1.Introduction
La qualité de l’air que nous respirons dans les différents lieux intérieurs est reconnue aujourd’hui comme étant un enjeu de santé publique. Parmi les polluants nocifs pour l’Homme, ceux émis par les fumeurs sont nombreux et, depuis le 1er janvier 2008, en France, il est interdit de fumer dans ces lieux fermés car le tabagisme, qu’il soit actif ou passif, est reconnu comme présentant un danger incontestable1. Outre les cigarettes, une partie de la population, les adolescents et les jeunes adultes en particulier, fument le narguilé2 (la chicha). Le nombre de fumeurs de narguilé est estimé à 100 millions à travers le monde, principalement répartis en Afrique, en Asie et dans le Moyen-Orient. Depuis le début des années 1980, le narguilé est également devenu plus populaire en Europe et en Amérique du Nord, où des émigrants ont apporté cette pratique culturelle et sociale [1].
La consommation de narguilé est devenue préoccupante : en France, un jeune de 16 ans sur deux et sept jeunes sur dix de 18 ans en ont déjà fumé et six étudiants sur dix en consomment, selon le programme européen contre le tabagisme Help (2007). Les bars à chicha fleurissent dans les villes françaises : en 2007, on en comptait environ 800, dont la moitié à Paris, fréquentés par environ 500 000 clients d’après l’Union des professionnels du narguilé (UPN). En outre, de plus en plus de consommateurs achètent un narguilé pour fumer à domicile en particulier parce que, depuis janvier 2008, il est interdit de fumer dans les lieux publics et fermés.
Selon le programme européen contre le tabagisme Help (mai 2007), fumer une chicha « équivaut à fumer deux paquets de cigarettes (en taux de monoxyde de carbone et en microparticules de pollution inhalées) ». De même, rester une heure à côté d’un narguilé équivaut à fumer 6 à 8 cigarettes. Ce danger est ignoré par la plupart des consommateurs qui croient que « cette fumée est douce » [2]. La fumée de narguilé est plus riche en monoxyde de carbone à cause du mode de combustion des charbons utilisés, mais aussi à cause du mode de combustion du tabamel qui se fait à une température plus basse que pour la cigarette, ce qui génère davantage de CO. Le charbon à allumage rapide (auto-allumant), utilisé dans la plupart des bars à chicha parisiens, est fabriqué en mélangeant de la poudre de charbon et différents produits chimiques tels que le nitrate de potassium. Sa combustion peut poser un risque sanitaire supplémentaire car elle dégage des niveaux plus élevés de monoxyde de carbone ainsi que d’autres substances plus dangereuses que le charbon traditionnel [3]. Les conséquences de la consommation de la chicha sont potentiellement inquiétantes. Les effets du CO sont liés essentiellement à sa fixation sur l’hémoglobine, induisant une diminution du transport et de l’utilisation de l’oxygène dans l’organisme. L’Organisation mondiale de la santé conclut dans un rapport que « l’usage du narguilé constitue un risque sanitaire sérieux, aussi bien pour le fumeur actif que pour les autres personnes exposées à la fumée » [4]. À partir d’une étude sur dix-huit tabacs à chicha, l’organisation a conclu que « les informations présentées n’étaient pas conformes à la loi et trompeuses pour les consommateurs » et elle dénonce la croyance selon laquelle la chicha serait relativement inoffensive.
Les nombreux travaux internationaux récents sur la qualité de l’air intérieur portent sur un nombre limité de polluants [5]. Certains d’entre eux ont mis l’accent sur les constituants chimiques de la fumée dégagée par les narguilés et sur leurs impacts sur la santé [2, 6]. La qualité de l’air dans les bars à chicha a été examinée par certains auteurs comme Shihadeh [5], au Liban, qui a mesuré la concentration des aérosols dans l’air après une session de narguilé. D’autres auteurs comme Zahran et al. [8, 9] se sont intéressés au taux de carboxyhémoglobine dans le sang des clients fréquentant les cafés à chicha d’Arabie Saoudite. D’autres travaux aux États-Unis ont porté sur la composition chimique du tabac utilisé dans le narguilé et ses répercussions sur la santé [8, 10]. En France, on recense quelques travaux sur la qualité de l’air intérieur comme l’étude menée par l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI) entre 2003 et 2005 dans plus de 700 logements [5], ou l’étude sur la qualité de l’air intérieur dans 112 immeubles de bureaux de la région parisienne, conduite par le Laboratoire d’hygiène de la ville de Paris (LHVP) entre 1986 et 1991, qui a, en partie, examiné les teneurs en CO dans les bureaux en fonction de la présence ou non de fumeurs [11].
