1. But de l’étude et caractéristiques du slogan
Cette étude se situe à l’interface de la syntaxe expressive et de la pragmatique, et trouve son ancrage dans les écrits sur la phraséologie et l’expressivité de Bally (1951 [1909], 1965 [1932]) et de ses continuateurs, en particulier de Müller-Hauser (1943), de Berthelon-Schweitzer (1955) et d’Henry (1977).
Nos analyses, basées sur l’examen d’une centaine de slogans publicitaires, répertoriés à partir d’affiches publicitaires, recueillis entre 2017 et 20201 (voir annexe en fin d’article), ont pour but de faire ressortir les principaux procédés linguistiques qui fabriquent la mise en relief dans les slogans publicitaires. Cette fabrication de la mise en relief dans les slogans choisis entrant dans le cadre bipartite de type implicatif A/Z de Bally (section 3) sera mise en évidence dans les sections 4 et 5. Elle sera précédée (section 2) d’une présentation du concept de mise en relief et du cadre méthodologique adopté dans cette étude.
Élaborés par les annonceurs, les slogans dont l’emploi est planifié et massif (Navarro Dominguez, 2005), visent à surprendre le récepteur, capter son attention, et marquer son esprit, tant par le fond que par la forme du message. Le slogan permet en outre d’établir une forme de contact avec le public et d’influencer le choix des destinataires :
Il se présente comme une proclamation de l’annonceur en vue de susciter une réaction spontanée et affective chez son récepteur, dans une régression pulsionnelle qui agit à la façon d’une formule magique et qui en adopte souvent la tournure. (Adam & Bonhomme, 2012, p. 75).
Le TLFi définit le slogan comme une « formule concise et expressive, facile à retenir, utilisée dans les campagnes de publicité, de propagande pour lancer un produit, une marque ou pour gagner l’opinion à certaines idées politiques ou sociales ». Pour Buffon (2002, p. 166), le slogan est une « formule courte et frappante qui fait passer son caractère péremptoire sous une forme facile à retenir et agréable à répéter ». Quant à Adam et Bonhomme (2012, p. 60), ils considèrent que le slogan publicitaire est un énoncé se caractérisant « par une brièveté, une simplicité grammaticale, une tonalité péremptoire et une fermeture structurelle qui en font un syntagme figé et un idiolecte protégé par la loi sur la propriété artistique ».
Les slogans comportent en outre une dimension interpellative. En effet, par leur irruption, ils visent toujours à faire agir ou réagir, qu’il s’agisse d’un comportement d’achat ou d’une mobilisation politique. Les énoncés en apparence constatifs au sens où ils décrivent un objet ou une situation, fonctionnent comme des actes directifs implicites (Tanase, 2003, p. 14). Ainsi, le slogan en tant qu’énoncé polylexical, en général autonome, syntaxiquement figé, sémantiquement compositionnel ou avec un développement métaphorique, et qui est restreint dans son signifié par la situation de communication dans laquelle il est produit, fait partie des phraséologismes pragmatiques dont la notion recouvre « un large groupe de formulations conventionnelles réalisant des actes de langage déterminés qui ne peuvent être décrits que dans un cadre pragmatique, c’est-à-dire faisant référence à la situation de leur énonciation » (Dziadkiewicz, 2007, p. 1).
Le slogan s’insère dans un schéma de communication où le locuteur n’est pas spécifié. Les professionnels préfèrent en effet ne pas dévoiler les secrets de la création de leur énoncé. En outre, la communication publicitaire est singulière. Payante, médiatisée et distanciée par ses supports, elle est différée dans l’espace et dans le temps. Sans compter qu’elle est aléatoire car elle sollicite un destinataire qui ne l’attend pas. Un auditoire varié est effectivement appréhendé de façon statistique. Les sociétés de publicité s’appuient sur des sociostyles, établis à partir de profils de consommateurs en vue d’agir sur les destinataires visés (Buffon, 2002, p. 396). Pour capter l’attention de l’auditoire, la publicité cherche non seulement à impliquer chacun personnellement en employant à cet effet des pronoms personnels ainsi que des déterminants possessifs à la première et à la deuxième personne mais elle cherche également à impliquer collectivement tout le monde, en usant fréquemment du flou référentiel en employant des infinitifs ou des pronoms sans référents clairs, comme par exemple, le pronom personnel indéfini « on », auxquels l’auditoire tend à s’identifier (Adam & Bonhomme, 2012, p. 68-77).
