Contexte et objectifs
La surveillance des odeurs
Les nuisances olfactives, une préoccupation au quotidien pour les populations
Les nuisances olfactives suscitent de nombreuses plaintes de la part des populations. C’est un sujet de préoccupation qui touche de près la qualité de vie. Dans la région de l’étang de Berre, l’Association agréée pour la surveillance de la qualité de l’air (AIRFOBEP) a mis en place un dispositif de surveillance des nuisances olfactives. Cette surveillance des odeurs* fait partie d’une démarche globale, initiée par l’État, pour réduire les nuisances olfactives.
Des outils de surveillance pertinents grâce à l’engagement des riverains
La surveillance des nuisances olfactives est faite essentiellement grâce à deux outils :
• Les jurys de nez bénévoles : constitué de riverains, le jury de nez participe à des campagnes d’observations. Au cours de ces campagnes, chaque « nez » consigne, à des moments précis de la journée, ses observations olfactives : perçoit-il une odeur ? Est-elle gênante ? Comment la caractériser ?
• Le recensement des plaintes des riverains : un numéro vert gratuit est à la disposition des riverains pour signaler les odeurs gênantes. Lors d’épisodes d’odeurs gênantes, les riverains font part de leurs observations concernant cette gêne. Ces observations « spontanées » ou plaintes sont enregistrées de façon systématique.
ODOTRACE, un outil d’aide à la décision
Identifier les zones dans lesquelles les riverains sont gênés par les nuisances olfactives est l’objectif premier de la surveillance des odeurs. Ce travail de constat est complété par un travail d’investigation dont le but est de localiser les zones probables d’émission des odeurs. Cette investigation est rendue possible grâce à ODOTRACE, un outil développé par AIRFOBEP. ODOTRACE permet de suivre la trace de l’odeur et de remonter à sa zone d’émission. Pour ce faire, il croise les données des observations et les données météorologiques.
Lʼopération Nez1 électronique
Un système d’alerte pour gérer la nuisance des riverains
AIRFOBEP a mené une opération pilote pour expérimenter l’utilisation des nez électroniques comme un outil de surveillance de la gêne olfactive.
L’objectif de cette opération est de réaliser un système d’alerte à la nuisance olfactive. Ce système utilise un réseau de nez électroniques. La validation de son fonctionnement s’appuie sur les observations olfactives des riverains.
Par rapport aux autres outils de surveillance, le nez électronique permet la mesure d’un niveau d’odeur.
Grâce à cette information, le système d’alerte doit permettre :
• La réduction des mauvaises odeurs en aidant à la recherche des sources.
• La gestion de la nuisance liée à ces mauvaises odeurs grâce à l’alerte en cas d’occurrence probable d’une gêne olfactive.
• La quantification factuelle de l’évolution temporelle du niveau d’odeur dans une zone, suite à des actions de réduction des odeurs, par exemple.
L’opération cherche à répondre à la question :
« Les systèmes de réseaux de nez électroniques peuvent-ils être utilisés comme un moyen d’alerte pour les nuisances olfactives des riverains ? ».
Ces systèmes pourraient être utilisés par les exploitants des sites à l’origine des nuisances olfactives.
1. Introduction
Genèse de lʼopération Nez électroniques de Lançon-de-Provence
Un site approprié : le site choisi pour l’opération est le Val-de-Sibourg. Un quartier de la commune de Lançon-de-Provence où les riverains se plaignent régulièrement de mauvaises odeurs provenant d’un centre d’enfouissement technique (CET) et de compostage situé dans le voisinage.
Le site a été choisi parce qu’il représentait un « cas d’étude » simple. Ainsi, le site est éloigné des grandes sources industrielles de la zone de l’étang de Berre. La source principale d’odeurs est celle concernée par l’opération : le CET, et les riverains impactés sont les habitants du quartier du Val-de-Sibourg d’où sont issus les nez bénévoles.
Un partenariat qui garantit le bon déroulement de l’opération : le bon fonctionnement de cette opération passe par la participation des différents acteurs impliqués dans la gestion des nuisances olfactives :
• les riverains : la définition générale de la situation olfactive se fait grâce à la participation des riverains. C’est aussi parmi ces derniers qu’un jury de nez bénévoles est constitué pour observer le niveau de la gêne olfactive au cours de l’opération pilote ;
• l’exploitant : la participation de l’exploitant de l’installation source d’odeurs est primordiale pour la réussite de l’opération. En effet, le nez électronique doit être installé à proximité, voire à l’intérieur de l’enceinte de l’exploitation. Son étalonnage nécessite des informations sur les caractéristiques de l’odeur à surveiller, que seul l’exploitant est à même de fournir avec précision ;
• le service de l’État et la collectivité locale : le service de l’État (DRIRE2) et la commune sont les représentants de l’administration de contrôle et des riverains. Par leur participation à l’opération, ils garantissent son bénéfice pour l’intérêt général.
