Polysémie standard et facettes de sens vues au travers du prisme de la diversité linguistique : entre la variation et la régularité

DOI : 10.54563/lexique.741

p. 9-33

Résumés

The aim of this pilot study is to investigate how two types of meaning alternation, viz. standard polysemy and lexical facets, are realized across languages. The languages compared are French, English and Standard Arabic. We hypothesize that in the case of lexical facets the meaning alternation is more systematic across languages than in the case of polysemy because of the ambivalent nature of entities denoted by lexical facets. To test our hypothesis and to compare these two types of meaning variation, we compiled our own corpus of data in French, English and Standard Arabic by applying an original and controlled experimental approach. Descriptive and statistical analyses of the data show that lexical facets do indeed manifest a greater regularity across the three languages than metaphoric and metonymic types of polysemy. These first results open new perspectives for both a better characterization and a better delineation of these two types of meaning alternation.

Cette étude pilote s’intéresse à la manière dont deux types de variation de sens, à savoir la polysémie standard et les facettes de sens, s’actualisent à travers les langues. Ce travail est guidé par l’hypothèse que la variation propre aux facettes de sens est plus systématique d’une langue à l’autre, du fait de la nature ambivalente des entités dénotées, que celle observable dans le cas de la polysémie. Pour tester notre hypothèse, nous avons comparé les deux types de variation de sens en français, en anglais et en arabe littéral et créé, à cette fin, un corpus de données en adoptant une approche expérimentale originale et contrôlée. Après avoir appliqué un certain nombre d’analyses descriptives et statistiques aux données récoltées, nous avons pu observer que les facettes de sens présentent bien une régularité plus forte dans ces trois langues que la polysémie standard, que celle-ci repose sur des liens métaphoriques ou métonymiques. Ces premiers résultats ouvrent de nouvelles perspectives pour une meilleure caractérisation et une meilleure délimitation des deux types de variation de sens.

Plan

Notes de la rédaction

Received: December 2020 / Accepted: March 2021
Published online: July 2021

Texte

1. Introduction1

Dans notre contribution, nous nous proposons de montrer comment une approche inter-linguistique permet d’étayer l’originalité des facettes de sens par rapport à la polysémie standard, en faisant l’hypothèse que les deux types de variations de sens s’actualisent différemment à travers les langues. Kleiber (1999, p. 58) présente la polysémie comme reposant sur deux paramètres principaux : « (i) une pluralité de sens liée à une seule forme, (ii) des sens qui ne paraissent pas totalement disjoints, mais se trouvent unis par tel ou tel rapport ». En effet, les différents sens d’un mot relevant de la polysémie standard ne sont pas réunis par accident, contrairement à l’homonymie, mais bien en raison d’un lien qui existe entre eux2. Ce dernier s’explique généralement par deux principaux mécanismes d’extension de sens, à savoir la métaphore (1) et la métonymie (2-3).

(1)

a.

Le chat dormait près du feu.

b.

Le bus accéléra quand le feu passa au vert.

(2)

a.

La rédaction de ce texte a été longue.

b.

L’élève a eu une bonne note pour sa rédaction.

c.

La rédaction a décidé de publier mon article.

(3)

a.

Deux individus ont volé du cuivre sur le chantier.

b.

Cet instrument appartient à la famille des cuivres.

Que la métaphore et la métonymie impliquent toutes deux une dérivation sémantique est un fait bien établi aujourd’hui, la première exploitant des analogies entre les catégories dénotées par différentes acceptions d’un terme polysémique, la seconde reposant sur divers types de relations dites de « contiguïté » (voir Ullmann, 1952 ; Riemer, 2010 ; Peirsman & Geeraerts, 2006). Ainsi, le mot feu dans la phrase (1a) est employé dans son sens premier et renvoie au phénomène de combustion. Dans la phrase (1b), il s’agit d’un sens dérivé, obtenu par métaphore. En effet, le mot feu ici ne désigne plus la combustion proprement dite mais une signalisation routière lumineuse par analogie avec la lumière émise par la flamme. Dans la phrase (2a), nous avons le sens premier du mot rédaction qui est celui d’une action alors que dans la phrase (2b), il s’agit du sens dérivé du même mot obtenu par métonymie, renvoyant ainsi au résultat de l’action de « rédaction ». La phrase (2c), quant à elle, met en avant le sens animé du mot rédaction, obtenu par métonymie également et renvoyant à l’ensemble des rédacteurs d’un organe de presse ou d’une maison d’édition. Enfin, dans la phrase (3a), nous avons le sens premier du mot cuivre, qui est celui de la matière, alors que dans la phrase (3b), il s’agit du sens dérivé par métonymie, renvoyant à des entités discrètes obtenues à partir de la matière transformée. Les associations à l’origine de la métonymie sont extrêmement nombreuses et sont considérées, selon les auteurs, comme étant de nature pragmatique ou bien conceptuelle (voir Apresjan, 1974 ; Pustejovsky, 1995, 2005 ; Seto, 1999 ; Kövecses & Radden, 1998 ; Radden & Kövecses, 1999 ; Panther & Radden (Eds), 1999 ; Barcelona (Ed.), 2000 ; Robert, 2008 ; Srinivasan & Rabagliati, 2015).

Contrairement à la polysémie standard, où les différents sens coexistent en langue mais sont antagonistes en discours (voir Kleiber, 1999), les facettes (4), elles, peuvent « apparaître de manière isolée dans certains contextes, et ensemble dans d’autres » (Cruse, 2004, p. 74 [notre traduction]).

(4)

a.

Ce livre est passionnant. [contenu]

b.

Ma mère m’a acheté un livre magnifiquement relié. [matérialité]

c.

J’aime ce livre. [matérialité] et [contenu]

En (4a), le locuteur se focalise sur le contenu littéraire ou esthétique du livre, en (4b) sur sa matérialité, alors que l’énoncé (4c) concilie les deux lectures, le prédicat aimer pouvant viser la facette matérialité comme la facette contenu du mot livre3. Par ailleurs, et c’est un autre trait distinctif fondamental, si les facettes de sens présentent une certaine autonomie discursive, à l’instar des acceptions d’un polysème, elles s’en démarquent par le fait de convoquer une représentation conceptuelle unitaire, impliquant donc les deux facettes (voir Cruse, 2004, p. 86)4, fait étroitement lié à la nature ambivalente des entités dénotées (voir Kleiber, 2008 ; Stosic & Flaux, 2012). Dans notre exemple, cela repose essentiellement sur le constat que l’existence de l’entité à laquelle réfère le nom livre ne peut être envisagée en termes de son contenu sans sa matérialité, ou inversement, contrairement aux référents des différents sens d’un nom polysémique. En effet, en (2a), il est parfaitement possible de se représenter l’action de rédiger sans impliquer son résultat.

Partant du constat que les phénomènes de polysémie standard et de facettes de sens sont largement répandus à travers les langues, nous émettons l’hypothèse suivante : la variation propre aux facettes de sens est plus systématique d’une langue à l’autre, du fait de la nature invariablement ambivalente des entités dénotées, que celle observable dans le cas de la polysémie. En effet, les liens métonymiques et métaphoriques n’étant pas imposés par la nature ontologique des référents, ils sont sujets à l’arbitraire, si bien que les associations par polysémie, bien que cognitivement motivées, sont inévitablement exposées à une plus grande variabilité à travers les langues (voir Stosic & Fagard, 2012 ; Srinivasan & Rabagliati, 2015). Afin de tester notre hypothèse, nous avons comparé le français, l’anglais et l’arabe littéral5 dans le cadre d’une étude pilote et de la mise en place d’un protocole expérimental original.