Everaert-Desmedt (1984) et Adam et Bonhomme (2012, p. 31-37) soulignent aussi que la communication publicitaire est d’une grande complexité sémiotique et pragmatique. Tout d’abord, au niveau locutoire, le discours consiste à la fois en un texte et une image. Ensuite, au niveau illocutoire, elle a deux visées complémentaires : une visée descriptive, informative, qui a la forme d’un acte constatif, et une visée argumentative incitative. Cette communication est donc info-persuasive. En outre, cette communication est globalement indirecte, dominée par un acte illocutoire directif [Je vous conseille d’acheter ce produit] qui est généralement implicite. L’acte directif est dissimulé sous un acte constatif. Enfin, sur le plan perlocutoire, l’acte d’achat ou d’adhésion n’est qu’un effet ultime précédé par une stratégie dans laquelle se concentre toute la persuasion publicitaire. L’acte illocutoire constatif est associé effectivement à une intention perlocutoire de type FAIRE CROIRE quelque chose au destinataire, et le directif au type FAIRE FAIRE quelque chose. En somme, l’acte illocutoire dominant dans la plupart des publicités est explicitement constatif et implicitement directif.
Comme le montrent Grunig (1990 : chap. I) et Micheli et Pahud (2012), les slogans constituent une source de multiples interprétations exigeant du récepteur du message un certain effort interprétatif, qui sera amené à mobiliser ses compétences encyclopédiques et interprétatives afin de décoder le sens du slogan. Selon Navarro-Dominguez (2005 : 268), la force de frappe du slogan réside dans le fait que son pouvoir d’incitation excède toujours le sens explicite. Le slogan agit sur le public parce qu’il l’amène à activer des significations implicites qui s’appuient sur un savoir commun et des croyances partagées. Il puise sa force de persuasion et de séduction dans ce qu’il exprime entre les lignes plus que dans ce qu’il pose explicitement (ibid.). De plus, sa force de frappe devient encore plus puissante grâce à la présence du signifiant iconique qui possède « un potentiel info-persuasif élevé » et hautement polysémique (Adam & Bonhomme, 2012, p. 80-81). Et c’est cette potentialité des interprétations qui permet de considérer les slogans comme des phraséologismes pragmatiques au sens fort, en référence à la distinction proposée par Dostie et Sikora dans la présentation de ce numéro.
Il importe également de préciser que parmi les phraséologismes pragmatiques, le slogan se rapproche principalement du proverbe tant par sa forme que par ses effets illocutoires2. Ces deux types de phraséologismes, souvent bipartites, courts et concis, ont été façonnés de façon à frapper fortement l’attention de l’auditoire, dans le but de l’influencer. Pour pouvoir circuler et se fixer dans la mémoire collective d’un groupe social, ces deux types de phraséologismes reposent sur des savoirs partagés d’ordre linguistico-socio-culturel propres à un groupe social, et doivent être aisément mémorisables, grâce notamment à leur bipartition et aussi à la répétition, les rimes, le rythme, les allitérations. Leurs propriétés formelles (bipartition et brièveté relative) vont de pair avec leurs visées pragmatiques. Les proverbes (relevant davantage du discours délibératif) sont des phrases génériques exprimant « un avertissement ou un enseignement tiré de l’expérience » (Schapira, 1999, p. 88), tandis que les slogans (relevant d’un « habile mélange du genre épidictique et délibératif » (Adam & Bonhomme, 2012, p. 123), poussent à l’acte d’achat, à l’adhésion à un groupe, etc. Évidemment, leur durée de vie n’est pas la même : les premiers constituent l’héritage d’une société donnée et se transmettent d’une génération à l’autre tout en donnant lieu à d’éventuelles modifications au niveau lexical ou syntaxique pour être en accord avec l’évolution du système linguistique donné (Anscombre, 2005, p. 24) tandis que les autres ont une espérance de vie limitée dans le temps, correspondant à celle d’une idée ou d’un produit qu’ils promeuvent. Enfin, le slogan, comme le proverbe, constitue une sorte de citation (Maingueneau, 2016, p. 197). Toutefois, le proverbe est cité sporadiquement dans le discours selon les besoins d’argumentation et à l’initiative du locuteur alors que les slogans, lancés par les instances émettrices, sont destinés à être lus (ou entendus) par un nombre illimité des récepteurs indéterminés3.