Figure 1. Centre d’enfouissement technique (CET) et de compostage. Vue sur les andains : tas en attente de traitement.
Landfill and composting site. Landscape.
2. Moyens et méthodes
Trois types de moyens sont mis en œuvre dans cette opération pilote :
• le jury de « nez » : les nez bénévoles réalisent des observations olfactives qui peuvent être croisées avec la mesure des nez électroniques et les résultats de la modélisation ;
• les nez électroniques : étalonné pour quantifier l’odeur en terme d’unité odeur par mètre cube (selon la norme EN 13725), le nez électronique fournit en temps réel la concentration d’odeur sur le site où il est placé ;
• la modélisation : elle permet la simulation de la dispersion des odeurs mesurées par le nez électronique et la distribution spatio-temporelle des niveaux d’odeur.
2.1. Le jury de nez bénévoles
Campagne d’information et de recrutement : la mise en place du jury de nez bénévoles a été réalisée en partenariat avec la mairie de Lançon-de-Provence et le CIQ3 du Val-de-Sibourg. Le public a été informé de la mise en œuvre d’une campagne de surveillance des odeurs par trois moyens :
• campagne d’affichage et mise à disposition de tracts dans la mairie annexe du Val-de-Sibourg ;
• distribution de tracts dans les boîtes aux lettres des riverains par le CIQ ;
• présentation du projet lors de la CLIS4.
Le recrutement des nez est fait sur la base du volontariat. Les personnes retenues s’engagent à réaliser les observations de façon très régulière et selon un planning préalablement défini.
Dix-neuf personnes se sont portées volontaires pour devenir nez bénévoles et participer à l’opération.
À l’échelle du quartier concerné par l’opération, les 19 personnes forment un échantillon représentatif des habitants.
Les nez bénévoles signalent au cours de leurs observations s’ils perçoivent ou non une odeur et indiquent le niveau de gêne que cette odeur peut causer. Pour ce fait, ils sont formés pour que l’ensemble du jury soit cohérent dans ses observations quant :
• aux origines des odeurs à signaler ;
• à la classification des odeurs perçues sur l’échelle des niveaux de gêne.
Les nez bénévoles sont donc formés pour une échelle de gêne et non une échelle d’odeur.
2.1.1. Rôle du jury de nez
Le rôle du jury consiste à effectuer des observations olfactives sur des périodes définies : observations dirigées. En dehors de ces périodes, le jury peut également faire des observations en cas de gêne : observations spontanées (ou plaintes).
2.1.2. Démarche mise en œuvre pour les observations dirigées
Les nez bénévoles reçoivent au cours de l’opération des fascicules d’observations. Il s’agit d’un ensemble de grilles d’information à remplir à des dates bien précises. À l’aide de son fascicule, l’observateur procède en quatre étapes :
• l’observateur doit indiquer l’heure à laquelle est faite son observation d’odeurs ;
• il précise si oui ou non cette observation a donné lieu à la perception d’une odeur ;
• l’observateur peut indiquer le niveau de gêne de l’odeur perçue. Quatre niveaux de gêne sont possibles : odeur pas gênante, peu gênante, gênante ou très gênante ;
• l’observateur note quelle pourrait être l’origine probable de cette odeur.
Quatre origines probables ont été répertoriées avec les riverains à partir de leur vécu dans le quartier :
• traitement des déchets (odeurs provenant du CET) : compostage, décharge, traitement des boues ;
• industrie : pôle pétrochimique de Berre, industrie du papier (Tarascon) ;
• circulation : odeurs émises par les pots d’échappement des véhicules ;
• autres : cuisson, station d’épuration, feux…
L’observateur peut compléter ses observations par des commentaires concernant l’apparentement de l’odeur perçue, la météo lors de l’observation, etc.
2.1.3. Observation d’odeurs en dehors de la période (observations spontanées ou plainte)
L’observateur peut utiliser des grilles de son fascicule, fourni sans date prédéfinie ou alors appeler le numéro vert mis à sa disposition. Dans les deux cas, il doit fournir les mêmes informations que pour les observations dirigées (listées ci-dessus).
