1. Introduction
À Sfax, dans le sud du centre est tunisien (34°N, 10°E), l’étude de la brise littorale est d’une importance majeure en raison de son impact sur la répartition spatio-temporelle de la pollution atmosphérique. Celle-ci est en grande partie originaire de la frange littorale où sont regroupés plus de 90 % des établissements industriels de l’agglomération. C’est aussi près du littoral que se trouve le centre-ville (médina et quartier européen), vers lequel convergent les principaux axes de circulation sur lesquels on enregistre un fort trafic routier (mouvements pendulaires, de la banlieue vers le centre le matin et du centre vers la banlieue en fin d’après-midi) (Figure 1).
Depuis trois décennies, l’agglomération de Sfax, qui compte environ 500 000 habitants, connaît un développement économique. Celui-ci est à l’origine d’une forte croissance de la concentration atmosphérique en gaz et en aérosols qui proviennent de plusieurs sources (rejets industriels, incinération des ordures ménagères, circulation automobile…).
Figure 1 : Localisation de l’agglomération de Sfax, de la station de l’ANPE et de la zone industrielle la plus polluante (El Maou). (Fond : cartes topographiques assemblées à l’échelle 1/250 000 datées de 1996 ;
Localization of Sfax agglomeration, ANPE station and the most polluting industrial area (El Maou).
Source: Office tunisien de cartographie, OTC
Certes, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise de ne pas dépasser un seuil fixé pour chacun des polluants et ce seuil est fonction de la durée d’exposition auxquels sont soumis les individus. Mais, à Sfax comme dans beaucoup de villes du monde, le nombre de points de mesures est très réduit, ce qui est bien évidemment insuffisant pour évaluer la qualité de l’air respiré par les individus. Les mesures fournies par les capteurs des réseaux fixes de surveillance sont certes précieuses, car ces réseaux fonctionnent en continu sur de longues périodes de temps, mais les valeurs enregistrées peuvent être bien éloignées de celles effectivement respirées par la population. C’est pourquoi l’utilisation de capteurs portatifs est toujours utile pour avoir une idée plus précise de la répartition des taux de polluants dans l’espace, même si ces instruments fonctionnent sur des périodes de temps beaucoup plus courtes.
Aujourd’hui, des informations sur la qualité de l’air sont demandées par une partie de la population qui réclame un air moins pollué et les décideurs tentent de chercher des solutions permettant d’atteindre un tel objectif en prenant diverses mesures telles que le contrôle des rejets polluants, l’aménagement de l’espace urbain de manière à limiter les embouteillages, ou encore le développement des transports en commun. Mais il est difficile de proposer des solutions optimales pour de nombreuses raisons, et en particulier par manque de données adéquates pour établir un bilan détaillé de la pollution urbaine.
La pollution de l’air est étroitement liée à la nature et à la proximité des sources ; elle est aussi en relation avec le type de temps qui détermine les conditions de diffusion et de transformation des polluants [1]. Par conséquent, les individus peuvent être exposés à des niveaux très variables en fonction des lieux et des heures auxquels ils fréquentent ces lieux, mais aussi en fonction des conditions météorologiques qui agissent sur la transformation et la dispersion de la pollution.
Ce travail a pour objectif de montrer cette variabilité spatiale et temporelle de la pollution de l’air en situation de brise de mer à différentes échelles, à partir de données de mesure du monoxyde de carbone (CO). Ces données sont le résultat de mesures dans la station fixe du réseau de l’Agence nationale de la protection de l’environnement (ANPE) et par des mesures itinérantes réalisées à l’aide de capteurs portatifs dans plusieurs parties de la ville. Le CO a été choisi pour trois raisons :
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il s’agit d’un polluant dangereux lorsqu’un individu y est exposé sur des périodes de temps suffisamment longues : « à forte concentration, le CO engendre des effets cardio-vasculaires, neuro-comportementaux (atteinte de la vigilance), sensoriels (altération de la vision), hématologiques et fœtaux pouvant entraîner l'asphyxie » [2]. Il en résulte une moindre oxygénation des individus exposés de façon chronique à une atmosphère polluée par le CO, ce qui conduit à des troubles cardiovasculaires [3]. Sur une longue période, le CO est un polluant dangereux, même en cas d’exposition à de faibles quantités [4]. Raaschou-Nelsen [5] a montré à Copenhague en 1995 qu’une longue exposition des agents municipaux au trafic se traduit par des symptômes qu’il est logique de rattacher au CO, comme les maux de tête ou les vertiges. L’étude de Morris [6], réalisée en 1995 dans sept États américains, prouve qu’une longue exposition au CO est associée au risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque chez les personnes âgées ;
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sa mesure avec des capteurs portables est relativement facile à réaliser ;
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c’est un bon marqueur de la pollution issue du trafic automobile [7].