2. Concept de mise en relief et cadre méthodologique adopté
Le concept de mise en relief a été posé dans la première moitié du XXème siècle par Bally (1965 [1932]) et développé par la suite notamment par Müller-Hauser (1944) et Berthelon (1955). Kiesler (2000, p. 225) dresse un état de différentes dénominations qui renvoient à ce concept et précise que « la mise en relief concerne le plan formel d’un énoncé, et sa fonction est d’en intensifier l’effet. Comme l’intensification peut toujours prendre deux directions opposées, l’effet est soit le renforcement (augmentation de l’intensité), soit l’atténuation (diminution de l’intensité) ».
Dans le cas des énoncés publicitaires, il s’agit du renforcement de l’intensité afin d’inciter le potentiel récepteur de leur contenu à effectuer un acte d’achat, de vote ou encore d’adhésion à une cause civique, humanitaire ou toute autre. Cet effet de renforcement est obtenu grâce à la combinaison de plusieurs procédés linguistiques (Miladi, 2017).
Kiesler (2000, p. 232-233) propose aussi deux définitions de mise en relief qui sont complémentaires, et qui corroborent lesdits propos, la première est d’ordre formel et discursif, la seconde d’ordre pragmatique :
|
1ère : un énoncé neutre, non marqué (En) est modifié (transformé), par un processus de modification au moyen de procédés de mise en relief (x), en un énoncé mettant en relief, marqué (Em) ; la mise en relief (H) consiste en ce processus. 2ème : La mise en relief est toute transformation s’effectuant pendant un processus de production linguistique, laquelle se manifeste sur le plan locutionnaire de l’énoncé qui, orienté téléologiquement de façon consciente ou inconsciente, a pour but une intensification de l’effet perlocutoire visé par l’énoncé. |
Deux cadres méthodologiques seront associés afin de faire ressortir la fabrication de la mise en relief dans les slogans, à savoir la théorie du centrage méta-informative (Meta-informative Centering Theory ; désormais MIC), de A. et H. Włodarczyk (2004, 2012, 2013, 2019) et la méthodologie transformationnelle de M. Gross (1975). L’examen des énoncés publicitaires sera basé sur le concept du Centre d’Attention (désormais CA) de la théorie MIC. Ce concept est fondamentalement lié à la mise en relief et désigne un segment de l’énoncé qui est distingué (i.e. mis en valeur) par différents moyens linguistiques (ordre des mots, faits prosodiques, deixis, particules…). Le topique et le focus constituent des CA dans les énoncés étendus (i.e. segmentés, disloqués). Tous deux ont la faculté d’attirer l’attention de l’allocutaire sur un terme en le désignant explicitement. Un énoncé dit « étendu » comporte au moins un topique ou un focus ou les deux. Le topique et le focus produisent de façon dynamique les opérations cognitives de topicalisation et de focalisation. Toutes deux ont la faculté d’attirer l’attention de l’allocutaire sur un terme en le désignant explicitement. Dans le cas de la focalisation, on choisit (on désigne) le terme paradigmatiquement dans le but de son identification (contrastive, explicative ou autre) et dans le cas de la topicalisation, dans le but de la mise en place d’un repère (d’un topique) à partir duquel l’énonciateur va construire sur l’axe syntagmatique son énoncé4.
Les slogans publicitaires sont toutefois des constructions topicalisantes (ou focalisantes) d’un type particulier dans le sens qu’ils ne sont pas produits spontanément dans le discours. En effet, ils ont été façonnés tant sur le plan locutionnaire qu’illocutionnaire dans le but d’optimiser leur effet perlocutoire. Les slogans traités dans cette étude partagent les constructions topicalisantes5 avec un élément nominal détaché à gauche (mis en première position) et sur lequel les publicitaires souhaitent attirer une attention particulière.