Les 19 observateurs (nez bénévoles) sont répartis dans le quartier du Val-de-Sibourg (14 personnes) et dans la partie nord et nord-ouest du domaine d’étude (Figure 2). Cette répartition constitue une très bonne couverture des zones habitées.
Figure 2. Localisation du jury de nez bénévoles.
Localization of the residents committee.
2.2. Le réseau de nez électroniques
Le principe des nez électroniques et le système ODOWATCH : le système de nez électroniques utilisé est constitué de trois éléments :
• un ou plusieurs nez électroniques OdoNose™. Ces nez sont déployés stratégiquement près des sources d’émissions de composés odorants, de façon à caractériser (quantifier) les émissions ;
• une tour météorologique ;
• une plate-forme de modélisation de la dispersion des odeurs.
Les nez électroniques (NE) sont étalonnés avec des échantillons prélevés sur le terrain et analysés par olfactométrie à dilution dynamique, selon la norme européenne EN 13725. Par la suite, ces nez électroniques reconnaissent et « quantifient » en unités odeur (u.o./m3) les odeurs émises par le site. En couplant les données reçues de la tour météo avec celles envoyées par les NE, le système modélise la dispersion atmosphérique des odeurs et détermine les concentrations d’odeurs dans l’environnement.
2.2.1. Détermination des sources principales d’odeurs
Un diagnostic odeur permet d’identifier et de quantifier chacune des sources d’odeurs du site. Il permet d’évaluer rapidement l’importance relative de chacune des sources. Il est entendu que les émissions des sources fluctuent, mais le diagnostic odeur permet de faire une première appréciation de la hiérarchisation de celles-ci sur le site industriel. Le diagnostic odeur se déroule selon les étapes suivantes :
• détermination des points sources (en collaboration avec l’exploitant) ;
• prélèvement des effluents et analyses par olfactométrie des échantillons prélevés ;
• traitement des résultats et hiérarchisation des sources.
Figure 3. Photo OdoNose™.
OdoNose™ photo.
Dans le cas du site de Lançon-de-Provence, quatre sources d’odeurs ont été identifiées :
• andains du centre de compostage ;
• front d’enfouissement des déchets ménagers ;
• front d’enfouissement des boues stabilisées ;
• biogaz produit par le site.
Cinq points d’échantillonnage représentatifs de ces sources ont fait l’objet de mesures :
• un andain en zone de fermentation avant retournement ;
• un andain en zone de fermentation une heure après retournement ;
• le front d’enfouissement des déchets ménagers ;
• le front d’enfouissement des boues ;
• le biogaz collecté en amont de la torchère.
Un échantillon d’odeur a été prélevé pour chacun de ces points. La nature surfacique des quatre premières sources a nécessité l’utilisation d’une chambre de flux dynamique [3]. Le biogaz collecté en amont de la torchère a été échantillonné à la sortie de celle-ci.
Figure 4.Le système ODOWATCH.
ODOWATCH system.
Les échantillons ont été analysés selon la norme EN 13725 (Tableau 1).
Il est possible, au regard des concentrations des échantillons, de calculer les débits d’odeur de chacune des sources. Le calcul fait intervenir le débit de l’effluent par la concentration d’odeur. Dans le cas d’un prélèvement en chambre de flux dynamique, il faut tenir compte du flux d’air synthétique envoyé dans la chambre (égal au flux d’air prélevé).
Les deux premières sources constituent l’essentiel de la production d’odeur. On note que le retournement des andains peut produire une émission olfactive du même ordre de grandeur que le reste du site de compostage. Quant au site d’enfouissement, sa production semble relativement faible.
L’examen du résultat du diagnostic montre que le site de compostage constitue à lui seul les neuf-dixièmes des émissions d’odeur des deux sites. Cet examen a été mené sur les cinq sources susceptibles d’être analysées et ne tient pas compte de toutes les pertes diffuses et des sources mobiles (camions).
2.2.2. Installation du réseau de nez électroniques
Le système ODOWATCH® implanté sur le site d’ORTEC est constitué de trois nez électroniques, une station météorologique et une centrale de commande.
Figure 5. Hiérarchisation des sources. Représentation des débits d’odeur en pourcentage de la globalité.
Importance of odour sources.
Nez électroniques : Ils ont été positionnés en considérant les résultats du diagnostic odeurs (Figure 6).
• Le nez électronique numéro 2 est positionné au niveau du bassin de récupération des eaux de lixiviation du centre d’enfouissement technique. Il permet de suivre l’odeur de déchets frais.