Dans la section 2, nous introduisons les questions théoriques qui ont motivé cette recherche afin de préciser nos hypothèses et nos objectifs. Nous présentons ensuite, dans la section 3, la méthodologie expérimentale mise en place pour collecter et traiter nos données. La section 4 fait état d’une première approche quantitative et statistique des données récoltées, puis nous nous proposons, en section 5, une analyse qualitative plus fine de ces dernières. Enfin, nous exposons les premières conclusions que cette étude pilote nous permet de tirer, ainsi que ses prolongements possibles.

2. Les facettes de sens : un cas particulier de polysémie ?

Théorisées récemment dans le domaine de l’étude des variations de sens (voir Cruse, 1995, 1996), les facettes de sens sont toujours sinon assimilées, du moins rapprochées de la polysémie. Dans la première partie de cette section (voir 2.1), nous revenons sur les grands principes théoriques sous-tendant la notion de facettes afin d’en présenter les principales spécificités. Nous consacrons ensuite la section 2.2 à la présentation des intérêts théoriques d’une approche inter-linguistique pour une meilleure caractérisation des variations de sens et en particulier des facettes.

2.1. Les différentes approches théoriques

Cruse (1995, 1996) introduit un nouveau type de variation de sens typiquement illustré par le nom livre, présenté dans les énoncés (4a-c) ci-dessus. Il s’agit d’une variation de sens qui se situerait entre la simple variation contextuelle et la polysémie standard (voir Cruse, 1996 ; Kleiber, 1997b, 1999). Chaque facette de sens saisit un aspect spécifique du référent mais qui ne correspond pas pour autant à un concept distinct et autonome : « par une sorte de fusion, ils font appel à un seul concept qui reflète la double essence des référents dénotés » (voir Cruse, 2000, p. 116). En effet, les noms à facettes de sens se caractérisent dans un premier temps par l’« unité du concept global ». Les facettes ne sont pas dérivées sémantiquement les unes des autres et sont généralement perçues par le « locuteur lambda » comme constituant « une seule gestalt » (voir Kleiber, 1997b, p. 221). Cruse (1996) souligne cependant que les facettes de sens présentent en discours un degré d’autonomie assez élevé, ce qui les rapproche donc de sens polysémiques (voir aussi Kleiber, 2008, pp. 14-15).

Dans une approche antérieure, Nunberg intègre les mots à facettes de sens dans ce qu’il appelle la « métonymie dense », qui repose sur un mécanisme de référence ou de prédication indirectes impliquant un transfert référentiel (Nunberg, 1978) ou prédicatif (Nunberg, 1995). En effet, les aménagements interprétatifs en question résulteraient de glissements référentiels ou prédicatifs liés à nos connaissances des relations privilégiées entre les différentes « entités » désignées par telle ou telle acception d’un item relevant de la métonymie dense. De tels glissements référentiels et/ou prédicatifs font penser aux « zones actives » de Langacker (1984), qui défend l’idée que le prédicat n’active qu’une « zone » du référent dont il est prédiqué, impliquant ainsi dans la relation prédicative une seule portion de l’entité dénotée. Cela permettrait d’expliquer, d’après certains chercheurs, les cas relevant des facettes (voir Paradis, 2004).

Kleiber, quant à lui, explique les cas de facettes par le principe de « métonymie intégrée », selon lequel « certaines caractéristiques de certaines parties peuvent caractériser le tout » (1995, p. 123 ; 1999, p. 143). En effet, en disant d’un livre qu’il est épais, le locuteur saisit la totalité du référent par le biais de l’une de ses « parties » au sens large du terme en lui assignant une propriété : l’indication de la taille du livre en tant qu’objet physique est pertinente aussi pour la facette informationnelle parce que cette propriété physique nous renseigne en même temps sur la longueur de l’histoire (voir Kleiber, 1997, p. 229). Pour sa part, Pustejovsky (1995) désigne ces alternances sous l’appellation de « polysémie logique » par le biais des notions de « paradigme conceptuel lexical » et d’« objet pointé » (dot object). Comme le note Kleiber (1999), Pustejovsky (1995) ne les assimile cependant pas à des situations de polysémie standard mais les appréhende comme des unités sémantiquement composites réunissant des versants de sens différents :

Ce que la notion de paradigme conceptuel lexical nous permet de faire est de traiter ces variations non pas comme des sens distincts mais plutôt comme des expressions logiques d’aspects différents de la méta-entrée […]. (Pustejovsky, 1995, p. 92 [notre traduction])

Enfin, plus récemment, Geeraerts & Peirsman (2011) ont soutenu qu’il n’y avait pas lieu de distinguer les facettes de la polysémie standard car ces deux phénomènes reposeraient sur les mêmes fonctionnements pragmatiques, syntaxiques et sémantiques, à savoir sur l’activation, en discours, de différentes « zones » d’un référent donné en suivant la théorie des « zones actives » de Langacker (1984, 1990). Cependant, de nombreux auteurs ont également montré que les facettes et la polysémie reposent sur des mécanismes différents et qu’une approche par zones actives n’est pas satisfaisante.

On constate donc une variété importante d’approches définitoires pour circonscrire la variation de sens caractérisant un mot comme livre (voir aussi Larrivée (Ed.), 2008 ; Stosic, 2020, ch. 2). Les analyses en termes de métonymie ou de polysémie tendent à ignorer l’unité du concept global véhiculé par les termes à facettes, difficilement conciliable avec les principes de transferts prédicatifs de la métonymie dense ou avec l’idée de dérivation sémantique sous-jacente à la métonymie, et plus généralement à la polysémie. En effet, puisque la notion de transfert « exige une source et une cible », les deux facettes de mots tels que livre seraient alors considérées comme des catégories a priori disjointes (Cruse, 2004, p. 91). Cela reviendrait à dire que ces mots auraient une facette « source » et une facette « cible », et donc que l’une serait la conséquence de l’autre. Or, on voit mal comment la facette texte pourrait être dérivée de la facette tome ou inversement. Par ailleurs, comme souligné par Cruse, il n’est pas possible d’envisager la facette texte du mot livre séparément de la facette tome dans la représentation prototypique de cette classe de référents. Stosic et Flaux (2012, pp. 186-187) défendent l’idée d’une plus ou moins grande saillance des facettes, en langue et en discours, mais que les deux seraient constitutives à tout moment du sens des termes en question. Toutefois, à notre connaissance, aucune approche n’intègre le recours à la comparaison des langues pour asseoir l’opposition entre la polysémie standard et les facettes. Dans la suite, nous montrons comment la diversité des langues apporte un argument de poids à la nécessité de les dissocier, comme suggéré par Cruse dans ses travaux.

2.2. Approche inter-linguistique au profit de l’originalité des facettes de sens

Bien que certaines analogies à la base des transferts métaphoriques et certaines associations motivant la métonymie soient à la fois assez productives et très régulières à travers les langues (voir Apresjan, 1974 ; Srinivasan & Rabagliati, 2015), rien ne semble imposer les extensions en question. En effet, celles-ci s’avèrent sujettes à l’arbitraire et, en tant que telles, sont a priori exposées à une plus grande variabilité à travers les langues et les cultures (Stosic & Fagard, 2012). À l’inverse, on peut faire l’hypothèse que la variation propre aux items à facettes doit être assez systématique d’une langue à l’autre car elle découle directement et invariablement de la nature ambivalente des entités dénotées (voir Abrard, 2019 ; Stosic, 2020). Prenons pour exemple les traductions en anglais (5) et en arabe (6) des phrases (4a-c) ci-dessus avec le nom livre :

(5)

a.