3. Principales structures partagées par les slogans
Les slogans publicitaires, et plus précisément les énoncés d’accroche, partagent diverses structures topicalisantes lexico-syntaxiques, verbales et averbales, comme en témoignent les énoncés suivants :
(1) |
Badoit rouge diablement pétillante (SN détaché à gauche + ADV intensif Adj) |
(2) |
La Matmut, elle assure ma voiture ! (SN détaché à gauche + P verbale) |
(3) |
Moins vite, moins d’accident (P1 averbale détachée à gauche + P2 averbale) |
(4) |
Rouler moins vite, c’est sauver plus de vies (La Sécurité routière) (Vinf détaché à gauche + c’est Vinf et son complément) |
(5) |
Skoda Octavia La polyvalente confortable et technologique (SN détaché à gauche + P averbale) |
(6) |
RENAULT CAPTUR, VIVEZ L’INSTANT ! (SN détaché à gauche + P injonctive) |
(7) |
AVC, Tous concernés. (SN détaché à gauche + P averbale) |
(8) |
Carrefour City : on a tous droit au meilleur (SN détaché à gauche + P verbale commençant par le pronom personnel indéfini « on »). |
Les énoncés publicitaires d’accroche de (1) à (8), dont chacun peut faire l’objet d’une étude particulière, partagent les traits spécifiques de la phrase segmentée telle qu’elle a été définie par Bally (1965 [1932], p. 60-70). Il s’agit de constructions binaires (à deux membres) composées d’un segment A qui est essentiellement nominal recevant un accent d’intensité et d’un segment Z prédicatif qui est essentiellement verbal. Le prédicat nominal ou adjectival n’est pas exclu dans le segment Z. Concernant la variété formelle des éléments pouvant apparaître dans la position détachée à gauche, nous pouvons avoir non seulement des SN définis, mais aussi des infinitives entrant dans la classe d’équivalence distributionnelle avec les SN. Les deux segments A et Z sont interdépendants et se conditionnent réciproquement6. De plus, pour Bally, tout segment A, qui est dépourvu d’autonomie syntaxique (y compris celui qui est constitué d’un seul terme nominal), équivaut logiquement à une subordonnée dont le terme nominal n’est qu’une partie. En effet, il est possible de paraphraser ces énoncés publicitaires binaires en subordonnées conditionnelles (ou temporelles). Par exemple, les constructions (1), (2), (3) et (7) sont équivalentes en sens, respectivement avec :
(1a) |
‘S’il s’agit de Badoit rouge, elle est diablement pétillante.’ |
(2a) |
‘S’il s’agit de la Matmut, elle assure ma voiture !’ |
(3a) |
‘(Si on roule + Quand on roule) moins vite, (on provoque) moins d’accident.’ |
(7a) |
‘(S’il s’agit de l’) AVC, (nous sommes) tous concernés.’ |
Ainsi, malgré les différences au niveau de leurs structures, tous les énoncés publicitaires exposés ci-dessus peuvent être ramenés à un seul cadre bipartite commun A/Z de type implicatif : "S’il s’agit de A, alors Z".
Par ailleurs, ces reformulations montrent aussi que les structures lexico-syntaxiques de (1) à (8) sont condensées, et que leurs structures résultent des effacements de divers éléments qui sont restituables à partir du contexte énonciatif (Adler, 2015)7, comme les verbes sémantiquement légers, les déterminants, divers connecteurs indiquant les relations structurales ou encore les mots appropriés.
Visiblement, les énoncés publicitaires ont été affectés au cours de leur élaboration par quelques procédés linguistiques visant à mettre en relief leur contenu et à les doter d’une force persuasive. L’un d’eux est la segmentation qui, non seulement intensifie le contenu, mais aussi facilite la mémorisation du slogan.
La fabrication de la mise en relief dans les énoncés d’accroche sera démontrée sur deux types de structures intensives : SN ADVintensif ADJ et A c’est Z.
4. Fabrication de la mise en relief dans les slogans partageant la structure SN ADVintensif ADJ
La structure segmentée A/Z est très productive dans le discours publicitaire, et chacune des structures exposées dans la section 3 génère des séries productives. C’est également le cas de la structure intensive SN ADVintensif Adj, comme en témoignent les énoncés publicitaires suivants :
(9) |
Nouvelle MINI John CooperWorks : Monstrueusement MINI |
(10) |
La Golf TDI. Vraiment puissante. |
(11) |
Le Crozet, Carrément bon |
(12) |
GMF-Assurément humain |
(13) |
LINDT divinement fondant |
Le paradigme reste évidemment ouvert.