2. Données et méthodes
Dans l’agglomération de Sfax, le vent (direction et vitesse) n’est enregistré régulièrement que dans la station de Sfax-el-Maou de l’Institut national de la météorologie (INM), située dans l’enceinte de l’aérodrome. Quant au suivi régulier de la qualité de l’air, il a débuté à la fin de l’année 1996 dans la station de l’ANPE installée au centre-ville à proximité du rond-point de la place du Maghreb (Figure 1). Dans cette station, les capteurs sont placés à environ 5 mètres de la chaussée et à 2,5 mètres de la surface. Ce site de mesure, vers lequel convergent six axes de circulations (dont quatre sont à quatre voies), est caractérisé par un trafic routier de proximité dense le jour et très faible la nuit. Cette station comporte un ensemble d’équipements et d’analyseurs permettant le suivi de l’évolution temporelle des paramètres suivants : l’ozone, le méthane, les hydrocarbures non méthaniques, le monoxyde de carbone, le dioxyde de soufre et le sulfure d’hydrogène, les oxydes d’azote et les poussières (PM10).
La mesure de tous les polluants et des paramètres météorologiques s’effectue toutes les 30 secondes et les données sont enregistrées après vérification et traitement sous forme de moyennes quart horaires. L’ensemble des équipements d’analyse et de mesure est soumis à des opérations d’étalonnage périodiques, de calibrage et de contrôle systématique de la sensibilité. Tous les capteurs sont reliés à un ordinateur qui assure l’acquisition et le traitement des données [8]. Les valeurs utilisées ici sont les moyennes horaires du taux de CO en ppm, de dioxyde de soufre (SO2) et des oxydes d’azote (NOx) exprimées en ppb.
En raison de l’absence d’un réseau de mesures fixe, des mesures itinérantes se sont avérées adéquates pour spatialiser le vent et le taux de CO. Cette technique permet de pallier au manque de postes fixes dans l’agglomération, mais surtout d’effectuer des mesures à peu près instantanées sur un réseau de mesures assez dense. Les mesures ont été faites durant un pas de temps court. Ainsi, les déplacements (en automobile ou à moto) ont été faits simultanément par trois à quatre équipes afin d’assurer une couverture de l’espace étudié en un minimum de temps. Chaque équipe est généralement formée de deux opérateurs. La prise de mesures, correspondant à un arrêt, dure au maximum deux minutes. Les mesures météorologiques (température, humidité, vitesse et direction du vent) sont réalisées avec des stations météorologiques portatives de type Testo équipées d’une sonde hygrothermique et d’un anémomètre à hélice. La résolution des données enregistrées est de l’ordre du dixième de degré Celsius pour la température, du dixième du pourcentage pour l’humidité et du centième de mètre par seconde pour la vitesse du vent. La réponse des capteurs est immédiate. Le CO est mesuré avec des capteurs portables de type Fluke CO 210 permettant des enregistrements à un pas de temps variant de une minute pour les relevés sur 24 heures à une seconde pour les relevés sur 30 minutes. Le principe de fonctionnement du système de mesures est basé sur l’utilisation d’un détecteur électrochimique de CO, dont le signal est amplifié électroniquement, puis enregistré par un datalogger de type Tinyvolt (plage : 0-2500 mV). L’étalonnage est réalisé au Laboratoire Environnement et Développement de l’université Paris VII, dans une chambre close de 10 litres. Les valeurs sont validées par comparaison avec les mesures d’une station « trafic » du réseau officiel de surveillance de la qualité de l’air (AIRPARIF) de la ville de Paris [9].
