Introduction
Il est maintenant reconnu que les polluants émis lors des éruptions volcaniques jouent un rôle important dans le cycle biogéochimique, notamment dans le cycle du soufre [1]. Ces émissions ont aussi un impact notable sur le bilan radiatif et par conséquent sur le changement climatique [2]. L'influence des gaz à effet deserre tels que l'oxygène (O2), l'azote (N2), le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4 ), l'ozone (O3) et la vapeur d'eau (H2O) sur le bilan radiatif est bien documentée dans la littérature du fait que ces gaz absorbent une partie du rayonnement infrarouge émis par la surface terrestre [3-5].
Les particules atmosphériques sont souvent constituées de sulfates, de nitrates, d'ammoniac, de composés organiques, de silices, de composés associés à des poussières terrigènes, de composés associés à l'aérosol marin, de carbone suie (Black Carbon, BC) et de métaux traces. Chacune de ces espèces a une caractéristique physicochimique particulière. À titre d'exemple, les aérosols de sulfate agissent indirectement en tant que noyaux de condensation nuageuse (CCN, Cloud Condensation Nuclei) en modifiant les propriétés optiques des nuages [6].
Des études expérimentales (mesures au sol, par avion et satellitaires) indiquent que les éruptions volcaniques majeures comme celles du Fuego (octobre 1974), du Mont St-Helens (mai 1980), d'El Chicon (mars-avril 1982) et du Pinatubo (juin 1991), ont injecté de grandes quantités de particules sol des et gaz volatils dans la troposphère et la stratosphère [1].
Les éruptions volcaniques émettent principalement de la vapeur d'eau, du dioxyde de carbone (CO2), du dioxyde de soufre (SO2), de l'acide chlorhydrique (HCl) et de l'acide fluorhydrique (HF) initialement piégés dans la croûte terrestre. Une fois émis dans l'atmosphère, ces gaz et particules contribuent aux pluies acides et affectent notablement la stratosphère [7-10].
Ces constituants sont émis par des processus de sublimation à partir du dégazage du magma, dus à l'interaction entre le fluide volcanique et les parois rocheuses, traversées par la montée de celui-ci vers la surface terrestre. Le SO2 issu des émissions volcaniques est ensuite transformé chimiquement en aérosols « sulfates » durant le transport [11]. Les aérosols de sulfate ainsi produits peuvent rester en suspension dans l'atmosphère pendant plusieurs années.
La dispersion des nuages volcaniques est liée aux conditions météorologiques et au régime de vent [12]. Le principal puits des produits volcaniques est le dépôt sec et humide [13]. Il a également été montré que des interactions nuage/émissions volcaniques ont lieu lorsque les panaches de SO2 d'origine volcanique rencontrent des nuages [14].
Des travaux antérieurs annoncent un abaissement de la température moyenne de surface d'environ 0,5-1 °C à la suite des explosions volcaniques, dû à l'importante injection des masses d'aérosols dans la troposphère et la stratosphère (1-15). Au vu de tout ceci, l'étude des émissions gazeuses et particulaires naturelles lors des éruptions volcaniques peut contribuer à une meilleure compréhension de la variabilité de la concentration des constituants atmosphériques intervenant dans le bilan radiatif, dans l'effet de serre et dans le changement climatique. De plus, le suivi en continu des émissions gazeuses et particulaires pourrait permettre d'informer en temps réel la population sur les risques atmosphériques des éruptions. Cependant, des études expérimentales en lien avec des sources telles que les éruptions volcaniques dans le sud-ouest de l'océan Indien, en particulier à l'île de La Réunion sont encore rares.
Dans ce travail, nous présentons et discutons les résultats des mesures de concentrations de SO2 relevées sur trois sites de La Réunion. Ces résultats sont mis en parallèle avec ceux des mesures du trémor réalisées autour du Piton de la Fournaise et avec les paramètres météorologiques relevés sur différentes parties de l'île entre mai et juillet 2001 (c'est-à-dire avant et pendant l'éruption volcanique du Piton de la Fournaise).