Dans tous ces énoncés, les adverbes modifieurs subséquents à l’adjectif à valeur intensive (Fohlin, 2008) augmentent la forte valeur laudative du slogan publicitaire s’exprimant par des qualifications construites sur un syntagme adjectival. Choisis par les concepteurs, ils apportent une valorisation émotive au syntagme adjectival, participent à l’amplification de l’énoncé et dotent le slogan d’une force perlocutoire en incitant le récepteur du message à faire l’acte d’achat du produit ou bien à l’acte d’adhésion. Les slogans, en particulier ceux du domaine commercial, positivent, voire glorifient, le produit ou le service en amplifiant leurs qualités et en créant une illusion d’un monde euphorique et d’un sujet positivé (Everaert-Desmedt, 1984, p. 133).
Nous illustrerons la fabrication de la mise en relief dans ce type de constructions à travers l’énoncé d’accroche (1) Badoit rouge diablement pétillante. Cette construction attributive averbale (1), entrant dans le cadre bipartite A/Z est dépourvue du verbe copule être. L’énoncé verbal correspondant à la construction canonique neutre (Riegel et al., 1998, p. 109) est le suivant :
(1’) |
Badoit rouge est diablement pétillante. |
La structure intensive SN ADVintensif Adj (1) provient donc de (1’) par l’effacement du verbe être de la phrase attributive (Hjelmslev, 1971, p. 174-200).
Par ailleurs, le slogan Badoit rouge diablement pétillante possède deux centres d’attention : le topique de nature nominale (Badoit rouge) et le focus de nature adjectivale. L’insertion de l’adverbe intensif diablement, d’une part, modifie le contenu de l’adjectif qualificatif en amplifiant son signifié, et d’autre part, le met en focus. Ni pause ni rupture intonative n’est possible entre un adverbe intensif et un adjectif.
Le choix de l’adverbe intensif diablement est crucial. D’après Molinier et Levrier (2000, p. 195), ce type d’adverbe, affecté par un accent d’insistance, amplifie les affects (admiration, approbation, indignation…). Le rôle indéniable de l’adverbe intensif dans la fabrication de l’intensification du prédicat adjectival dans ce slogan ressort nettement lorsqu’on l’efface (ex. (1b)) ou lorsqu’on le remplace par un autre adverbe intensif (ex. (1c)). Que l’on compare :
(1b) |
Badoit rouge pétillante |
(1c) |
Badoit rouge fortement pétillante |
L’effacement de l’adverbe intensif dans (1b) entraîne un net appauvrissement du signifié du syntagme adjectival et conduit à la diminution de la mise en relief de l’énoncé publicitaire tout entier sans pour autant la neutraliser. L’énoncé (1b) reste expressif du fait de son caractère bipartite (A / Z) mais son degré de relief8 est nettement plus faible qu’en (1) et (1c). S’agissant de la substitution de l’adverbe diablement par un autre adverbe intensif dans (1c), elle affaiblit la qualification du syntagme adjectival et diminue le relief dans cet énoncé.
Précisons encore que d’après Bally (1965 [1932], p. 236), les constructions de type Marie est (admirablement + adorablement + divinement…) gentille, dans lesquelles nous avons le SAdj précédé d’un adverbe intensif, sont des variantes de Marie est très gentille. Bally affirme aussi que « le plus souvent, la nuance appréciative est greffée sur l’idée d’intensité, parce que l’impression agréable ou désagréable est déclenchée par le haut degré de la qualité […] ». Ainsi, affreusement pâle équivaut à ‘si pâle qu’on en est effrayé’. Cependant, il s’avère que seuls les adverbes dits intensifs-appréciatifs9 tels que merveilleusement, divinement, idéalement, royalement…, lorsqu’ils sont antéposés à l’adjectif, expriment aussi bien l’intensité que la qualité, et permettent de paraphraser la structure SN ADVintensif Adj par une construction corrélative consécutive de forme [p est tel qu’il a entraîné q] où tel se rapporte au prédicat focalisé (Muryn et al., 2015)10. Les constructions contenant les adverbes dits intensifs-quantitatifs en ‑ment comme diablement ne se prêtent pas à la paraphrase corrélative consécutive puisque *Badoit rouge est si pétillante qu’elle en devient diabolique (comme un diable) est une séquence sémantiquement inacceptable (Miladi, 2016).