Les itinéraires de mesures (vent et CO) ont été choisis de façon à couvrir les principaux axes de circulation de l’agglomération. Les mesures sont prises sur le trottoir à deux mètres de la chaussée, en moyenne sur deux minutes et en évitant le passage de camions. Sachant que la résolution temporelle des capteurs météorologiques et de CO est de l’ordre de la seconde, les valeurs indiquées représentent une moyenne de 120 relevés. Elles sont effectuées durant les situations de la renverse nocturne et matinale de la brise et au milieu de la journée afin de cerner la variabilité spatio-temporelle du polluant étudié. Les mesures ont été effectuées durant la saison estivale, pendant laquelle la brise littorale est bien installée. Des journées de brise typiques ont été choisies. Le vent est spatialisé à l’échelle de l’agglomération en situation anticyclonique.
Le 9 août 2004 entre 15 heures et 16 heures, dix radiales ont été parcourues avec un arrêt tous les kilomètres environ, ce qui donne environ 100 points de mesures.
Des mesures du taux de CO dans le centre et le sud de l’agglomération de Sfax ont été réalisées le 12 août 2004. Trois campagnes de 30 minutes ont été réalisées. Elles ont débuté à 8 heures 30, 14 heures et 22 heures. Chaque équipe était chargée de 7 à 10 mesures ponctuelles, ce qui donne 21 à 30 points de mesures pour 25 km2. Le sud et le centre de l’agglomération ont été choisis car ces deux espaces sont des zones densément peuplées et fortement émettrices de polluants. Pour cette journée du 12 août 2004, la brise de mer, les températures, l’humidité et le CO ont été mesurés sur plusieurs dizaines de points dans le quartier européen du centre-ville (une mesure tous les 30 mètres environ) et dans la rue Haffouz de 12 heures à 12 heures 45.
3. Résultats
3.1. La pollution atmosphérique et la brise de mer à Sfax
Nous présentons ci-dessous un aperçu général sur la pollution atmosphérique à Sfax suivi de l’étude du CO et sa relation avec la brise de mer.
3.1.1. Sfax : une ville très polluée
Sfax est une ville portuaire où la pression des activités humaines est très forte. Plusieurs cheminées, dont les hauteurs actuelles sont incapables de réduire les retombées des polluants gazeux (SOx, NOx…), émettent des quantités de plus en plus considérables [8]. Outre les polluants gazeux, un dégagement excessif des poussières est à noter à Sfax en raison d’une variété d’activités industrielles en majorité polluantes comme la SIAPE (Figure 2A), la décharge mitoyenne de la quasi-totalité de l’agglomération où les ordures sont brûlées à l’air libre (Figure 2B), des savonneries et des fonderies de métaux. Ces établissements sont situés dans les deux grandes zones industrielles de l’agglomération – la Poudrière au nord et El Maou au sud – implantées à moins de cinq kilomètres du centre-ville à proximité des quartiers les plus denses. Les rejets gazeux et particulaires (poussières, éléments traces, aérosols…) issus des cheminées comportent des polluants primaires, tels que l’oxyde de carbone, le monoxyde d’azote et le dioxyde d’azote, le dioxyde de soufre, ainsi que des composés organiques volatils (COV). Ces derniers viennent perturber le mécanisme réactionnel existant dans l’atmosphère [8]. En plus de la pollution atmosphérique causée par l’industrie, le rôle du trafic routier, régulièrement saturé sur les principaux axes de circulation convergeant vers le centre-ville durant les heures de pointe, est important (Figure 2 C). Cette pollution atmosphérique bien marquée à Sfax pose des problèmes majeurs :
• des émanations et odeurs désagréables incommodant les populations ;
• une dégradation des récoltes et des biens provoquée par les poussières et les gaz corrosifs [10].