Nous essaierons ici de mettre en évidence deux aspects principaux :
-
d'un point de vue volcanologique, nous tenterons d'établir une relation entre l'activité volcanique du Piton de la Fournaise (volcan effusif de type hawaïen) du 11 juin au 7 juillet 2001, les enregistrements sismographiques relevés autour du volcan par l'Observatoire volcanique du Piton de la Fournaise et les concentrations de SO2 relevées par l'Observatoire réunionnais de l'air (ORA) ;
-
d'un point de vue qualité de l'air, nous étudierons l'apport du volcanisme réunionnais aux concentrations de SO2 mesurées par l'ORA sur l'île de La Réunion.
Mise en œuvre expérimentale
Contexte expérimental
Les mesures de la concentration de SO2 ont été réalisées par l'ORA, Association agréée par le ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement sur huit sites distincts (Figure 1a, p. 530) en automne - début hiver austral (entre mai et juillet) 2001 à l'île de La Réunion (21,5 °E ; 55,5 °S). Cette île (surface - 2 500 km2) est située au sud-ouest de l'océan Indien, à l'est du continent africain et de Madagascar . Elle présente un relief accidenté (canyons...), qui induit des circulations locales (effets de brises terre/mer , effets de vallée...).
Dans le cadre de cette étude, nous focaliserons notre analyse à partir des mesures réalisées sur trois sites de l'ile, représentatives de la variabilité de la concentration (niveau, tendance ...) de SO2 sur l'ensemble de l'île. Le site 1 est localisé dans l'enceinte du lycée Lislet Geoffroy (altitude ≈ 20 m) et situé au nord de l'île à Saint-Denis. Ce dernier est un site sous le vent. Le site 2 est celui de Sainte-Thérèse , situé au nord-ouest de l'île. C'est un site au vent situé à mi-pente (altitude ≈ 300 m) à environ 5 km à l'est de la ville du Port. Le site de CTG (site 3) est situé au sud-ouest de l'ile, en prise directe avec les alizés du sud-est. C'est un site périurbain côtier (altitude ≈ 25 m) au vent, situé à côté d'une centrale thermique et à environ 4 km de la ville de Saint-Louis.
Les mesures des paramètres météorologiques sont collectées en continu sur 20 stations automatiques sur le territoire de l'ile par Météo-France. Les données du trémor ont été relevées par l'Observatoire volcanique du Piton de la Fournaise sur le massif du volcan, comme indiqué sur la figure 1b, p. 530. C'est un volcan effusif de type hawaïen, comme cela a été dit précédemment.
Figure 1. (a) Carte de La Réunion indiquant la position des trois sites de mesures et le relief de l'ile. (Aimablement mise à disposition par l'Université de La Réunion).
(b) Zoom sur le massif du volcan du Piton de la Fournaise, et position des stations sismiques BOR (Bory), SFR (Soufrière), NCR (Nez Coupé de Sainte-Rose) et NTR (Nez Coupé du Tremblet). (Reproduit avec autorisation).
(a) Map of La Reunion Island with indication of the position of the three measurement locations and the relief of the Island. (Kindly provided by Université de La Réunion)
(b) Zoom on the Piton de la Fournaise volcano massif, with indication of the position of seismic measurement stations BOR (Bory). SFR (Soufrière). NCR (Nez Coupé de Sainte-Rose) et NTR (Nez Coupé du Tremblet). (Reproduced with permission).
Description des mesures
Les caractéristiques des sites de mesures, les types d'instruments utilisés, les types de données collectées ainsi que la durée des campagnes sont résumés dans le tableau 1.
Tableau 1. Sites de mesures instruments utilisés et types de mesures obtenues en mai-juillet 2001 sur quatre sites de La Réunion.
Sampling locations, instruments used, and measurements obtained in 2001 at four locations of La Reunion Island.