This book is thrilling. (book [contenu])

b.

My mother bought me a beautiful hardback book. (book [matérialité])

c.

I like this book. (book [matérialité] et [contenu])

(6)

a.

هذا الكتاب مشوق

‘Ce livre est passionnant.’ [كتاب ‘livre’ contenu]

b.

رائع أمي اشترت لي كتاب

‘J’ai acheté un livre magnifiquement relié.’ [كتاب ‘livre’ matérialité]

c.

أحن هذا الكتاب

‘J’aime ce livre’ (كتاب ‘livre’ [matérialité] et [contenu])

Nous pouvons ici observer que le mot livre est traduit en anglais par book et en arabe par كتاب pour ses deux facettes de sens, c’est-à-dire pour la facette [matérialité] et la facette [contenu], mais également pour la phrase (6c), où les deux facettes sont visées simultanément.

La traduction des polysèmes feu, rédaction et cuivre des exemples (1-3a, b) en anglais (7-9) et en arabe (10-12) engendre, en revanche, une variation considérable : 

(7)

a.

The cat was sleeping quietly by the fire.

b.

The bus sped up as the light turned green.

(8)

a.

It took a long time to write this text.

b.

The student got a good grade for her essay.

(9)

a.

Two people stole copper from the construction site.

b.

This is a brass instrument.


(10)

a.

كان القط ينام في هدوء قرب النار

‘Le chat dormait près du feu.’ (نار ‘feu’)

b.

زادت الحافلة في سرعتها بعد مرور الإشارة إلى الأخضر

‘Le bus accéléra quand le feu passa au vert.’ (مرور الإشارة ‘signal lumineux’)

(11)

a.

كتابة هذا النص طالت كثيراً

‘La rédaction de ce texte a été longue.’ (كتابة ‘écriture’)

b.

حصل التلميذ على نقطة جيدة في إنشاء

‘L’élève a eu une bonne note pour sa rédaction.’ (إنشاء ‘copie’)

(12)

a.

سرق شخصان نحاساً من هذه الورشة

‘Deux individus ont volé du cuivre sur le chantier.’ (نحاس ‘cuivre’)

b.

ينتمي هذا الجماز إلى فصيلة النحاسيات

‘Cet instrument appartient à la famille des cuivres.’ (نحاس ‘cuivre.PL’)

Ainsi, le mot feu dans son sens métaphorique n’est pas traduit en anglais par fire ‘feu’ ou en arabe par نار ‘feu’ dans les phrases (7b) et (10b) mais plutôt par light ‘lumière’ et مرور الإشارة ‘signal lumineux’. Le mot rédaction présente deux traductions possibles dans les deux langues : to write ‘écrire’ en anglais et كتابة ‘écriture’ en arabe pour son sens premier (8a) et (11a), essay ‘rédaction’ en anglais et إنشاء ‘copie’ pour son sens métonymique en (8b) et (11b). Enfin, le mot cuivre dans son sens métonymique n’est pas non plus traduit par copper en anglais (9b) mais par brass instrument ‘instrument en laiton’. En revanche, dans l’exemple (12b) en arabe, le mot cuivre est bien traduit par une forme fléchie au pluriel de نحاس ‘cuivre’, qui est aussi utilisée pour son emploi de base.

Plusieurs études ont été proposées mettant à profit la diversité linguistique au service d’une meilleure caractérisation des variations sémantiques (voir Viberg, 1984 ; Peters, 2003 ; Boyeldieu, 2008 ; Zhu & Malt, 2014 ; Srinivasan & Rabagliati, 2015). Toutefois, nombre d’entre elles présentent des faiblesses, tant du point de vue de la délimitation même du phénomène de la polysémie que du point de vue méthodologique. En effet, certains travaux traitent de plusieurs types de variations de sens à travers un échantillon restreint de langues, d’autres s’intéressent à un ou deux types de variations de sens dans beaucoup de langues. Il faut bien noter qu’une étude comparative des variations de sens est une tâche ambitieuse, d’une part en raison de la multitude des variations possibles, et d’autre part en raison de l’évidente diversité linguistique. Les résultats de ces travaux sont toutefois encourageants et montrent l’intérêt d’une approche inter-linguistique pour une meilleure caractérisation des variations sémantiques.

Dans ce travail, nous nous proposons d’esquisser un outil supplémentaire pour une meilleure délimitation des facettes de sens et de la polysémie standard. Pour cela, nous nous appuyons sur une méthode d’évaluation empirique du caractère plus ou moins stable des associations d’acceptions observables dans le cas des facettes et de la polysémie standard, en comparant le français à l’anglais et à l’arabe. Ainsi, un recours significatif dans une autre langue à deux ou plusieurs lexèmes différents pour traduire un item polysémique en français (voir exemples 7-12 ci-dessus) est potentiellement l’indice de l’arbitraire du lien entre les acceptions du lexème source, et donc d’une dérivation de sens à l’origine de la polysémie. En revanche, l’usage dans les traductions d’un même item pour rendre les lectures multiples d’un lexème en français (voir exemples 5-6 ci-dessus) pourrait indiquer la présence d’une contrainte forte imposée par la nature ontologique des référents visés. Une telle stabilité des traductions pourrait caractériser les termes à facettes dont les référents sont invariablement ambivalents par nature, laquelle ambivalence devrait être codée dans le sens lexical des lexèmes afférents, quelle que soit la langue (voir Stosic & Fagard, 2012 ; Abrard, 2019 ; Stosic, 2020). Précisons que notre hypothèse ne prévoit pas une stabilité ou une variabilité absolues : l’évaluation se traduirait par des degrés de stabilité et/ou de variation différents mais statistiquement significatifs.

3. Méthode de collecte et prétraitement des données

Dans le cadre de cette étude, notre but principal est d’établir un protocole pilote afin de tester notre hypothèse sur un premier échantillon de langues et de variations de sens. Nous avons ainsi choisi de comparer le français à l’anglais et à l’arabe littéral, chacune des deux langues étant maîtrisée par au moins un des auteurs de cet article. En effet, contraster le français avec ces deux langues est intéressant parce que nous avons d’un côté une langue typologiquement proche du français, qui est l’anglais, et de l’autre, une langue plus éloignée, qui est l’arabe littéral. Nous allons détailler dans cette section les différentes contraintes expérimentales de notre protocole qui ont été pensées pour obtenir des données statistiquement analysables.

3.1. Participants

Nos participants bénévoles ont tous été recrutés un à un, via des contacts personnels, au sein de l’université Toulouse – Jean Jaurès ou sur les réseaux sociaux. Pour pouvoir prendre part à notre étude, les participants devaient être locuteurs natifs de nos langues cibles et parler couramment français. À l’issue de notre collecte, nous avons récolté les réponses de 26 locuteurs natifs de l’anglais et 21 locuteurs de l’arabe littéral6, 20 étant l’objectif principal que nous nous étions fixé par rapport au critère de fiabilité statistique. La moyenne d’âge de nos locuteurs anglais était de 36 ans et celle de nos locuteurs arabes de 30 ans. Pour l’anglais, nous avons interrogé 6 locuteurs hommes et 20 femmes, pour l’arabe, 10 locuteurs hommes et 11 femmes. Nous n’avons pas remarqué d’impacts significatifs de ces différences dans nos résultats.