• Le nez électronique numéro 4 a été placé en bordure de la zone de compostage des boues pour faire le suivi de l’odeur des andains de compostage.
• Le nez électronique numéro 3 est situé sur une butte entre le centre d’enfouissement technique et la zone de compostage. Ce nez électronique permet de faire le suivi des deux odeurs, andains de compostage et déchets ménagers, selon la direction du vent.
Station météorologique : La station météorologique se situe sur la butte, au sommet d’un mât. Cette station météorologique permet d’avoir une mesure locale des paramètres météorologiques du site.
Le PC informatique : Il inclut la centrale de commande et la plate-forme de modélisation. Ce PC est situé dans l’un des bâtiments administratifs à l’entrée du site. L’antenne de réception est située à proximité.
La distance, par rapport à la source, à laquelle est positionné un nez électronique est tributaire de sa capacité à détecter l’odeur diluée. L’odeur se doit d’être suffisamment concentrée pour que les lectures du nez électronique ne soient pas perturbées par des sources d’odeurs extérieures à la source. Il est donc toujours nécessaire de positionner le nez électronique le plus proche possible de la source, idéalement en son centre ou sur une canalisation de celle-ci.
Dans le cadre de ce projet, les sources d’odeurs étaient toutes à ciel ouvert et de grande étendue. De plus, il était impossible de positionner les nez électroniques au centre des sources à cause des activités du site : retournement des andains, enfouissement des déchets, etc.
Tableau 1. Résultats des analyses des échantillons prélevés lors du diagnostic odeurs.
Diagnostic results : Odour samples analysis.
Échantillon |
Concentration odeur (u.o./m3) |
Déviation standard |
Débit surfacique m3/h.m2 |
Surface (m2) |
Débit (m3/h) |
Débit odeur (Mu.o./h) |
1 Andain non retourné |
6 300 |
0,21 |
3 |
5 200 |
15 600 |
98,3 |
2 Andain 1 h après retournement |
28 100 |
0,25 |
3 |
800* |
2 400 |
67,4 |
3 Front OM |
2 700 |
0,17 |
3 |
1 000 |
3 000 |
8,1 |
4 Front boues |
4 500 |
0,31 |
3 |
500 |
1 500 |
6,7 |
5 Biogaz** |
80 000 |
0,16 |
– |
- |
450 |
0,36 |
* Il a été considéré 5 retournements par semaine pour les 38 andains en totalité (22 en fermentation + 16 en maturation).
** Il a été appliqué un abattement de 99 % en sortie de torchère.
Des modélisations ont été effectuées pour déterminer les zones idéales de positionnement des nez électroniques. Le but est qu’à tout moment la concentration d’odeur au niveau des nez soit suffisamment élevée pour être détectée sans perturbation. Les distances maximales entre un NE et la source à mesurer sont : 30 mètres pour le NE2, 175 mètres pour le NE3, et 35 mètres pour le NE4. Les nez électroniques ont été positionnés à des distances inférieures à ces valeurs afin de s’assurer des mesures de qualités.
Il est à noter que le démarrage du système a connu quelques contraintes liées :
• à la connexion Internet : pour des raisons liées au site, une connexion par satellite a été mise en place ;
• aux incidents (coupure électrique et vent violent) : fonctionnement intermittent des nez électroniques.
En dehors de ces difficultés, le système a fonctionné de manière opérationnelle tout au long de l’opération.
2.3. Modélisation [4]
Le système ODOWATCH utilise un modèle de dispersion atmosphérique de type gaussien amélioré. Le modèle utilisé intègre également un module de Gifford. Ce dernier tient compte spécifiquement des mécanismes propres à la perception des odeurs en air ambiant.
La modélisation de la dispersion atmosphérique des odeurs est nécessaire pour effectuer le lien entre l’émission d’odeurs à la source et les niveaux perçus à l’immission en air ambiant. Les modèles employés intégreront les caractéristiques des sources d’émissions, du milieu récepteur ainsi que des conditions météorologiques pour calculer une concentration d’odeur en air ambiant à un point géographique donné.
Il existe actuellement plusieurs outils de modélisation de la dispersion atmosphérique des polluants. Ces outils sont généralement basés sur le modèle gaussien. Afin d’effectuer une modélisation adéquate des odeurs, il est essentiel d’utiliser des modèles intégrant la perception réelle des odeurs. Plusieurs travaux ont été effectués à l’École Polytechnique de Montréal en collaboration avec l’Université catholique de Louvain en Belgique dans ce domaine pour développer des modèles spécifiques aux odeurs.