N° du site |
Sites de mesures |
Instruments |
Mesures |
Date début |
Date fin |
1 |
Saint-Denis Lycée Lislet Geoffroy |
Station météorologique |
Paramètres météo : |
10‑mai‑01 |
18‑juin‑01 |
Photomètre SF‑2000 (SERES) |
SO2 en continu |
10‑mai‑01 |
18‑juin‑01 |
||
2 |
Sainte-Thérèse |
Photomètre SF‑2000 (SERES) |
SO2 en continu |
10‑mai‑01 |
20‑juil‑01 |
3 |
Saint-Louis CTG |
Photomètre SF‑2000 (SERES) |
SO2 en continu |
10‑mal‑01 |
20‑juil‑01 |
4 |
Piton de la Fournaise |
Réseau de sismomètres |
Signal trémor de l'éruption en continu |
10‑janv‑01 |
20‑juil‑01 |
La concentration du dioxyde de soufre a été mesurée en continu par un analyseur automatique SF-2000 de marque SERES. C'est un photomètre dont le principe de mesures repose sur la fluorescence UV. Les molécules de dioxyde de soufre entrent en fluorescence lorsqu'elles sont irradiées par le rayonnement ultraviolet (190-390 nm). Cette fluorescence UV est maximale pour une longueur d'onde comprise entre 210 et 230 nm produite par un générateur de rayonnement ultraviolet utilisant une lampe à deutérium ou à vapeur de zinc.
Dans le cas du SF-2000, le rayonnement UV d'une longueur voisine de 215 nm produit par la lampe à vapeur de zinc excite les molécules de SO2 contenues dans l'échantillon situé dans la cuve de mesure :
SO2 + h → + SO2* Absorption-excitation
Puis la molécule de SO2* va se désexciter pour revenir à son état énergétique de départ E en émettant un rayonnement de longueur d'onde·' .
SO2* → SO2 + h' Désexcitation
L'énergie réémise est inférieure à l'énergie excitatrice h et la longueur d'onde ' de la radiation de fluorescence UV (entre 240 et 420 nm) est donc plus grande que celle de la source excitatrice (égale à 215 nm). Le phénomène de fluorescence cesse lorsqu'on supprime la source excitatrice.
La mesure de la radiation de fluorescence UV s'effectue à 90 ° de l'émission. L'intensité de la radiation suit la loi de Beer-Lambert : l'intensité de la radiation est proportionnelle à la concentration de SO2 de l'échantillon, [SO2] = k × IF où k est le facteur de proportionnalité, IF l'intensité mesurée (Figure 2).
Figure 2. Schéma de principe de fonctionnement de l'analyseur SO2 SF-2000 SERES par fluorescence UV.
Schematic representation of the operation of the SO2 SF-2000 SERES analyser by the UV fluorescence technique.
À l'entrée de l'appareil, un système à membrane sélective original élimine l'influence des hydrocarbures aromatiques. L'influence de la vapeur d'eau est éliminée en excitant fortement les molécules de SO2 pour éviter une désexcitation non radiative. La réponse de l'analyseur est donc proportionnelle à la concentration de molécules de SO2 présente dans la cuve et aussi à sa pression. Par conséquent, il faut maintenir la pression rigoureusement constante.
Les caractéristiques (débit...) de l'analyseur SF-2000 sont décrites dans le tableau 2, p. 532.
Tableau 2. Caractéristiques de l'analyseur de SO2 SF-2000 de marque SERES.
Characteristics of the SERES SF-2000 SO2 analyser.
Caractéristiques |
Valeur |
Échelle |
0,1 ‑ 0,5 – 10 ppm |
Minimum détectable |
< 1 ppb |
Temps de réponse |
≈ 60 s pour 90% de changement et pour un débit d'échantillonnage d'environ 50 l/h |
Dérive de zéro |
< 2 ppb par semaine |
Dérive d'étalonnage |
< 1%par semaine |
Linéarité |
+ 1 %par semaine |
Résultats et discussion
Aperçu du flanc Est du Piton de la Fournaise à partir de la photographie prise durant l'éruption
La figure 3, p. 532, montre une photographie prise par un appareil photographique fixe digital à haute résolution le 18juin 2001 à 8 h 44 (heure locale), soit une semaine après le début de l'éruption volcanique du Piton de la Fournaise. Cette photographie, montrant le massif du Piton de la Fournaise à l'Est, a été prise à partir d'un hélicoptère, à une altitude de 2 600 m. L'éruption est située au centre de la figure, à une altitude de 1 800 m et est masquée par des nuages, des fumerolles et des panaches issus de l'éruption. Les informations contenues dans cette photographie sont intéressantes à plusieurs points de vue. On peut d'abord noter que la distribution spatiale des polluants atmosphériques émis par l'éruption volcanique est limitée par la limite supérieure de la couche limite marine du fait de l'existence d'une couche d'inversion située entre 2 000 et 2 300 m d'altitude [16-18]. L'existence et la hauteur de l'inversion thermique vue sur la photographie du volcan sont confirmées par les mesures de température effectuées par Météo-France à proximité du volcan. Les nuages atteignant le panache volcanique proche du Piton de la Fournaise suggèrent des interactions chimiques possibles entre les nuages et les émissions volcaniques, comme cela a été indiqué dans des travaux antérieurs [14]. On peut également noter l'influence importante des panaches de polluants volcaniques sur la visibilité atmosphérique, en comparaison de l'atmosphère « "propre » de fond observée à quelques kilomètres du volcan.