3.2. Support

Pour éliciter nos données, nous avons mis en place un questionnaire composé de 32 phrases simples que nos participants ont dû traduire du français vers leur langue dominante. Ces 32 phrases ont permis de tester le fonctionnement sémantique de 16 noms dont 4 relevant des facettes de sens et 12 relevant de la polysémie standard. Ces derniers sont plus nombreux parce que nous avons étudié 4 noms présentant une polysémie de type métaphorique et 8 noms présentant celle de type métonymique. Enfin, au sein même de la polysémie métonymique, nous avons retenu 2 types de relations de contiguïté parmi celles qui sont les plus étudiées dans la littérature7 : les métonymies de type action/résultat (A/R) et celle de type matière/produit (M/P). En ce qui concerne les facettes, seul le type objet matériel/contenu spirituel (au sens large du terme : esthétique, informationnel, logique, symbolique, etc.) est retenu car c’est le plus étudié dans la littérature. Et nous faisons l’hypothèse que, dans le cas des facettes, les associations – quel qu’en soit le type – restent stables à travers les langues. Dans ce sens, les noms sélectionnés devraient être représentatifs du phénomène sémantique en question. Pour chaque nom étudié, nous avons créé deux phrases : dans le cas de la polysémie, l’une mettant en avant l’acception de base et l’autre, son acception dérivée, et dans le cas des facettes, un exemple par facette. Nous résumons nos choix dans le tableau suivant :

Tableau 1. Corpus de noms étudiés pour chaque type de variation de sens.

Tableau 1. Corpus de noms étudiés pour chaque type de variation de sens.

Nous avons imaginé nous-mêmes des phrases simples et courtes présentant les différentes acceptions des noms étudiés, en prenant soin à chaque fois de construire un contexte d’emploi du nom mettant en avant sans ambiguïté l’acception visée. Nous présentons quelques-unes de ces phrases ci-après :

(13)

a.

L’eau s’était transformée en glace.

b.

Le jeune homme se regarda dans la glace.

(14)

a.

La traduction de ce poème a été un exercice difficile.

b.

La traduction de ce livre est mauvaise.

(15)

a.

C’est un tableau qui représente la fille du peintre.

b.

Quelques tableaux étaient accrochés aux murs.

Enfin, 8 phrases de contrôle et de distraction ont été ajoutées aux 32 phrases initiales. Les 4 phrases de contrôle8 nous ont permis de nous assurer de la cohérence du participant dans ses traductions. Les 4 phrases de distraction9 avaient, quant à elles, pour but d’éviter que nos participants devinent le sujet de notre étude.

Les différentes phrases proposées à la traduction ont toutes été présentées dans un ordre garantissant que deux énoncés qui comportent un même mot étudié n’apparaissent pas d’affilée, ce qui aurait pu biaiser les traductions de nos participants en leur dévoilant la cible de notre expérience. Enfin, les passations se déroulaient en ligne, sur la plateforme gratuite Kwiksurvey dont les avantages principaux se trouvaient dans son ergonomie et la possibilité de récupérer les données sous format de tableur.

3.3. Passations

Le questionnaire de traduction a été complété par nos participants lors d’une rencontre individuelle organisée avec l’un des auteurs de cet article sur une plage horaire définie de 1 heure. En moyenne, nos participants ont mis environ 40 minutes à compléter le questionnaire. Cette rencontre planifiée pour chaque passation devait nous permettre de contrôler plusieurs paramètres. Dans un premier temps, cela nous assurait que chaque participant allait jusqu’au bout du questionnaire et qu’il le complétait sans interruption. Cela nous permettait également, dans un second temps, de contrôler les conditions de l’expérience : chaque participant répondait au questionnaire dans un environnement exempt de distractions, avec le même dictionnaire bilingue à sa disposition, sur un même ordinateur, avec la possibilité de poser des questions techniques au besoin. Enfin, cela devait empêcher nos participants de faire usage de Google Traduction ou de tout autre outil de traduction automatique en ligne pendant la passation.

3.4. Annotation des traductions et relevé des fréquences d’occurrences

À l’issue des 4 mois de collecte, nous avons obtenu les traductions de nos 40 phrases par un total de 47 participants pour les deux langues confondues. Chaque phrase a donc été traduite 47 fois, soit 21 fois pour l’arabe littéral et 26 fois pour l’anglais, ce qui représente au total 1880 traductions. Celles-ci ont toutes été annotées à la main afin d’extraire les expressions utilisées par chaque participant pour traduire le nom français qui nous intéressait plus spécifiquement, ainsi que la fréquence d’utilisation de ces expressions dans les productions récoltées. Prenons les phrases suivantes qui ont été proposées à nos participants et qui illustrent les deux acceptions du nom carton :

(16)

a.

Les enfants ont utilisé du carton pour leurs créations.

b.

Les cartons sont prêts pour le déménagement.

La phrase (16a) illustre l’acception de base du mot carton qui renvoie à la matière, et la phrase (16b) illustre son acception dérivée qui renvoie à un type de produit fabriqué à partir de cette matière. Il s’agit ici d’un transfert métonymique de type M/P entre l’acception de base et l’acception dérivée du mot carton. Le tableau ci-dessous illustre les tendances que nous avons obtenues pour la traduction de ce mot en anglais, regroupant les productions récoltées les deux acceptions confondues. La colonne « Freq » met en avant les fréquences brutes que nous avons relevées tandis que la colonne « Freq_Norm » correspond aux fréquences obtenues après normalisation des données10.

Tableau 2. Traduction du mot carton en anglais les deux acceptions confondues.

Tableau 2. Traduction du mot carton en anglais les deux acceptions confondues.

Nous pouvons ainsi constater que deux tendances majeures se dégagent : d’un côté, l’usage du nom cardboard avec 24 occurrences, correspondant très majoritairement à l’acception de base du nom carton (16a). De l’autre, nous avons l’usage du nom box avec 27 occurrences, majoritairement pour l’acception dérivée (16b)11. Ce recours assez conséquent à deux noms distincts en anglais pour traduire les deux acceptions du nom carton en français suggère que l’association de celles-ci via le mécanisme métonymique n’est en rien nécessaire, même si elle est incontestablement motivée. On observe donc en anglais une sorte de représentation disjointe du signifié du nom carton.

Pour illustrer le cas d’une absence de variation entre le français et l’anglais, nous pouvons prendre l’exemple des phrases suivantes qui mettent en avant les deux facettes du nom lettre :

(17)

a.

La lettre qu’il a écrite est très triste. (facette [contenu])

b.

Le comédien a déchiré la lettre en plusieurs morceaux. (facette [matérialité])

Le Tableau 3 présente le nombre d’occurrences de la traduction proposée pour ce nom en anglais :

Tableau 3. Exemple de la traduction du mot lettre en anglais.

Tableau 3. Exemple de la traduction du mot lettre en anglais.

Ici nos participants ont unanimement proposé une unique traduction pour les deux facettes concernées. Nous avons donc un cas de régularité stricte, tous les participants ayant traduit lettre par le même item lexical letter, que ce soit dans son acception de contenu (17a) ou dans son acception matérielle (17b).

Dans la suite de l’article, nous nous intéresserons principalement aux fréquences brutes des colonnes « Freq » ainsi qu’à celles que nous avons normalisées (colonne « Freq_Norm ») pour prendre en compte la différence de nombre de participants entre les deux langues.

4. Approche statistique de la variation dans nos données

Le relevé des fréquences et la normalisation de celles-ci nous ont permis d’étayer l’analyse de nos données quantitatives par des tests statistiques significatifs. Nous allons dans un premier temps nous intéresser à l’analyse de la variance à deux facteurs (ANOVA) (section 4.1), puis dans un second temps, au comptage des traductions différentes obtenues (section 4.2). Nous terminerons cette section d’analyse quantitative par l’étude des taux de convergence dans les traductions récoltées (section 4.3).

