleurs émettre l’hypothèse qu’Ovide fait allusion à la fois à sa source callimachéenne et à la traduction de cette dernière par Catulle, en associant au terme comae (v. 24), équivalent latin de πλόκαμοι, le terme crines (v. 27, également en fin de vers) tiré de la transposition catulléenne du vers callimachéen. Return to text

31 Voir McKeown 1989, p. 370  ; pp.  375-376. Return to text

32 Voir Zetzel 1996, p. 79. Return to text

33 Ov., Am. I, 14, 7-8 : ... pede quod gracili deducit aranea filum, / cum leue deserta sub trabe nectit opus. Return to text

34 Ibid. v. 5  : quod erant tenues  ; 23, cum graciles essent... Return to text

35 Voir Zetzel 1996, pp.  77-78. Return to text

36 Cf. par ex. pour tenuis  : Virg., B. VI, 8  ; Prop., El. III, 1, 5-8  ; Hor., C. II, 16, 37-40  ; III, 3, 70-72  ; pour gracilis  : Virg., B. X, 70-71  ; Prop., El. II, 13, 3  ; pour les deux termes à la fois  : Ps.-Virg., Culex 1-2. Return to text

37 Virg., B. VI, 3-5. Return to text

38 Par ex., Ov., Tr. II, 339. La poétique ovidienne est également ainsi désignée sous forme métaphorique avec le leue opus confectionné par Dédale en AA II, 45-48  : sur ce passage, voir Sharrock 1994, p. 143. Return to text

39 Pétr., Sat. 109.6-7. Return to text

40 Ibid. 109.8. Return to text

41 Ibid. Return to text

42 Voir Pers., Sat. I, 51. Les scholies à ce vers associent explicitement la création de l’hapax elegidia à la dénonciation par Perse d’une poétique efféminée (mollis)  : «  elegidia dixit deriuatum ab elegis, ut et hoc nomen mollitiem aliquam significet  ». Return to text

43 Voir supra. Return to text

44 A. Collignon mentionnait cet écho dans la liste des «  réminiscences ovidiennes  » qui lui paraissaient les plus signifiantes  : voir Collignon 1892, p. 265. Return to text

45 Par exemple, le parallélisme formel des formules periere comae et cecidere capilli, est soutenu, en outre, par un jeu de chiasme – la formule ovidienne periere comae (v. 31-32  : formosae periere comae, quas uellet Apollo, / quas uellet capiti Bacchus inesse suo) étant reprise plus loin en periisse capillos en fin de vers (v. 35  : Quid male dispositos quereris periisse capillos) tandis que le nom capilli qui figure au premier vers de l’elegidarion est relayé par le nom comas au vers suivant. Si l’adjectif formosus qui qualifie la chevelure chez Ovide est rappelé par Eumolpe avec l’expression decus formae, le terme decus est par ailleurs lui-même une reprise du verbe decent employé trois vers plus haut chez Ovide pour dire la beauté naturelle des cheveux (v. 28, sponte decent). Pour ces rapprochements et/ou d’autres, voir notamment Habermehl 2006, pp.  469-479  ; Vannini 2010, pp.  220-227. Return to text

46 Ov., Am. I, 14, 35-36  : Quid male dispositos quereris periisse capillos / Quid speculum maesta ponis, inepta, manu  ? «  Pourquoi te plains-tu qu’aient péri des cheveux que tu trouvais mal disposés  ? / Pourquoi, sotte, déposes-tu ton miroir d’une main affligée  ?  ». Return to text