Pour l’étude de la dispersion des odeurs, le choix du modèle à utiliser doit répondre à certains critères :
• prendre en considération les fluctuations de concentration causées par les tourbillons de turbulence ou « eddies ». Ceux-ci apportent des bouffées d’air pouvant contenir des pointes de concentration et causer la perception d’une odeur, ceci bien que la concentration moyenne soit en deçà du seuil de perception olfactif ;
• pouvoir effectuer des estimations de concentration avec les informations météorologiques normalement mesurées dans les postes météorologiques : vitesse du vent, direction du vent, température et un moyen pour estimer le niveau de la turbulence (soit profil de température, variation du vent ou insolation) ;
• posséder une assez grande latitude dans les types de sources modélisables ;
• couvrir la superficie qui peut être affectée par les composés odorants (jusqu’à 5 km).
Le modèle utilisé par ODOWATCH, intègre bien entendu tous ces éléments.
Figure 6. Localisation du système ODOWATCH sur le site.
ODOWATCH system localization.
3. Résultats
3.1.Les observations du jury de nez bénévoles
3.1.1. Les campagnes d’observations des nez bénévoles
Les campagnes d’observation liées à cette opération se sont déroulées entre le mois de juin 2006 et le mois de février 2007. Pour chaque campagne, les nez bénévoles reçoivent, dix jours avant le début de la campagne, un fascicule d’observations à compléter.
La fréquence d’observation est de deux semaines par mois. En dehors des semaines d’observation dirigées (jours et créneaux horaires définis), les nez bénévoles ont la possibilité d’émettre des observations spontanées (plaintes).
Plus de 2 400 observations ont été effectuées par les 19 nez bénévoles mobilisés au cours de l’opération (Figure 8).
Les nez bénévoles ont attribué 60 % des odeurs perçues aux activités du CET. Les odeurs provenant du CET sont classées dans la catégorie « traitement des déchets » (Figure 9).
Figure 7. Exemple de modélisation de la dispersion des odeurs en direction du quartier de Val-de-Sibourg.
Odours dispersion modeling example.
Tableau 2. Résultats de la validation de l’entraînement des nez électroniques.
E-nose training validation.
Odeur |
Pente |
R2 |
EQMR |
Compost (NE4) |
0,997 |
0,998 |
1,54 % |
Déchets (NE3) |
0,994 |
0,995 |
2,05 % |
Déchets (NE2) |
1,003 |
0,998 |
1,23 % |
Boues (NE3) |
0,991 |
0,995 |
2,04 % |
Figure 9. Les origines des odeurs perçues. /
Odours origins.
3.1.2. Le taux de perception des odeurs
Le taux de perception moyen au cours de cette opération a été de 14 %, c’est-à-dire que plus d’une observation sur dix a donné lieu à la perception d’une odeur (Figure 10).
3.1.3. Homogénéité des observations
Lorsque plusieurs nez bénévoles réalisent simultanément (à la même heure) une observation, il y a
« consensus » sur le résultat. Ceci est vrai qu’il y ait ou non perception d’odeurs.
Le consensus sur le résultat des observations simultanées des nez bénévoles est en moyenne de 96 % lorsqu’aucune odeur n’est perçue et 83 % dans le cas de la perception d’une mauvaise odeur (Figure 11).
En conclusion, un jury de nez représentatif a pu être mobilisé tout au long de l’opération.
L’analyse globale et fine des campagnes d’observation démontre la représentativité et l’homogénéité des données obtenues grâce à la mobilisation et le sérieux des nez bénévoles.
Figure 11. Homogénéité des résultats d’observation.
The residents committee observations homogeneity.
3.2. Mesures des nez électroniques
3.2.1.Entraînement
L’objectif de cette étape était de vérifier la calibration des nez électroniques. La calibration se divise en deux grandes étapes : la caractérisation des odeurs (prélèvements et étalonnage des nez électroniques) et la construction du système prédictif. Ce système prédictif est par la suite utilisé par le logiciel ODOWATCH®. Il permet d’évaluer la concentration d’odeur à partir de valeurs estimées près des sources. La Figure 12 présente la capacité du système à prédire les odeurs à quantifier. L’axe « observations » correspond aux analyses olfactométriques réalisées sur les échantillons et l’axe « prédictions », aux concentrations prédites par le système pour les données correspondantes. Certaines statistiques peuvent être tirées de ce graphique : la pente de la droite (pente), le coefficient de corrélation (R2) et l’erreur quadratique moyenne relative (EQMR). Le Tableau 2 résume ces valeurs.