Figure 2 : Principales sources de pollution atmosphérique à Sfax : la SIAPE (A), la décharge municipale (B) et le trafic routier (C).
Principal sources of air pollution in Sfax: the SIAPE (A), the discharge (B) and the car traffic (C).
Figure 3 : Moyenne horaire du taux de SO2 (A) et de NOx(B) pour tous types de temps confondus, entre 1997 et 2004 et pour les jours de brise de la même période. (Données ANPE)
Hourly average of SO2 (A) and NOx (B) rate between 1997 and 2004 and in sea breeze days for the same period. (ANPE data)
Les taux de polluants mesurés à la station de l’ANPE varient d’un jour à l’autre en fonction des sources d’émission d’abord et ensuite sous l’influence des conditions météorologiques. Le traitement statistique des données issues de cette station entre 1997 et 2004 montre que les taux les plus élevés sont enregistrés en situation de sirocco et de brise de terre (durant la renverse nocturne, environ deux heures après le coucher du soleil). Durant cette période, le vent, soufflant du secteur sud-ouest avec une vitesse inférieure à 1 m/s à 12 mètres du sol, achemine les polluants issus de la décharge et de la SIAPE tels que le SO2, les NOx et le CO vers le centre-ville où se trouve la station de l’ANPE. Les figures 3 et 6 montrent le cycle quotidien moyen du SO2, des NOx et du CO comparé au cycle quotidien enregistré en situation de brise1 pour la période 1997-2004.
Certes, les taux de pollution observés durant la période de la renverse nocturne de la brise de mer au centre-ville (la station de l’ANPE) ne dépassent pas les normes préconisées par l’OMS. Cependant, à proximité des principales sources d’émission (la SIAPE et la décharge) la situation est différente : des gênes de la vision et de la respiration, ainsi que des odeurs insupportables et des fumées très abondantes laissent penser que des taux de pollution plus élevés que ceux enregistrés dans le centre-ville (à 5 km) sont atteints. Entre 22 heures et 6 heures du matin, le trafic automobile est très faible ; les émissions proviennent principalement des deux sources fixes citées ci-dessus fonctionnant 24/24h. Entre 20 heures et minuit, les taux de SO2 et du CO, observés durant une journée de brise littorale, dépassent respectivement 13 et 7 fois la moyenne annuelle. Une hausse moins importante est relevée pour les taux de NOx (environ 3 fois) car les mauvaises combustions produisent relativement peu de ce gaz.
En l’absence de station de mesure dans les environs de ces sources, des mesures itinérantes par des capteurs portables se sont avérées nécessaires. Le polluant choisi est le CO.
3.1.2. La brise marine et le monoxyde de carbone à Sfax
Le traitement des données météorologiques tri horaires enregistrées à la station Sfax-el-Maou sur la période 1970-2002, ainsi que les anémogrammes de l’INM, montrent que 35,5 % des jours de l’année sont marqués par la présence d’une alternance entre brise de terre et brise de mer (74 % en été et 14 % en hiver) (Figure 4) [11]. Au cours des situations de calme, très fréquentes notamment en été, la brise évolue au cours de la journée dans le sens des aiguilles d’une montre (Figure 5).
Les matrices de corrélation calculées à partir des données horaires enregistrées par la station de l’ANPE à Sfax de 1997 à 2004 montrent une forte corrélation entre le CO et les autres polluants, ce qui confirme l’intérêt de l’étude du CO. Le coefficient de corrélation s’élève à 0,9 en moyenne entre le CO et les NOx, à 0,85 avec les poussières, à 0,65 avec le SO2 et à 0,68 avec les HCT (hydrocarbures totaux imbrûlés dus aux rejets automobiles et à l’évaporation dans certains sites de stockage).
Figure 4 : Fréquence mensuelle de la brise de mer à Sfax entre 1970 et 2002. (Données INM)
Monthly frequency of sea breeze in Sfax between 1970 and 2002. (INM data)
Figure 5 : Hodographe moyen en situation de calme (1970-2002).