En récapitulant, la mise en relief dans les slogans partageant la structure SN ADVintensif ADJ résulte de l’association de plusieurs paramètres. En premier lieu, elle provient du choix de la construction topicalisante averbale condensée obtenue suite à l’effacement du verbe être. À ce procédé de construction (Müller-Hauser, 1943, p. 152), s’ajoute l’insertion d’un adverbe intensif. Le choix de l’adverbe intensif, qui est souvent métaphorique ou de création néologique (voir Annexe, ex. 51), est déterminant pour augmenter la valeur qualificative du syntagme adjectival (Miladi, 2016).
5. Fabrication de la mise en relief dans la structure attributive d’identification A c’est Z
A c’est Z est une autre structure qui génère des slogans relevant de différents champs publicitaires (commercial, social, humanitaire…), tels que :
(14) |
L’avenir, c’est défaire et refaire le monde (Société Générale) |
(15) |
Vivre plus longtemps autonome, c’est une avancée pour moi ! (MGEN) |
(16) |
Électricité, Gaz de France, c’est votre énergie. |
(17) |
Mal du dos ? Le bon traitement, c’est le mouvement. (CPAM). |
(18) |
Choisir le gaz, c’est aussi choisir l’avenir. (GRDF) |
(19) |
Reconstruire un logement, c’est reconstruire une vie. (Fondation Abbé Pierre) |
(20) |
Le stress, c’est quand sa voiture tombe en panne et que son contrat d’assurance ne marche pas non plus. (AVIVA) |
Tous ces énoncés d’accroche entrant dans le cadre A c’est Z sont des structures segmentées (i.e. disloquées) dans lesquelles c’est est un outil de dislocation combinant deux valeurs : la valeur d’identification qui est sa valeur primaire11 (Wagner, 1966 ; Gardes-Tamines, 1986 ; Le Goffic, 1994 ; Molinier, 1996) et la valeur de mise en relief (Müller-Hauser, 1943 ; Berthelon, 1955 ; Gardes-Tamines, 1986).
Les concepteurs de ces slogans n’ont pas retenu les constructions attributives d’identification non segmentées (i.e. liées)12. Par exemple pour (14), (15), (16) et (17), on pourrait avoir respectivement les constructions attributives liées suivantes, qui se distinguent des structures segmentées vues plus haut :
(14’) |
L’avenir est le processus qui consiste à défaire et refaire le monde. |
(15’) |
Vivre plus longtemps autonome est (constitue) une avancée pour moi ! |
(16’) |
Électricité, Gaz de France est votre énergie. |
(17’) |
Le bon traitement du mal du dos est le mouvement. |
De plus, la permutation entre le segment A et Z sur l’axe syntagmatique serait envisageable pour certaines d’entre elles sous condition d’une relation équative entre les deux segments (Le Goffic, 1994, p. 210). Cependant, les concepteurs ont choisi de garder cet ordre linéaire pour attirer l’attention du public cible sur le segment A placé en première position et détaché à gauche. Par ce procédé de position initiale (Müller-Hauser, 1943, p. 92), ils souhaitent attirer l’attention du public sur le segment A qui constitue le point de départ pour le segment Z. C’est donc le cadre A, c’est Z qui a été choisi et non pas A est Z. Le procédé de segmentation (i.e. de dislocation) à l’aide du marqueur c’est apporte effectivement de la clarté dans les constructions A c’est Z. Les deux segments A et Z sont clairement séparés et identifiés. En outre, le segment Z peut être développé (contenir plusieurs énoncés) pour assurer l’identification complète du segment A (ex. 20)13.