Les performances du système prédictif sont plus que satisfaisantes. La situation idéale serait une pente de 1 (donc observations = prédictions) et un R2 de 1 ou une EQMR de 0 (donc aucune variance). Cela correspond à une mesure à la fois exacte et précise. Les valeurs obtenues pour ces entraînements sont excellentes. Le nez électronique numéro 3 a également été entraîné à reconnaître des odeurs. Le taux de réussite de la reconnaissance est 99,8 % pour l’odeur de déchets et 99,6 % pour l’odeur de boues.
3.2.2. Validation terrain
Ces tests de validation ont eu lieu six mois après l’entraînement initial. Les concentrations d’odeur mesurées à la source sont comparées aux mesures réalisées par les nez électroniques (NE), selon la direction du vent dominant. Un rétrocalcul est utilisé pour déterminer la concentration à la source à partir de celle mesurée par le nez électronique. Le Tableau 3 présente les résultats de cette validation.
Figure 12. Résultats de la validation de l’entraînement. Exemple de l’odeur de boues (nez électronique #3).
E- nose #3 training validation details.
Notons que le NE rattaché aux andains de compostage se trouve à une distance d’environ 10 mètres des andains, donc en air ambiant. Les mesures olfactométriques sont réalisées en chambre de flux à la source (donc à l’émission), alors que les lectures de NE rendent compte des concentrations en air ambiant (donc à l’immission). La disparité entre les valeurs des mesures olfactométriques et celles des nez électroniques s’explique par le phénomène de dispersion ayant lieu entre la source, où la mesure olfactométrique est effectuée, et le nez électronique. Par contre, les valeurs mesurées par les nez électroniques sont très semblables à celles attendues en utilisant la méthode de rétrocalcul.
En conclusion, la mise en place du système ODOWATCH et son entraînement se sont bien déroulés. Les résultats lors de l’entraînement initial attestent d’un bon système prédictif et d’une bonne linéarité, ce qui a permis une bonne performance dans la reconnaissance des odeurs et la détermination des concentrations.
La validation terrain montre que la dérive métrologique des nez électroniques utilisés est très correcte : moins de 30 % en moyenne sur six mois.
3.3. Analyse et croisement des données
Une analyse des données a été faite pour étudier la gêne olfactive des riverains du quartier du Val-de-Sibourg en relation avec les conditions météorologiques et les mesures faites par le système de nez électroniques. Les analyses et croisements de données ont porté sur :
• la répartition des observations selon des classes de vent (vitesse et direction) ;
• la recherche de relation entre la concentration en unité d’odeur mesurée par le système de nez électroniques et la perception d’odeurs par le jury de nez.
3.4. Recherche de corrélation avec les données météorologiques
Nous avons considéré la présence d’une nuisance olfactive liée au CET lorsque, sur une plage horaire, au moins un des observateurs bénévoles a perçu une odeur ayant pour origine : « traitement des déchets » ou « autres origines ». Ainsi, 595 plages horaires ont été prises en compte pour les observations des riverains. 84 ont donné lieu à la perception d’une nuisance olfactive.
3.4.1. Corrélation avec la vitesse du vent
La classe de vitesses de vent la plus fréquente lors des observations regroupe les vents entre 2 et 4 m.s–1. Néanmoins, des odeurs sont perçues pour toutes les classes de vents. Le taux de perception décroît avec la vitesse de vent (Tableau 4). Il est de 25 % pour les vents inférieurs ou égaux à 1 m.s–1. Au-delà de 6 m.s–1, ce taux est nul.
3.4.2. Corrélation avec la direction du vent
Pour cette corrélation, les vents dont la vitesse est inférieure à 1 m.s–1 n’ont pas été pris en compte. La mesure de la direction est imprécise dans cette plage de vitesse. 476 plages horaires disposent de mesures de vitesses de vent supérieures à ce seuil.
Des odeurs sont perçues pour toutes les directions de vent. Cependant, les taux de perception les plus importants sont observés pour les vents de secteur sud et ouest : plus de 40 %.
En synthétisant en quatre secteurs la rose des perceptions d’odeur, on obtient des taux de perception de 17 % et 30 % pour les vents de sud et d’ouest (Tableau 5).
Tableau 3. Résultats de la validation terrain.
Ground validation results.