47 Trad. Y. Durbec, op. cit. Return to text

48 Pétr., Sat. 107.15. Return to text

49 Ibid. v. 159-166. Return to text

50 Pétr., Sat. 109.9, v. 1-2. La métaphore du «  feuillage printanier  » de la chevelure emporté par le triste vent d’hiver se poursuit, en outre, avec l’évocation de l’ombre que cette chevelure faisait au front des jeunes gens, désormais exposés au soleil, comme des lieux sans arbre (v. 3-4). Comme dans le cas de la douleur et/ou de la joie des cheveux, des tempes dégarnies ou des crânes nus qui reprenaient, en la caricaturant, la pathetic fallacy de la «  boucle de Bérénice  », cette métaphore trop appuyée ici semble pousser jusqu’à la caricature, par son excès, la comparaison ovidienne. (Ajoutons que cette assimilation de la chevelure humaine et des feuilles des arbres, certes récurrentes chez Ovide, notamment dans les Métamorphoses, pourrait peut-être faire également écho à un écrit de Mécène, que Sénèque cite comme illustration de son écriture alambiquée et efféminée  : Sén. Ep., 114, 5  : O quid turpius «  amne siluisque ripa comantibus  »...  ? «  Oh  ! quoi de plus pitoyable que ‘cette rivière dont la berge est coiffée de forêts’  »  !). Return to text

51 Pétr., Sat. 110. Return to text

52 Pétr., Sat. 110, 2  : totam illi formam suam reddidit – ce que l’on pourra comparer avec la définition initiale des cheveux perdus comme decus formae. Return to text

53 Voir pour cela Richlin 2009. Return to text

54 Voir, par exemple, les évocations de pueri capillati qui servent Trimalchion (par ex. Sat. 70.8)  ; ce dernier a lui-même commencé sa «  carrière  » comme capillatus, «  petit mignon bouclé  », (ibid. 29), et «  a fait pendant quatorze les délices de son maître  » (ibid. 75.11)  ; voir aussi ibid. 119, v. 25-27 pour l’association des longs cheveux (laxi crines) et des corps émasculés des prostitués. Cf. par ailleurs le lien entre la chevelure soignée et l’efféminement chez Juv., Sat. II, 95-96, ou encore Mart., Ep. III, 63, 3-4  ; X, 65 (notons la formule flexa nitidus coma, l’efféminé Charménion se promenant «  la chevelure ondulée et brillante de parfum  »)  ; XII, 38 et le lien entre la chevelure brillante (v. 3  : crine nitens), et la passivité sexuelle (v. 6  : non futuit), etc. Return to text

55 Pétr., Sat. 97  : crispus, mollis, formosus. Return to text

56 Il évoque ainsi la manière dont Quartilla le presse de baisers en promenant langoureusement sa main dans les cheveux qui lui descendent derrière l’oreille  : ibid. 18  : basiauit me spissius et [...] descendentes ab aure capillos meos lenta manu duxit. Return to text

57 Au tout début de l’épisode qui montrera sa défaillance sexuelle dans le lit de Circé est évoquée sa coiffure artificiellement ondulée, qui, avec son maquillage et sa démarche calculée, sont condamnées comme signalant un efféminé qui vendrait ses charmes  : tel est en effet le portrait que dresse la servante de Circé, qui raille ses boucles frisées au peigne (ibid. 126, flexae pectine comae), son visage frotté de fard (facies medicamine attrita) et sa façon d’avancer mesurée avec art afin que les pas ne dépassent pas la longueur du pied (incessus arte compositus et ne uestigia quidem pedum extra mensuram aberrantia). On pourra d’ailleurs noter que la critique de cette allure efféminée d’Encolpe emprunte beaucoup aux métaphores par lesquelles on blâme volontiers un style littéraire trop apprêté, soucieux de perfection formelle, faits d’ornements peu virils (et sur les nombreux signaux invitant à assimiler le corps d’Encolpe et l’œuvre littéraire, on consultera avec intérêt Rimell 2002, notamment p. 112 sq.). Return to text

58 En outre, ce passage du féminin à un masculin problématique peut être vu comme une manière, pour Pétrone, de revenir sur le genre du locuteur de la coma Berenices – une voix féminine «  enfermée  » dans le genre grammatical masculin πλόκαμος chez Callimaque et rendue grammaticalement féminine dans la traduction de Catulle (voir Gutzwiller 1992  ; Barchiesi 1997  ; Vox 2000  ; Fantuzzi & Hunter 2004). Return to text