Cette photographie montre aussi le transport des masses d'air polluées dans la CLM, dû à l'effet conjugué de la géographie (relief important...) de l'île et des conditions météorologiques particulières (anticyclone) régnant dans la région pendant cette période. Pendant la période d'éruption , les conditions anticycloniques en vigueur sur le sud-ouest de l'océan Indien pourraient expliquer la « lente dispersion » des polluants volcaniques observés sur la figure 3. Cet anticyclone a ensuite laissé place à un système dépressionnaire, suivi d'un front polaire.
Figure 3. Photographie prise en hélicoptère le 18 juin 2001 (période de l'éruption) à 8h44 (heure locale) au-dessus de la caldeira du Piton de la Fournaise. On peut noter que le panache d'origine volcanique est dispersé au sommet de la couche limite marine, autour de la cheminée volcanique. Photo . Dr T Staudacher - Reproduit avec autorisation).
Photography taken from a helicopter on the 18th June (eruption period) al 8:44 (local lime) abovethe caldeira of the Piton de la Fournaise. We may notice that the plume emitted from the volcano is dispersed at the top of the marine boundary layer. around the volcanic chimney. (Photo . Dr T Staudacher - Reproduced with permission).
Variation du trémor pendant l'éruption de juin-juillet 2001
Le réseau sismique installé autour du massif du Piton de la Fournaise mesure les tremblements de terre reliés à l'activité tectonique du volcan. Le signal du trémor apparaît au début des éruptions et accompagne toutes les activités éruptives du volcan du Piton de la Fournaise [19-20]. Ce trémor représente une vibration en continu du sol et il est produit par le mouvement rapide du magma liquide et du gaz dans le conduit. Son intensité dépend de la vitesse du magma, de la viscosité et du contenu en gaz, ce dernier étant en fait l'élément moteur de toute éruption. La forme et le diamètre du conduit peuvent aussi avoir des effets, avec toutefois une influence mineure sur l'intensité du trémor [21].
La figure 4 montre l'intensité du trémor (en unités arbitraires) mesurée pendant l'éruption de juin-juillet 2001, sur quatre stations de mesures : Bory (BOR) et Soufrière (SFR) sont proches des cratères situés au sommet, Nez Coupé de Sainte-Rose (NCR) et Nez Coupé du Tremblet (NTR) se trouvent sur le bord de la caldeira au nord et au sud respectivement du volcan. Le 11 juin 2001, le premier épisode de l'éruption (première phase annotée T1) était précédé d'une crise sismique de 32 minutes, avec 125 tremblements ponctuels.
À 9h47 UTC à cette même date, un trémor important provenant d'une éruption est apparu et a été mesuré sur tout le réseau sismique. Sur la figure, le trémor de l'éruption mesuré en continu a été moyenné sur un pas de temps de 10 minutes. Le trémor était maximal au début de l'éruption de 2001 . Il diminua d'un facteur 10 au bout des 24 premières heures qui suivirent l'éruption. Pendant plusieurs jours jusqu'au 22 juin 2001, d'importantes variations du trémor ont été relevées (phase intermédiaire annotée T2). Puis, le trémor augmenta en l'espace de six heures et demeura constant à une valeur modérée pendant une semaine. Le 1er juillet 2001, le trémor augmenta brusquement d'un facteur 4 pendant quatre heures (phase terminale annotée T3). Les observations de terrain proches du site d'éruption rapportèrent l'apparition d'une « torche » intense, jusqu'à 10 m de haut au-dessus du cratère principal, avec des signes d'importants dégazages.