4.1. Analyse de la variance à deux facteurs (ANOVA)

Une première approche statistique de nos données concerne l’analyse de la variance à deux facteurs (ANOVA), qui nous permettra de déterminer si, statistiquement, nos données indiquent une variation selon une approche globale. Grâce à cette ANOVA, nous avons dans un premier temps cherché à comprendre si le lien entre le type de variation de sens et la langue étudiée (notés, respectivement, mécanisme et L2 dans le Tableau 4 ci-dessous) avait une influence sur la variation des fréquences observées, qui sont nos variables dépendantes.

Tableau 4. ANOVA à 2 facteurs.

Tableau 4. ANOVA à 2 facteurs.

Dans le Tableau 4, les colonnes « Df », « Sum Sq », « Mean Sq » et la ligne « Residuals » indiquent différentes étapes de calculs statistiques nécessaires à l’obtention des résultats d’une ANOVA12. Les valeurs qui nous intéressent ici se trouvent dans la colonne « F value » et correspondent aux résultats du test de Fisher que nous avons utilisé. La colonne Pr(>F), quant à elle, indique la valeur p qui correspond à la probabilité conditionnelle du résultat sous l’hypothèse nulle (H0). Autrement dit, p indique la probabilité d’obtenir le même résultat F si l’hypothèse H0 est vraie. Ainsi, si cette valeur est inférieure à 95 %, soit à 0,05, alors nous pouvons rejeter l’hypothèse nulle (H0).

Le Tableau 4 montre que nous avons un effet très significatif du type de variation de sens sur la convergence des données avec F(3, 139) = 7,97, < 0,001. Ici, p est très inférieur à 0,05, nous pouvons alors rejeter l’hypothèse nulle définie ci-après avec 99 % de chance que ce résultat ne soit pas obtenu par hasard et donc accepter l’hypothèse H1.

     

H0 : le type de variation de sens n’a pas d’influence sur la convergence des fréquences

H1 : le type de variation de sens a une influence sur la convergence des fréquences

Nous constatons également un effet significatif de la langue cible avec F(1, 139) = 4,04, p < 0,05. La valeur de p est tout juste inférieure à 0,05 ici, mais nous pouvons quand même considérer que la langue a une influence sur la convergence des fréquences.

Enfin, nous pouvons constater que l’effet de l’interaction de la langue et du type de variation n’est pas significatif, F(3, 139) = 0,72, p = 0,53 > 0,001. Compte tenu de ces résultats, il semblerait que ce ne soit pas l’interaction simultanée de la langue et du type de variation de sens qui a un effet sur la variance de la fréquence, mais bien chacune des deux variables indépendamment l’une de l’autre. Le type de variation de sens observé semble toutefois être la variable présentant l’influence la plus significative dans nos résultats. C’est ce que nous allons étudier dans la section suivante.

4.2. Comptage des traductions différentes proposées

Comme nous l’avons présenté dans les tableaux de la section 3.4, lorsqu’il n’y a qu’une seule proposition de traduction relevée, nous pouvons en conclure qu’il n’y a pas de variation. Au contraire, lorsque nous en avons deux ou plus, nous pouvons parler de variation. Ainsi, nous avons d’abord procédé à l’examen des items lexicaux proposés par nos participants pour chaque type de variation de sens, dans les deux langues. Nous en avons soustrait le nombre minimum d’équivalents attendus, qui est de 4 traductions par type de variation de sens, pour obtenir le cas idéal de 0, qui marque l’absence de variation. Ce cas 0 constitue notre base de comparaison avec le français : plus nos résultats sont proches de cette valeur, plus cela signifie que la variation de sens se comporte comme elle le fait en français. Nous illustrons cela par le Graphique 1 suivant :

Graphique 1. Comptage du nombre de traductions proposées par type de variation de sens pour l’anglais et pour l’arabe tous mots confondus.

Graphique 1. Comptage du nombre de traductions proposées par type de variation de sens pour l’anglais et pour l’arabe tous mots confondus.

Plusieurs observations se dégagent à partir de ce graphique. Tout d’abord, on constate que, généralement parlant, la variabilité est plus importante en arabe qu’en anglais (les valeurs sont globalement plus élevées, sauf pour les facettes). Ensuite, les facettes de sens présentent dans les deux langues une moindre variabilité, sans que celle-ci soit nulle. Troisièmement, la métonymie appelle une plus grande diversité dans les choix de traduction que la métaphore. Enfin, les deux sous-types de métonymie divergent considérablement : la métonymie de type action/résultat (ex. construction) donne des résultats nettement moins convergents que la métonymie matière/produit (ex. carton).

Notons par ailleurs que tous nos types de variations de sens dépassent le seuil de 0, le cas idéal d’absence de variation. Cela s’explique par la présence de traductions qui ne sont parfois proposées qu’une seule fois par un seul participant. Ces cas marginaux sont de deux natures : les traductions isolées et les erreurs, comme illustré dans le Tableau 2 (voir section 3.4 ci-dessus). Les traductions « isolées » sont des propositions qui ne sont pas fausses mais qui n’apparaissent que très peu dans nos relevés. Prenons l’exemple suivant :

(18)

a.

Ma mère m’a acheté un livre magnifiquement relié.


b.

My mother bought me a beautifully bound volume.


L’utilisation de volume en (18b) pour traduire livre (18a) n’est pas incorrecte. Cependant, cette traduction n’apparaissant qu’une seule fois dans les 26 réponses obtenues, nous la considérons comme isolée. Notons que nous avons beaucoup plus de traductions isolées que de cas d’erreurs. L’exemple (19) illustre, en revanche, une traduction considérée comme erronée :

(19)

a.

Deux individus ont volé du cuivre sur le chantier.

b.

Two individuals stole some leather from the construction site.

Le Graphique 1 ne suffit cependant pas à tirer de plus amples conclusions concernant notre hypothèse de départ, la différence entre les métaphores et facettes en anglais étant tout de même plutôt minime. Par ailleurs, nous pouvons aussi supposer que nos données sont relativement dispersées, dans le sens où tous les choix de traduction ne sont pas pareillement représentés et représentatifs. C’est donc pour cela que, dans la prochaine section, nous examinons le « taux de convergence » afin d’évaluer l’accord entre nos participants sur les traductions utilisées.

4.3. Taux de convergence dans les traductions

Pour vérifier la dispersion des données, nous avons décidé d’évaluer l’accord entre les traducteurs à l’échelle du type de variation de sens. Cette mesure permet d’évaluer d’une part l’impact des traductions isolées sur nos données, d’autre part de voir si un type de variation de sens présente une variance plus marquante que les autres. De même, moins il y a de convergence entre les réponses de nos participants, plus nous pouvons en déduire que le type de variation de sens en question est sujet à l’arbitraire et donc à la variation à travers les langues. En effet, plus il y a de divergence pour un type de variation de sens, plus il sera difficile de trouver en son sein des noms ayant obtenu la même traduction pour l’acception de base ou l’acception dérivée, ou pour l’une des deux facettes.

Graphique 2. Convergence des fréquences et régularité des variations de sens.

Graphique 2. Convergence des fréquences et régularité des variations de sens.