L’objectif principal du présent travail est de quantifier les concentrations en monoxyde de carbone – l’un des polluants dangereux induits par l’utilisation de la chicha [3, 12] – dans certains bars parisiens et d’étudier la variabilité de ces valeurs en fonction de la fréquentation et de la ventilation de l’espace.
2. Matériel et méthode
Le CO est l’un des polluants les plus rencontrés dans les lieux fermés : 80 % de l’exposition individuelle quotidienne au CO s’effectue dans des lieux clos [13]. D’une part, les principales sources d’émission de CO sont liées aux activités humaines, dès lors qu’il existe une combustion incomplète de matières carbonées. Le tabac est donc l’une des sources de ce gaz : les concentrations moyennes en CO sont plus élevées dans les environnements fumeurs que dans les environnements non-fumeurs [14]. D’autre part, ce gaz est un polluant dangereux lorsqu’un individu y est exposé sur des périodes de temps suffisamment longues : « à forte concentration, le CO engendre des effets cardio-vasculaires, neuro-comportementaux (atteinte de la vigilance), sensoriels (altération de la vision), hématologiques et fœtaux pouvant entraîner l’asphyxie » [15]. Enfin, le CO a été choisi parce que sa mesure avec des capteurs portables est relativement fiable et facile à réaliser.
Vingt séries de mesures de la concentration en CO ont été réalisées, du 15 mars au 30 mai 2007, dans quatre bars à chicha situés à Paris intra muros (3 jeudis et 3 samedis pour le bar numéro 1, 2 samedis et 2 jeudis pour le bar numéro 2, 3 samedis, 2 jeudis et 1 mercredi pour le bar numéro 3 et 2 samedis et 2 jeudis pour le bar numéro 4) (Figure 1). Les quatre sites de mesure (bars) choisis sont des lieux très fréquentés de Paris, mais ils se distinguent les uns des autres par des possibilités de ventilation différentes. Les consommateurs de ces bars utilisent le même produit (chicha de grande taille allumée par des pastilles de charbon auto-allumant) et on y trouve également des consommateurs, généralement peu nombreux, fumant des cigarettes et ceux-ci n’ont pas été comptabilisés. Les teneurs en CO sont mesurées simultanément par deux capteurs portables de type Testo préprogrammés pour effectuer un enregistrement toutes les trente secondes, durant trois heures successives (de 21 h 30 à 0 h 30). La réponse des capteurs est quasi instantanée. L’étalonnage du capteur est validé par comparaison avec les mesures d’une station « trafic » du réseau de surveillance de la qualité de l’air de la ville de Paris (AIRPARIF). La fréquentation des lieux est évaluée à partir du comptage3 du nombre de chichas consommées durant la période de mesure. Les capteurs de CO sont couplés à des anémomètres à hélices sensibles qui enregistrent les faibles mouvements de l’air (à partir de 0,1 m/s). Ces derniers capteurs permettent de qualifier le brassage de l’air ; nous les considérons comme représentatifs de la ventilation sur les lieux de mesures.
Les deux sondes (CO et anémomètre) sont placées à la hauteur de l’appareil respiratoire. Un deuxième capteur de CO a été utilisé simultanément afin de mettre en évidence la variabilité spatiale de ce gaz en fonction de l’éloignement de la source d’émission (voir plus loin).
À titre de comparaison avec d’autres types de lieux, d’autres campagnes de mesures des teneurs en CO ont été réalisées avec le même matériel et le même protocole. Une campagne a été réalisée à Sfax en Tunisie (les 15, 16 et 17 avril) où la chicha est fumée dans des lieux nettement plus ventilés (grandes baies ouvertes pour profiter de la brise de mer). Une série de mesures a aussi été réalisée à Paris (les 27, 28 et 29 mai), dans une petite pièce d’une maison privée avec fenêtre fermée (9 m2, taille moyenne d’une chambre d’étudiant), afin d’avoir un élément de comparaison avec les lieux publics. On rappelle qu’en France, la chicha est interdite dans les lieux publics et fermés depuis janvier 2008.
Figure 1. Superficie approximative et possibilité de ventilation naturelle dans les quatre bars à chicha parisiens instrumentés.
Approximate area and natural ventilation in the four Paris chicha bars monitored.