Pendant cette période, simultanément aux pics de trémor, de larges blocs de lave furent projeté des trois cratères actifs, et un haut débit d'écoulement de lave a été observé. À partir du 2 juillet 2001, le trémor augmenta constamment ,avec toutefois un seul cratère demeurant actif, formant un large chaudron, avec un lac de lave bouillant à l'intérieur. De nouvelles et importantes coulées de laves apparurent aux « Grandes Pentes » qui coupèrent la route au « Grand Brûlé ». Le 7 juillet 2001, le trémor atteignit sa valeur maximale, puis chuta de 95 % de sa valeur en quelques secondes et disparut complètement les heures suivantes. L'éruption volcanique du Piton de la Fournaise cessa le 7 juillet 2001.
Figure 4. Intensité de trémor de l'éruption mesurée (en unités arbitraires) sur les quatre stt1ons du massif du volcan Piton de la Fournaise : Bory (BOR), Soufrière (SFR),Nez Coupé de Sainte-Rose (NCR) et Nez Coupé du Tremblet (NTR) pendant l'éruption volcanique de juin-juillet 2001.
Tremor intensity of the eruption measured (in arbitrary units) at the tour stations of the Piton.de la Fournaise volcano massif : Bory (BOR), Soufrière (SFR). Nez Coupé de Sainte-Rose (NCR) et Nez Coupe du Tremblet (NTR) during the volcanic eruption of June-July 2001.
Variabilité de la concentration de SO2 pendant la période mai-juillet 2001 à l'île de La Réunion
Variabilité de la concentration de SO2 au lycée Lislet Geoffroy
Pendant la période mai-juillet 2001 , des mesures atmosphériques ont été effectuées au lycée Lislet Geoffroy (site 1), site proche du centre-ville de Saint-Denis. La figure 5 présente la moyenne horaire de la concentration de SO2 pour chaque jour de la semaine, mesurée du 10 mai au 9 juin 2001 (période dite normale, c'est-à-dire, en l'absence d'éruption volcanique - Figure 5a) et du 10 juin au 7 juillet 2001 (phase d'éruption volcanique - Figure 5b). On peut d'abord noter que durant les périodes normales (absence d'éruption volcanique) , la concentration horaire de SO2 varie en moyenne dans la gamme 1-28 µg/m3 sur le site 1, avec des pics ponctuels de concentrations maximales observées pendant le jour , lorsque la densité du trafic est importante [22]. Cette affirmation est renforcée par la différence de niveaux de concentration de SO2 observée en moyenne journalière du lundi au vendredi (≈ 4 µg/m3) et le week-end (≈ 3 µg/m3).
Cependant, pendant la première phase de l'éruption volcanique, nous notons clairement une augmentation inhabituelle de la concentration de SO2 (Figure 5b), d'un facteur 3 sur le site 1, comparativement à son niveau en conditions normales. Cette croissance de la concentration de SO2 a été observée de manière significative le mardi 12 juin 2001 à 23 h (concentration de SO2 : 71 µg/m3), plage horaire pendant laquelle l'activité anthropique locale est minimale. D'autres épisodes de fortes concentrations de SO2 ont été enregistrés les jours suivants (par exemple :- 60-91 µg/m3 entre 4 et 7 h le 14 juin 2001) et ceci jusqu'au 3 juillet 2001. La durée de ces épisodes (de 3 à 8 heures) suggère une contamination globale de l'atmosphère en SO2, notamment par une distribution spatiale sur l'ensemble de l'agglomération de Saint-Denis. Les augmentations importantes de la concentration de SO2 sur ce site suggèrent que cette contamination n'était pas d'origine locale, d'autant qu'il n'existe pas d'industries fortement polluantes en SO2 sur Saint-Denis. La variabilité inhabituelle de la concentration de SO2 sur le site 1 concorde avec la variabilité du trémor mesuré simultanément sur le volcan Piton de la Fournaise pendant l'éruption de juin-juillet 2001, comme indiqué précédemment.