Le Graphique 2 présente la dispersion des fréquences normalisées en fonction des types de variation de sens pour l’anglais et pour l’arabe. Notons que le niveau 0.00 marque l’absence totale de convergence entre les traductions proposées. Ainsi, une convergence de 1 dans ce graphique signifierait que nous avons une régularité stricte pour tous les noms étudiés relevant d’un type de variation de sens donné. Les fréquences normalisées peuvent facilement être proches de 0 en raison du poids donné au nombre d’équivalents de traduction proposées pour chaque nom. Ainsi, il n’est pas étonnant de constater que globalement, aucune des variations de sens ne dépasse significativement le seuil de 0.50. Nous pouvons également noter la présence d’outliers, à savoir de points isolés que nous trouvons en dehors des barres rouges et vertes. Ces points représentent les quelques noms français qui ont obtenu le plus haut taux de convergence. Nous reviendrons plus en détail sur ces cas un peu plus loin. Grâce à ce graphique, nous pouvons voir les grandes tendances présentes au sein de nos données.

Il est facile de constater que les résultats de ce graphique vont dans le sens des observations que nous avons déjà pu faire à partir du test d’ANOVA (voir section 4.1 ci-dessus). Premièrement, nous pouvons confirmer que le type de variation de sens semble avoir une influence sur les fréquences observées dans nos données. En effet, les facettes de sens sont celles qui présentent le taux de convergence le plus important, que ce soit en anglais ou en arabe. Nous pouvons également constater que les différences entre les langues sont davantage marquées pour la polysémie standard que pour les facettes, ceci allant dans le sens des observations de l’ANOVA concernant l’influence de la langue sur les fréquences observées (voir section 4.1 ci-dessus). Enfin, nous remarquons également des différences significatives entre les deux sous-types de métonymie, celui reposant sur un lien d’action/résultat présentant le plus faible taux de convergence. Le Graphique 2 nous permet alors de confirmer par une seconde étude statistique les tendances qui se dégagent au sein des variations de sens étudiées. Afin de rendre compte plus précisément de ces observations, nous consacrons la section 5 à une analyse plus fine et qualitative de ces données.

5. Approche qualitative des données

5.1. La métonymie de type action/résultat

La métonymie de type action/résultat se démarque du reste des variations de sens en présentant le taux de convergence le plus faible. La médiane représentée à l’intérieur des boites à moustache dans le Graphique 2 est assez basse et l’écart-type est très concentré, ce qui témoigne de la faible dispersion des données et de la fiabilité de la moyenne. Nous remarquons la présence d’un outlier pour l’arabe qui renvoie aux 40 occurrences du nom ترجمة ‘traduction’ utilisé dans les traductions des deux acceptions du nom traduction. Nous pouvons considérer qu’il s’agit ici d’une régularité forte même si la fréquence indiquée par le point de l’outlier ne dépasse pas les 0.50. En effet, les deux autres propositions faites pour ce nom sont considérées comme isolées.

Les outliers les plus forts pour l’anglais, quant à eux, renvoient aux 25 propositions de translation et 27 de to translate pour le nom traduction.

(20)

a.

La traduction de ce livre est mauvaise.

b.

The translation of this book is terrible.

c.

This book has been badly translated.

Nous remarquons donc en anglais une réelle division des réponses pour la traduction de ce nom. Toutefois, en raison du fait que traduction est un nom déverbal d’action, il n’est pas étonnant d’avoir, en anglais, une réelle division des réponses entre l’utilisation de la forme verbale (au nombre de 27) et celle du nom déverbal (au nombre de 25), les deux étant des moyens d’expression par excellence du sens d’action. Par ailleurs, la même manifestation de variabilité pour le nom construction a donné lieu à des réponses telles que to build ‘construire’, construction ‘construction’ ou building ‘édifice’. En revanche, nous ne remarquons pas la même division entre l’usage d’une forme verbale et celle d’un nom déverbal d’action pour l’arabe. En effet, la majorité de nos participants arabophones ont eu recours à l’usage de la forme nominale pour traduire les noms déverbaux relevant de la polysémie de type métonymique comme dans les exemples (21b) et (22b) ci-dessous. Le nom traduction est celui qui a montré la plus grande convergence dans les propositions de nos participants. La variabilité observée pour l’arabe est davantage liée à une grande diversité de traductions isolées et à un faible accord entre nos participants pour les noms maquillage, rédaction et construction (22).

(21)

a.

La traduction de ce livre est mauvaise.

b.

ترجمة هذا الكتاب غير مضبوطة

traduction traduit par ترجمة ‘traduction’

(22)

a.

La construction de ce pont a duré des années.

b.

بناء هذا الجسر أخذ سنوات

construction traduit par بناء ‘construction’

c.

إنجاز هذا الجسر دام سنوات

construction traduit par إنجاز’réalisation’

d.

إنشاء هذا الجسر دام عام

construction traduit par إنشاءconstruction’13

Ici, les différences de convergence observées entre les traductions de l’anglais et de l’arabe pour la métonymie de type action/résultat viennent appuyer le fait que, bien que motivées cognitivement, les relations métonymiques n’en restent pas moins arbitraires et sujettes à la variabilité d’une langue à l’autre. Une étude plus approfondie des relations de contiguïté à l’origine de la polysémie de type métonymique ainsi qu’une extension du protocole à d’autres langues devraient permettre d’étayer ces premiers résultats encourageants pour une meilleure caractérisation des variations de sens.

5.2. La métonymie de type matière/produit

La métonymie de type matière/produit présente une convergence plus élevée que celle de type action/résultat mais celle-ci reste assez faible en comparaison des facettes. Nous remarquons la présence d’un outlier pour l’anglais qui culmine à 1 de fréquence, indiquant une convergence forte. Il s’agit de l’utilisation de glass ‘verre’ pour traduire le nom verre dans ses deux acceptions de matière et de produit. Les deux mots semblent avoir subi la même extension de sens. À l’inverse, l’arabe présente une variabilité plus importante pour ce type de métonymie, l’outlier avec la fréquence la plus élevée à 0.26 étant celui de la proposition de ورق ‘papier’ pour traduire le nom papier. Il ne s’agit toutefois pas d’une convergence forte en raison de la présence d’une autre traduction possible qui est celle de وثيقة ‘document d’identification’. Nous remarquons d’ailleurs que le cas de convergence forte relevé pour l’expression verre entre le français et l’anglais ne se retrouve pas en arabe. En effet, nous avons d’un côté le nom زجاج ‘verre’ avec 19 traductions pour l’acception de la matière, et de l’autre كأس ‘coupe’ avec 15 traductions pour l’acception de l’objet dans lequel on boit. Ainsi, dans ce cas précis, dans la culture arabe, la relation de contiguïté n’est pas établie entre la matière et l’objet, puisque la propriété saillante retenue concernant l’objet porte davantage sur la forme de celui-ci que sur sa matière.

Les différences constatées entre les deux sous-types de métonymie suggèrent que celle-ci ne constitue pas un mécanisme homogène. Cela justifie notre choix de traiter séparément dans notre protocole expérimental les différents types de relations de contiguïté.

5.3. La métaphore

En comparaison avec les deux types de relations métonymiques précédemment présentées, la métaphore semble présenter une convergence légèrement plus forte en anglais mais plus faible en arabe. En effet, l’écart-type de la métaphore est plus étendu en anglais que celui de la métonymie matière/produit. En arabe en revanche, la moyenne de la métaphore semble un peu plus faible et présente un écart-type plus restreint, ce qui indique une certaine concentration des fréquences observées. Cette différence de convergence entre l’anglais et l’arabe se retrouve par ailleurs dans le cas de la métonymie matière/produit et ces observations vont dans le sens des analyses que nous avons déjà pu faire dans le cadre de l’ANOVA (voir section 4.1 ci-dessus), à savoir que la langue cible influe également sur la variabilité de nos données.