Average hodograph in calm situation (1970-2002).
La concentration atmosphérique en CO à la station de l’ANPE est influencée par le trafic automobile (observation de deux pics classiques liés aux périodes de congestion) et elle peut être liée aux conditions météorologiques et notamment à la direction et à la vitesse de la brise marine qui, certains jours, peut être à l’origine de cycles quotidiens nettement différents du cycle moyen (Figure 6). Ainsi, la nuit, un pic de CO apparaît parfois à l’heure où le trafic est relativement faible près de la station de mesure. La figure 6 montre les taux horaires moyens de CO pour les jours de brise entre 1997 et 2004. Ces jours se caractérisent par un temps anticyclonique calme (moyenne quotidienne de la vitesse du vent inférieure à 2 m/s), ce qui favorise le déclenchement d’un système de brise littorale. La fin de la journée correspond à la période de passage entre brise de mer et brise de terre et par temps calme, ce passage se fait dans le sens anticyclonique. Ainsi, entre 20 heures et minuit, le vent souffle du secteur sud sud-ouest, manifestement porteur de rejets gazeux et d’aérosols en provenance de la zone industrielle sud « El Maou ». Les rejets proviennent de la décharge d’ordures et de l’usine SIAPE qui rejette CO, SO2 et F en grandes quantités [8] vers le centre-ville où se trouve la station de l’ANPE (située à 5 km de cette usine). La moyenne horaire du taux de CO dépasse 7 ppm durant la période de renverse de brise. L’augmentation de la concentration de ce polluant s’explique manifestement par ce phénomène de renverse nocturne qui est associé au phénomène d’inversion thermique. En effet, à cette période de la journée, la hauteur de la couche limite est relativement réduite, comme cela a été montré pour d’autres villes [12] et confirmé à Sfax par l’observation visuelle de la trajectoire des panaches de fumée (voir la photo 4 en annexe). Cela limite la dispersion verticale des polluants, d’où leur forte concentration dans une couche limite peu épaisse.
Figure 6 : Moyenne horaire du taux de CO pour tous types de temps confondus entre 1997 et 2004 et pour les jours de brise de la même période. (Données ANPE)
Hourly average of CO rate between 1997 and 2004 and in the breeze days for the same period. (ANPE data)
Figure 7 : Brise de mer dans l’agglomération de Sfax en situation anticyclonique estivale (mesures itinérantes réalisées le 9 août 2004 entre 15 h et 16 h).
Sea breeze in Sfax agglomeration in summer anticyclonic situation (itinerant measurements carried out on August 9th 2004 between 3:00 pm and 4:00 pm).
3.2. Spatialisation de la brise et du CO à Sfax
La brise et les taux de CO ont été mesurés sur plusieurs itinéraires allant de l’agglomération au quartier et à la rue.
3.2.1. La brise marine à l’échelle de l’agglomération
La spatialisation de la brise de mer dans l’agglomération met en évidence l’influence de la morphologie de la ville et la distance au trait de côte. Des vitesses autour de 6 m/s sont observées en bord de mer vers 15 heures, alors que dans le centre-ville et dans les quartiers densément construits, la vitesse du vent est freinée par l’importante rugosité du substrat et elle ne dépasse pas 3 m/s alors qu’elle est pratiquement nulle dans la médina, aux rues étroites et entourée de remparts. Schématiquement, la vitesse de la brise augmente du centre-ville vers la grande banlieue à l’ouest, là où le tissu urbain devient de moins en moins continu (vitesse autour de 5 m/s). La vitesse de la brise dépend aussi de l’altitude du site de mesure. Ainsi, elle s’élève au-dessus des ponts et s’affaiblit au fond des oueds orientés perpendiculairement à la direction de la brise (Figure 7).