Odeur |
Nez |
Heure |
Mesures |
Mesures |
Mesures |
Andains de |
NE # 4 |
08 h 46 à 08 h 52 |
20 000 u.o./m3 |
40 u.o./m3 |
67 u.o./m3 |
compostage |
NE # 4 |
10 h 38 à 10 h 45 |
8 000 u.o./m3 |
1 436 u.o./m3 |
993 u.o./m3 |
NE # 3 |
09 h 04 à 09 h 12 |
20 000 u.o./m3 |
1 542 u.o./m3 |
1 190 u.o./m3 |
|
Déchets frais |
NE # 3 |
10 h 00 à 10 h 05 |
180 000 u.o./m3 |
1 248 u.o./m3 |
1 010 u.o./m3 |
NE # 2 |
09 h 41 à 09 h 46 |
180 000 u.o./m3 |
22 u.o./m3 |
0 u.o./m3 |
Tableau 4. Taux de perception en fonction de la vitesse du vent.
Odour perception ratio versus wind speed.
Classes de vent |
0-1m.s–1 |
1-2m.s–1 |
2-4m.s–1 |
4-6m.s–1 |
6-8m.s–1 |
>8m.s–1 |
Taux de perception |
25% |
16% |
11% |
5% |
0% |
0% |
Tableau 5. Taux de perception par secteur de vent.
Odour perception ratio versus wind direction.
Secteur de vent |
N |
E |
S |
O |
Nombre d’heures |
181 |
104 |
161 |
30 |
Taux de perception |
5% |
8% |
17% |
30% |
Tableau 6. Prévision de la gêne olfactive des riverains à partir des données météorologiques : table de contingence.
Odours nuisance prediction using meteorology parameters.
Odeur non-prévue |
Odeur prévue |
|
Odeur non-perçue |
319 |
192 |
Odeur perçue |
23 |
61 |
Figure 13. Secteurs de vents des épisodes modélisés.
Wind directions during the modeled situations.
3.4.3. Système d’alerte basé sur les données météorologiques
Considérons ces deux conditions suivantes :
• la vitesse de vent est inférieure à 1,25 m.s–1 ;
• la vitesse du vent est supérieure à 1,25 m.s–1, mais la classe de direction de vent est favorable.
Si l’une ou l’autre est remplie, on prévoit qu’une odeur va être perçue par les riverains. Les performances d’une telle prévision sont regroupées dans une table de contingence (Tableau 6).
Un système d’alerte défini à partir de conditions sur la direction et la vitesse de vent permettrait de détecter 72 % des perceptions d’odeur signalées par les riverains. Cependant, une alerte serait déclenchée à tort 3 fois sur 4. De plus, les plages horaires mises en alerte couvriraient un tiers des heures de l’année.
3.5. Recherche de corrélation avec les mesures des nez électroniques
Même si les stations sont proches, la météo dans le quartier du Val-de-Sibourg reste différente de celle mesurée sur le site d’étude ou sur le site de la station d’AIRFOBEP située dans la commune de La Fare-les-Oliviers. La modélisation cherche à rendre compte de cette différence en intégrant les effets du relief.
Figure 14. Corrélation des mesures ODOWATCH avec la gêne olfactive des riverains.
Correlations between ODOWATCH measurements and the odour nuisance level.
Une analyse des données météorologiques montre que seules 20 % des périodes de perception des odeurs par les riverains correspondent à des situations (direction de vent) qui mettent ces derniers sous le vent du CET. Seules ces 20 % de périodes de perception seront utilisées dans la suite de l’analyse.
Ainsi, pour les périodes où des odeurs ont été perçues, le vent soufflait du CET vers les observateurs du quartier Val-de-Sibourg avec un angle de ± 45° dans un peu plus de 20 % des cas (Figure 13). C’est-à-dire que 20 % des épisodes d’odeurs attribués aux activités de traitement des déchets par les observateurs peuvent effectivement être considérés comme issus des opérations du site. Donc, sans remettre en doute les observations et les gênes ressenties par les riverains, il est évident qu’une forte proportion des observations ne peut pas être attribuée aux activités du site, soit parce que la situation ne peut être modélisée par le système (cas des vents faibles), soit parce que les odeurs ressenties proviennent du paysage olfactif de la région et non du CET.
Puisque seules les situations météorologiques cohérentes ont été prises en compte, l’analyse de corrélation ne rend pas compte des bonnes ou mauvaises performances de la modélisation de la dispersion par le système ODOWATCH.
La prévision du système ODOWATCH est analysée de façon globale, pour tout le quartier du Val-de-Sibourg. Il ne s’agit donc pas de prévision au niveau du riverain, mais du quartier.