En anglais comme en arabe, nous avons un outlier de convergence forte, et donc un cas de régularité importante, pour la traduction du mot reine, avec 48 occurrences de queen ‘reine’ et 41 de ملكة ‘reine’ dans son acception de base de ‘femme régente’, et dans son acception dérivée de ‘femelle féconde d’une ruche’. Les autres traductions présentes sont les 4 occurrences de queen bee ‘reine des abeilles’ pour l’anglais et la proposition erronée أميرة ‘princesse’ pour l’arabe. Il est intéressant de noter cette régularité entre le français, l’anglais et l’arabe de l’utilisation du mot reine. De même, nous remarquons que la traduction du nom montagne semble avoir divisé nos participants. En anglais, nous retrouvons 38 occurrences de mountain ‘montagne’ avec une fréquence de 0.18, 26 utilisations pour le sens de base du lieu naturel et 12 pour le sens dérivé de quantifieur (23b). Les autres traductions proposées pour l’acception dérivée sont diverses mais correspondent toutes à des quantifieurs tel que le nom pile ‘entassement’ par exemple (23c).

(23)

a.

Il y a une montagne de documents sur le bureau.

b.

There is a mountain of documents on the desk.

c.

There is a pile of documents on the desk.

d.

هناك جبل من الوثائق على المكتب

montagne traduit par جبل ‘montagne’

e.

يوجد الكثير من الوثائق على المكتب

montagne traduit par كثير’beaucoup’

En arabe nous avons 32 occurrences de جبل ‘montagne’, 21 pour le sens de base et 11 pour le dérivé (23d), et cette traduction correspond au deuxième outlier des données de cette langue, qui se trouve à 0.10. Les autres propositions pour le sens dérivé sont aussi des quantifieurs (23e). Nous relevons ce cas car, malgré ses fréquences qui semblent indiquer une convergence faible, il s’agit du deuxième nom avec la convergence la plus élevée pour les métaphores après reine. Cette division des réponses nous laisse penser que l’utilisation d’un équivalent littéral du français peut être due à une transposition dans la langue 1 d’une image qui est facile à comprendre dans son intention.

5.4. Les facettes de sens

Conformément à notre hypothèse, les facettes de sens présentent la convergence la plus forte en comparaison avec les trois autres que nous avons étudiées, et ce en anglais comme en arabe. Les facettes sont d’ailleurs les seules à connaître une convergence quasiment similaire entre les deux langues. L’écart interquartile14 est ici le plus étendu et la médiane de l’arabe est la plus élevée des 4 types de variation observés. En revanche, la médiane de l’anglais est similaire à celle de la métaphore. La moyenne pour les deux langues est la plus élevée avec un écart-type très étendu qui se recouvre partiellement avec les autres variations de sens de l’anglais. Pour l’arabe, nous avons une différence remarquable entre les facettes et les autres variations étudiées. Le dernier décile des facettes culmine à 0.50, plus haut que toutes les autres variations, ce qui signifie que les cas de convergence forte font partie des valeurs normales ici. Nous avons également un cas d’outlier à 1 pour l’anglais et pour l’arabe. Notons que sur les 4 noms à facettes étudiés dans chaque langue, 3 présentent des occurrences de traductions isolées. Pour l’anglais, c’est le cas des noms livre, tableau et roman, dont nous présentons ci-dessous les traductions isolées proposées :

(24)

a.

Ma mère m’a acheté un livre magnifiquement relié.

b.

My mother bought me a beautifully bound volume.

(25)

a.

Quelques tableaux étaient accrochés aux murs.


b.

Some boards were hung up on the walls.


c.

Several pictures were hung on the walls.

(26)

a.

Quel mauvais roman!


b.

What a bad story!

Chacune de ces traductions isolées n’est apparue qu’une seule fois dans le corpus, à l’exception de board qui a été utilisé deux fois pour traduire la phrase (25a). Le seul mot en anglais qui n’a pas obtenu de traduction isolée est donc notre outlier, lettre, systématiquement traduit par letter. Nous illustrons ci-dessous le type de traduction que nous avons obtenu pour ce nom :

(27)

a.

Le comédien a déchiré la lettre en plusieurs morceaux.


b.

The actor tore the letter to bits.

(28)

a.

La lettre du poète à sa mère est très triste.


b.

The letter from the poet to his mother is very sad.

Pour l’arabe, nous avons également eu les cas de traductions isolées ou d’erreurs qui n’apparaissent qu’une seule fois chacune dans le corpus pour les noms tableau, roman et lettre :

(29)

a.

Plusieurs romans ont brûlé dans l’incendie.

b.

إحترق عدداً مهماً من القصص في الحريق

roman traduit par قصص ‘histoire’

(30)

a.

C’est un tableau qui représente la fille du peintre.

b.

هذا الرسم يمثل بنت الرسام

tableau traduit par رسم ‘peinture’

c.

هذا الاطار يعبر على فتاة الرسام

tableau traduit par اطار ‘cadre’

(31)

a.

Le comédien a déchiré la lettre en plusieurs morceaux.

b.

قطع الطبيب الخطاب الي قطع عديده

lettre traduit par خطاب ‘discours’

En ce qui concerne l’outlier en arabe, il s’agit du mot livre qui a été uniquement traduit par كتاب, qui signifie ‘livre’.

(32)

a.

Ma mère m’a acheté un livre magnifiquement relié.

b.

اشترت لي أمّي كتاباً تجليدة رائع

livre traduit par كتاب ‘livre’

(33)

a.

Ce livre est passionnant.

b.

هذا الكتاب رائع حقاً

livre traduit par كتاب ‘livre’

Par l’examen plus précis des traductions isolées, nous pouvons constater que la variation dans le cas des facettes de sens est bien plus marginale qu’il n’y paraît. La plupart de ces propositions de traduction ne sont apparues qu’une seule fois dans tout le corpus, mais elles sont suffisantes pour faire baisser le taux de convergence dans nos données. Comme pour tout protocole de collecte impliquant des sujets humains, il est d’ordinaire nécessaire de prendre en compte une marge d’erreur inhérente à ce type de travail en effectuant un échantillonnage des données. Ici, compte tenu du faible nombre de participants interrogés, nous n’avons pas souhaité échantillonner nos données et avons pris le parti de normaliser les fréquences telles quelles. Ce que l’on observe, c’est que la tendance pour les facettes de sens est finalement suffisamment forte pour que la régularité de ce type de variation de sens soit tout de même visible d’un point de vue statistique, même sans appliquer d’échantillonnage. D’un point de vue méthodologique, il s’agira cependant d’un point à améliorer à l’avenir.

Par ailleurs, nous avons pu observer un cas particulier parmi les facettes de sens, celui du mot roman. En effet, ce nom, qui est au cœur des débats sur le phénomène linguistique des facettes de sens, ne semble pas être aussi simple à analyser dans le cadre de notre protocole car c’est lui qui présente la plus grande variabilité en comparaison avec les autres. Puisque ce cas particulier de facettes de sens a une influence sur nos résultats, il est intéressant de voir comment se manifeste cette variabilité en reprenant ci-après les différentes traductions proposées en anglais et en arabe avec une différenciation d’acception :

Tableau 5. Le cas du mot roman en anglais et en arabe.

Tableau 5. Le cas du mot roman en anglais et en arabe.