Figure 5. Moyenne horaire de la concentration de SO2 mesurée (a) en « période normale » (10 mai au 9 juin) et (b) pendant l'éruption volcanique (10 juin au 7 juillet), au lycée Lislet Geoffroy (site 1) en mai-juillet 2001.
Mean hourly SO2concentration measured (a) in « normal period » (l0th May to 9th June) and (b) during the volcanic eruption (10th June to 7th July) at the Lislet Geoffroy college (site 1) in May-July 2001.
Tout ceci suggère une contamination par du dioxyde de soufre d'origine volcanique, transporté dans la vallée de la rivière Saint-Étienne et la ravine de Patate à Durand. Nous avons comparé les niveaux de concentrations de SO2 avant et pendant des épisodes de dégazage de durée 2 : 6 h et avons noté un facteur d'accroissement de 3 à 5. Il est à souligner qu'aucun autre processus pouvant avoir une certaine influence sur le niveau de concentration de SO2 mesurée, tel que le brûlage de biomasse, n'a eu lieu pendant la période d'étude [18].
Nous pouvons ainsi déduire que les changements notables observés sur la variabilité de la concentration de SO2 mesurée au lycée Lislet Geoffroy (Saint-Denis) pendant la période de juin-juillet 2001 sont principalement dus à un transport local des polluants d'origine volcanique émis durant l'éruption volcanique du Piton de la Fournaise situé à environ 50 km au sud-est de Saint-Denis.
La différence de niveaux de concentrations de SO2 observée au site 1 peut être attribuée au mode de transport des masses d'air contaminées. En effet, comme indiqué précédemment, le site 1 est situé à la sortie d'une ravine, dont le point source de la rivière est situé au milieu de l'île, proche du volcan. Aussi, les circulations locales (brises : terre-mer , de pentes...), induites par la configuration particulière (relief imposant, vallée encaissée...) de l'île, couplées aux processus dynamiques à l'échelle régionale (alizés) ainsi qu'aux conditions météorologiques particulières (anticycloniques) qui régnèrent pendant la période d'éruption volcanique, sont à l'origine de l'augmentation de la concentration de SO2 à Saint-Denis.
Variabilité de la concentration de SO2 à Sainte- Thérèse
Nous avons également étudié la variabilité de la concentration de SO2 à Sainte-Thérèse (site 2), site périurbain situé en altitude et éloigné des zones à forte densité de population. La figure 6, p. 536, présente la moyenne horaire des concentrations de SO2 relevée du 10 mai au 9 juin 2001 (Figure 6a : période normale) et du 10 juin au 7 juillet 2001 (Figure 6b : pendant l'éruption volcanique) à Sainte-Thérèse. En conditions normales, la concentration de SO2 varie entre 1 et 60 µg/m3 sur ce site, avec des valeurs élevées (pics ponctuels) observées pendant le jour. On note également que la concentration de SO2 (moyenne journalière) du lundi au vendredi (≈ 11 µg/m3) est relativement plus élevée que celle des week-ends (≈ 6 µg/m3). Ceci pourrait s'expliquer par des apports d'origine anthropique provenant des régions habitées situées en contrebas, proches du littoral. Cependant, dès le début de l'éruption volcanique (10 juin au 7 juillet 2001), une tendance différente de la variabilité et un niveau plus élevé de la concentration de SO2 ont été observés sur ce site. À titre d'exemple, le mercredi 13 juin 2001. un pic intense (≈ 340 µg/m3 à 3h) de concentration de SO2 maintenu pendant plusieurs heures, a été observé, représentant un facteur d'accroissement d'au moins 20, comparativement aux niveaux de concentrations mesurées en conditions normales.