3. Résultats et discussion
3.1. Des teneurs en CO relativement élevées et variables selon la fréquentation des bars
3.1.1. Des teneurs relativement élevées…
Plusieurs travaux montrent que les teneurs en CO mesurées dans les bars à chicha sont relativement élevées [4, 16, 17]. Ces études, basées essentiellement sur une comparaison avec les émissions dues aux cigarettes, montrent quelques disparités : d’après l’OMS [4], une séance d’un fumeur de narguilé peut l’exposer à un volume de fumée correspondant à celui émis par un nombre de cigarettes compris entre 40 et 100. D’autres mesures montrent que l’augmentation du monoxyde de carbone expiré à la fin d’une session de chicha est équivalente à celle observée lors de la consommation de 30 à 40 cigarettes [17]. Thomas Eissenberg, Professeur de psychologie à l’Université de Virginia Commonwealth, écrit qu’une session durant approximativement 45 minutes délivre 15 fois plus de monoxyde de carbone, qu’une seule cigarette [16]. Au-delà des divergences entre ces résultats, qui traduisent surtout des protocoles de mesure hétérogènes, il apparaît que dans tous les cas la chicha est à l’origine d’une forte pollution au CO. Les vingt « campagnes » de mesures effectuées à Paris montrent des teneurs en CO relativement élevées. La moyenne horaire mesurée dans les quatre bars avoisine 14 ppm. Cette valeur est plus élevée que celles enregistrées dans la plupart des autres lieux de vie. Par exemple, les mesures effectuées par le Laboratoire central de la Préfecture de police (LCPP) pour une dizaine de sites occupés par des fumeurs de cigarettes (logements, bureaux) ont conduit à mesurer des teneurs horaires en CO de l’ordre de 2,6 ppm [13]. Selon la campagne nationale « Logements » de l’OQAI en 2006 [13], les moyennes horaires dans les pièces de vie et les pièces de service atteignent respectivement 2 et 3,7 ppm. Parmi les arguments expliquant aussi les teneurs élevées en CO, il y a le fait que la concentration plus réduite de nicotine dans la fumée issue des narguilés incite plus facilement les fumeurs à inhaler et expirer plus de fumée. Ainsi, les fumeurs sont exposés à une quantité de CO plus élevée que si la nicotine n’était pas absorbée par l’eau [17].
Le CO est de loin le principal polluant dégagé par la chicha, bien que des taux élevés d’aérosols soient également enregistrés. En effet, selon Hauffmann et Hauffmann [18] , les taux de chrome et de plomb émis durant une session standard de chicha (100 bouffées de fumée) sont de l’ordre de 1 340 et 6 870 ng soit, respectivement, 36 et 114 fois plus qu’une cigarette [18]. Nous ajoutons qu’une session de chicha, durant approximativement 50 minutes, délivre 36 fois plus de goudron et 70 % de nicotine en plus qu’une seule cigarette [16]. En outre, la fumée du charbon utilisé pour faire brûler le tabac a également un impact sur la santé : les charbons produisent, en plus du CO, des métaux et des substances cancérigènes [4]. De plus, selon l’OMS, le passage du tuyau d’une bouche à l’autre peut également favoriser la transmission de maladies contagieuses, comme la tuberculose ou l’hépatite.
3.1.2. …et variables dans le temps
Les vingt campagnes de mesure réalisées dans les quatre bars à chicha montrent aussi que, pour un même établissement, les teneurs en CO varient aussi fortement selon la fréquentation des lieux. Par exemple, les teneurs les plus élevées ont été observées le samedi 12 mai (moyenne 25 ppm/h) dans une cave en sous-sol (site de mesure numéro 1, Figure 1). Ce soir-là, une trentaine de narguilés ont été consommés entre 21 h 30 et 0 h 30 contre dix le jeudi 10 mai 2007 (moyenne 12 ppm/h). Les valeurs maximales instantanées ont dépassé 40 ppm le samedi soir alors qu’elles n’atteignaient pas 20 ppm le jeudi soir (Figure 2).
Les mesures réalisées dans les trois autres bars montrent la même tendance : les teneurs en CO sont fortement dépendantes du nombre de chichas consommées. Les valeurs moyennes observées (entre 21 h 30 et 0 h 30) durant 10 samedis représentent environ le double des concentrations moyennes relevées au cours des 9 jeudis (Tableau 1).