Dans la structure segmentée A c’est Z, le marqueur c’est, originairement déictique, appelé par Le Bidois (1971) « introducteur épidictique accentué », joue un rôle crucial. En effet, dans cette structure, il est un puissant pointeur pragmatique qui, d’une part, pointe le topique grâce à l’anaphore par ce (dite médiate14), et d’autre part, met en focus la partie commentaire. Il cumule donc deux valeurs : anaphorique et cataphorique, comme par exemple dans :
(14’’) |
L’avenir, c’est défaire et refaire le monde (et non pas rester inerte). |
(16’’) |
Électricité, Gaz de France, c’est votre énergie (et non pas la leur). |
(19’’) |
Reconstruire un logement, c’est reconstruire une vie (et non pas tirer des profits). |
C’est dirige donc l’attention du public sur le segment Z puisque A doit être complété :
De quelque intérêt que soit, pour l’accord du verbe, l’idée qu’on se fait de la fonction grammaticale de ce, dans la combinaison c’est, il est plus important encore de bien comprendre la valeur épidictique et affective du tour. Sans énoncer de soi l’idée essentielle de la phrase, il rend le service de nous y préparer, d’orienter sur elle la pensée. (Le Bidois, 1971, p. 118).
Dans les constructions attributives segmentées, le français disposerait donc d’une position disjonctive fixe, contrainte syntaxiquement et prosodiquement à valeur syntactico-pragmatique dans laquelle c’est synthétise deux fonctions discursives centrales : topicalisation et focalisation, ce qui renforce la mise en relief de l’énoncé tout entier en mettant en lumière son contenu. La force emphatique du pointeur c’est a déjà été évoquée par G. & R. Le Bidois (1971 [1935], p. 118), Müller-Hauser (1943, p. 205-220) et aussi par G. Guillaume (voir l’article de F. Tollis, 2006).
La mise en relief dans les slogans ci-dessus provient essentiellement de la structure segmentée A c’est Z. Outre les traits syntaxiques, telles la binarité et l’insertion du pointeur c’est, le choix des intensifieurs implicites ou explicites est également capital dans la fabrication de la mise en relief. Par exemple, dans (14), (18) et (19) les concepteurs ont choisi des syntagmes à l’infinitif au sens figuré tels que refaire le monde, reconstruire une vie, ou encore choisir l’avenir dont le sémantisme produit l’intensité15. En paraphrasant ces locutions verbales, on remarquera la présence d’un intensifieur : refaire le monde = ‘refaire un monde meilleur’ ; reconstruire une vie = ‘construire une vie meilleure’ ; choisir l’avenir = ‘choisir un avenir meilleur’.
Dans la publicité de la Société Générale (ex. 14) s’adressant aux étudiants désireux de faire un prêt à un taux avantageux, le recours à la locution refaire le monde est très judicieux. Cette locution verbale exprime de multiples potentialités d’amélioration du monde par les jeunes, pleins d’énergie et qui ont toute une vie devant eux pour construire le monde de leurs rêves.
De plus, le procédé de répétition d’un terme contribue clairement à la fabrication de la mise en relief. Par exemple, dans le slogan Reconstruire un logement, c’est reconstruire une vie, la répétition de la forme verbale à l’infinitif met en lumière le verbe reconstruire qui est utilisé deux fois, dans le segment A au sens propre, et dans le segment Z au sens figuré. La reprise du verbe accompagnée d’un changement de signification amplifie effectivement l’intensité (Mihulecea, 2018, p. 67). La répétition de l’infinitif, accompagnée du changement de sens est aussi présente dans l’énoncé (18) où nous avons le syntagme choisir le gaz vs choisir l’avenir. Le but de ces répétitions est de frapper davantage l’attention du public et de l’inciter soit à soutenir les actions menées par la Fondation Abbé Pierre, soit à faire le choix d’une énergie propre.
Enfin, le choix d’une forme infinitive permet également la pluralité des interprétations en incluant le récepteur du message publicitaire. Par exemple, pour (18), nous pourrions avoir :
(18a) |
‘Choisir le gaz, c’est choisir une solution écologique pour préserver l’avenir de nos enfants.’ |
(18b) |
‘Choisir le gaz, c’est choisir l’énergie verte qui contribuera à préserver l’avenir de la planète.’ |
(18c) |
‘Si je choisis le gaz, alors par ce choix je participerai à la sauvegarde de la planète.’ |
(18d) |
‘Si nous choisissons le gaz, alors par ce choix nous contribuerons à sauver la planète.’ |
Et ainsi de suite.