59 Ov., AA I, 503-506. Return to text

60 Ibid. 521-522. Return to text

61 Pétr., Sat. 119, v. 25-27  : Scorta placent fractique enerui corpore gressus / et laxi crines et tot noua nomina uestis, / quaeque uirum quaerunt. Return to text

62 Pers., Sat. I, 105 (voir supra). Return to text

63 Pétr., Sat. 110.1  : «  il voulait, je pense, en réciter plus, et de plus ineptes encore que les vers précédents  ». Return to text

64 Suét., Aug. 86 (voir supra). Return to text

65 Cic., Brut 262  : ineptis gratum fortasse fecit, qui volent illa calamistris inurere : «  il a peut-être fait plaisir à des esprits ineptes, qui seront tentés de friser tout cela au petit fer  » (trad. J. Martha, CUF, légèrement modifiée). Return to text

66 Ov., Am. I, 14, 36 : quid speculum maesta ponis, inepta, manu ? McKeown 1989, p. 378 : «  inepta may help to point (that) contrast : far from being inepti, her tresses were centum flexibus apti  ». Return to text

67 Pétr., Sat. 3.4 (cf. Plat., Soph. 218 e sq. pour la longue comparaison entre le sophiste et le pêcheur à la ligne). Return to text

68 Pour le lien entre les blanditiae, les paroles caressantes, et la leuitas de l’élégie ovidienne, voir par ex. Ov., Am. II, 1, 21  : blanditias elegosque leuis, «  mes mots caressants et mes légères élégies  »  ; en Am. III, 1, la leuis Elegeia (voir v. 41) aux cheveux parfumés se définit poétiquement par ses paroles caressantes, blanditiis... meis (v. 47). Return to text

69 Cf. par ex. Sén. Rh., Contr. I, préf 8-9  : Cantandi saltandique obscena studia effeminatos tenent  ; [et] capillum frangere et ad muliebres blanditias extenuare uocem [...] immo quis satis uir est  ? emolliti eneruesque quod nati sunt in uita manent. «  La passion obscène de chanter et de danser s’est emparée de nos efféminés  ; s’onduler les cheveux, atténuer sa voix pour égaler les flatteuses caresses de la voix féminine [...]. Non, lequel est suffisamment un homme  ? Efféminés et énervés de naissance, ils le restent toute leur vie  ». Return to text

70 Pétr., Sat. 109.7. Return to text

71 Virg., B. VI, 8 : agrestem tenui meditabor harundine musam, Ov., Met. XI, 154 : leue... modulatur harundine carmen. Return to text

72 Cic., Or. 84  : ne elaborata concinnitas et quoddam aucupium delectationis manifesto deprehensum appareat. La traduction de quoddam aucupium delectationis par des «  procédés d’oiseleur pour capter l’agrément  » est empruntée à A. Yon (CUF). Return to text

73 Cf. Suét., Aug. 86  : uitatis sententiarum ineptiis atque concinnitate  ; Sén., Ep. 115. 2  : non est ornamentum uirile concinnitas (voir supra). Return to text

74 Pétr., Sat. 109  : tollebat plumas aura uolitantes, pinnasque per maria inanis spuma torquebat. Return to text

75 Un des relecteurs anonymes d’Eugesta a en outre attiré mon attention sur un éventuel modèle callimachéen pour cette image de l’écume comme métaphore de la poésie  : l’Hymne à Délos évoque l’écume rejettée par les vagues sur l’île  : voir Call., H. 6, 14 (ἄχνην) et Slings 2004 pour son interprétation métapoétique. Return to text

References

Electronic reference

Florence Klein, « Les bouclettes d’Encolpe (Sat. 109.9)  : une critique pétronienne du néo-alexandrinisme ovidien  ? », Eugesta [Online], 2 | 2012, Online since 01 janvier 2012, connection on 12 décembre 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/eugesta/1092

Author

Florence Klein

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