Ce tableau nous permet de voir que nous avons le même comportement pour le nom roman en anglais et en arabe. Bien que les traductions par novel en anglais et رواية en arabe semblent se dégager clairement, certains de nos participants ont préféré l’usage de l’équivalent du nom livre, book en anglais et كتاب en arabe. L’usage d’un équivalent de livre au lieu de roman ne semble pas corrélé à telle ou telle acception. L’équivalent de livre est proposé 7 fois en anglais et 3 fois en arabe pour la facette [contenu] et 9 fois en anglais et 5 fois en arabe pour la facette [matérialité]. Ce n’est pas significativement différent, même s’il y a deux réponses de plus pour chaque langue pour l’utilisation de l’équivalent de livre pour la facette [matérialité]. Nous nous attendions à un comportement différent en fonction de la facette du fait que la facette [matérialité], d’après Cruse (2004), ne serait pas ancrée dans notre lexique mental. Or, les différences ici ne sont pas vraiment significatives entre les deux acceptions. Il semblerait qu’il s’agisse davantage de la manifestation d’un recouvrement des représentations des classes des romans et des livres.

Il est ainsi nécessaire de regarder les données récoltées en tenant compte d’éventuels biais introduits par notre protocole, à la fois en raison de la présence des traductions isolées et de la proximité sémantique de certains items lexicaux (roman et livre). Même si nous nous attendions à ce que la différence entre la polysémie standard et les facettes de sens soit plus marquée, les résultats présentés ci-dessus témoignent déjà de l’intérêt de notre protocole en vue d’une meilleure circonscription des deux types de sens multiples.

6. Conclusion

Les résultats de cette étude pilote sont concluants et nous permettent d’appuyer le bienfondé de notre hypothèse ainsi que la pertinence de notre protocole de collecte de données. En effet, les premiers résultats de cette recherche mettent en avant le fonctionnement sémantique particulier des facettes de sens, autant en anglais qu’en arabe. À travers les différents tests que nous avons pu appliquer à nos données, nous avons constaté le comportement singulier des facettes de sens comparé à la polysémie standard, que celle-ci repose sur des liens métaphoriques ou métonymiques. Nous avons également pu mettre en lumière une influence de la langue cible sur la variabilité de nos données supportée à la fois par nos tests statistiques et une analyse qualitative des traductions récoltées. L’exception des facettes de sens, qui présentent, aussi bien en anglais qu’en arabe, un degré de stabilité plus élevé que les variations polysémiques, confirme le bienfondé de notre thèse selon laquelle une approche inter-linguistique pourrait apporter des éléments de caractérisation essentiels pour une meilleure compréhension de ce type de variation de sens. Enfin, les résultats de cette étude mettent en avant la nécessité d’étudier séparément les différents types de relations de contiguïté à l’origine de la polysémie basée sur la métonymie. En effet, nous avons pu distinguer deux comportements divergents pour les deux relations de contiguïté que nous avions choisi d’étudier.

Ces conclusions sont étayées à la fois par des analyses statistiques et qualitatives des données récoltées dans le cadre d’un protocole expérimental inédit et contrôlé, dont nous avons pu tester les points forts et les limites. Il semble alors essentiel de continuer à mettre à profit la diversité linguistique en tant qu’outil méthodologique pour une compréhension fine des mécanismes de formation des signifiés composites. Parmi les prolongements possibles, l’extension du protocole d’une part à plusieurs autres langues typologiquement proches ou distantes, d’autre part à d’autres relations métonymiques, nous paraît cruciale.

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Notes

1 Nous remercions les relecteurs anonymes pour leurs remarques et suggestions, qui nous ont permis d’améliorer notre texte sur plusieurs points. Retour au texte

2 Nous nous inscrivons ici dans une approche « statique » de la polysémie qui prévoit un encodage en langue de plusieurs sens sous un même lexème (voir Kleiber & Riegel, 1989 ; Kleiber, 1999, 2005), contrairement à celle de la polysémie « dynamique » pour laquelle les différents sens sont construits en discours (voir Kayser, 1987 ; Victorri & Fuchs, 1996 ; Récanati, 1997). Retour au texte

3 Voir aussi Pustejovsky (1995) pour des discussions autour du nom livre comme « objet pointé ». Retour au texte

4 C’est ce qui permettrait, d’après certains auteurs, un accès simultané aux deux versants du sens et, par voie de conséquence, le recours à la co-prédication dans le cas des facettes, contrairement à la polysémie, qui la bloquerait. La co-prédication posant d’importants problèmes méthodologiques et théoriques, elle est loin de fournir un critère de délimitation fiable de la polysémie et des facettes (voir Ježek & Melloni, 2011 pour une discussion sur ce point). Retour au texte

5 L’arabe littéral, ou standard moderne, est une langue qui est lue, écrite et parlée dans les pays arabes, mais elle n’est pas considérée comme une langue maternelle. Ennaji (1991, p. 9) soutient qu’il s’agit d’une « langue moderne créée en vue de la diffusion d’une culture universelle ». L’arabe littéral est principalement utilisé dans le cadre de l’éducation, des contenus culturels et des médias de masse. Retour au texte

6 L’arabe littéral n’étant la langue maternelle de personne, le critère de locuteur natif n’a pas pu être appliqué. Les locuteurs de l’arabe littéral que nous avons interrogés devaient avoir une très bonne maîtrise de la langue, et notamment ils devaient avoir été scolarisés dans cette langue. Retour au texte

7 Nous avons restreint notre étude à ces deux types de relations de contiguïté pour des raisons de faisabilité, afin de limiter la longueur du protocole pilote pour nos participants bénévoles. Retour au texte

8 Exemple de phrase contrôle utilisée : C’est le roman préféré de nos lecteurs. Retour au texte

9 Exemple de distracteur utilisé : Ma mère va acheter des fruits au marché. Retour au texte

10 Pour une présentation détaillée du processus de normalisation des données voir Abrard (2019, pp. 67-69). Retour au texte

11 Notons que sur les 26 participants anglophones, deux ont fait une erreur de traduction pour carton dans son acception de base (16a) : l’un l’a traduit par paper, l’autre par box. Cela explique pourquoi nous avons eu 27 occurrences de box et 24 occurrences de cardboard au lieu de 26, contrairement au résultat attendu dans le cas de données ne présentant pas d’erreurs. Retour au texte

12 Voir Levshina (2015, p. 178) pour plus de détails sur la composition d’un tableau d’ANOVA. Retour au texte

13 Le nom إنشاء signifie ‘production’, ‘création’ ou ‘construction’. Dans le contexte de la phrase (22d), il peut être traduit par ‘construction’. Retour au texte

14 Correspond aux valeurs entre lesquelles se concentrent les 2/4 de nos fréquences. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Océane Abrard et Dejan Stosic, « Polysémie standard et facettes de sens vues au travers du prisme de la diversité linguistique : entre la variation et la régularité  », Lexique, 28 | -1, 9-33.

Référence électronique

Océane Abrard et Dejan Stosic, « Polysémie standard et facettes de sens vues au travers du prisme de la diversité linguistique : entre la variation et la régularité  », Lexique [En ligne], 28 | 2021, mis en ligne le 01 juillet 2021, consulté le 19 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/lexique/741

Auteurs

Océane Abrard

Université Toulouse – Jean Jaurès & Laboratoire CLLE (UMR 5236)
oceane.abrard@univ-tlse2.fr

Dejan Stosic

Université Toulouse – Jean Jaurès & Laboratoire CLLE (UMR 5236)
dejan.stosic@univ-tlse2.fr

Droits d'auteur

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