SAMEDI |
JEUDI |
|||||
Caractéristiques |
Moyenne (/h) |
Valeur maximale |
Nombre de chichas consommées |
Moyenne (/h) |
Valeur maximale |
Nombre de chichas consommées |
Sous-sol (20 m2) |
24 |
41 |
32 |
13 |
20 |
11 |
Salle sans fenêtre (30 m2) |
17 |
30 |
41 |
10 |
18 |
13 |
Salle avec fenêtres (30 m2) |
12 |
25 |
42 |
5 |
14 |
13 |
Salle sans fenêtres (15 m2) |
22 |
36 |
27 |
11 |
23 |
8 |
Figure 2. Teneurs horaires moyennes en CO et valeurs maximales instantanées enregistrées dans le bar n° 1 de 21 h 30 à 0 h 30 le jeudi 10 et le samedi 12 mai 2007 (moyenne horaire calculée à partir des valeurs enregistrées toutes les 30 secondes).
Hourly average CO concentrations and maximum instant values in bar n° 1 from 21.30 pm to 00.30 am on Thursday 10 and Saturday 12 of may 2007 (hourly averages calculated from every 30 second values).
Tableau 2. Valeurs guides sanitaires de qualité d’air intérieur pour différentes durées d’exposition au CO [13]. (1 ppm = 1 160 g/m3 à 20 °C).
Sanitary guide values of indoor air quality for different CO exposure times [13]. (1 ppm = 1 160 g/m3 at 20 °C).
Polluant/ durée d’exposition |
10-15 mn |
30 mn |
1 heure |
8 heures |
CO (g/m3) |
100 000 |
60 000 |
30 000 |
10 000 |
CO (ppm) |
86 |
50 |
25 |
8,5 |
Durant certaines soirées de la semaine, correspondant aux dates des grands matchs de football par exemple, les bars sont fréquentés par une clientèle relativement nombreuse. Durant la soirée du mercredi 23 mai, tout comme le samedi suivant, les teneurs horaires moyennes mesurées dépassent légèrement les valeurs guides de qualité de l’air préconisées par l’OMS [19] et l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail4 [13], soit 25 ppm/h (Tableau 2).
3.2. Ventilation de l'air et teneurs en CO
Les teneurs en CO varient aussi au cours d’une même session de chicha selon la ventilation du lieu et l’éloignement de la source d’émission.
3.2.1. Les teneurs en CO baissent lorsque les lieux sont bien ventilés
La pollution de l’air est étroitement liée à la nature et à la proximité des sources d’émission et elle est aussi en relation avec la ventilation mécanique et/ou naturelle de l’espace qui détermine les conditions de diffusion et d’élimination des polluants [20]. Ici, le brassage de l’air est évalué à partir de mesures de la vitesse du vent par anémomètre, que nous supposons représentatif de la ventilation naturelle de la pièce.
Nous avons relevé les teneurs en CO les plus élevées le soir du samedi (environ 25 ppm/h) dans une cave en sous-sol caractérisée par une ventilation médiocre qui empêche l’évacuation de l’air. À l’opposé, la teneur horaire moyenne en CO la plus faible a été relevée dans une salle aérée par trois fenêtres ouvertes (bar numéro 3). Dans cette dernière salle, les concentrations horaires moyennes n’ont pas dépassé 12 ppm le samedi (42 chichas) et 5 ppm le jeudi (13 chichas).
En absence d’une bonne évacuation, la variation temporelle des teneurs en CO (mesurée selon un pas de temps de 30 secondes) est faible, comme cela a été observé dans le deuxième bar le 7 avril 2007 entre 22 h et 23 h (Figure 3). Cependant, les concentrations de CO varient considérablement d’un instant à l’autre en présence d’une ventilation naturelle (exemple du troisième bar avec les fenêtres ouvertes le 14 avril 2007 entre 22 h et 23 h). Durant cette soirée, exceptionnellement chaude (23 °C à 22 h à la station de Paris Montsouris ; Infoclimat, 2007), les teneurs en CO ont oscillé entre 1 et 19 ppm avec un coefficient de variation de 58 % (Figure 3). Les nombreuses variations des teneurs en CO dans ce bar correspondent à l’advection d’un courant d’air qui se traduit par une hausse de la vitesse du vent qui atteint épisodiquement 2,5 m/s à environ un mètre au-dessus du parquet.
Les mesures réalisées durant le printemps 2007 dans des cafés à chicha de Sfax, sur le littoral tunisien, ont donné des concentrations de CO nettement moins élevées qu’à Paris car les lieux sont plus ventilés (doubles portes, fenêtres ouvertes et présence d’une brise marine, avec vitesse autour de 2-3 m/s quasi permanente). Les teneurs en CO horaires moyennes n’ont pas dépassé 8 ppm pour un nombre de chichas consommées supérieur (une trentaine en moyenne). Cette forte différence entre les bars de Paris et de Sfax s’explique, d’une part par des conditions de ventilation différentes, et d’autre part par l’utilisation de combustible également différent. À Sfax, du charbon naturel est utilisé pour les chichas. Ce type de charbon dégage moins de CO que l’auto-allumant5 utilisé dans la plupart des bars à chicha à Paris, comme signalé précédemment.