Le rôle de l’implicite dans ces syntagmes à l’infinitif (reconstruire une vie, choisir l’avenir, refaire le monde) est indéniable. L’usage de l’infinitif offre en effet une certaine souplesse dans l’interprétation des énoncés publicitaires. Les slogans permettent ainsi des interprétations multiples visant à élargir le public au maximum. Chaque personne lisant le slogan peut se sentir concernée par son contenu et proposer sa propre interprétation. Ces multiplicités interprétationnelles sont induites par l’imprécision qui caractérise les énoncés publicitaires (Adler, 2020). Les structures lexico-syntaxiques choisies par les instances publicistes font naître « la signification globale qui excède souvent la matière explicite » (Adler, 2020, p. 7), et ce dans le but de produire l’intensité et par là même amplifier « le pouvoir d’action du discours publicitaire sur le récepteur » (ibid.). Contrairement à l’impératif qui prend à partie le destinataire, l’infinitif en tant que forme non personnelle, dépourvue de sujet, ne vise personne, et de ce fait constitue le plus sûr moyen d’atteindre tout le monde (Le Goffic, 1994, p. 128).
Quant à l’énoncé (20) de l’assurance AVIVA16 Le stress, c’est quand sa voiture tombe en panne et que son contrat d’assurance ne marche pas non plus, il se démarque des autres par sa longueur atypique. Habituellement, les slogans sont courts et concis avec une bipartition quasi symétrique. Les annonceurs ont choisi cette fois-ci une pseudo-définition qui intrigue et fait peur au public par son contenu, et incite indirectement à venir se protéger auprès de AVIVA. La mise en relief est créée ici essentiellement à l’aide du marqueur c’est introduisant les deux subordonnées temporelles coordonnées, dans lesquelles la polysémie du verbe marcher à la forme négative semble, d’une part, intensifier le message, et d’autre part, relier les deux événements évoqués dans chacune des subordonnées. Le verbe polysémique marcher, porte à la fois sur le contrat d’assurance et sur la voiture, qui tombant en panne ne marche pas. De plus, l’intensité est renforcée par la locution négative non plus.
Enfin, un autre paramètre qui augmente la mise en relief dans les slogans est leur modalité. Même si la tradition grammaticale oppose la modalité exclamative à la modalité déclarative, les slogans publicitaires combinent deux types de modalité, d’une part, assertive, et d’autre part, exclamative. Cette possibilité de combiner les deux modalités a été évoquée notamment par Culioli (1974, p. 6) qui affirme qu’on peut rapprocher des phrases exclamatives « des phrases assertives, mais avec un quelque chose en plus ». Au type assertif de base, l’exclamation rajoute l’affectivité, sans que la structure syntaxique change puisque c’est l’intonation seule qui peut marquer l’exclamation (ibid.). Dans les slogans traités dans cette étude, l’exclamation (qui n’est pas toujours signalée explicitement par le point d’exclamation) est inférée par le binarisme de ces constructions. Or, selon Berthelon (1955, p. 17), l’exclamation relève de « l’intensif pur ».
6. Pour ne pas conclure
Dans les deux structures intensives segmentées SN ADVintensif ADJ et A c’est Z, la mise en relief résulte essentiellement du choix du cadre central binaire A/Z qui correspond au procédé de construction identifié par Müller-Hauser (1943), auxquels peuvent s’ajouter d’autres procédés tels que l’effacement d’éléments peu informatifs, la répétition d’un constituant, la présence de déictiques ou d’éléments d’origine déictique (notamment du pointeur c’est), ou encore d’adverbes intensifs. Les procédés de mise en relief affectent toute la sphère de la structure lexico-syntaxique (Kiesler, 2000, p. 228).
En outre, le choix du lexique contribue aussi au modelage de l’intensité dans les énoncés d’accroche. Les syntagmes verbaux, nominaux, adjectivaux et adverbiaux ont été soigneusement sélectionnés en raison de leur valeur sémantique, généralement, positive et méliorative. De plus, les néologismes et les lexèmes dont le signifié est souvent métaphorique ou polysémique, fonctionnant étroitement avec le signifiant iconique, fabriquent de l’implicite et nourrissent l’imaginaire des récepteurs.
Enfin, les structures présentées dans cette étude sont très productives et génèrent des paradigmes. L’exploration de la problématique du modelage de la mise en relief est loin d’être terminée et nécessite d’autres investigations, non seulement sur d’autres types de structures, mais aussi au niveau de leur modalisation.