3.2.2. Impact de la brise de mer sur la répartition spatio-temporelle du CO
Les mesures itinérantes du CO ont été faites en situation de brise, le 12 août 2004, dans la partie la plus polluée de l’agglomération (le centre-ville, la zone industrielle sud « Sfax-el-Maou » et leurs environs). Cette journée est un exemple typique de situation de brise marine estivale. Durant cette saison et lors de ce type de situation météorologique, les conditions de dispersion (particulièrement la vitesse, la direction du vent et le rayonnement solaire) ne changent pas beaucoup d’un jour à l’autre. Le matin, vers 7 heures, la brise de terre disparaît et celle de mer commence à s’installer : c’est la période de renverse matinale. Elle se caractérise par un vent faible de 1 m/s en moyenne et de direction nord à nord nord-est. Ce vent oriente les panaches de fumées vers les quartiers de la route de Gabès (El Badrani et El Moez) (voir la photo 1 en annexe). Des taux de CO autour de 15 ppm sont enregistrés dans ces quartiers ; ils sont plus élevés dans le premier qui est plus proche de la SIAPE et de la décharge municipale mitoyenne. À 200 mètres de ces établissements, les taux de CO avoisinent les 25 ppm. Dans le centre-ville, le pic matinal estival, entre 7 et 8 heures, correspond à l’heure des déplacements domicile-travail. Les taux les plus élevés sont enregistrés au niveau des principaux carrefours et sont compris entre 5 et 10 ppm (Figure 8 A).
À 14 heures, les taux de CO les plus élevés sont observés à proximité de la SIAPE (dans un rayon de 500 mètres) sous les panaches des polluants, mais ils diminuent rapidement au fur et à mesure qu’on s’en éloigne (Figure 8 B) (voir la photo 2 en annexe). Dans le centre-ville, le trafic est dense (l’heure de la mesure correspond à la sortie du travail en été), les taux de CO enregistrés varient de 3 à 5 ppm. En se dirigeant vers la campagne, le trafic devient plus fluide (cause principale de la baisse du taux de CO), la vitesse de la brise augmente (Figure 8 B) et on remarque une baisse des taux de CO.
Juste après le coucher du soleil, une déviation de la brise de mer se fait dans le sens anticyclonique. Entre 21 et 23 heures, la brise souffle du sud sud-ouest avec une vitesse très faible variant de 0,5 à 1 m/s. Elle dirige les fumées de la zone industrielle sud vers le centre-ville et la partie est des quartiers populaires très denses de Sfax El Garbia (quartier de la cité El Habib). À cette heure-là (nuit), la concentration des polluants est très élevée en raison de la faiblesse de la vitesse du vent et de la hauteur réduite de la couche limite. Les taux de CO à proximité de la SIAPE et de la décharge voisine dépassent 40 ppm, soit une valeur au-dessus des seuils préconisés par l’OMS (25 ppm pour une durée d’exposition de 1 heure), car la durée de l’épisode de renverse peut durer plusieurs dizaines de minutes certains jours. Les données mesurées sur deux minutes sont confirmées par des mesures fixes de 30 minutes sur quatre points le long d’un itinéraire SIAPE vers station ANPE, durant sept jours de brise (10, 11, 13, 14, 15, 16 et 17 août 2004). Dans le centre-ville, malgré un trafic fluide, les taux de CO relevés dépassent les 10 ppm (Figures 8 C et 8 D) (voir la photo 4 en annexe).
La rose de pollution par le CO, élaborée à partir des données horaires issues de la station de l’ANPE en situation de brise, confirme ce résultat. Elle montre que les vents faibles du sud sud-ouest sont les plus chargés en CO (Figure 9).
Figure 8 : Variabilité spatio-temporelle de la répartition du CO au centre et au sud de l’agglomération de Sfax le 12 août 2004 à 8 h 30 (A), 14 h (B) et 22 h (C), et variabilité quotidienne de la vitesse, de la direction du vent et du CO, à la station de l’ANPE (D).
Space-time variability of CO rate distribution in the downtown area and the south of the Sfax agglomeration on August 12th 2004 at 8:30 am (A), 2:00 pm (B) and 10:00 pm (C) and daily variability of CO rate and wind speed and direction in the ANPE station (D).