Figure 4. Variation des teneurs en CO selon la distance par rapport au narguilé (mesures instantanées réalisées dans le bar n° 4 à Paris, de 23 h à 00 h).
CO concentration variation according to distance to chichi (instant measurements made in bars n° 4 in Paris from 23.00 pm to 00.00).
3.2.2. Les teneurs en CO baissent en s’éloignant des chichas
Les valeurs de CO rapportées jusqu’à présent dans cet article sont enregistrées à proximité des chichas (à environ 0,5 m du narguilé). Une variabilité spatiale des teneurs en CO est remarquée à l’intérieur d’un même bar en fonction de l’éloignement par rapport aux fumeurs. Les samedis, les bars à chicha sont très fréquentés et il est difficile d’avoir un endroit éloigné des narguilés. Les campagnes de mesure, pour mettre en évidence la relation entre la concentration de CO et la proximité des chichas, ont donc été réalisées durant les autres jours de la semaine. Un premier capteur a été placé près du narguilé (environ 50 cm) et un autre à environ 3 m des sources d’émissions. Les teneurs en CO baissent de moitié d’après les mesures enregistrées par le capteur situé à distance du narguilé. Par exemple, les mesures réalisées dans le quatrième bar à chicha (n° 4) entre 23 h et minuit le 26 avril 2007 montrent que la moyenne des concentrations en CO est d’environ 11 ppm à proximité de la chicha alors qu’elle ne dépasse pas 6 ppm à 3 m (Figure 4).
Les propriétés physiques du monoxyde de carbone, notamment sa densité et le fait qu’il soit émis à température élevée, font qu’il diffuse très facilement, de sorte que sa concentration dans l’atmosphère diminue rapidement dès que l’on s’éloigne de la source [13].
3.3. Usage de la chicha et concentration en CO dans des lieux privés et fermés
Les risques demeurent pour les usages privés qui pourraient se développer d’avantage en réponse à l’interdiction de fumer dans les lieux publics. D’après une expérience réalisée dans une pièce de 9 m2 sans ventilation et avec fenêtre fermée (taille d’une chambre d’étudiant), une session d’environ 70 mn avec un seul narguilé partagé par trois fumeurs a engendré une teneur moyenne de 10 ppm. Après la consommation de la chicha, les concentrations de CO baissent progressivement, puis se stabilisent vers 2 ppm une heure après son extinction (Figure 5). Fumer à domicile peut exposer certaines personnes plus sensibles aux concentrations élevées de CO produit par la chicha. La population susceptible comprend les personnes présentant des pathologies cardio-vasculaires, les enfants, les femmes enceintes, les personnes présentant des pathologies pulmonaires obstructives, les personnes souffrant d’anémies ou d’hémoglobinopathies et les fumeurs.
Figure 5. Teneur en CO durant et après une session de chicha dans une pièce de 9 m2 (fenêtre fermée).
CO concentration during and after a chicha session in a 9 m2 room (closed window).
4. Conclusion
Cette étude a été réalisée avec un protocole simple qui a permis de multiplier les points de mesures dans des conditions correspondant à la réalité de ce qui est respiré par les consommateurs assis autour d’une chicha. Cette consommation peut être à l’origine d’une source importante de pollution au CO, que ce soit pour le fumeur ou pour les autres usagers des lieux de consommation. Lors des campagnes de mesures réalisées à Paris, nous avons constaté que le seuil de 25 ppm/heure de CO était parfois dépassé, à 50 cm des chichas (emplacement des consommateurs assis). Les teneurs en CO les plus élevées sont enregistrées dans les locaux clos et mal ventilés et les concentrations maximales sont mesurées les jours de grande fréquentation. Une bonne ventilation dans les espaces où l’on fume la chicha s’avère efficace, elle permet d’évacuer l’air et de réduire les niveaux de CO.
En France, la consommation de chicha est interdite dans les bars et les cafés depuis le 1er janvier 2008 et les adeptes la consomment dans d’autres lieux (chambre d’étudiant, appartement…), ce qui peut avoir des conséquences encore plus dommageables sur la santé des sujets fragiles (enfants, femmes enceintes, personnes âgées…) qui peuvent cohabiter dans ces lieux surtout lorsqu’ils sont, eux aussi, mal ventilés.