Des épisodes de pics secondaires (avec des concentrations maximales de 170 µg/m3 par heure) de fortes concentrations de SO2 ont également été observés les jours suivants en concordance avec la variabilité du signal du trémor mesuré en même temps au volcan du Piton de la Fournaise (Figure 6c). Ils sont de plus, en accord avec les épisodes observés sur la partie nord (site 1) de l'ile, avec toutefois un niveau plus élevé observé à Sainte-Thérèse. La différence notable de variabilité de la concentration de SO2 observée entre la période « avant » et « pendant » l'éruption volcanique de juin-juillet 2001 à Sainte-Thérèse suggère un apport privilégié de masses d'air polluées d'origine volcanique vers cette région, qui peut en partie être attribué aux conditions météorologiques particulières (abaissement de la hauteur de la CLM, anticyclone ...), aux brises de terre et de pentes, au relief accidenté (existence des vallées encaissées...) ainsi qu'à la distance entre le volcan (la source) et le site 2. Il est à noter que Sainte-Thérèse est aussi la première station de surveillance située à la sortie de la vallée de la rivière des Galets, qui prend sa source au centre de l'île, proche du volcan.
Figure 6. Moyenne horaire de la concentration de SO2 mesurée (a) en « période normale » (10 mai au 9 juin), (b) pendant l'éruption volcanique (10 juin au 7 juillet),à Sainte-Thérèse (site 2) en mai-juillet 2001, et (c) intensité de trémor de l'éruption mesurée sur le massif du volcan Piton de la Fournaise en juin-juillet 2001.
Mean hourly SO2 concentration measured (a) in "normal period" (10th May to 9th June) (b) during the volcanic eruption (10th June to 7th July) at Sainte-Thérèse (site 2) in May-July 2001 and (c) tremor intensity of the eruption measured at the Piton de la Fournaise in June-July 2001.
Variabilité de la concentration de SO2 à CTG
Le station de surveillance CTG (site 3) se trouve sur un site périurbain se trouvant dans la partie sud-ouest de La Réunion, à l'entrée de la ville de Saint-Louis. En condition normale, les polluants (notamment le SO2) sont d'origine anthropique, liés au trafic automobile et à la centrale thermique du Gol située à proximité de la station de surveillance. La figure 7, p. 537, présente la moyenne horaire des concentrations de SO2 mesurées chaque jour de la semaine, du 10 mai au 9 juin 2001 (Figure 7a : période normale), puis du 10 juin au 7 juillet 2001 (Figure 7b : période d'éruption) à CTG. Lors de la première période de mesures (conditions normales), on note que la concentration horaire de SO2 varie dans la gamme 1-45 µg/m3. La relativement faible variabilité des concentrations de SO2 observée sur le site 3, par rapport aux autres sites de l'île, traduit un faible taux de circulation de véhicules, superposé à de faibles émissions de la centrale thermique à cette période de l'année. On peut penser que les conditions météorologiques (vent...) à l'échelle locale peuvent également avoir une influence notable sur la variabilité de la concentration de SO2, notamment par des processus de transport (dispersion et/ou dépôt).
Figure 7. Moyenne horaire de la concentration de SO2 mesurée (a) en « période normale » (10 mai au 9 juin) et (b) pendant l'éruption volcanique (10 juin au 7 juillet),au CTG (site 3) en mai-juillet 2001.
Mean hourly SO2 concentration measured (a) in "normal period" (10th May to 9th June) and (b) during the volcanic eruption (10th June to 71th July) at CTG (site 3) in May-July 2001.
Toutefois, lors de l'éruption volcanique, on note que la variabilité de la concentration de SO2 présente des pics importants (≈ 70-115 µg/m3), comparativement aux concentrations maximales observées en période normale à CTG. L'augmentation inhabituelle de la concentration de SO2 observée à CTG durant l'éruption ne semble pas être d'origine locale, étant donné qu'en période normale, les fortes concentrations de SO2 sont ponctuelles dans le temps et beaucoup plus faibles (≈ 45 µg/m3 par heure). On note également que les épisodes de SO2 présentent des concentrations plus faibles d'un facteur d'au moins 2, en comparaison des autres sites de l'île. Par ailleurs, des épisodes de SO2, observés certains jours (par exemple : le jeudi 14 juin 2001) sur les autres sites n'apparaissent pas à CTG. Ceci est en partie dû à l'influence conjuguée du relief particulier de cette zone de l'île et de la prédominance des alizés, dont l'influence est assez marquée dans la région sud de l'île, limitant ainsi un transport efficace des masses d'air polluées du volcan (situé au sud-est de l'île) vers les réglons sud-ouest de l'île. Ceci est conforté par des études précédentes, à partir de l'analyse sectorisée des vents réalisée sur différentes parties de l'île [23]. Il est à rappeler que pendant la période d'éruption volcanique, des conditions anticycloniques régnaient sur le sud-ouest de l'océan Indien. Celles-ci, couplées à la circulation locale journalière des masses d'air (ascendance/subsidence) , pourraient également expliquer en partie la différence de variabilité (niveau et tendance) de la concentration de SO2 observée sur ce site par rapport aux autres zones, surtout durant l'éruption volcanique.