Figure 9 : Rose de vent et du CO dans le centre-ville de Sfax le 12 août 2004. (Données ANPE)
Wind and CO Rose in the downtown area of Sfax on August 12th 2004. (ANPE data)
3.2.3. La brise marine et le CO à l’échelle du quartier du centre-ville moderne
Le plan en damier du centre-ville moderne favorise la ventilation : dans les rues larges, canalisées et orientées dans le sens de la brise (effet Venturi), la vitesse du vent s’élève à 4 m/s (moyenne sur 2 minutes par point) avec un taux d’humidité relativement élevé et une baisse sensible des températures et des taux de CO (cas de l’avenue Hédi Chaker). La vitesse de la brise de mer est très faible dans les rues orientées parallèlement à la côte comme l’avenue Habib Bourguiba où la dispersion des polluants dans l’atmosphère est plus difficile (Figure 10A). Une variabilité importante du taux de CO est remarquée à l’échelle de la rue. Les facteurs intervenant a priori sont l’intensité du trafic automobile et la vitesse de la brise de mer qui dépend elle-même de la morphologie de la rue (hauteur du bâti, présence d’arbres, largeur de la rue...). Par exemple, dans la rue Haffouz, le taux de CO est de 0,5 ppm près du port commercial où la brise souffle à une vitesse de 4,5 m/s et où le trafic est relativement fluide. Il atteint 8 ppm à l’autre bout de la rue (près de l’immeuble Intilaka) où la brise est freinée par la surface (1,5 m/s) et où le trafic est plus dense (Figure 10 B).
Figure 10 : Spatialisation de la brise de mer, des températures et de l’humidité relative et du CO à l’échelle du quartier européen du centre-ville (A) et de la rue Haffouz (B) (12 août 2004 de 12 h 00 à 12 h 45).
Spatial distribution of sea breeze, temperature, humidity and CO rate in the European quarter of the downtown area (A) and in the Haffouz street (B) (August 12th 2004 between 12:00 pm and 12:45 pm).
4. Conclusion
À Sfax, ville littorale méditerranéenne très polluée, l’industrie est implantée à proximité du centre-ville, au cœur de l’agglomération, et des taux de polluants élevés sont relevés en situation de brise de mer. Durant ces épisodes, le CO se caractérise par une variabilité spatiale importante à l’échelle quotidienne. Les taux les plus élevés sont observés en situation de renverse de brise notamment la nuit, période où les taux relevés à proximité de l’usine du traitement des phosphates dépassent les normes recommandées par l’OMS. À court terme, la réduction des taux imposerait des mesures techniques qui auraient des conséquences économiques importantes pour les industriels, mais une meilleure collaboration avec les services météorologiques permettrait de diminuer les rejets aux heures les plus critiques (entre 21 heures et 2 heures du matin, durant les nuits où la brise est bien installée) sans engendrer de grosses perturbations économiques. D’autant plus qu’entre 2 heures et 5 heures, heures à laquelle la brise et les polluants se dirigent vers la mer, l’activité industrielle a moins d’effet négatif sur la population. Des collaborations de ce type entre industriels et météorologues ont été mises en œuvre dans la région de Marseille-Fos-Berre dans le cadre du programme ESCOMPTE [13], et se sont révélées largement bénéfiques pour les populations qui vivent autour des industries concernées.
En milieu de journée, les conditions du trafic routier expliquent la hausse des taux de CO dans le centre-ville par rapport à la campagne avoisinante. Dans le quartier du centre-ville européen, outre le trafic automobile, variable d’une rue à l’autre, l’orientation des rues par rapport à la brise influence fortement la variabilité spatiale du CO.
Les auteurs tiennent à remercier M. Abdelrahmen Gannoun, Directeur de l’Agence nationale de la protection de l’environnement de Tunisie, qui a fourni les données horaires de pollution. Cette étude est financée par l’UMR 8586 du CNRS (PRODIG).