3.5.1. Identification d’un seuil d’alerte
La concentration moyenne mesurée par ODOWATCH lorsqu’une gêne olfactive est ressentie dans le quartier du Val-de-Sibourg est de l’ordre de 4,5 uo/m3. C’est le seuil de nuisance olfactive défini pour le site Ortec par le système ODOWATCH.
3.5.2. Performance du système d’alerte ODOWATCH
Avec un seuil d’alerte fixé à 4,5 uo/m3, le système a été en alerte environ 3 % du temps. Le taux de détection du système d’alerte ODOWATCH a été de l’ordre de 75 % (17 épisodes prévus sur 23). Le taux de fausse alerte a été de l’ordre de 25 %.
3.5.3. Corrélation avec le niveau de gêne
Lors de la perception d’une odeur, les nez bénévoles la classent sur une échelle de gêne allant de 1 (pas d’odeur) à 5 (odeur très gênante). L’analyse montre que ce niveau de gêne est bien corrélé avec les mesures en unité d’odeur déterminées par ODOWATCH (Figure 14).
4. Conclusions
AIRFOBEP, avec l’appui technique et financier de l’ADEME, a mené une opération pilote pour expérimenter l’utilisation des nez électroniques comme un outil de surveillance de la gêne olfactive. L’objectif de cette opération est de réaliser un système d’alerte à la nuisance olfactive. Ce système utilise un réseau de nez électroniques. La validation du fonctionnement de ce système s’appuie sur les observations olfactives des riverains. Deux moyens de mesure ont été mis en œuvre dans le cadre de l’opération :
• Les observations olfactives menées par un jury de nez bénévoles : AIRFOBEP a assuré l’organisation et la gestion des campagnes d’observations. Malgré un contexte difficile, lié à la présence des nuisances olfactives, un jury de nez représentatif a pu être mobilisé tout au long de l’opération. Il en résulte un bon volume et une bonne représentativité des données exploitables pour l’opération. L’analyse globale et fine des campagnes d’observations démontre la représentativité et l’homogénéité des données obtenues grâce à la mobilisation et le sérieux des nez bénévoles.
• La mesure de la concentration d’odeurs par le système de nez électroniques ODOWATCH : la mise en place du système ODOWATCH et son entraînement se sont bien déroulés. Un volume suffisant de données validées a été exploité pour réaliser les traitements statistiques et la modélisation prévus dans l’opération. La validation initiale et de terrain des nez électroniques montre un fonctionnement plus que satisfaisant de ces derniers.
Les résultats de l’opération doivent conclure sur la faisabilité d’un système d’alerte à la nuisance olfactive. Sur la base des observations du jury de nez, deux types de systèmes ont été évalués :
• Système d’alerte sur la base des données météorologiques : les données pour tester un tel système sont disponibles. L’analyse faite par AIRFO-BEP montre des performances intéressantes (un bon taux de détection), mais pas suffisantes (un taux de fausse alerte élevé) pour un système d’alerte. C’est, par contre, un bon outil de mise en vigilance. L’amélioration de ce système signifie le passage vers la modélisation.
• Système d’alerte ODOWATCH : mesure nez électronique et modélisation. Les résultats de l’opération démontrent deux points concernant un tel système :
– la grande difficulté à modéliser les situations de gêne olfactive des riverains. Ceci est dû, d’une part aux problèmes de simulation de la dispersion des odeurs, notamment dans le cas de vents faibles, et d’autre part au lien entre concentration et gêne olfactive qui n’est pas direct ;
– pour les situations bien modélisées, le système prévoit relativement bien les situations de gêne olfactive (taux de détection de 74 %). La précision spatiale de cette prévision reste au niveau de l’ensemble du quartier.
Pour ces différents systèmes, l’opération suggère deux améliorations :
• amélioration de la modélisation de la dispersion des odeurs, car ce maillon est primordial si l’on veut comprendre ou prévoir la gêne des riverains ;
• des outils de contrôle à distance sont à améliorer pour un fonctionnement opérationnel des nez électroniques. Ces améliorations seront intégrées dans le système ODOWATCH d’Odotech.
Les auteurs tiennent à remercier tous ceux qui ont participé à la réussite de cette opération :
• l’ADEME pour son soutien technique et financier,
• les habitants du quartier du Val-de-Sibourg pour leur engagement,
• les autres partenaires : ORTEC (exploitant), INERIS, DRIRE et Mairie de Lançon-de-Provence.