Conclusion
Dans cette étude, nous avons caractérisé pour la première fois la distribution temporelle et spatiale de la concentration de dioxyde de soufre sur La Réunion avant (du 10 mai au 9 juin 2001) et pendant (10 juin au 7 juillet 2001) l'éruption volcanique du Piton de la Fournaise, qui a eu lieu entre le 11 juin et le 7 juillet 2001. Ces mesures ont été comparées avec celles du trémor relevé sur le massif du volcan Piton de la Fournaise, et avec des mesures météorologiques. La distribution spatiale et l'évolution temporelle de la concentration de polluants d'origine volcanique (SO2) ont été analysées en tenant compte des processus dynamiques à l'échelle locale et régionale, et en utilisant les données de vent.
En condition normale (absence de contamination par des sources tels que le brûlage de biomasse, les éruptions volcaniques...), les concentrations de SO2 relevées sont de faibles niveaux, variant dans la gamme de concentrations 1-60 µg/m3 par heure (avec des pics ponctuels pendant le jour, dus à l'activité anthropique locale) , suivant le caractère (urbain, rural...) de la zone. Cependant, durant l'éruption volcanique de juin-juillet 2001 , des épisodes de fortes concentrations de SO2 ont été relevés, atteignant des valeurs horaires de 90-350 µg/m3, correspondant à un facteur d'accroissement d'au moins 10 pendant plusieurs heures, selon le site de mesures. L'analyse des vents indique que la variabilité de la concentration de SO2 est reliée à la circulation locale journalière (brises terre-mer, brises de pente...), induite par l'important relief de l'île. Les épisodes intenses de fortes concentrations de SO2 correspondent à la variabilité du trémor mesuré sur le massif du Piton de la Fournaise pendant l'éruption volcanique. De manière générale, ces épisodes de SO2 apparaissant durant la période de l'éruption ont été observés dans la plage horaire 0 h 00‑10 h 00, qui correspond à un régime de brise de terre. Du point de vue volcanologique, nous avons pu établir une corrélation entre l'augmentation de la concentration de SO2 mesurée sur différentes parties de l'île avec celle du signal trémor. Du point de vue qualité de l'air , un dépassement de l'objectif de qualité (>100 µg/m3, en moyenne quotidienne) de la concentration de SO2 a également été observé sur la partie nord-ouest de l'île (région fortement habitée), mettant ainsi en évidence le fait que les émissions du volcan peuvent exposer au risque de dégradation de la qualité de l'air.
Les résultats présentés dans ce travail montrent l'importance des mesures atmosphériques et météorologiques in situ pour évaluer l'origine et les causes de la variabilité de la concentration des constituants atmosphériques, lors de conditions météorologiques et géographiques favorisant une mauvaise dispersion. Cette étude est une première approche permettant de caractériser l'impact des émissions volcaniques sur la variabilité de la concentration des constituants atmosphériques, en région tropicale au sud-ouest de l'océan Indien. Elle nécessite un suivi à plus long terme et une analyse approfondie par la mesure d'autres traceurs atmosphériques pendant et hors éruption volcanique sur d'autres sites ainsi que des simulations, en utilisant des modèles chimiques de dispersion, afin de quantifier l'impact atmosphérique des émissions volcaniques à l'échelle locale voire régionale.
Nous tenons à remercier le personnel de l'Observatoire volcanique du Piton de la Fournaise, en particulier M.P. Kowalski, pour la mise à disposition des données du trémor. Nous remercions également Météo-France d'avoir fourni les données météorologiques nécessaires pour compléter ce travail.